✧ NICOTINE tu fumes trop felix, beaucoup trop même, mais c’est une habitude que t’arrives pas à lâcher depuis le lycée, depuis l’accident, depuis mags en fait. t’as pas eu de bonnes raisons d’arrêter, alors t’as continué, même si c’est ironique pour quelqu’un qui veut bosser dans le domaine la santé, même si tu bousilles la tienne au passage alors que tu prônes la vie et l’hygiène et la sécurité. peut-être que tu te considères juste pas aussi bien que les autres. peut-être que tu penses que tu vaux moins que toutes ces vies que tu sauves à longueur de journée. et dieu sait que ce serait compliqué de te faire changer d’avis. ✧ ODE TO MY FAMILY t’es l’enfant du milieu, le deuxième d’une fratrie de quatre. un grand frère d’à peine plus d’un an ton ainé, jasper, qui pourtant se plaît dans ce rôle et n’arrête pas de s’affirmer comme le chef de clan l’empereur le tyran, têtu impulsif tête brûlée, un peu trop comme toi, un peu trop à jouer le héros dès qu’il le peut. toi, le deuxième, le rêveur l’idéaliste le sauveur, aussi, un peu, toujours trop protecteur. willa, l’unique fille, trois ans de moins et l’amour dans les prunelles, l’aimante l’exubérante la généreuse la souriante, celle que tout le monde aime que tout le monde admire, le soleil qui fait rayonner votre monde et l’étoile filante qui illumine vos nuits. et puis y a leo, qu’est pas de votre sang mais c’est pas grave, parce que la famille c’est plus que ça et que lui c’est votre frère autant que les autres, le petit dernier le petit chouchou de quatre ans ton cadet, bricoleur obstiné perdu dans son monde. fratrie hétéroclite mais tellement ressemblante dans ses failles, dans son amour. ✧ ENFANTS TERRIBLES tu te souviens encore de tout le raffut que ça a fait quand tes voisins de palier ont emménagé. toi qui avais jamais déménagé de ta vie, t’étais fasciné par le camion, les cartons, les meubles, la petite fille brune avec son doudou. elle avait neuf ans, le même âge que toi. et vous êtes devenus inséparables. elle t’a aidé à surmonter la mort de ton grand-père, tu l’as aidée à s’adapter à la vie américaine, elle t’a appris quelques mots de polonais, tu lui as fait découvrir les merveilles de marvel. mags est entrée dans ta vie comme un raz-de-marée, elle en est ressortie comme un tremblement de terre. ✧ LES COPAINS D’ABORD mehdi s’est immiscé dans votre duo à votre entrée en freshman, tout naturellement. personne n’aurait parié sur votre amitié. et pourtant. il a suffit de quelques cours en commun, de bourdes et de fous rires, d’un amour mutuel des livres et des langues étrangères, et il s’est retrouvé embarqué dans vos folles aventures, menées tambour battant par mags. mehdi c’était la force calme, le cerveau du trio, quand t’étais le cœur, quand mags était l’âme. mehdi c’était la présence discrète qui tempérait les ardeurs de vos deux caractères explosifs. au lycée, y avait jamais medhi sans mags ni mags sans felix. toujours ensemble, jusqu’à la fin. ✧ GIRL ON FIRE magdalena c’était la bouffée d’air frais, la jeunesse l’insouciance les tatouages malgré l’interdiction parentale, la bière malgré l’interdiction fédérale. mags c’était une tempête, mags c’était un éclat de rire au beau milieu du silence, mags c’était danser sous la pluie et offrir son visage aux nuages. sociable enjouée tête brûlée, toujours la première à se jeter des falaises, à essayer le saut à l’élastique, à filer voir le dernier film d’horreur au ciné. elle vivait la vie à fond, comme si chaque jour était une nouvelle aventure, une nouvelle chance, une nouvelle page blanche pour tout réécrire. elle carburait à l’adrénaline, la gamine, et ça te faisait des peurs terribles, toi d’habitude si protecteur. ✧ UN POUR TOUS au lycée, votre trio était connu de tous. t’as fini ta scolarité en tant que capitaine de l’équipe de football américain, avec mehdi comme bras droit, tandis que mags raflait toutes les médailles avec son équipe de natation. pourtant, vous avez jamais pris la grosse tête. non, vous défendiez les plus faibles becs et ongles -enfin, surtout toi et mags. mehdi était plus du côté de la diplomatie. connus, respectés, aimés, la royauté du lycée, voilà ce que vous étiez. ✧ BROTHER ton frère aîné a jamais raffolé de cette popularité, qu’il héritait comme un virus du fait de ta proximité. blouson en cuir et sourcils froncés, il inspirait pas forcément la sympathie, mais c’était le premier à user de ses poings pour défendre les lésés. il savait pas comment faire autrement que par la violence, comment faire autrement que réduire en bouillie ces déchets humains qui s’y mettaient à trois pour attaquer un petit gars de deux ans leur cadet. alors tu faisais office d’infirmière pour ton frère, les bandages sur les phalanges les strips sur l’arcade sourcilière les crèmes contre les yeux au beurre noir, t’as fini par les connaître. t’as fini par les aimer. t’as fini par en faire ton métier. ✧ DEEP WATER l’été de tes seize ans, t’es parti en vacances avec l’équipe de football américain au grand complet, et comme mags venait aussi, elle a ramené l’équipe de natation avec elle. vous êtes allés sur la côté, près de l’océan. puis vous avez décidé de sauter d’une falaise, évidemment, comme tant de jeunes avant vous. t’étais le dernier à sauter. t’as failli te noyer. un truc con, y a rien eu, t’as juste paniqué. mais tu retrouvais pas la surface et t’as failli y passer. heureusement que cade, un des mecs de l’équipe de natation, a réussi à te sortir de là. t’en as été quitte pour une grosse frayeur et une phobie indélébile des eaux profondes. ✧ ROSE TATTOO tes premiers tatouages, tu les as faits avec mags. enfin, à cause de mags, surtout. elle a réussi à te persuader à marquer à l’encre noire la peau de ton poignet droit, d’une petite ancre et de deux triangles, un noir et un blanc, pour l’équilibre qu’elle disait. puis t’y as pris goût, t’as récidivé avec une boussole à l’intérieur de ton bras droit, une boussole qui te guide qui te permet de garder le cap qui symbolise plein de choses, en soi. les derniers que t’as fait c’était en honneur à elle, deux colombes qui s’envolent et trois fleurs de lotus, ses préférées, qu’elle avait tatouées le long de son bras aussi. alors t’as fait pareil, t’as fait le miroir t’as fait ton deuil mais tu le portes toujours sur toi comme une chape de plomb, un poids dont tu te débarrasseras pas. ✧ INACHEVES y a qu’une seule personne que t’as pas réussi à sauver, du moins à l’époque du lycée. rhoan, rhoan que t’aimais tellement, rhoan qui te rendait malade d’inquiétude, rhoan qui te crachait à la figure, rhoan qui t’insultait de tous les noms pour pas que tu t’attaches, pour pas qu’il te fasse mal. rhoan qui t’a dit que tu lui manquerais pas, rhoan qui t’a dit qu’il avait pas besoin de toi. rhoan qui t’a rejetté et que t’as abandonné parce que t’as été blessé dans ton orgueil de héros. rhoan ton plus grand regret, rhoan que tu pensais jamais revoir, rhoan que t’as retrouvé par hasard dans la coloc. rhoan que tu comptes sauver, cette fois. ✧ STARGAZING à force de te bousiller les yeux sur les feuilles de cours, les écrans d’ordis et tous les autres instruments de torture de la fac de médecine, le diagnostic est tombé. t’es obligé de porter des lunettes pour tout travail de près, comme la lecture ou la rédaction de rapports. t’as eu du mal à t’habituer à l’air nerd que ça te donne, mais tu t’es fait à l’idée. c’est pas rare que tu les perdes, cela dit, que ce soit dans tes boucles brunes ou sur les meubles de la coloc. t’es un peu bordélique felix, alors t’es plus ou moins toujours en train de les chercher. ✧ VOYAGE VOYAGE depuis tout petit, tu vis le nez plongé dans les livres. t’en as toujours un dans ton sac, si jamais tu prends les transports, que t’as cinq minutes de pause, tout pour avancer ta lecture de quelques pages, de quelques chapitres. en ce moment, c’est plutôt des traités de médecine, forcément, des magazines pour suivre les dernières avancées, évidemment. mais de temps en temps t’aimes te poser sur le canapé avec un bon roman et une tasse de thé, pour voyager pour plus penser. pour t’évader. ✧ HEARTLINE t’avais vingt ans quand t’as sauvé river, quand tu lui as offert une place dans ton studio dans ta vie dans ton cœur. t’étais amoureux, ouais. tu l’es toujours, d’ailleurs, même s’il t’a laissé tomber sans un mot, même s’il t’a brisé le cœur. t’as peur de jamais pouvoir l’oublier, de jamais pouvoir le remplacer. et en même temps, tu t’y raccroches, parce que perdre ça c’est perdre tous les souvenirs, tous les matins pluvieux sous la couette, tous les films d’horreur dans le canapé, tout ce qui constitue le cocon édulcoré idéalisé que vous vous étiez créé, loin des contraintes de la vie, loin des impossibilités. le cocon qui t’as appris à vivre pour toi, pour ton bonheur, pas pour celui des autres. ✧ TOUT VA BIEN avec river qui raffolait des films d’horreur, t’as été obligé d’en regarder un nombre incroyable. autant dire que t’as rapidement perdu ta crédibilité ; un clown qui pointe son nez et tu cries comme une fillette, le visage enfoui dans le plaid ou dans l’épaule du beau blond. tu détestes ça, tu détestes te faire peur sursauter crier, avoir le cœur qui bat tellement fort que t’as l’impression que ta cage thoracique va exploser. tu t’es habitué avec le temps, t’as trouvé le moyen de contrer la peur en te réfugiant dans ses bras en le déconcentrant en éteignant la télé de façon plus ou moins subtile pour mieux l’attaquer de baisers. mais maintenant qu’il est plus là, t’es revenu à la case départ. ✧ PIZZA tes deux autres passions dans la vie, c’est la bouffe et la peinture. t’es toujours en train de manger, et toujours en train de peindre. t’aimes bien cuisiner pour les autres aussi, surtout depuis que t’as nur comme acolyte, et puis quand t’es seul, tu compenses en mettant de la musique. c’est comme le ménage, ça passe mieux quand on peut se déhancher sur du beyoncé. la peinture te sert d’exutoire, les doigts tâchés de gouache et l’inspiration au fond des prunelles, tu puises dans ce qui t’entoure, dans l’énergie brute de la ville de la coloc de l’hôpital, pour peindre la vie sous toutes ses formes. ✧ DOMMAGE la route était glissante ce soir là. il avait plu, il avait gelé, vous aviez pas remarqué. une sortie ciné au centre-ville, une soirée banale amicale, de celle qu’on garde dans les annales. vous avez pris la voiture pour rentrer, mehdi au volant, mags en passager, toi à l’arrière, les coudes appuyés sur le dossier du siège conducteur. vous avez pas vu les fards, vous avez pas entendu les roues déraper sur le goudron gelé de ce mois de février. mais vous avez senti le choc. vous avez entendu le crissement de la ferraille, le verre qui se brise qui explose qui pleut tout autour de vous. puis y a eu le mal de tête. le bourdonnement incessant dans les oreilles. le goût du sang dans la bouche et des cendres sur la langue. t’avais mal partout, du sang qui coulait du coton dans le crâne et mags mags mags que t’essayais d’appeler mais qui répondait pas, ou peut-être que c’est toi qui parlais pas. tu savais plus où t’étais ce qui se passait. y a eu les sirènes les lumières les gens qui se sont précipités. t’as perdu connaissance. quelques heures plus tard, on t’annonçait que tu t’en sortirais sans séquelles, que t’avais eu de la chance. que mehdi aussi. mais que t’avais perdu ta meilleure amie, pour toujours, sans avoir pu lui dire au revoir. ✧ ALL MY LOVE la mort de mags t’a rendu fou de douleur. tu pouvais plus errer dans ces mêmes rues ces mêmes magasins ces mêmes cinés. tu pouvais plus croire que seattle continuait à respirer à tourner après son départ. alors t’as décidé de partir, de donner une deuxième chance à river, de te donner une deuxième chance au bonheur. il t’avait appelé en plein milieu de l’hiver, quelques semaines seulement avant l’accident, il t’avait tout déballé et tu l’avais empêché de commettre le pire. alors t’as décidé d’aller le retrouver, d’aller voir s’il tenait encore à toi autant que tu tiens encore à lui, et ce, dès la fin des partiels. transfert d’université, changement d’hôpital, reprise à zéro de ta vie. sauf que t’as eu plus que ce que tu demandais. t’as trouvé une coloc, une nouvelle famille, des âmes éraflées écorchées qui pourtant t’ont aidé à redevenir complet. peut-être pas entier, peut-être encore un peu fissuré, mais heureux. aimé. ✧ SINGING IN THE RAIN tu pourrais pas chanter bien si ta vie en dépendait. pourtant parfois ça te démange, quand t’es seul quand tu peins quand tu fais la vaisselle. mais tu te retiens, pour le bien de tes colos, de tes voisins, du quartier tout entier en fait. sauf quand t’es bourré. là tu te lâches, là on peut te traîner à un karaoké et tu chantes toute la nuit, avec nur comme duo favori. ✧ COULEUR CAFE la caféine c’est ta drogue préférée -même si t’avoues plus volontiers que c’est l’espoir, ça fait plus poétique, plus artiste torturé. en tout cas, on peut toujours te trouver une tasse à la main, peu importe l’heure de la journée, pour supporter les cours les gardes le manque de sommeil, y a que ça de vrai. tout le monde à la coloc le sait, ça sert à rien d’essayer de te parler avant que t’aies eu ton café matinal sous peine de se voir répondre avec des grognements ou des onomatopées ou des réponses monosyllabiques. le reste, ça demande trop d’efforts, faudra attendre.  ✧ BORDELIK BOY t’es bien connu pour ta tendance bordélique à la coloc, qui fait écho à celle de nur, d’ailleurs. tu laisses traîner tes affaires un peu partout, plaids, tasses, bouquins, cours, lunettes, t’es toujours en train de chercher quelque chose. peut-être un peu tête en l’air, certainement territorial, t’aimes te sentir chez toi. ton bordel, c’est ton assurance d’être dans ton cocon, en sécurité, sans rien pour venir bouleverser ton équilibre tes habitudes. c’est peut-être une attitude de papy, mais t’en as besoin. au pire y aura toujours rhoan pour ranger derrière toi.