✧ AND I WAITED quand il était môme y avait son quotidien rythmé par les crises et les accalmies, les jours avec et les jours sans. il a appris à s'en accommoder, à fuir la maison quand ça devenait trop compliqué à gérer – à traîner chez ses amis, dans la rue, n'importe où tant que ça criait pas. et puis y a eu le silence. plus que son père et lui, les mots trop rares et l'absence. il s'est toujours senti seul sid, désarmé face à sa mère, invisible face à son père. il aurait voulu avoir un frère ou une sœur, n'importe quoi pourvu qu'il soit pas seul. encore aujourd'hui y a la solitude qui lui fait peur, qui menace de lui serrer les entrailles – parfois il arrive à la combattre, parfois il se sent aussi esseulé que son vieux. il espère juste qu'il finira pas comme lui.

✧ THE FRIENDLY GHOST il avait treize ans quand l'état d'sa mère a dégénéré au point qu'elle doive se faire interner – la schizophrénie qui étale ses tentacules autour de son esprit jusqu'à l'étouffer, les phases psychotiques qui se multiplient, le traitement devenu factice. son père ne pouvait plus la gérer et dans ses éclats de lucidité, elle avait conscience que c'était plus vivable. ils lui rendaient visite une fois par semaine, puis par mois ; ça a duré trois ans. son père a commencé à y aller seul et il a pas pu faire pareil, incapable de passer les portes de l'hôpital. ça fait huit ans qu'il l'a pas vue parce qu'il est pas foutu d'entrer là-dedans, parce que face à la bâtisse son sang se glace et sa gorge se noue. il se déteste de n'pas y arriver, il donnerait tout pour pouvoir lui parler. mais il a trop peur de la voir amorphe ou en pleine crise, persuadé que son état n'a pu qu'empirer et qu'il pourra pas l'encaisser. alors il traîne là-bas trop souvent, ses godasses qui s'usent sur le goudron sans qu'il n'entre jamais. il y va au moins deux fois par mois, reste parfois dix minutes parfois deux heures, et il rentre bredouille. sa carcasse qui erre sur le parking et devant l'entrée, on dirait qu'il vient les hanter.

✧ GREAT SHIT NOBODY NOTICED son échappatoire ç'a toujours été le dessin, des heures passées sur le sol de sa chambre, son casque sur les oreilles et des feuilles à noircir encore et encore. il est devenu bon avec le temps, à reproduire les visages des gens qui passent, à imaginer des minis bandes dessinées et des caricatures. il a été publié de manière anonyme quelques temps dans un p'tit journal local, mais il a fermé et il n'a jamais cherché autre chose. alors il continue ses croquis dans son coin, les feuilles qui s'entassent chez lui. ça traîne un peu partout, sauf ceux qu'il planque soigneusement. ceux qui représentent celle qui l'a dévoré – sauvage aux crocs acérés.

✧ ALL I SEE IS HER des histoires il en a pas eu beaucoup, faut dire qu'il est pas doué pour ça. mauvais séducteur, on se retourne pas sur lui et les rares fois où il a un peu de succès, il sait jamais si c'est parce qu'on le trouve attachant ou parce qu'on a juste pitié. quoi qu'il fasse ça finit toujours par foirer, et il sait que sa maladresse n'est pas la seule coupable. dans sa tête y a qu'un seul prénom qui résonne, qu'un seul visage qui le hante. c'est mads qui est partout, mads incrustée dans ses veines – et parfois pour ça il la déteste. parce qu'il n'a ni le courage de lui dire, ni d'essayer de l'oublier. alors il reste dans cet entre-deux qui l'rend amer, il prend sur lui et quand tout s'effondre il serre les dents.

✧ TAKE ME DRUNK I'M HOME pour oublier ses tourments il a tendance à aller traîner dans les bars, à s'bourrer la gueule quand il veut tout effacer, quitte à finir comme une loque sur le trottoir. c'est pas au stade de l'addiction, c'est juste la seule solution qu'il a trouvée pour noyer ses peines et tant pis si c'est l'une des pires qui soient. par contre il peut pas s'passer du tabac, les clopes qu'il enchaîne à longueur de journée, alternant parfois avec des joints. c'est juste histoire de calmer son esprit, alléger le poids qui lui comprime la poitrine. il sait qu'ça fait tache avec son uniforme mais il consomme depuis l'adolescence et il a pas envie d'arrêter – il se contente de le camoufler. c'est pas quelques joints ici et là qui vont le tuer.

✧ SUCKS TO SUCK devenir flic c'était pas vraiment sa vocation de base, même s'il a toujours eu un certain sens de la justice et des principes bien à lui. s'il l'a fait c'est plutôt par dépit, pour s'donner un but, suivre les traces de son père dans l'espoir que ça le sorte de sa misère. alors ça fait ricaner, que ce soit dans son entourage ou au poste. parce qu'il a pas la dégaine qu'il faut, parce qu'il a le jargon des gosses de rue et qu'il a trop souvent traîné avec de la mauvaise graine. on l'prend pas au sérieux, on le regarde de haut, on se fout de lui quand il sort sa plaque et qu'il cherche à faire preuve d'autorité. au début ça le vexait, mais petit à petit il s'y est habitué ; il sait qu'il doit prouver ce qu'il a dans le ventre. alors il prend les choses à cœur même s'il est pas aussi dur que la plupart de ses collègues, on le juge trop compréhensif ou carrément mou, on lève les yeux au ciel quand il entame la discussion avec les p'tites frappes. on le respecte pas mais il s'en fout, il a pas besoin de ça pour faire ses preuves. un jour il leur montrera qu'il est bon à sa manière – il veut y croire. il veut trouver un domaine où il se démarque enfin.

✧ LOSERS CLUB de prime abord on l'prend souvent pour un voyou de bas-étage, parce qu'il a gardé une tronche de sale gosse, parce qu'il se fringue comme un zonard, parce qu'il traîne trop tard le soir. mais on s'rend vite compte qu'il est plutôt inoffensif, rien de plus qu'un type paumé qui passe son temps libre à errer. dans la rue à n'importe quelle heure, dans les bars pour pas rester seul, dans les parcs près d'la mer sur les parkings. il s'en fout, il a juste pris cette habitude de zoner n'importe où et il l'a gardée. alors il connaît les moindres recoins de la ville, il a pas peur de s'mélanger aux vagabonds et aux clochards – on a déjà cru qu'il en était un, plus d'une fois. paraît que ça le rend encore moins crédible quand il enfile l'uniforme, mais lui il voit ça comme un atout. tant pis pour sa réputation de loser, il s'y est fait, comme si c'était la fatalité.

✧ HEART OF GOLD c'est un bon gars, de ceux qui tendent la main sans attendre en retour, tolérant et bienveillant. il veut toujours bien faire même si ça foire souvent, des bonnes intentions à la pelle et un sens aigu du sacrifice. son altruisme lui a joué trop de tours, à s'retourner contre lui, à le pousser sur la route des peines et des rancœurs sans qu'il s'en rende vraiment compte. c'est le genre serviable, qui aide les vieilles dames et s'fout au milieu des injustices alors qu'il fait rarement le poids, souvent à mi-chemin entre le chevalier servant et l'esclave. p't'être qu'à trop vouloir bien faire, ça le mènera tout droit en enfer.

✧ FEAR LEADS TO ANXIETY peu de fierté, une dignité souvent piétinée, c'est trop facile de l'écraser. il bronche pas souvent, abdique facilement. sa lâcheté l'empoisonne jusqu'à lui pourrir la vie, tellement que ça lui serre la gorge et lui atrophie les poumons. il a peur de tout, tout l'temps – peur de finir comme sa mère ou comme son père, peur de s'retrouver seul, peur d'échouer partout, peur d'être oublié. il a peur de mourir mais il a peur de vivre, peur de faire le mauvais choix alors il laisse la vie décider pour lui et si ça lui plaît pas tant pis. trop souvent l'impression de faire du surplace ou de reculer, il a tendance à s'enfermer dans sa médiocrité, pas foutu d'avancer même s'il essaie. paralysé par ses doutes, étouffé par ses névroses.

✧ THANKS FOR NOTHING plus ça va plus l'amertume lui tapisse la gorge, celle qui vient quand on le laisse de côté, celle qui brûle quand on verse du sel sur ses plaies. il est fatigué d'se laisser marcher dessus, lassé de se foutre le feu pour réchauffer les autres. il veut plus s'asphyxier tout seul, il veut plus ravaler des paquets d'épines pour faire plaisir. ça l'épuise de s'faire malmener, rejeter, à fermer sa gueule pendant qu'il se fait saigner. alors il commence à se rebeller, les remarques cyniques qui lui échappent, les revanches subtiles qui se font sournoisement. il veut pas être couronné martyr ni même bourreau, il veut juste qu'on lui foute la paix et qu'on le laisse respirer. s'il continue de tout enfouir, il va finir par imploser.