(001), Ses racines mexicaines, elle en est fière et elle s'gêne pas pour les revendiquer. Elle a beau avoir grandi en Amérique – et n'avoir jamais foutu le pied au Mexique, d'ailleurs – ça l'empêche pas d'avoir toujours baigné dans la culture qui a bercé les générations précédentes des Moreno. La cuisine traditionnelle qu'elle refait plutôt bien, la musique rythmée qui résonne constamment chez elle, l'espagnol qui coule sur sa langue avec une aisance insolente ; v'là ce qui l'anime, v'là ce qu'elle aime. (002), Dans toutes les valeurs qu'on a cherché à lui inculquer, y a la famille. Et les Moreno, ils ont toujours été du genre soudés. Ils sont nombreux alors elle a jamais trop connu la solitude – y a toujours eu sa mère à ses côtés, évidemment, mais en plus de ça y a les grands-parents, les oncles et tantes avec la flopée de cousins, les copains, les copines, et tous ces gens qui s'greffent à eux au fil des années. Autant dire qu'les repas de famille ressemblent à un espèce de rassemblement communautaire, et puis ça s'finit toujours en engueulades. Mais Lola, elle les aime comme ça. (003), Sa mère, c'est une fervente chrétienne, l'genre qui va à la messe tous les dimanches et qui accroche des crucifix dans chaque pièce de la maison, y compris les chiottes. Histoire que Dieu vous observe et vous bénisse même dans les moments les plus glamours. C'est un truc assez commun dans sa famille en fait, ils sont tous comme ça, surtout les grands-parents. Pas des fanatiques, juste des croyants convaincus. Lola, elle fait partie d'ceux qui ont jamais accroché et qui n'croient pas à la Bible et tout l'bordel, même si elle respecte parce qu'elle a été entourée par ça toute sa vie. Elle pratique pas – au grand dam de sa mère – et l'seul truc un peu religieux qu'elle a sur elle, c'est un chapelet, qui ne la quitte jamais. Dernier héritage de son abuelita, c'est juste pour ça qu'elle le porte. Pour la valeur sentimentale. Parce que Dieu, elle s'en tamponne complètement. (004), Dès qu'elle a eu son permis, ses proches se sont cotisés pour lui offrir une caisse. C'est un vieux pick-up tout dégueulasse, tellement vieux qu'la carrosserie est rouillée par endroits, mais tant qu'ça roule, elle se plaint pas. Ça fait longtemps qu'elle l'a et ils ont vécu un tas d'trucs ensemble, tellement qu'elle y tient comme à la prunelle de ses yeux maintenant ; c'est clairement son bien le plus précieux. Il a été rebaptisé Paco le taco, pour la simple et bonne raison qu'il sent le taco. Vraiment. Elle a tout essayé pour s'débarrasser de l'odeur, c'est jamais parti et elle a juste fini par s'y faire. Même si elle s'demande encore ce que l'ancien propriétaire a bien pu trafiquer pour que c't'épave fasse l'effet d'un taco géant. P't'être qu'il vaut mieux pas savoir. (005), Y a jamais eu trop d'fric chez elle, et ça l'a jamais trop dérangée. Le problème, c'est que maintenant, elle a toujours du mal à en trouver pour payer ses factures et garder la tête hors de l'eau. Alors ça fait des années qu'elle accumule les dettes – aussi bien officielles qu'officieuses. Les retards de paiement font grossir l'addition et pour s'en sortir, elle a rien trouvé d'mieux que d'arnaquer les gens. Enfin, elle appelle pas ça comme ça, elle le fait pas avec de mauvaises intentions. Elle s'contente de demander de l'argent tout l'temps et à tout le monde, en laissant généralement entendre qu'elle remboursera dès qu'elle pourra. Sauf qu'elle sait très bien qu'elle pourra jamais. Et y a un tas d'gens à qui elle doit un paquet de fric, mais qui n'en reverront jamais la couleur. Ça finira sûrement mal un jour, mais elle préfère jouer à l'autruche et continuer son p'tit manège. Tant qu'ça marche, pourquoi se priver ? (006), Forcément, la galère, ça la connaît. Mais en plus de ses emprunts compulsifs, elle trouve toujours un moyen de s'débrouiller, parce qu'elle est devenue la reine du système D. Toujours des bons plans, toujours des idées à la con. Elle traque les coupons de réduction et en fait la collection, puis elle les utilise tous. Tous, sans exception. Même ceux qui lui servent à rien, comme pour des paquets de couches ou un assortiment d'clous. Elle refuse de faire du gâchis alors elle prend tout, et elle entasse des trucs inutiles dans ses affaires. C'est sûrement elle le pire cauchemar de tous les caissiers – surtout quand elle s'met à sortir toute sa petite monnaie et à compter pièce par pièce, en prenant tout son temps. Si elle est devant vous à la caisse, vaut mieux changer d'file. (007), Petite allumeuse de seconde zone, Lola c'est cette fille qui s'amuse à séduire, comme si elle cherchait à s'prouver qu'elle est jolie. Elle joue avec les garçons, fait tout pour les attirer dans ses filets et les voir à ses pieds. Puis elle fait demi-tour, comme ça, en les laissant en plan comme des cons. Du coup, ça lui fait une réputation de traînée et tout c'qui s'en suit – la vérité c'est qu'elle est encore vierge. Elle a jamais sauté l'pas et même elle, elle saurait pas trop dire pourquoi. P't'être qu'elle flippe à l'idée d'offrir un tel contrôle sur elle à qui qu'ce soit. P't'être qu'elle a peur de se sentir à la merci de quelqu'un. P't'être qu'elle aime trop se sentir insaisissable, à leur glisser entre les doigts. Mais à force de jouer à ça, elle finira sûrement par s'brûler les doigts. (008), Souvent, elle s'dit que le véritable amour de sa vie c'est le cinéma. Elle est tombée dedans quand elle était p'tite, d'abord fascinée par les telenovelas que suivait sa mère, puis par les vieux films qu'elle visionnait avec sa grand-mère. Ceux en noir et blanc, ceux qui parlent des choses du vieux temps et qui lui foutent des frissons, ceux qu'elle continue de s'passer en boucle encore aujourd'hui – c'est ça qui lui a donné envie d'être actrice. Ça qui l'a faite tomber dedans, au point qu'elle puisse plus s'en passer. Jouer un rôle, enfiler la peau de quelqu'un d'autre, vivre des émotions qui n'sont pas vraiment les siennes : ça la fait vibrer. Si on lui enlevait ça, elle a l'impression qu'elle pourrait en crever. (009), Si elle est arrivée à Savannah y a quelques mois, c'est pas par hasard, même si c'est ce qu'elle dit en général. Elle est venue à la recherche de l'autre moitié de ses racines, celles côté paternel. Cet inconnu, ce grand absent de sa vie qui lui a toujours laissé une sensation de vide. Sa mère, elle voulait pas lui donner son identité quand elle était gamine, et ce n'est que plus tard qu'elle a compris. Elle est le fruit d'une relation illégitime, et il pouvait pas se permettre d'entacher sa réputation avec une bâtarde. Mais quand Lola a trouvé son nom, elle a foncé. Elle y croyait. Et puis il l'a brisée en plein vol avant de piétiner les miettes. Pourtant, elle est là. À Savannah. C'est autour des gosses qu'elle se balade, ceux qui partagent son sang, cherchant à les approcher plus subtilement. Et elle est un peu jalouse dans le fond, de voir ce qu'ils ont eu auquel elle n'a jamais eu accès, d'imaginer que le patriarche les aime alors qu'elle n'a récolté que sa haine. (010), La reconnaissance, c'est un peu son but ultime. Sûrement qu'son histoire personnelle n'y est pas pour rien et c'est assez pathétique quand on y pense, mais elle peut pas s'en empêcher. Elle rêve de gloire et de tapis rouge, de voir son nom épinglé sur les murs et de l'entendre dans la bouche des gens, d'être aimée et admirée. Elle adore qu'on la regarde et qu'on la remarque, qu'ce soit de manière positive ou négative. Elle s'en fout, tant qu'on sait qu'elle est là. Tant qu'on sait qu'elle existe. Lola, elle a trop peur de s'effacer si on la voit pas.