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 cannonball (tosher)

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Asher Bloomberg

Asher Bloomberg
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MessageSujet: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyLun 30 Juil - 18:44

Flashback.

C’est à peine s’il revoit les couloirs trop blancs de l’hôpital, à peine s’il replace un nom sur les visages flous qui jouent au caléidoscope devant ses yeux tuméfiés. À peine s’il parvient à sentir autre chose que le sang, la rouille, la sueur, et des mains étrangères sur son visage anesthésié par ce stupide lancinement qui lui lacère la chair, il aimerait s’endormir pour ne plus se réveiller, fermer les yeux et rêver tout ce que la vie ne lui a pas accordé. Quand ses paupières tombent, y a toujours quelqu’un pour le rappeler à l’ordre, l’intimer de ne pas dormir, de rester conscient, qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour mitrailler les chasseurs qui le visent alors qu’il vole dans les nuages. « Merle », il murmure à un moment, les phalanges violacées qui se raccrochent au moindre bout de tissu qui dépasse du brancard comme si c’était un baudrier, qu’il risquait de se briser la nuque sur des pics acérés, Merle et il est persuadé que le prénom ne ressemble qu’à un infâme gargouillis aux portes de sa bouche, ça lui noie tellement les dents qu’il en tousse, se ravise, il se fera à l’idée de ne plus prononcer le moindre mot. Seul, seul, seul, au bout de l’univers ou dans une ambulance bringuebalante qui dévale à toute vitesse les rues de Savannah, la sirène à fond et les bleus et rouges qui se vomissent sur les briques des maisons, seul, il pense peut-être à Matei qui doit l’attendre sagement chez eux, se demande ce qu’il a fait pour avoir un père pareil. « Seth », ça ressemble à rien, ça se noie dans les pimpons incessants, il a envie de leur dire de ne pas le soigner, c’est lui qui l’a esquinté, lui qui s’est défoulé, lui qu’a transformé son épiderme en toile. Peintre, escroc. Il laisse couler trois larmes, Asher, la frustration de ne pas se faire comprendre mêlée à la douleur qui le saisit des pieds à la tête, tousse de nouveau, sent son cœur qui s’arrête.
On dégage.

On lui explique à son réveil le sens du mot coma artificiel, lui n’entrevoit que le terme coma, sait que la douleur n’avait rien de fictif, comprend qu’il faudrait remonter le temps pour réussir à gommer tout ça. Passage à vide, il a deux dents cassées et pas mal d’os dans le même état. Merle est là, Elena aussi. Caïn est peut-être venu, quand il était encore trop dans les vapes pour vraiment comprendre, les autres ne lui ont pas dit et il n’a pas cherché à savoir, sa tête a déjà suffisamment de mal à suivre la cadence pour que ça prenne une quelconque espèce d’importance. Stop. Il ne sait pas ce qu’il donnerait pour ne plus rien dire, plus rien entendre, plus rien comprendre, ne pas savoir que derrière les regards des médecins se cache beaucoup de pitié, pas tellement d’empathie, il n’est qu’un abruti de plus qui préfère utiliser ses poings plutôt que sa langue. Ou peut-être qu’il l’a trop usée sur des mots à regretter, une liste d’actes manqués, peut-être que c’est ce qui l’a poussé dans un lit d’hôpital. Elle n’a pas su répondre, Elena. Pourtant faut avouer qu’elle, elle ne l’a pas dans sa poche. La langue. Cassée. Ils l’ont cassée. Peut-être qu’il pourrait retomber amoureux de la nouvelle version, ne pas seulement l’aimer pour l’image faussée qu’elle renvoie de lui, sans plan pour l’avenir. Radeau de secours. Tu paries qu’elle aura besoin de rustine après avoir fait trois mètres au large ? C’est comme ça qu’il use les gens, Asher. À coups de grandes déclarations, de promesses qu’il n’a jamais l’intention de tenir. À force d’acharnement. Ça marche quasiment tout le temps, sauf ce soir-là, quelques jours de ça, où il avait franchement insisté pour avoir droit à une visite nocturne du pasteur. Échec. T’étonne même pas qu’il ait voulu te casser la gueule, Seth. T’étonne même pas que ça te donne envie de chialer.

Tout ça c’est ce qu’il voit en rêves. Les hypothèses et les chimères qui finissent par faire partie du même cirque. En revanche, c’est bien la réalité qui lui fait ouvrir les yeux, cette fois. Une porte qui s’ouvre et ses billes noires qui roulent vers le nouvel arrivant. Pas si nouveau que ça. Frisson, l’instinct de loup reprend le dessus. Il redevient la bête effarouchée qui lèche ses plaies en regardant le prédateur. « Hey. » Ça se brise quelque part, il a mal au creux du cœur de penser qu’il a sûrement soigné Seth quand il est rentré de cette fameuse nuit, qu’il a sans doute calmé le feu qui faisait claquer des braises au creux de son ventre, qu’il a très certainement embrassé ses ecchymoses. Il se redresse par fierté, orgueil, veut montrer qu’il n’est pas si esquinté qu’il en a l’air. Mat. Et les mots qui ne sont pas suffisants, qui ne sont pas convenables, l’envie de lui déballer plein de choses mais la peur, toujours, que ça se retourne contre lui. « J’ai pas voulu l’blesser. J’me suis juste défendu. J’te promets. » La défense avant l’attaque, incapable d’avaler la boule qui gonfle dans sa gorge. Il passe une main dans ses cheveux, dans un ridicule effort de coiffer ce qui est pourtant beaucoup trop gras, trop sale, trop négligé. Jamais assez.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptySam 11 Aoû - 19:38

Le monde n’arrête pas de s’écrouler autour de moi. Quand je marche jusqu’à la bagnole, j’ai l’impression que les pavés se dérobent sous mes pieds à chaque pas, quand je conduis jusqu’à l’hôpital, que le bitume s’affaisse sous les pneus usés du pick-up, ce qui me force à appuyer trop fort sur l’accélérateur. J’roule trop vite, peut-être pour pas céder à la tentation de m’arrêter sur le bas-côté, hurler, aller vomir ma bile dans les buissons desséchés par l’été. Putain. Mille fois putain. Des milliards de fois putain. J’comprends pas c’qui s’est passé. Les souvenirs de l’appart de ce foutu Jap sont encore trop flous dans mon crâne, comme si mon cerveau voulait m’préserver. J’sais qu’j’ai déconné, mais j’sais plus trop comment, ni pourquoi. Mes yeux s’concentrent sur la route, évitent soigneusement de s’attarder sur le siège passager et le Desert Eagle qui trône là, peut-être encore chaud. Qu’est-ce que j’ai foutu, putain. Qu’est-ce qui m’a pris, surtout. Mais ça a plus d’importance, maintenant. L’important, c’est d’aller à l’hosto, c’est d’se grouiller d’aller à l’hosto. Putain, putain, putain. J’ai du mal à y croire et le regard voilé, embué, colère, incompréhension, tristesse, y’a tout qui m’file entre les doigts. J’ai trop tiré sur la corde, j’les ai usés, un à un, à pousser des limites qui ne pouvaient pas être poussées plus loin sous peine de tout faire s’effondrer. Un putain d’idiot, mari et ami en carton, j’ai cartonné pour les bousiller. J’sais pas comment j’ai réussi à sortir de l’immeuble, fallait seulement que j’m’éloigne, l’oxygène qu’était v’nu à manquer, j’sentais qu’j’allais étouffer, exploser. Et peut-être que ça aurait été Seth, sous mes poings, et pas cet enfoiré tout en cheveux roses que j’avais envie d’buter. Y’a encore trop d’questions en suspens, des réponses que j’veux pas entendre mais qu’il faudra bien entendre, mais j’veux pas y penser. Pour l’instant, j’veux penser à rien, juste à l’hosto qui s’dessine à l’horizon, mon tacot mal garé, le flingue fourré dans la boîte à gants et mon entrée en trombes dans un hall bondé de blessés. J’y vais trop souvent, ces derniers temps, faudrait qu’j’achète un abonnement. « Asher Bloomberg », que j’annonce, l’urgence dans la voix et dans mon corps presque affalé sur le comptoir de l’accueil. Urgence, ouais, y’a urgence, parce que si Seth est mal en point, j’veux même pas imaginer l’état d’Asher. Pu. Tain.

J’cavale jusqu’à la chambre, j’suis essoufflé en arrivant devant la porte, mais j’prends même pas le temps de reprendre mon souffle avant d’ouvrir. Et j’débarque en Enfer, hors d’haleine et bancal sur mes jambes tremblantes, des yeux qui s’agrandissent, incrédules, alors qu’je reste figé sur le seuil. Putain, encore. Il se redresse avant qu’je songe à lui dire d’arrêter, parce qu’il a sans doute trop d’os brisés pour qu’ce soit une bonne idée, des contusions pleins la gueule et les bras. Et rien qu’dans son salut, y’avait trop de douleur. J’inspire longuement, difficilement, étranglé par trop de choses, culpabilité, confusion, sentiment d’inutilité. Comment j’ai pu laisser ça arriver ? Pourquoi j’ai pas pressenti c’qui allait se passer ? Comment j’ai pas pu voir ça, en m’réveillant tous ces matins à côté de Seth ? Il commence à causer. « Tais-toi. » C’est sec, net, réaction à chaud, à vif, mais ça a rien de cruel, de violent, c’est seulement une prière, une supplique. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. J’veux rien savoir. J’ferme la porte derrière moi, ferme les yeux une seconde, recrache l’air qui aurait bien voulu pourrir dans mes poumons. Je m’approche du lit, de lui, me penche vers lui, les phalanges qui l’atteignent presque, mais me laisse tomber dans le siège à côté sans me résoudre à le toucher. « J’sais qu’c’est pas ta faute. » Je soupire, passe une main sur mon visage défait, essuie l’émotion, vicieuse, qui s’y faufile. « C’est la mienne. J’ai merdé. J’ai vraiment, foutrement, merdé. » Un parfait crétin qui zappe les confessions de son mari, s’dit que tout redeviendra comme avant, comme quand ils étaient adolescents, choisit d’ignorer qu’y’a des trucs qui clochent, choisit d’pas en parler sérieusement, exactement c’qui avait précipité notre couple dans la tombe. « J’suis désolé, putain. » Et y’a un sanglot qui nique le peu de contenance qu’j’avais réussi à feindre jusque-là.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyMar 14 Aoû - 19:58

Se taire. C’est quelque chose qu’il n’a jamais vraiment su faire, Asher, ce n’est pas le propre d’un avocat, même un qui ne plaide plus, c’est contre-nature. Il n’a jamais été taciturne, jamais été du genre à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de s’exprimer, et c’est pas de chance, vraiment. Il se dit que peut-être que s’il était un peu plus réservé, un peu plus secret, il réussirait à mieux se préserver, à ne pas toujours dire ce qui lui passe au travers de la tête, à ne pas servir son cœur sur un plateau d’argent pour qu’une personne en mal d’amour l’engloutisse. Arrêter de parler c’est une contrainte, une entrave, quelque chose qu’il n’arrive pas à gérer, surtout quand il a autant d’émotions qui dégringolent dans sa cage thoracique, le clouent à son lit parce qu’elles pèsent trop lourd. Ce n’est pas comme s’il pouvait en sortir, de toute façon. Pas comme s’il pouvait se lever et attraper Toad par les épaules, lui dire à quel point il se trompe, à quel point il devrait arrêter de toujours se flageller, arrêter de penser que sa vie n’est qu’une succession d’erreurs. Il ne peut pas, les jambes trop lourdes et le cœur en miettes, le matelas trop imprimé dans la chair de son dos engourdi, il ne peut pas, la tête lourde à en crever et la peau tuméfiée qui rend le moindre de ses mouvements douloureux. Il ne peut pas, l’envie de prendre Toad contre lui rivalise un peu trop avec celle de le balancer par la fenêtre, il risquerait de regretter ses gestes.
Se taire. Il sait qu’il dit ça avec toute la tendresse du monde, des regrets plein la bouche, et pourtant Asher tourne la tête à l’opposé du pasteur, tentative puérile de lui faire comprendre que ça ne lui plait pas, que personne n’a jamais réussi à lui faire fermer sa gueule et que ça n’arrivera certainement pas aujourd’hui, pas après avoir frôlé la mort, pas après avoir failli trépasser sous les poings de Seth. Se taire. Du coin de l’œil, il capte le mouvement des doigts qui se rapprochent de son visage, expire finalement quand il les éloigne, paupières fermées un instant pour retenir le moment, l’imprimer derrière ses rétines. Ça fait mal de le sentir trop proche, Toad, même maintenant, même des mois plus tard, comme s’il ne pouvait pas s’empêcher de penser au temps où ils étaient plus, au dernier échange maladroit de textos, aux propositions obscènes qu’aujourd’hui encore, il ne regrette pas. La douleur, c’est ce qui l’aide à se sentir vivant, ça s’infiltre par tous ses pores, par la présence factice d’un Toad trop proche de lui et par l’intraveineuse fichée dans la main qui gît mollement sur le lit d’hôpital. Aujourd’hui il ne vit que de ça, de la morphine qu’on lui file pour compenser, donner un air cotonneux à son agonie.
« Toad », il souffle éreinté en l’entendant s’attribuer tous les torts. Marathonien d’une semaine dans le coma, lui il a fini de cavaler, fini de courir après le temps, après les autres, après des ombres qui s’acharnent à vouloir le quitter. Ça le flingue, faut comprendre, de se battre avec de l’air. Contre tout le monde, contre personne. D’être de façon si inexpugnable en colère après lui-même, après ce qu’il a fait de travers et ce qu’il a fait correctement, jamais assez vertueux pour que ses bonnes actions compensent tous ses pêchés. Comme faire chialer Toad, coller des sanglots dans le cœur de quelqu’un qu’il aime à ce point. Il est persuadé qu’il fera pleurer Matei, aussi, quand il sera en âge de comprendre que son père est un cas désespéré, un rejet de l’humanité, qu’il finira par avoir honte de lui, se tailler bien loin pour éviter de passer trop de temps en sa présence, pour ne pas devenir la nouvelle pomme pourrie du panier. « C’pas d’ta faute. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. » Qu’est-ce qu’il ne se dirait pas pour faire passer la pilule, accepter la revanche meurtrière de Seth, son élan de vigueur suffisamment zélé pour presque le tuer. Pour prétendre que ça ne l’a pas vraiment atteint. Sa tête tourne de nouveau vers Toad, ses yeux le cherchent, qui le voient, l’observent un peu trop longtemps. Il pleure comme un crétin, au chevet d’un mec qu’il n’aime plus. Qu’il n’aime pas. Sa voix est trop faible quand il parle à nouveau. « T’as pas à être désolé parce que ton mari m’a cassé la gueule. » C’est normal, sûrement. Il aurait peut-être fait pareil si les rôles étaient inversés, s’il était l’amant légitime et que Seth était le grain de sable dans le mécanisme. Il déglutit, baisse les yeux. Menteur. Il sait qu’il ne l’aurait jamais fait, même pas en rêve, juste parce qu’il aime Toad et qu’il refuserait de le voir dans cet état, lui.  Lui. Sans doute que le Toad du lycée, celui qui a connu Seth à dix-sept piges, se réjouit de savoir qu’il serait prêt à tuer pour lui. Il ne contrôle pas le petit rire qui se faufile hors de ses lèvres, Asher, ni les mots qui suivent. « J’le méritais, non ? » Et c’est méchant peut-être, froid, la tête qui se relève et les yeux qui dardent Toad, l’obligent à faire face à son visage déformé par les ecchymoses, lèvres pincées pour se retenir d’en dire plus. C’est méchant. Mais il a mal. Et il redevient un putain de gamin à chaque fois que ses maux sont trop violents pour qu’il les verbalise. « Pourquoi t’es là, Toad », il murmure plus doucement, de la tristesse plein les yeux, incapable de bouger même pour attraper sa main. Pourquoi t’es là.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyLun 20 Aoû - 23:56

Soupir consterné. Le tais-toi devait être de trop, il se détourne, blessé, offensé, peut-être. J’aurais pu dire ta gueule, tant qu’à faire, ça aurait été plus expéditif. J’prends ma tête entre mes mains, frotte mes yeux, masse mes tempes, j’tente de réfléchir. D’trouver une solution. Mais y’en a pas. Seth a mis Asher dans un lit d’hosto, tout ça à cause de moi, point final. Y’a rien à faire, on peut pas retourner en arrière pour effacer l’passé, recommencer à zéro. Recommencer quoi ? J’sais très bien que y’a pas eu de mauvais endroit au mauvais moment, ça serait arrivé tôt ou tard, une crise passagère, suffisait que Seth croise Asher, pas b’soin d’un autre déclencheur. J’ai du mal à regarder Asher en face, ses pupilles qui cherchent leurs homologues et les miennes qui fuient obstinément vers la fenêtre, la clarté du jour qui s’éteint peu à peu. Je secoue la tête légèrement, presque imperceptiblement, j’désapprouve mais j’me résigne à l’écoute. Même si j’suis pas d’accord. Parce que si, j’suis désolé, et j’me dois de l’être pour Seth, parce qu’on est mariés et qu’ses péchés sont mes péchés et vice-versa, et parce que j’doute que mon mari daigne un jour venir s’excuser. Faut s’rendre à l’évidence, ça arrivera jamais. Son rire me fait redresser la tête, mes prunelles qui s’accrochent à ses billes noires. J’sais pas c’qu’ils ont tous à rire comme ça, j’dois être le seul qui trouve pas ça drôle, comme si j’étais le dénouement d’une blague sans le savoir, le moqué au milieu d’une foule de moqueurs.

J’le méritais, non ?

J’déglutis, ravalant mes sanglots, les rejetant dans l’fond de mon estomac qui vient de s’prendre un coup d’poing. C’est l’impression qu’ça me fait, en tout cas. J’me sens comme un enfant pris en faute, la main dans l’pot à cookies, les cils qui battent trop vite pendant une seconde, les yeux qui se baissent sur mes mains trop grandes et inutiles. J’voudrais m’gifler jusqu’à m’ouvrir la pommette. Ce serait tellement mieux qu’ça. Parce qu’il a raison, Asher, mille fois raison, Saint Asher, priez pour nous et lavez-nous de nos péchés, tellement raison qu’ça m’arrache un rictus désabusé. Il aurait jamais fait ça. Il m’aurait jamais fait ça. Il l’a pas fait. Il l’a dit lui-même, il a pas voulu l’blesser, Seth, et j’ai pas d’mal à l’croire. Il a raison, mais il a l’mauvais raisonnement. Inverser les rôles entre Seth et Asher, ça vaut rien, ça vaut que dalle. C’est salement ironique, la vie, sa manière de distribuer les cartes, toi tu sais, toi tu sais pas, toi tu fais d’la merde, toi tu fais l’bien, et d’orchestrer tout ça avec tout le sarcasme du monde. C’qu’il sait pas, Asher, c’est qu’je viens d’me pointer chez un gars qu’avait rien d’mandé avec un flingue, qu’j’ai fait sauter le verrou d’sa porte d’une balle et failli lui faire sauter l’caisson d’une autre. A mon sens, il le méritait. Il le méritait, peu importe c’que Seth disait, implorait, il le mérite encore, il le méritera toujours, ce pauvre type qui se dresse entre mon mec et moi. Comment j’peux lui dire que j’comprends qu’Seth ait voulu l’buter comme j’ai voulu buter Kizuki ? J’peux pas.

Pourquoi, qu’il murmure, et j’ai pas d’réponse à ça. « Je sais pas. » C’est dit du bout des lèvres, des mots doux qui n’en sont pas. Un flottement alors que je regarde ailleurs, le ciel qui s’obscurcit autant qu’mon état d’esprit. L’héro, Toad, qu’il a dit, Seth, et il avait raison, lui aussi. J’donnerais ma maison pour une dose. Ils ont qu’à tout m’prendre, ça a plus d’sens, maintenant. Ça fait longtemps qu’j’y crois plus, à ma rédemption. « On a jamais été du même monde, toi et moi, hein ? » J’peux pas m’empêcher d’sourire tendrement en y repensant, tous ces souvenirs à deux, une bulle de bonheur vouée à exploser en plein envol. Une belle illusion. Une illusion quand même. « T’es inaccessible, Asher. T’es c’que j’mériterai jamais. Une putain d’étoile. Bien brillante, d’celles qui nous niquent la vue tellement elle brille, tu vois ? Mais inatteignable. » Y’a pas d’rancœur, pas d’ironie, dans ma voix, que d’la mélancolie et un semblant de nostalgie. « C’est mieux comme ça. C’est mieux qu’tu comprennes pas pourquoi, qu’tu puisses pas comprendre. J’suis heureux qu’t’aies jamais vu c’que j’suis. » J’suis heureux d’y avoir cru juste un instant.
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyMar 21 Aoû - 20:07

Incendie. Coup de lance-flammes tiré dans la gorge, ça tapisse jusqu’à son estomac, lui donne une sale envie de dégobiller sur les draps trop blancs de l’hôpital. Il ne peut pas dire qu’il n’a pas l’habitude parce que ce serait mentir, ce serait ignorer les quelques mois où ils sont sortis ensemble, le foutu complexe d’infériorité du pasteur qui lui avait été régulièrement balancé à la gueule, à presque le faire culpabiliser d’être comme il était, trop différent, deux comètes entrées dans la même atmosphère, vouées à s’embraser côte à côte mais jamais ensemble. C’est drôle comme une action peut engendrer des échecs, comme un excès de miséricorde peut pousser des dominos, créer une réaction en chaîne, un meurtre de masse. Paupières fermées, Asher inspire. Paupières fermées, il ignore aussi. C’est mieux que de gober les couleuvres de Toad comme une mouche collerait sa trompe à un morceau de sucre, mieux que de finir par croire qu’il a peut-être raison, quelque part. Il a tort, on remet les pions, les tours, les fous, les cavaliers, le roi et la reine. Il a tort parce qu’il peint un portrait trop flatteur, parce que les roses sont trop pastels et les bleus trop réels, violacés aux jointures, parce qu’il se noie dans une interprétation fallacieuse de la réalité où sa perfection tutoie le céleste, loin de la vérité, loin de tout ce qui ne va pas, tout ce qui merde, tout ce qui déconne, les années à prétendre être quelqu’un qui ne lui ressemblait pas et les autres, à faire des horreurs que même le mec le plus dégueulasse aurait réprouvées. Il a tort aussi, Toad, parce qu’il a pris l’habitude crasseuse de se considérer comme un moins que rien, un moins que moyen, un quasiment pas, parce qu’il ne se voit pas comme Asher le regarde, comme il le contemple, comme il le connaît, parce qu’il se haïra toujours de la manière la plus subjective qui soit et qu’y a rien à faire, quand on a atteint ce niveau de flagellation, ce niveau de dégoût injustement assumé. Une étoile. Faut tellement pas le connaître pour penser ça. Tellement pas le comprendre. Les étoiles ça reste dans le ciel, ça ne tombe pas, ça ne dégringole pas en vrille jusqu’au sol, jusqu’à percer la croûte terrestre pour y inventer un cratère.
Lentement, il se déplie, les os qui craquent sourdement, son corps qui bascule sur le côté, fait pendre ses jambes du bord du lit. La douleur irradie jusque dans le bas du dos, lui arrache un frisson qui se barre le long de son échine. Une étoile. Il n’a jamais brillé assez fort pour ça, Asher, jamais percé des sommets, éventré le plafond, il n’a jamais flotté dans un ciel vraiment glorieux, trop sombre pour faire ressortir sa clarté. Une étoile, que dalle. À peine un lampion. À peine une luciole. « J’ai trompé ma fiancée avec mon meilleur ami d’enfance. J’l’ai sauté, plusieurs fois, et puis j’lui ai dit que j’détruirais sa vie s’il en parlait. J’suis parti en abandonnant ma sœur, qui est sûrement la seule personne qui m’aime encore là-bas. J’suis sorti avec Elena et quand on s’est engueulé et qu’elle s’est tirée, au lieu d’lui courir après, j’suis allé boire un verre avec Caïn. On a baisé l’soir-même, et j’ai eu aucun scrupule. Aucun. » C’est une liste de faits, énumérés froidement comme on lirait un annuaire, les yeux dans ceux de Toad et l’authenticité en éperon pour venir casser ses convictions mensongères. Ça cale des silences dans les instants où leurs souffles se retiennent, l’oblige à ne rien dire tant qu’il n’a pas terminé le funeste résumé de ses aventures. « J’me suis pendu parce que j’savais qu’j’étais un connard. Et y a eu toi. Et quand j’t’ai quitté, j’ai jamais eu aussi mal. Et j’ai couché avec plein d’gens, encore, pour essayer d’t’oublier, d’passer à autre chose, d’ignorer l’creux dans mon bide. J’ai embrassé mon coloc qu’est pourtant tellement esquinté qu’une secousse pourrait l’briser, puis j’suis retourné voir Caïn récemment et j’sais même pas c’qu’on est. Et Elena, j’crois qu’elle m’aime encore. Et moi tout c’que j’sais, c’est que plus rien n’a d’sens. » Plus rien. Ni Merle, ni Elena. Peut-être juste un peu Caïn et le souffle chaud qu’il lui plante dans le cœur. À aucun moment il n’élève la mois, à aucun moment il n’est dur. Les faits sont là, scientifiques, durs. Les faits sont là et il n’y a pas besoin d’hurler pour les exposer, les révéler au grand jour. « Tu m’casses les couilles Baxter, à me dire que j’suis une étoile. J’suis même pas un nuage. J’ai rien à foutre dans le ciel. » À part pour crever, peut-être. C’est bien le seul truc qu’il ait presque fait correctement, cette dernière année. « J’veux qu’tu m’embrasses et qu’tu m’touches. S’il te plait. » C’est vital, viscéral. Y a que ça pour faire redécoller l’encéphalogramme.  
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyMar 21 Aoû - 23:37

« Qu’est-ce tu– » Ma grimace interrompt ma question, comme si j’ressentais sa douleur rien qu’de l’voir bouger, suffit d’voir la gueule qu’il tire, et les bleus qui se dévoilent de sous les draps comme le putain de striptease d’un passage à tabac. J’le regarde faire, médusé, sans me résoudre à le sermonner, à lui dire de s’calmer, de retourner dans son lit direct. Arrête de faire le con, c’est les mots qu’je cherche et qui viennent pas. Qui viennent pas parce que c’est l’œuvre de Seth, que j’contemple, et mon cerveau y arrive pas. Il veut pas. Il refuse de faire la connexion, refuse d’imaginer mon mari dans un tel accès de fureur. C’est pas Seth, ça. C’est le monstre que j’ai créé, celui qu’j’ai façonné dès l’instant où j’l’ai embrassé dans des vestiaires puants, le bras suintant le sang derrière le bandage qu’il m’avait fait. Seth, il soignait. Il ne blessait pas. C’est v’nu après, c’est v’nu à cause de moi. Je l’écoute, Asher, je l’écoute du mieux qu’je peux, même si je ne comprends pas pourquoi il me dit tout ça. Pourquoi ça aurait de l’importance, tout c’qu’il a fait d’erreurs au cours de sa vie. Ça n’en a pas, aucune. Et j’souris tristement en remarquant qu’j’ai clairement un penchant pour les mecs qui s’confessent. Ils se ressemblent tellement, tous les deux. Comme un quelque chose qui cloche au milieu des autres, à toujours cacher ses plaies, et pourtant un cœur noble sous la crasse des années, paumé quelque part dans leurs carcasses. Et j’réalise que j’suis la pire personne à qui s’confesser. Et que Seth parlait au présent, Asher au passé. J’l’écoute encore, je brise pas le silence qui s’impose à mi-chemin, parce que j’ai rien à dire, ou parce que j’sais pas quoi dire. Et puis il continue et j’entrouvre la bouche, peut-être pour le stopper, pour lui intimer qu’ça suffit, qu’il a pas besoin de me raconter tout ça pour me convaincre qu’il est pas si bien qu’ça. Qu’c’est peine perdue, d’toute façon. J’ai toujours idéalisé les mecs que j’aime, et ça changera jamais. Je l’observe un long moment, silencieux, après sa dernière sommation, à me mordiller la lèvre parce que, franchement, j’me savais pas capable de comparer les gens à des étoiles. J’tentais d’être romantique. Echec cuisant, j’en rougis presque. Ou j’ai les joues en feu seulement parce qu’Asher m’a d’mandé d’l’embrasser.

J’inspire une grande bouffée d’air aseptisé, et commence, hésitant : « On dirait qu’t’essayes d’me faire croire que t’es un connard. Et pourtant, t’as pas voulu l’blesser. Tu t’es juste défendu. C’est c’que tu m’as dit. Et j’sais qu’c’est vrai. » Je quitte mon siège, plus perdu que jamais en m’approchant de lui, ne sachant que faire de mes bras ballants, embarrassé par ma taille absurde. Les paumes levées vers ses épaules, j’parviens pas à me résoudre à le toucher. J’ai peur de le casser. « Asher, recouche-toi, s’te plaît. Tu vas t’faire mal. » Je soupire, toujours perplexe face à sa requête. Pourquoi est-ce qu’il me demande ça ? Pourquoi ça revient, encore et toujours, comme si on refusait d’apprendre de nos erreurs, deux beaux idiots. « J’suis désolé d’t’avoir traité d’étoile. » J’souris faiblement, me sentant plus ridicule qu’autre chose à essayer de le remettre sous ses couvertures en tirant maladroitement dessus, assez maladroitement pour les faire tomber à terre et à orner la chambre d’un « merde » un peu trop sonore. J’veux pas qu’il sache qu’il me fait tant d’effet, qu’il me déstabilise avec ses grandes déclarations. C’est bon pour aucun d’nous deux. J’m’abaisse pour récupérer les draps, avant d’les étaler sur le matelas et sur ses genoux, l’air de rien. « J’suis v’nu parce que j’savais qu’tu te serais pas défendu. Parce que j’tiens à toi. Parce que j’t’aime. Mais j’veux plus jouer avec tes sentiments, Asher. » J’retournerai jouer avec les miens, par contre. Aider Seth ou non. Replonger dans la came, peut-être. Rentrer au Texas, acheter une casse et s’y terrer jusqu’à la fin d’mes jours. Comme papa. « J’doute que tu puisses embrasser quelqu’un dans cet état. Soit tu sentiras rien à cause des médocs, soit tu vas crever d’mal. Recouche-toi, d’accord ? »
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyMer 22 Aoû - 19:16

Il n’y a qu’avec Toad qu’il est aussi faible. C’est vrai ce qu’il lui a dit, l’histoire de New-York, de Scarlett et Sam, des amitiés trahies et blessées, de la petite sœur sur le carreau, laissée à ses larmes, perdue dans l’indécence de l’empire des Bloomberg, assise sur les milliards presque pas gagnés par leurs parents, presque pas mérités, totalement hérités. C’est vrai aussi, l’histoire d’Elena, du trop peu de remords à s’être échangé des vœux d’Adam avec Caïn, du presque regret de n’avoir rien fait avec Merle. De la culpabilité effroyable d’avoir laissé échapper Toad, les mains moites à force de s’agripper au bord du lit quand il y pense, quand il se souvient, quand il remâche, quand il regrette. Ça lui arrive un peu trop souvent depuis que ça s’est passé, depuis qu’ils se sont oubliés, ça va faire un an cet automne et c’est encore trop frais, ça élance encore trop fort. Il n’y a qu’avec Toad qu’il est aussi faible. Les autres, il les laisse filer, défiler, se fiche un peu d’où ils peuvent aller, les autres c’est Elena, c’est Caïn, c’est tout le reste, tout ce qui ne semble plus avoir vraiment d’importance, tout ce qui l’a rendu hermétique aux sentiments, tout ce qui a élevé un mur de briques entre lui et le monde, y a plus que Matei qui vaille la peine de se battre un peu, qui lui ait donné un nouveau but, un nouveau rôle, quelque chose qu’il ne peut pas abandonner comme il a si souvent pris l’habitude de le faire. Il sait être fort, maintenant. Il sait dire qu’il aime, qu’il aime juste, il sait baiser les lèvres et serrer les corps sans que ça ne l’implique trop, sans y prendre trop d’appui, sans en attendre une quelconque rétribution. Il sait ce que ça coûte de trop s’attacher, de lier avec des personnes aériennes qui ne manqueront pas de s’échapper s’il laisse la fenêtre ouverte, il sait parce qu’il a appris de ses erreurs et qu’il ne compte pas se faire avoir une nouvelle fois ou seulement par des yeux jumeaux des siens, un mini-lui qui pourrait éventuellement le mener en bateau. Matei, rien ni personne d’autre.
Non, vraiment.
Il n’y a qu’avec Toad qu’il est aussi faible.
Ça commence par le regard perdu qu’il lui jette alors qu’il rattrape les couvertures et les jette négligemment sur lui, ça prend des virages serrés avec les inflexions trop inquiètes de sa voix, la sollicitude qui perce derrière les jurons, ça se termine en apothéose dans le sourire triste qu’il lui adresse quand il s’excuse de l’avoir appelé étoile. Lui l’a bien appelé amour, y a pas si longtemps. C’est à charge de revanche, peut-être, à charge de qui cassera le mieux les miettes de l’autre, qui jouera suffisamment bien du pilon dans leur bol de béton. Il a raison, Toad, il est à l’ouest, y a plus rien qui réponde vraiment, ses connexions neuronales sont beaucoup trop approximatives et sa bouche pâteuse comme s’il se réveillait d’une cuite terrible. Il a raison, il n’apprécierait sûrement pas un baiser, trop étranger à son corps pour vraiment en saisir les enjeux, les attentes, s’apercevoir qu’il y a un nombre incalculable de mois qui se sont écoulés depuis la dernière fois qu’ils se sont embrassés, de secondes, de minutes passées à se rappeler son goût, son odeur, à rêver derrière une cigarette à son reflet fumant la même et aux traces laissées par ses lèvres imbibées d’alcool. Il a raison, mais il ne donne aucune bonne raison, aucune justification, juste un j’doute que tu puisses embrasser quelqu’un dans cet état, différent de toutes les fois où il avait prétexté la présence de Seth dans sa vie pour ne pas répondre favorablement à ses assauts. Alors il se redresse, regrette presque immédiatement le geste parce que sa tête tourne un peu trop vite et ses jambes menacent de se plier sous lui, c’est ce qu’on récolte après des jours à rester dans un lit et ne se lever que pour faire vaguement sa toilette, même pas autorisé à aller aux chiottes tranquille. Il se redresse et se rattrape tout juste à Toad, ne lui laisse pas le temps de vraiment réaliser, le regarder, scelle l’échange de leurs deux bouches l’une contre l’autre et de ses doigts qui cramponnent les tatouages de ses avant-bras, comme si ça avait du sens, comme si c’était naturel, comme si ça ne s’était jamais perdu en chemin, après les mots trop durs, la rupture et l’absence, après que le mari du pasteur ait voulu lui faire le portrait, effacer sa gueule d’ange pour qu’elle n’apparaisse plus dans leur paysage. J’doute que tu puisses embrasser quelqu’un dans cet état. Soit tu sentiras rien à cause des médocs, soit tu vas crever d’mal. « Tu m’connais si mal pour penser qu’j’pourrais ne rien ressentir en t’embrassant ? » Il a murmuré contre ses lèvres, accroché à lui pour ne pas basculer sur le lit, son haleine cuivrée qui se pète contre la bouche de Toad avant que le baiser ne reprenne, court entracte à l’envie irrépressible qu’il a de se confondre avec lui pour disparaître ans son ombre. Il est désolé mais c’est mieux. Mieux de donner à Seth une raison pour avoir fait ça, mieux de lui justifier ses actes dégueulasses. Mieux que Toad pense que son mari a fait ça juste parce qu’il l’aime, pour écraser le cafard qui menace de pondre des œufs sous la peau quasiment putréfiée de leur mariage. « Embrasse-moi », nouvelle sommation en souffle chaud, bouche à bouche mortel, les doigts qui grippent délicatement l’arrière de son t-shirt dans l’espoir de ne pas tomber, de s’accrocher. C’est dingue comme on veut toujours ce qui nous fait du mal. C’est dingue comme il le veut toujours.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyJeu 23 Aoû - 23:04

Seth. J’aurais dû invoquer Seth. L’ultime rempart, celui qui me protège des ardeurs du seul autre amour de ma vie, de cette relation hors du temps qu’j’aurais jamais dû cautionner. Il n’a jamais été question d’être infidèle. Jamais. Coucher avec d’autres mecs, c’était bon quand Seth et moi étions séparés, loin l’un de l’autre, loin d’être ensemble comme avant. C’était un moyen de survivre, de combler le vide, le manque, une drogue en remplaçant une autre. C’était bon tant que j’m’attachais pas, tant qu’ça restait qu’un défilé de coups d’un soir, pour s’défouler, décompresser. Jamais il n’aurait dû y avoir un Asher, dérapage pas contrôlé du tout, même si j’avais voulu le croire, au début. Avec lui, une fois, c’était déjà de trop, deux fois, c’était la limite à surtout ne pas franchir. Et puis il y avait eu la troisième, la quatrième, et toutes les autres fois, s’enchaînant comme un ballet d’erreurs, la pente glissante vers le point de non-retour. Impossible de revenir en arrière, de défaire ce qui a été fait. Mais je suis de nouveau marié, à présent, pour le meilleur et pour le pire, surtout pour le pire vu les derniers événements, pourtant ça change rien. Ça change rien, parce que j’ai jamais regardé quelqu’un d’autre en étant avec Seth, j’en avais pas envie, j’en ressentais pas le besoin, malgré mes écarts, mon penchant pour l’héroïne, l’argent sale et les bastons, Seth me suffisait. J’étais amoureux, tout ce qu’on fait de mieux en gamin éperdu, bouffé, rongé par un amour trop grand, l’espoir débile que ça durerait toujours. Jusqu’à la fin du monde et même après. Une belle paire de crétins. Son nom aurait suffi, sans doute, à faire basculer Asher dans son lit, à l’obliger à s’planquer sous les draps. Peut-être. Je n’en suis plus sûr. Parce qu’il a l’air prêt à tout, Asher, quand il se redresse sur ses jambes chancelantes, manquant de se péter la gueule. C’est un pur réflexe, lorsque je tends les bras vers lui, auxquels il se raccroche volontiers. Un pur réflexe, comme le tressaillement qu’il m’arrache de ses lèvres, mes yeux restés grand ouverts, paumés dans le flou de son visage trop proche. Et je sais soudainement pourquoi je n’ai pas agité le prénom de mon mari comme un drapeau blanc suppliant qu’on m’épargne. Je suis en colère. Terriblement, irrémédiablement en colère, une colère qui aurait mérité des explications, une vraie engueulade dans les règles de l’art. Mais je suis parti avant que ça ait lieu, j’suis parti trop vite, le cœur battant, pour rejoindre Asher dans son pauvre lit d’hosto. Je suis en colère, et mes poings se serrent, incapables d’aller toucher Asher, de se poser sur sa taille, de l’enlacer. Je suis en colère. Contre Seth. Contre moi. Presque autant qu’le jour où il s’est barré.

Y’a un soupir qui se faufile entre mes lippes, contre sa bouche, l’incompréhension de s’être laissé faire, deux fois d’affilée, deux baisers que j’aurais dû bloquer, rejeter. J’suis paumé. Et j’sais pourquoi j’le suis. La pleine réalisation que Seth est plus c’qu’il était, qu’la violence est venue nécroser sa peau, que d’l’acide coule dans ses veines, qu’il aurait peut-être été capable de tuer Asher, si on l’avait pas retenu. J’comprends la jalousie, pourtant, j’comprends quand ça dévore les entrailles, que ça contamine les neurones, un à un, les tord dans une vision déformée d’la réalité, où vérité devient mensonge, j’comprends parce qu’elle est justifiée, en plus, pas comme la mienne, pas comme cette haine que j’nourrissais envers chacun d’ses potes à une époque. Mais c’qui fait mal, c’qui attise ma colère, ma rage, ma confusion, c’est notre couple raté. Encore. Le schéma qui se répète. Comme deux gosses pas foutus d’apprendre de leurs conneries. Il a laissé le truc grossir, grossir, grossir, dans un silence de mort, me filant rien d’plus qu’un mauvais pressentiment. On a pas parlé. On a caché les sujets qui fâchent au fond d’un tiroir, jeté la clé dans l’océan, et le meuble au feu, tant qu’à faire. Deux bouffons enfermés dans leur propre farce. Et Asher qui m’ordonne de l’embrasser, ses pupilles fichées dans les miennes, et j’me dis pourquoi pas. Pourquoi se retenir si d’toute façon on fait pas d’efforts, si on empêche pas les petites choses de devenir d’horribles monstres qui cognent sur les portes d’nos placards jusqu’à les défoncer, pourquoi ne pas avoir des raisons encore plus flagrantes de se trahir, de se haïr, pourquoi ne pas tout abandonner. Après tout, Dieu m’a fait faux bond, ma foi est partie camper ailleurs, qu’est-ce qu’on en a à foutre de la fidélité. Soupir désabusé. « Pourquoi tu m’veux, Asher ? Qu’est-ce que j’t’apporte ? » A part des emmerdes, j’vois pas, mais au fond Asher doit avoir quelques tendances maso enfouies quelque part. « J’peux pas t’embrasser. J’suis lâche, tu t’souviens ? Peut-être que toi, tu l’regretteras pas, mais moi si. Parce que si j’le fais, là, tout d’suite, ce sera seulement parce que j’suis en colère contre lui et qu’j’ai envie d’me venger. T’as vraiment envie d’ça ? D’un mec qui trompe son mari juste pour une vengeance puérile ? » Mes mains cherchent à se poser sur ses flancs, sur ses hanches, mais j’sais pas où viser pour minimiser sa douleur, lèvres pincées, que j’humecte nerveusement. « Fuck. » C’est brusque, quasi brutal, quand nos lèvres s’entrechoquent, que mes doigts s’enfoncent sans ménagement dans ses côtes blessées, ma langue qui force le passage sans douceur. Fuck. C’était la pire chose à faire. Mais quand on croit plus en rien, ça a plus trop d’importance.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyJeu 23 Aoû - 23:50

Amour. Cinq lettres et des visages, les cheveux flamboyants de Scarlett et le sourire de Seth, amour, le bruit strident de la vaisselle qui se brise et des portes qui claquent, de la valse des corps pour oublier le chagrin, du carnaval d’alcool pour prétendre que tout va bien. Amour, des poèmes à écrire inlassablement pour faire comme si on maitrisait le sujet, comme si on comprenait, comme s’il n’y avait pas une ribambelle d’inconnues dans l’équation et toujours la même erreur système en bout de ligne, quand on pense avoir compris mais que le raisonnement tombe comme une armée de dominos. Il n’y a rien de plus abstrait que l’amour, rien de plus effroyablement impalpable, imprécis, rien qui ne mérite autant qu’on s’y attarde quand on pense l’avoir trouvé, rien qui ne demande qu’on réfléchisse à ce point-là, qu’on se casse les méninges à essayer de savoir si c’est le bon, la bonne, si ça marchera juste une fois ou si ça sera voué à l’échec. Il pense qu’il sait ce qu’il ressent, Asher. Il pense qu’il a déjà posé une définition exhaustive mot, qu’il a déjà turbiné suffisamment pour exposer des portraits devant et tenter de voir lequel a le plus sa place, qu’il s’est assez esquinté les doigts sur des surfaces terreuses pour savoir quand ça vaut le coup de s’accrocher, de sortir les griffes, de planter les serres dans la roche. Il pense et il sait, franchement, qu’à force d’avoir essayé de lui donner d’autres appellations, il a eu tendance à perdre ses pensées ailleurs, à laisser glisser les prénoms qui flottaient sur le bout de sa langue, à ne plus savoir lesquels vraiment retenir, auxquels vraiment se cramponner. Il sait qu’il y a eu Scarlett et Elena, qu’il y a encore Caïn, il sait qu’il a posé les valises de son cœur quelque part entre tous ces acteurs pour finalement ne retenir que ce qu’il voulait, les baisers et les jolis moments, la douceur de l’instant contre l’âpreté d’un futur incertain. Il sait qu’il y a quelque chose entre Caïn et lui et que ça sera toujours là, que c’est bon, doux et sucré mais que ce n’est peut-être pas de l’amour dans sa définition la plus littérale, celle qui implique que l’on souffre et que l’on se damne. Il sait que c’est ce qu’il ressent pour Toad, un volcan brûlant au creux du cœur, des nuits à se demander où ça pourrait le mener et les journées à savoir qu’il allait droit dans le mur. Il sait qu’il l’aime. Ce qu’il ne sait pas, c’est si la réciproque est vraie, même encore un tout petit peu, s’il arrive à Toad de penser à lui quand il est avec Seth, de se demander sous quel ciel il ondoie, de repenser à la façon qu’ils avaient de s’entendre aussi parfaitement, de se souvenir de leurs moments grandioses plutôt que de leurs plus beaux fiascos.
Ce qu’il ne sait pas, c’est s’il lui ment lorsqu’il lui parle enfin.
S’il voulait être sage, il l’écouterait simplement, acquiescerait peut-être à son constat, consentirait le bénéfice du doute à ce désir de vengeance qui doit le ronger jusqu’au creux de la moelle, s’il voulait être raisonnable il lui dirait que non, qu’il ne veut pas de ça, qu’il le veut mais pas dans ces conditions, pas sous ces auspices, qu’il préfèrerait qu’il le laisse et qu’il l’oublie quelque temps au moins. L’ennui avec Asher, c’est qu’il n’a jamais été vraiment sensé, vraiment prudent, et certainement pas avec Toad, certainement pas quand leurs corps vibrent trop près l’un de l’autre, certainement pas quand un baiser en appelle un autre et que bientôt, le juron perce des lèvres du pasteur avant qu’il ne les écrase sur les siennes. C’est à ça que ça ressemble, une sonnette d’alarme. Au fracas tumultueux de deux bouches l’une contre l’autre, d’un corps qui cherche son jumeau malgré la fatigue, malgré la douleur, malgré les gémissements plaintifs qui s’échappent de lui et qui ne sont pas la conséquence d’un plaisir précoce mais de l’élancement qui irradie entre ses côtes. C’est peut-être ce qui le couche soudain sur le matelas, le mal, le grand, celui qui paralyse presque, celui qui fait pleurer, il réalise à peine que des larmes de supplice dégringolent sur ses joues parce qu’il est trop haut maintenant, trop perché dans les nuages, parce que l’air de rien la morphine compense et que les endorphines sont en train de tout tabasser dans son système, parce qu’il n’y a plus rien d’autre qui compte que la valse de leur corps dans le cœur d’une chambre d’hôpital. Il a entrainé le pasteur dans sa chute, les lèvres béantes pour venir cueillir son souffle, la langue devenue caresse entre ses dents et les mains trop proches de sa ceinture pour son propre bien. « Tu me fais mal », qu’il souffle en tremblant, mais c’est pour mieux l’assaillir de nouveau, pour mieux coller les phalanges trop fraîches de Toad contre son épiderme incandescent, ses yeux qui tracent des arabesques en passant d’un point de son visage à l’autre. Magnifique. Il est magnifique. « Toad » et le souffle s’épaissit, devient plus court, essoufflé, le nectar de ses empreintes qui presse maintenant le bouton de son pantalon pour venir le défaire. Convaincu que c’est une bonne idée de se débarrasser de leurs vêtements. Il s’allonge sous lui, sur les couvertures. Soutient son regard. Le monde ne tourne pas suffisamment droit, tout de suite. Les expirations se perdent sur sa tempe, il sait que c’est déjà trop tard quand il sent ses muscles se tendre jusqu’à presque se rompre. Sa main perfusée tombe doucement sur le matelas. L’autre s’est déjà glissée dans le jean du pasteur, la joue qui se colle sauvagement contre la sienne et les paupières soudain trop lourdes du plaisir qui les submerge.
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyLun 10 Sep - 23:04

Peut-être que ça pouvait pas être autrement. Qu’je suis né pour être comme ça, un bon à rien qui abandonne les personnes qu’il aime, les laisse sans défense contre un père plus souvent saoul que sobre, un connard qui amoche le mec de sa vie, pas foutu d’aimer comme il faut, pas foutu d’savoir quand il fait d’la merde. Peut-être que c’était écrit, peut-être que c’est la volonté de Dieu, qu’il faut bien des mauvais exemples pour expliquer aux gamins à quoi faut pas ressembler, qu’on pourrait encadrer ma photo pour qu’elle serve dans les jeux de massacre pendant les fêtes d’école. Peut-être que croire en Dieu c’était juste une idée pas super reluisante pour redorer mon ego, me sentir un peu moins con, un peu plus comme il faut. Comme j’aurais rêvé d’être y’a de ça dix ans, en sortant de secondaire avec des rêves plein la tête. Pas des rêves futés, ni originaux, c’est vrai, la base de la base, une baraque à un million au bord de l’eau, des journées passées à signer des ballons pour des gosses aux yeux bourrés d’étoiles. La vérité, c’est que j’peux pas. J’peux pas. M’en empêcher, m’arrêter maintenant qu’j’ai commencé, qu’j’ai les lèvres accrochées aux siennes et que j’préférerais crever que d’retourner en arrière. J’veux que ça soit comme ça, pour toujours, qu’y’ait rien d’autre à penser que ce moment-là, boucle temporelle passée à s’embrasser sans rien attendre en retour, sans se soucier des conséquences. Pourvu qu’on en sorte pas. Pourvu qu’ce soit toujours comme ça. J’veux l’avoir pour moi seul même si c’est mal, même si ça craint pour lui, même si c’est horrible, cruel, que ça fait d’moi le pire des enfoirés. J’veux plus penser à tout ça, j’veux être avec lui, là, tout d’suite. Oublier tout l’reste, les emmerdes, l’héro, Seth qu’a trop changé, Seth que j’reconnais plus. Moi que j’reconnais trop bien. Refuser d’bouger. Dire aux infirmières de s’barrer si elles se pointent. Barricader la porte, rester là pour l’éternité, enfermés dans une chambre d’hosto à rien faire d’autre que d’baiser. J’veux être avec lui. J’veux perdre mon souffle avec le sien, l’embrasser tellement fort qu’on pourra plus respirer, paumer mes pupilles au fin fond des siennes, coller mes mains là où douleur et plaisir se mêlent, et j’me retiens à peine malgré ses gémissements, malgré les spasmes que provoquent mes ongles calés entre ses côtes, malgré les mots qu’il y met. Tu me fais mal. Ça a toujours été le cas, pas vrai ? C’est moi, ça, juste moi et mon ego blessé qui trouve que s’taper un pote aux os en miettes, c’est pas grave tant qu’ça me file un peu de baume au cœur. Mais putain, Asher, t’as des larmes sur la gueule et la main dans mon boxer.

J’ai les paupières closes, quand j’comprends, le souffle happé par le contact de ses phalanges froides contre ma peau, et sa joue humide, mouillée, contre la mienne. L’info qui met des plombes à atteindre mon cerveau. Il est en train de pleurer, ducon, tu lui fais mal, faut qu’on t’l’injecte par intraveineuse pour qu’tu comprennes, te faut une dose d’héro pour t’activer les neurones ? J’me fige. Les griffes plantées dans sa chair, les lèvres à quelques millimètres de son cou, j’me fige, la respiration lourde, saccadée, je ferme les yeux plus fort, jusqu’à en avoir mal dans les orbites, le front qui vient se cogner contre sa tempe. « Asher… Tu pleures. » J’me laisse tomber sur le lit à côté de lui, le corps à moitié dans le vide, en équilibre instable, yeux grand ouvert et les mains qui reboutonnent mon jeans en un éclair. J’me redresse, m’assieds au bord du matelas, dos à lui, les doigts qui passent machinalement dans mes cheveux pour les remettre en place, comme si ça avait jamais été un bordel monstre là-dedans. Aussi chaotique que ma vie, aussi bordélique que mon cœur. « Quand j’mourrai d’overdose, tu viendras, dis ? A mon enterrement ? J’ai… » Y’a ma trachée qui se tord, ma tête qui se tourne à peine vers lui, baissée vers les draps immaculés. « J’ai peur qu’y’ait personne. » J’ai peur qu’il m’aime plus. Et toi, tu m’aimes encore, non ?
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyDim 16 Sep - 19:02

Fallait retomber. À un moment ou l’autre, même les ailes grandes déployées. Fallait chuter, se ramasser sur les branches, c’était prévisible, fatal et certain, c’était inéluctable, autant que les doigts de Toad qui arrachent des gémissements au fond de sa gorge parce que ça lui fait mal mais qu’il n’a plus la volonté nécessaire pour se tenir éloigné de lui et de tout l’éventail d’impossibles qu’il représente. Fallait s’écraser sans parachute, sans filet, sans prévoir qu’on allait le faire et que l’issue serait sans appel, solution, ni repli, fallait prévoir que les os se ratatineraient et que les membres chercheraient à retrouver des souvenirs qui n’existent plus que dans la tête. C’est toujours comme ça avec Toad, toujours comme ça avec eux, les deux pieds dedans sans se douter de ce qu’ils sèment à chaque fois qu’on les met dans la même pièce sans aucun garde-fou, de ce qu’ils récoltent au bout du compte quand la terre s’est gorgée d’eau et que les arbres de leur folie prennent enfin racine. Peut-être qu’il ne pleure pas parce qu’il a mal, Asher. Il n’a jamais vraiment été douillet, le genre de gamin à s’esquinter les genoux sans verser la moindre larme de crocodile, à essuyer les plâtres avec ce même air implacable sur la frimousse, lèvres toujours scrupuleusement fermés pour respecter la pudeur qui a toujours été la sienne. Les doigts de Toad contre ses côtes fêlées ne représentent rien qu’il n’ait pas déjà éprouvé, rien qu’il n’ait pas déjà ressenti, enduré, supporté. Rien qu’il ne connaisse pas. Alors c’est sûrement autre chose, toujours la même, le sempiternel frisson qui le fendra peut-être pour de bon, profitera des ébréchures pour le réduire en miettes.
Tu me fais mal. Comme toujours.
Quand les mains de Toad le lâchent, ses bras tombent immédiatement sur les draps, pudiquement. Il l’observe boutonner son jean, s’asseoir sur un bout de lit sans lui adresser un regard, le manque qui commence à se faire une place sur l’épiderme de ses paumes, avide de la sensation de la peau du pasteur contre la sienne. Toujours, toujours, toujours. Il aimerait se voiler la face et se dire qu’ils pourront redevenir amis, vraiment amis, mais tout porte à croire que ce n’est qu’une énième fable qu’ils se racontent pour se donner bonne conscience, de la poudre à se jeter aux yeux pour en oublier tout ce qu’ils ont vécu et qu’ils crèvent secrètement de revivre, pas assez forts pour laisser leurs pulsions au placard. Toujours, la candeur de Toad ou son arrogance, il n’a jamais su vraiment faire la différence, tracer la limite, les mots qui se barrent de ses lèvres le percutent de plein fouet comme un train lancé à pleine vitesse et il manque bientôt d’air mais ne le montre pas, reste froid et stoïque. Il a l’habitude. C’était comme ça, avant, à New-York. C’était comme ça quand il ne vivait que pour sa réussite professionnelle, quand tout ce qu’il espérait était fondé sur une ravissante illusion du bonheur, qui n’avait de sincère que les billets verts qu’il pouvait aligner sur tous les comptoirs de la grosse pomme sans se soucier de l’état de ses finances le lendemain. La seule chose authentique, c’était la manière qu’avaient tous les sentiments de rebondir sur son armure, de ne jamais s’engouffrer sous l’épiderme, de toujours rester strictement en surface sans même égratigner l’image soignée qu’il avait mis des années à construire. Froid et stoïque. C’est ce qui lui permet de ne pas s’effondrer quand il écoute Toad et surtout qu’il comprend que ce n’est pas une simple question mais que c’est le canon d’un flingue chargé qu’il pointe tout droit sur sa tempe. « J’étais vraiment amoureux de toi, tu sais. » Factuel, simple, la voix plate et laconique pour ne pas laisser s’échapper ce qu’il prend grand soin de réfuter. Mains, restez posées là, à agripper scrupuleusement les draps trop blancs pour éviter de vous déchaîner, d’arracher tous les câbles pour les entortiller ailleurs. Autour d’un cou déjà meurtri par la même sentence, un an et demi plus tôt. « Ce n’était pas un placebo, ni une pulsion, ni une passade. J’étais amoureux au point de te laisser retourner vers cet homme que tu as épousé, au point de le laisser m’exploser la gueule sans rien te dire, sans rien t’avouer, j’étais amoureux au point de te faire passer avant moi, d’éviter que tu souffres par ma faute. Tout le temps. » Les trois derniers mots appuyés, mesurés, le verdict brutal et sans appel de mois passés à le laisser filer mais à ne jamais vraiment pouvoir s’y résigner. C’est peut-être plus facile à dire maintenant que Toad lui tourne le dos, maintenant qu’il voit à peine son profil se dessiner à contre-jour face à lui. Une inspiration. « Je ne t’ai jamais, jamais dit que j’avais envie de mourir quand on était ensemble. Même après notre rupture. Jamais. Et je peux te dire que l’idée m’a traversé l’esprit un paquet de fois, pourtant. » Un paquet de fois depuis eux. Ça aurait été tellement simple de chiper un peu de cocaïne au poste et d’en sniffer une trop grosse dose, tellement facile de se mettre un pétard entre les dents et de presser la détente. Tellement.  « Je ne sais pas si tu te rends compte à quel point tu es cruel quand tu me dis ça. Tu crois vraiment que ça ne me fait rien ? Ou c’est justement pour me faire souffrir que tu poses la question ? »
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MessageSujet: Re: cannonball (tosher)   cannonball (tosher) EmptyJeu 11 Oct - 22:36

T’es qu’un connard. Elle s’appelait Emilia. Elle avait des cheveux blonds qui flottaient jusqu’au-dessus d’ses fesses et des yeux bleus en amandes, des seins ronds mais p’tits qui m’avaient fait capter que j’aimais pas vraiment ça. C’était, même si ça dépend des goûts, la plus belle meuf de l’école, dotée d’une place enviable chez les cheerleaders, d’un compte en banque bien fourni et d’un carnet de notes irréprochable. Sans parler d’son cul de reine sous ses minijupes. Et c’était ma copine. Pas la première, mais la dernière d’une liste carrément absurde destinée à parfaire le portrait tout aussi absurde que j’avais dressé d’moi-même à l’époque. T’es qu’un connard, c’est c’qu’elle avait soufflé, même pas crié, après m’avoir filé la gifle de ma vie. Enfin, c’que j’avais prétendu être la gifle de ma vie, parce qu’entre une beigne d’mon paternel et la main parfaitement manucurée de Emilia, y’avait pas trop d’comparaison. Mais y’en a une dont j’causais pas, et une dont j’me vantais sans honte, une aubaine pour mon image de womanizer qui rêvait que d’sauter un seul mec en secret. Emilia le savait pas ça, elle savait juste que j’l’avais larguée avant le bal de promo auquel on d’vait être sacré roi et reine devant un public d’ados boutonneux jaloux de nos sourires ultra bright. Asher le dit pas, lui, et pourtant y’a la même froideur dans son regard, cette même manière d’articuler les mots à mi-voix plutôt que de lancer à tue-tête, les mains qui se contractent, l’envie de me gifler qui fourmille dans ses phalanges, sans doute. Il me fait penser à elle, brusquement, douloureusement, elle qui n’avait aucune chance, qui n’savait même pas qui était l’adversaire, qu’elle aurait jamais c’qu’il fallait pour me plaire. Il me fait penser à elle, à toutes ces fois où j’ai pensé à la fin, que ça durerait pas, comme toutes les amourettes de lycée. Même avant Seth, j’le pensais, et avec Asher, j’l’ai su dès l’instant où j’l’ai embrassé au milieu d’mon église, flashforward sur la fin alors qu’ça avait pas encore commencé. Seth était dans la même ville, il pouvait pas rivaliser. Comme Emilia, la pauvre Emilia, qu’a toujours été beaucoup trop bien pour moi.

Il y a un silence qui creuse son trou, fait son nid, dans la chambre d’hôpital, mes yeux qui se perdent sur ses doigts livides, à chercher des mots qui n’viennent pas. Mes lèvres étouffent des soupirs, de dépit, de fatigue, j’suis paumé, c’est vrai. Ça fait longtemps qu’j’le suis et j’ai peur de plus retrouver le chemin d’la maison. J’aurais dû retourner au Texas, avec ou sans Seth, aller présenter des excuses à Emilia, dire ses quatre vérités à mon père, passer le bonjour à mon coach même s’il a finalement atterri en taule. J’aurais dû refaire un tour en désintox, aller taper la discute avec le révérend Torres, me retrouver en tête-à-tête avec Dieu. Ça aurait eu plus de sens que tout ça, que de débarquer avec un flingue chez un illuminé pour pas récupérer mon mari et terminer à l’hosto à peloter mon ex qui m’en veut d’pas être ce qu’il veut. « C’est c’que j’suis. » Un murmure mal assuré, les épaules qui se soulèvent dans un geste pathétique. « C’est c’que j’suis », j’me répète, « Cruel, égoïste. Je sais pas aimer. J’suis un camé, j’préfère mon paradis artificiel à n’importe qui. J’ai jamais voulu qu’tu croies que j’étais une belle personne. J’ai essayé d’l’être. Mais j’le suis pas. J’suis pas c’que t’espères. J’sais pas c’que t’espère. » J’me sens mal, quand j’me relève, pris de vertige, les pupilles qui cherchent un dernier refuge. J’ai besoin de whiskey ou d’héro, j’ai besoin d’me crever à petit feu. « Enfin, puisque t’étais amoureux de moi, tout est réglé alors. J’ai jamais rien eu à t’offrir, de toute façon. Salut. » La porte s’ouvre. Sortie.
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