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 god only knows (tosher)

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Asher Bloomberg

Asher Bloomberg
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MessageSujet: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyMer 3 Jan - 19:50

If you should ever leave me
Though life would still go on, believe me
The world could show nothing to me
So what good would livin' do me
God only knows what I'd be without you


« Je la prends. »
Il avait dit ça trois mois plus tôt quand il était entré dans ce magasin vintage et qu’il avait vu la platine en bois sur laquelle tournait un vieux vinyle des Beach Boys. Ce qu’il avait d’abord pris pour un vague geste du destin s’était révélé être une troublante coïncidence, parce que cette chanson lui avait soudainement évoqué Toad et qu'il n'avait pu se résigner à quitter le magasin sans emporter le tourne-disques sous le bras et l’album précieusement emballé à part, même s’il savait parfaitement qu’il lui offrirait les deux cadeaux en même temps. Comme quoi, faut jamais faire des pronostics trop longtemps à l’avance, notamment sur la longévité d’un couple et même si ledit couple est le nôtre et qu’on croit dur comme fer qu’il va résister à toutes les tourmentes. Y avait eu Halloween, cette nuit de folie à courir après les bandits armés qui sévissaient dans chaque recoin de Savannah, et le lendemain, toujours entre les quatre murs de l’hôpital, un trou dans la hanche et dans le cœur. Y avait eu les jours suivants, à se demander si Toad appellerait, à recevoir au bout de quelques semaines les premiers messages bourrés du pasteur au beau milieu de la nuit, à lui répondre alors qu’il aurait dû l’ignorer. A renvoyer des messages, plus tard, à lui avouer la sensation détestable de manque qui lui accaparait l’esprit, à devenir ridicule à chaque vibration du téléphone, putain de junkie en manque, pas mieux que Toad. Pas mieux que Seth. Il n’aurait jamais dû, jamais dû envoyer ces derniers messages, ceux où il accepte de venir voir Toad alors qu’il sait pertinemment que ça ne peut rien donner de bon, qu’il ferait mieux de le rayer de sa vie, de l’oublier définitivement. Pas mieux que Seth, non, pas mieux que lui, tous les deux à se battre pour la même chose, tous les deux certains de ne jamais vraiment remporter la victoire parce qu’il y aura toujours un petit bout de son cœur ailleurs.

Et maintenant ?

Et maintenant, il a le regard figé sur le paquet qui prend la poussière dans un coin de son salon, emballé depuis trois mois, qui n’a pas bougé depuis son achat, mais il l’a pris pour lui et c’est plus possible de le ramener au magasin. Alors quoi ? Un coup d’œil à Dalek, comme s’il pouvait l’aider à se décider alors que c’est un clébard, même si y a plus que lui qui partage sa vie désormais. Il hésite à appeler. Il pourrait lui dire que non, que ça n’est pas une bonne idée, que ça ne pourra rien donner de bon, eux deux enfermés dans une église, trop proches de la sacristie où ils avaient fait l’amour pour la première fois. Il pourrait s’en foutre, de la platine, la refourguer à un autre pote, si ça se trouve ça plairait à Peadar même s’il lui répondrait sûrement un truc du genre I ain’t your girlfriend et qu’il froncerait les sourcils. S’en foutre. C’est pas vraiment dans son vocabulaire. Il est ce qu’il est parce que, justement, il ne s’en fout pas. Parce qu’eux deux, c’était bien, parce que ça avait du sens, parce qu’il n’était pas sorti avec quelqu’un depuis sa squatteuse de canapé et que c’était différent, différent en bien, entre les nuits blanches à se mater des comédies romantiques et les matinées à hiberner sous la couette en attendant que l’un des deux (Asher le plus souvent) ait suffisamment de motivation pour sortir du plumard et cuisiner des pancakes. Les pancakes du samedi matin, putain. Ça aussi, ça lui manque.

Et maintenant ? Maintenant, il a dit qu’il y allait, et vu que son cerveau n’a jamais été son meilleur allié, c’est ce qu’il fait.

L’église est déserte lorsqu’il arrive. Déserte mais pas froide ni lugubre comme elle avait parfois pu l’être, y a des tonnes de décorations qui pendouillent de partout et ça le fait sourire. Aucune chance qu’il ait fait ça tout seul, Toad, vu son sens du goût pour le moins expérimental et sa gaucherie habituelle, y a un peu d’Ezra dans tout ça, sûrement. Il se demande s’il y a la patte de Seth, aussi, quelque part entre les guirlandes, s’il a participé d’une manière ou d’une autre, en donnant des directives ou en s’esquintant les mains sur les fanions. Sûrement. Ils sont de nouveau ensemble, non ? C’est ce qui insuffle un brin de culpabilité dans les mots qu’il lui a envoyés, dans les tu me manques et les je t’aime. Fait chier, putain. Fait grave chier. Y a pas moyen que ça soit plus merdique, hormis si Seth tombait sur eux, là, tout de suite. Il se voit mal expliquer pour quelle obscure raison il traîne dans l’église de son ex sans aucune autre intention que de lui offrir un cadeau hors de prix qu’il avait acheté alors qu’ils étaient encore ensemble. Blague de l’année, sans aucun doute.
Et ce putain d’orgue.
Y a quelque chose qui le pousse vers lui, quelque chose d’autre que la seule volonté de le toucher, de se l’approprier de nouveau. Il a dû l’utiliser une fois grand max, juste avant leur rupture. Et plus rien, après, c’aurait été trop gênant de revenir et de jouer pendant que Toad prêche, trop compliqué de poser le bout des doigts sur les touches sans avoir envie de s’effondrer en larmes. Blanches pour toutes les nuits qu’il a passées depuis presque deux mois maintenant. Noir pour tout ce qu’il a broyé. Et pourtant il s’installe, pourtant il tapote une note, une autre, fronce les sourcils et appuie sur quelques boutons pour que le son soit moins cérémonieux, ressemble plus à celui qu’un piano de scène. Et enfin, il joue, et il sait pas pourquoi le premier morceau qui lui vient à l’esprit est cette foutue nocturne de Chopin. Le premier morceau qu’il ait joué à Toad. Une mesure, une suivante et ça devient trop lourd, trop dur, putain de cœur d’artichaut qui n’arrive pas à se raccommoder seul, foutues mains qui lâchent le clavier brusquement et attrapent son visage, alors que ses coudes s’appuient dans un capharnaüm disharmonieux d’accords aux accents presque modernes. Y a trois larmes qui coulent, pas plus, avant qu’il n’entende un bruit de pas familier. Il les essuie précipitamment, relève des yeux rougis vers le spectateur indésirable. Vers Toad, évidemment. « Salut. » Rouges, ses mains, rouges ses joues. Et sa tête qui désigne vaguement l’un des bancs à quelques mètres d’eux. « Ton cadeau. » Pas de phrases ce soir, non. Faut encore qu’il regagne un minimum de dignité.


Dernière édition par Asher Bloomberg le Mer 10 Jan - 18:48, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyMer 10 Jan - 17:42

J’ai envie de te voir, c’est rien que quelques mots pianotés à la va-vite, sûrement sans penser aux conséquences, pourtant ça m’fout la tremblote rien que d’les lire. Il a envie de me voir, et c’est déjà beaucoup, et c’est déjà bien mieux que tout c’que j’espérais. Faut croire que les miracles de Noël c’est pas seulement pour les téléfilms de l’après-midi, faut croire que j’ai une putain d’chance de cocu, j’sais pas si c’est Seth ou Asher qui s’tape quelqu’un d’autre, par contre. Vaut mieux pas qu’je sache. Puis ils ont bien le droit, surtout que d’mon côté on peut pas dire que j’aie porté aux nues la chasteté, j’ai plutôt prôné le sexe pour oublier. Je crains. Et j’les mérite pas. Aucun des deux. Il devrait pas venir me voir, Asher. Il devrait même pas vouloir, il devrait m’en vouloir. Mais j’regarde mon téléphone d’un air con, sans tenter de lui faire changer d’avis, de lui dire qu’il devrait pas, que de toute façon j’ai rien résolu du tout et qu’on s’fera encore plus de mal comme ça. Mais j’crève d’envie de le voir, moi. Peut-être que j’suis égoïste, encore, j’suis carrément égoïste, ouais. Mais j’ai besoin de lui, de le voir planté devant moi, de réentendre le son de sa voix, de l’serrer dans mes bras, d’lui redonner le sourire même si ça arrivera pas. Y’a cette faim qui ravage tout au creux de moi, c’est pas qu’une passion éphémère, qu’un désir, qu’une passade. C’est de l’amour, même si ça m’emmerde, même si j’veux pas y croire, même si j’veux pas le dire encore une fois. J’aimerais tellement qu’ce soit plus simple, que j’puisse dire non à un des deux sans que ça me bousille de partout, pouvoir dire que Seth est toujours l’amour de ma vie ou que j’n’ai plus de sentiments pour lui. Mais j’en sais rien, moi, j’ai beau prier pour trouver des réponses, y’a que dalle, pas d’ange qui descend du ciel ou de lumière divine pour m’éclairer la voie. Squatter les lits de corps anonymes n’aide pas trop non plus, au fond, ça fait que raviver la culpabilité, l’impression que j’devrais pas faire ça, comme un mari infidèle, mais incapable de m’en empêcher, trop assoiffé du moindre instant de bonheur. Maintenant j’vais voir Asher et j’vais probablement penser que j’ai fait le tour de Grindr juste pour me soigner de lui, et j’vais voir que ça a rien guéri du tout, évidemment, rien, même pas un gramme d’amour en moins. J’l’aime peut-être même plus qu’avant, chaque jour passé loin de lui me fait crever davantage, la sensation de manque qui grandit et me dévore, j’déteste ça. J’déteste que Seth ait refusé de venir, de combler le vide, aussi, qu’il m’ait laissé seul avec mes larmes. Même si j’sais qu’il a besoin de temps, comme tout le monde, que coller des pansements sur les blessures, ça va pour les égratignures, mais quand c’est infecté le provisoire ça sert à rien. J’me demande si Asher sait tout ça, si Seth lui a dit qu’on s’est pas revus depuis l’hosto, juste cet appel et quelques textos. J’me demande ce qu’il s’imagine, Asher, parce qu’il a voulu savoir si Seth était dans le coin, peut-être à décorer l’église avec moi, et je souris bêtement au côté absurde de la chose. Seth, dans une église. Seth, avec moi, après tout c’que j’lui ai fait. J’suis même pas sûr qu’il veuille réellement me revoir un jour, j’ose même plus l’appeler, j’préfère rester sous ma couette et attendre que ça passe. Même l’apocalypse finit par passer.

L’église est plus sympa que d’habitude, moins glauque, moins pourrie, avec les décos de Noël, même si c’est du cache-misère, clairement. Dommage que j’sois pas assez heureux pour m’en réjouir, j’réussis à faire un sourire à Ezra mais on voit bien qu’le cœur y est pas, alors est-ce que ça compte vraiment ? J’retourne à la maison pour voir si Ezra s’en sort avec la bouffe, bien que j’puisse pas lui apporter un coup d’main valable, je m’essaye à la décoration des sablés en forme de sapin avec du glaçage de toutes les couleurs et des billes de sucre. Evidemment ça ressemble à rien, alors j’finis par retourner à l’église pour relire mon sermon, trois sablés dans une assiette, en me disant qu’Asher est peut-être arrivé, entretemps. J’suis pas prêt. J’suis pas prêt à pousser la porte en entendant les résonnances de l’orgue, arrête de jouer du Chopin, putain, ça m’donne envie de chialer. Respire, Toad. Même si je songe sérieusement à aller m’enfiler trois bières, là, histoire d’être un peu plus calme. Mais j’me suis promis de rester sobre pour la messe. J’fais rien de bon, en ce moment, j’bois trop, j'baise trop, j’fume trop, j’me dis que ce serait pas si con de traîner dans une de ces ruelles merdiques où un salaud m’vendra de la came pour quelques billets, une dose pour oublier tout le reste qui me manque. J’me reprends à penser que c’est plus facile avec l’héro, la vie, c’est plus joli, plus doux, le cerveau qui lâche prise, comme quand j’venais de sortir de désintox. Ce foutu orgue, qui me nargue à chaque messe, j’me rappelle pourquoi personne en joue à chaque fois, que si j’avais pas merdé y’aurait quelqu’un posé sur ce tabouret, qu’y’aurait des notes partout dans l’air et que ça serait autre chose que mon vieux lecteur CD. A la place y’a qu’du silence, rien pour couvrir la p’tite voix dans ma tête qui répète ta faute, ta faute, ta faute. Y’a de longues secondes à attendre comme un con devant la porte, et puis le vacarme de trop d’notes appuyées en même temps qui me sort brusquement de ma torpeur. Faut qu’j’entre, que j’le voie, la porte qui grince quand je l’ouvre, j’m’approche lentement, hésitant, me mordant la lèvre pour ne pas lui demander s’il va bien encore une fois, et quand il se tourne vers moi, j’me dis qu’j’ai bien fait de pas parler. J’ai les mains qui tremblent, à trop me retenir de le prendre dans mes bras, tout de suite, silence gêné de celui qui sait pas quoi dire devant le fait accompli. Ça fait des mois. Est-ce que j’peux encore lui causer comme je lui causais avant ? Est-ce que j’peux lui dire que j’dors avec sa chemise roulée en boule sur mon oreiller pour garder son odeur ? P’t’être pas, ça fait psychopathe. « Hey. » C’est la seule connerie que j’arrive à répondre à son salut, le ton mal assuré comme si j’savais pas où j’mettais les pieds. « Ok. J’dois l’ouvrir tout d’suite ? », je fais, en jetant un coup d’œil vers le cadeau qui m’attend sagement sur un des bancs de l’église et en tentant d’ignorer la honte de rien lui avoir acheté. Je crains toujours. J’dépose mon assiette et mes trois pauvres sablés de Noël qui font carrément pitié devant lui, en équilibre instable sur l’orgue, maigre sourire sur les lèvres pour pas me mettre à pleurer moi aussi. « C’est pour toi, c’est nul, ils sont moches parce que c’est moi qui les ai décorés, j’te jure que j’ai pas fait d’trip sous LSD pourtant. Mais c’est Ezra qui les a faits donc ils sont tout à fait comestibles. » Ouais. C’est tout c’que j’ai à dire à Asher que j’ai pas vu depuis trop longtemps pour mon propre bien et avec qui j’voulais pas rompre, putain. Des banalités sur de la bouffe. Ouais. « J’peux m’asseoir près d’toi un peu ? » Y’a trop d’précaution, dans les mots choisis et dans ma manière de rester debout comme un clampin à le regarder avec des yeux de chiot abandonné. J’suis en mal d’affection, fais-moi un câlin, c’est tout mon corps qui le crie dans un pathétisme intersidéral, demander la permission pour pas devoir supporter un rejet physique, qu’il se relève ou qu’il me repousse, du pareil au même. Dis pas non, steplaît, et j’crois bien que j’ai l’air aussi misérable que quand Seth m’a quitté.
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyMer 10 Jan - 23:58

Il y a des moments où il se demande, Asher, si ça faisait aussi mal, parce qu’il ne s’en souvient pas, parce que ça fait beaucoup trop longtemps, parce que de l’eau a coulé sous les ponts et que le monde a changé, en trois ans, en dix, mais il y a des moments où la question revient, timidement, est-ce qu’aimer est censé être aussi douloureux, est-ce que son Dieu (s’il existe) ne devrait pas épargner les âmes qui vivent de passions, qui se nourrissent de bons sentiments ? Est-ce qu’il y a un univers où les amants sont plus heureux que les guerriers, où la paix supplante la hargne belliqueuse de ceux qui grandissent sans savoir, qui vieillissent sans apprendre, sourds, muets, aveugles ? Parce qu’il y a vraiment des moments où il se questionne, Asher, où il repense à Scar et où il se souvient de l’amertume du départ mais pas de ce même désespoir terrible qui l’accable aujourd’hui, où il se remémore Samuel et le plaisir que c’était de l’aimer mais pas la peine qu’il a eue lorsque tout s’était évanoui. Il y a des instants fugaces où il s’interroge sur Toad, sur eux, où il se demande si c’est ça le véritable amour, si c’est le cauchemar qu’il est en train de vivre, le cœur qui se fane, l’âme qui s’effrite à la simple idée qu’il puisse ne plus jamais l’embrasser, ne plus jamais le toucher, ne plus jamais faire un tas de choses, des conneries, regarder la télévision, flemmarder au lit, baiser dans les chiottes d’une boîte de nuit, il s’étonne de penser ça, de même pas trouver de mauvais souvenirs, de creuser partout mais de rester démuni, la tête remplie d’étoiles quand il est là, quand il le regarde, quand il lui parle, même lorsqu’il fait preuve d’aussi peu d’éloquence. Et il est beau, Toad, il est beau avec son air désolé, sa croix à l’oreille, il est beau avec ses mains qui tendent maladroitement un plat de gâteaux, tellement beau qu’Asher ne baisse pas les yeux, qu’il les laisse trainer sur lui un peu trop longtemps, l’air ailleurs, perdu, les yeux trop rouges, le souffle trop lourd. « C’est l’intention qui compte », et un petit sourire au coin des lèvres, y a le love qui a failli s’échapper, se faire la malle, qui a failli le trahir même s’il ne leurre personne, même si c’est évident qu’y a que Toad, que ses yeux n’en dévorent aucun autre de la même façon, y a que lui, que lui, que lui, et il devrait ouvrir son cadeau mais il ne le fait pas, ça le perturbe, ça le fout par terre. Il se redresse, sa racle la gorge, y a ses doigts qui trainent sur les touches, décrochent quelques notes au passage, vieux réflexe de vieux musicien, jouer quand il se sent mal, pianoter quand ça ne va pas, quand il peine à se redresser, c’est une béquille, un calmant, c’est plus fort que des pilules, plus fort que du cul, c’est peut-être pour ça qu’il passe le plus clair de ses nuits derrière le piano. Faut dire, il doit s’entraîner, y a ses mains qui grelottent à cause des médicaments, ses doigts qui n’arrivent pas à rester droits, immobiles, la mélodie qui part en cacahuètes quand il ne s’y attend pas, quand membres tressaillent. Faut pas que Toad remarque, il pense, faut pas parce qu’il va se sentir coupable, parce qu’il va s’en vouloir, faut pas parce qu’il est sûrement de nouveau avec Seth et qu’il ne veut pas lui enlever ça, la chance de s’expliquer, de réessayer, il aurait dû tenter avec Scar, pas baisser les bras au premier accroc, il en serait sûrement pas là, à jouer de l’orgue dans une église un vingt-quatre décembre.

« Tu peux », il souffle, bien sûr qu’il peut, c’est un pays libre à ce qu’il paraît, y a suffisamment de place sur le tabouret pour y accueillir deux personnes même s’il sait que son cœur va faire des bonds hors de sa poitrine, même s’il est conscient que Toad va réveiller en lui encore plus de choses. C’est plus douloureux de le voir rester debout, bête, muet, de l’observer alors qu’il ne sait pas quoi faire, quoi dire, comment agir. Il se décale sur la droite, lui laisse suffisamment de place pour qu’il puisse s’installer, le quitte des yeux juste un instant pour dévier vers ses mains tremblantes qu’il planque rapidement sur ses genoux, sous l’orgue. Y a un moment de silence, d’accalmie, à croire que les anges sont avec eux ce soir, à croire que Noël éveille des choses, entretient le mythe, les prophéties, les légendes, les fables que l’on raconte aux enfants pour qu’il dorme, Asher n’en a jamais entendues de la bouche de ses parents mais il a eu vent de certaines choses, de la part de ses camarades, tous ceux qui n’étaient pas juifs et pour qui Noël n’était pas une coutume considérée comme impie. Et puis soudain, y en a un qui lui revient en mémoire, il rit tristement, fallait vraiment que ça soit celui-là dont il se souvienne à cet instant précis. « La petite fille aux allumettes. » Ça sort comme ça, sans préambule, Toad doit sûrement rien y comprendre mais c’est tristement évocateur, ça résonne brutalement dans sa poitrine, et il joue nerveusement avec ses doigts, pas certain de vouloir en parler. Il n’avait jamais pleuré étant petit, ou rarement, parce qu’il avait tout ce dont un enfant peut rêver, tout ce qu’il peut vouloir, tout ce qu’il peut souhaiter. Petite enfance dorée dans les grands immeubles de New-York, domestiques, vie de palais. Et pourtant, lorsqu’il avait entendu cette histoire pour la première fois, il avait pleuré. « C’est le seul conte de Noël dont je me rappelle. Tu vois, c’est une petite fille qui vend des allumettes, sauf que personne ne lui en achète. Et il fait un froid glacial dehors, et elle est habillée de guenilles, alors elle finit par s’asseoir au coin d’une rue et par craquer une allumette. Là, elle a une première vision, un grand poêle je crois, quelque chose qu’elle n’a jamais connu et dont elle a toujours rêvé. Une deuxième allumette, elle voit un festin, pareil, un rêve inaccessible. Elle finit par épuiser tout le paquet et par voir le fantôme de sa grand-mère qui l’accueille à bras ouverts. Au petit matin, elle est retrouvée morte. » Il sait pas pourquoi il a raconté ça, c’est terriblement déprimant et ils sont terriblement déprimés, mais y a une résonnance particulière dans cette fable, quelque chose qui lui rappelle eux, lui, la vie. Il a toujours préféré les histoires tristes aux histoires joyeuses, y a plus d’authenticité, plus de réalité palpable, de sentiments qui ne sont pas déguisés. « J’cramerais toutes les allumettes du monde pour te retrouver. » C’est con parce qu’il est pas mort, parce qu’il est là, bien là, parce qu’il ne voulait pas partir, c’est Asher qui a forcé les choses, qui l’a contraint, qui l’a obligé, qui l’a fait partir. C’est Asher et il a pourtant envie de se blottir contre lui, de le regarder, de l’embrasser, mais il ne le touche pas parce que ça ne fait plus partie de ses droits, de ses prérogatives. Mais il cramerait toutes les alumettes du monde, ouais. Il crèverait pour le retrouver.
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyDim 14 Jan - 21:17

C’est l’intention qui compte, ouais. C’est c’qu’on dit quand on aime pas un cadeau, non, ça ? Peut-être que j’devrais retirer l’assiette vite fait, pour qu’il voie pas la gueule de ces gâteaux parce que là on jurerait que l’intention est mauvaise. J’ai les joues qui deviennent rouges, j’le sens, la honte de recevoir un cadeau alors que j’ai que dalle pour lui, un cadeau qui sera sans doute parfait comme toujours avec Asher, alors que j’aurais jamais été capable de trouver le cadeau qui lui ferait plaisir. Et puis l’intention, c’était peut-être de voir s’il mangeait, au fond, ou de l’obliger à avaler quelque chose en prétextant qu’il faut faire honneur à ce qu’on nous offre, même si c’est pas extrêmement équilibré. Magda a sans doute oublié d’manger, que j’lui ai écrit, et toi, t’as mangé un bout depuis qu’on s’est quitté, j’me suis retenu de rajouter. J’préfère les gens qui s’goinfrent pour se consoler, ça me semble moins risqué que de rien bouffer du tout, en espérant que tout s’arrange avant d’atteindre le seuil de l’obésité. J’devrais sûrement pas m’inquiéter pour Asher, c’est un adulte qui en a vu d’autres, il voudrait pas que j’m’inquiète, j’imagine, il me dirait que c’est pas si grave, balayerait cette putain de discussion sur sa tentative de suicide d’il y a des mois du revers de la main, me dirait que j’devrais pas m’en faire. Mais ça ressemble à c’qu’on dit quand on va mal, mais c’est c’que j’disais toujours à Seth quand j’étais dans un état catastrophique. J’inspire longuement, comme en prévision d’une apnée, et c’est un peu le cas lorsque j’me laisse tomber à côté de lui sur le tabouret de piano en prenant soin de pas me coller à lui, côte à côte mais sans se toucher, sans même se frôler. Si tu savais comme j’ai juste envie d’appuyer ma cuisse contre la tienne, l’air de rien. Je frotte une poussière imaginaire hors de mon œil, pour faire passer les larmes qui menacent de couler, le sourire léger quand je murmure un « Merci », soulagement qu’il ait pas dit non, qu’il décide pas soudainement qu’il doit partir quelque part, qu’il a mieux à faire, qu’il veut plus jamais me revoir. J’ose pas le regarder, je pose ma main sur l’orgue, appuie timidement sur une des touches, au hasard, imitant la manie d’Asher pour rompre le silence qui m’oppresse, m’étouffe, l’impression qu’mon cœur résonne dans toute l’église et qu’il peut l’entendre distinctement, de là où il est. Ça marche pas, ça aide pas. Parle, putain. Dis quelque chose. Sinon il va se barrer à nouveau et il reviendra pas cette fois. Mais il parle avant moi et je l’observe du coin de l’œil, les sourcils qui se froncent une seconde comme pour l’inciter à continuer, le titre qui m’évoque vaguement un truc, jamais lu. J’ai pas ouvert des masses de bouquin, dans ma vie, et mon père n’était pas trop le genre à lire des contes de Noël au coin du feu, pas trop, pas du tout. J’l’écoute et j’me fais violence pour pas lâcher la première connerie qui me passe par la tête, c’est un conte de Noël, ça ? Ou c’est c’qu’on raconte aux gamins juifs pour qu’ils aient pas envie de céder au marketing des fêtes ? J’retiens mon souffle, en attente de la chute, du coup d’poing dans la trachée, celui qui t’empêche de respirer, t’oblige à te débattre à la recherche de l’air au point qu’ça te crame les poumons. Ça tarde pas à venir, et au lieu du manque d’air, c’est le trop plein d’eau qui déborde, les larmes sournoises qui se faufilent sur mon visage, le dos de la main pour les essuyer maladroitement. « Asher », le prénom à peine murmuré pour pas le massacrer d’un sanglot, le ton suppliant, sans savoir pourquoi je supplie. « J’ai rien réglé, tu sais ? Vraiment rien. » J’ai même pas revu Seth depuis c’jour-là à l’hôpital, l’appel trop niqué pour s’dire que ça a fait avancer les choses, ça a rien fait du tout, à part que maintenant Asher sait que son pote Seth est mon mari, les mots pas assez clairs de Seth et pourtant ces échanges de textos, juste avant, que j’ai tant aimés parce que c’était comme avant, les banalités qui ressemblaient trop à nos conversations d’ados, aux cinquante messages par jour parce que c’était pas concevable de pas se parler pendant cinq minutes. Et j’me sens coupable, les yeux fixés sur mes paumes et les épaules qui s’affaissent, ce serait mentir de dire que j’ai pas envie d’ravoir mon mari dans ma vie. Et même si j’l’avoue pas à voix haute, y’a cette foutue alliance toujours à mon annulaire pour me dénoncer. « J’suis pas quelqu’un d’bien. » C’est pas très articulé, pas très assumé, le reniflement qui atténue la portée des paroles, et la tête trop lourde pour que j’puisse la tourner vers lui. « Seth. Seth, c’était quelqu’un de bien. Il était pas comme ça, avant. Les fightclubs, la drogue, c’était moi, j’me battais pour le fric, j’volais, j’faisais n’importe quoi pour avoir ma dose, j’lui ai cogné dessus, parfois, parce qu’il parlait de désintox ou de divorce. S’il est devenu comme ça, c’est à cause de moi. J’étais pas là pour lui, j’l’ai abandonné, j’l’ai bousillé. Et à toi j’t’ai menti, alors que j’savais bien que ça pouvait pas durer éternellement, parce que j’suis venu à Savannah pour lui, Asher. Si on s’est rencontrés, c’est juste parce que j’ai voulu v’nir ici pour lui. » J’ai l’impression que j’vais dégueuler sur l’orgue, qu’mon cœur veut passer la muraille de ma gorge pour échouer sous ses yeux. La vérité, c’est que j’ai toujours eu des gens trop bien pour moi à mes côtés, cette putain de chance et jamais de gratitude en retour, parce que j’pensais qu’c’était acquis, qu’ils étaient à moi, qu’jamais j’les perdrais. La vérité, c’est qu’j’ai toujours fait les pires choses et qu’on m’a toujours tout passé, comme un enfant trop gâté. La vérité, c’est qu’je mérite personne, que j’sais même pas pourquoi j’suis là, à prétendre que j’ai la foi et prétendre vouloir aider mon prochain alors que la seule chose que j’ai toujours voulue c’est récupérer Seth, pas parce que Seth irait mieux avec moi dans les parages, mais parce que moi j’irais mieux avec lui, avec mon mari dans mon lit, dans mes bras, dans ma vie. « J’pense qu’à moi, Asher. J’pense jamais aux autres, c’est pour ça que j’t’ai menti. J’savais que ça te ferait du mal, mais j’voulais t’avoir, tu vois. Et tu devrais pas être là. J’comprends même pas pourquoi t’es là, j’ai rien à t’offrir, même pas une réponse claire. » Même pas un je t’aime pas pour t’obliger à tourner la page.
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyLun 15 Jan - 19:49

C’est Noël.
C’est Noël et quelque part sur la terre, y a un gamin qui se réveille en écoutant Jingle Bell Rock, une vieille dame qui cuisine des gâteaux pour ses petits-enfants, y a un clodo qui se réveille sous un pont et un bénévole qui lui apporte à bouffer avec un sourire à brûler dix-mille soleils sur les lèvres, un clebs qui trouvera une nouvelle famille cette année et un homme qui accroche les dernières guirlandes au sapin. C’est Noël et y a plusieurs millions de foyers qui commencent à le fêter, qui se réunissent autour de la grande table pour bouffer des trucs qui les feront vomir deux heures plus tard, y a la cheminée qu’est allumée et que les enfants demandent à éteindre pour qu’un vieux barbu en rouge leur amène des cadeaux, sans savoir que c’est leur mère qui s’est saignée au taff pour les payer. Y a des pauvres gosses dans des usines qui fabriquent des pompes que personne portera le matin de Noël parce que c’était pas le bon modèle, pas à leur goût, des chaussures au prix délirant qui s’échangeront quelques jours plus tard sur Internet, y a des magnats de la finance qui se frottent les mains d’avoir engraissé leur famille pendant une année entière, se réjouissent d’avance de réitérer pour la suivante. Y a des contes qui se lisent au coin du feu, quand la nuit est tombée, des mirettes qui s’ouvrent en grand quand elle apprennent la chute, qu’elle soit drôle, tragique ou douloureuse, y a des mains qui se tendent et se referment sur des papillotes et des sucres d’orge. Et y a eux. Deux connards dans une église, qu’osent pas se dire tout ce qu’ils voudraient, qu’osent pas non plus se toucher de peur de faire ressurgir des choses, les sentiments pas enfouis assez profondément, la terre encore fraîche sur la sépulture. Ils feraient mieux de rien ajouter, ça préserverait le petit cocon qu’ils viennent de se construire, juste quelques minutes, pas sombrer, pas pleurer, pas souffrir, juste un instant au milieu du champ de bataille, une seconde de répit. Ils feraient mieux de ne rien rajouter mais c’est Toad qui se fout dedans, qui déblatère, qui laisse pas vraiment le temps à Asher de réagir, de se barrer en courant. C’est trop proche, Seth, les mots lancés à la volée, la future altercation parce qu’il y en aura une, ils pourront pas laisser les choses comme ça, inachevées, y a trop à en dire et pas assez, y a sa main dans le dos de l’asiatique, les mots qui font trembler, le besoin de s’éloigner pour ne pas boire complètement la tasse, l’œil au beurre noir qu’il ne lui a pas mis, qu’il aurait peut-être mérité. Il sait pas, à croire qu’il y a des questions qu’on préfère ne pas se poser, il n’a pas voulu y réfléchir, y aurait pourtant eu plein d’occasions pour le faire ces derniers jours, tous ces moments où il s’était retrouvé seul entre quatre murs à prier pour que les cachets fassent effet, à réaliser qu’il faudrait quadrupler la dose pour qu’ils l’assomment vraiment, au risque de se retrouver aux urgences avec un petit lavage gastrique. Je sais il aimerait hurler, Toad lui sort des kilomètres d’évidences, pas besoin d’être devin pour comprendre les choses avant que les mots ne sortent, pour en tirer les conclusions qui s’imposent. Il aimerait pourtant, que ça ne soit pas aussi simple, qu’il comprenne de travers les mots du pasteur, il aimerait mais il baisse les yeux, remarque qu’il a gardé sa putain d’alliance ridicule, va pour dire quelque chose quand la litanie reprend, l’éternel lynchage et le manque d’indulgence, ça lui crève littéralement le cœur de voir à quel point Toad se déteste, à quel point il est prêt à faire des détours pour ne pas dire la vérité directement, pour sous-entendre sa piètre valeur, le fait qu’il ne mérite aucun de ces mecs qui l’aiment. Il garde les yeux sur lui, Asher, observe ses lèvres bouger alors qu’il se flagelle, le cœur au bord du gouffre, y aura plus rien d’eux après tout ça, plus rien à sauver et plus rien à attendre, et c’est peut-être pour ça qu’il laisse le silence prendre place, juste quelques instants, avant que la vérité crue et brutale ne sorte d’entre ses lèvres, « je vais te dire quelque chose qui ne va pas te plaire », il commence, y a plus de larmes dans ses yeux, juste une grand inspiration à la bouche alors qu’il s’apprête à plonger. « T’es quelqu’un de bien. »

Il serre un peu la mâchoire, l’observe, y a un trop-plein de rancœur mais c’est pas grave, parce qu’il n’a pas besoin d’une nouvelle personne qui sorte les crocs, parce qu’il a juste besoin de son ami, peu importe ce qu’ils ont pu être entre les deux. Peu importe. « J’pense que ton mariage a foiré pour plein de raisons. J’pense que vous vous êtes connus trop jeunes, et qu’vous vous êtes aimés, et qu’vous vous aimez toujours, j’pense que ça partira jamais parce qu’il est trop important pour toi et qu’t’es trop important pour lui, j’pense que tu pourras pas l’oublier et que c’est normal, qu’y a trop de choses qui se sont passées entre vous pour que tu le fasses. J’pense que ouais, t’es revenu là pour lui, et qu’t’es persuadé que c’est ton seul but ici. » Il le pense, il le sait, c’est ce que vient de lui dire Toad a travers les mots brutaux qu’il a eu pour lui-même, la complainte lancinante, l’énumération de ses trop nombreuses erreurs. Petit temps mort, il déglutit, ne baisse pas le regard une seule seconde, y a trop de choses qui passent quand ils paument leurs yeux ensemble, quand ils se dévisagent trop longtemps pour que ça semble innocent. « Mais j’pense aussi que j’aurais jamais dû mettre les pieds ici parce que j’suis juif et que j’respecte même pas ma propre religion, parce que j’en ai jamais rien eu à foutre d’aller au paradis ou en enfer, parce que j’avais rien à faire là, depuis le début, j’avais rien à faire dans cette église. Et j’pense que ton Dieu s’est carrément foutu de ta gueule le jour où il a décidé que le seul juif parmi tes paroissiens allait tomber amoureux de toi, et qu’ça serait réciproque. » Et c’était pas volontaire, c’était pas une excursion prévue à Savannah, c’était pas des années de vie commune à rattraper, c’était pas ça, pas du tout. C’est le destin, quelque part. « Je sais que tu penses que c’est lui que tu veux, et c’est pour ça que j’t’ai quitté, Toad, pour pas être un élément perturbateur, pour pas influencer ton choix. Mais si tu veux savoir ce que je pense encore une fois » et il marque un très léger temps d’arrêt, histoire de lui laisser la possibilité de l’interrompre, « j’pense qu’y a un bout de moi qui croit de nouveau en Dieu parce qu’y a une étoile qui nous a mis sur la même route, et qu’elle l’a pas fait pour qu’on se brise. »
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyJeu 25 Jan - 21:45

Y’a le silence qui s’installe et mes doigts qui s’accrochent aux touches du clavier sans plus oser les appuyer, à gratter une petite tache juste pour s’occuper l’esprit et les yeux, la boule dans ma gorge qui grossit, grossit, peut-être qu’elle finira par exploser, peut-être que j’pourrai me remettre à respirer. J’lui coule un regard en coin, de ceux qui implorent, dis quelque chose, putain, dis quelque chose pour briser le silence trop assourdissant, qui fait vriller mes tympans comme des foutus acouphènes. Y’a tout qui va de travers, respiration, battements de cœur, pensées, rien n’est coordonné, c’est le foutoir complet, âme blessée et corps troublé, ça me donne envie de tout laisser tomber. De leur dire qu’ils sont libres, qu’ils ont qu’à me laisser, que j’suis pas important. J’suis pas important, c’est pourtant vrai, j’suis insignifiant, j’ai une existence insignifiante et tout c’que j’fais ou dis est insignifiant. Et pourtant, Asher arrive encore à me balancer que j’suis quelqu’un de bien, fait fleurir un sourire triste sur mes lèvres qui se fane très vite, les yeux qui se baissent de nouveau parce que j’ai pas l’impression qu’il comprend. J’aimerais vraiment être un mec bien, juste, gentil, altruiste, j’ai voulu ça depuis que j’suis sorti de désintox, et on dirait qu’ça marche, que les autres y croient, comme s’il suffisait de l’vouloir pour que tout le monde s’imagine que vous êtes quelqu’un de bien. C’est peut-être ça, la force du désespoir, ça maintient l’illusion, ça donne des excuses toutes trouvées, regardez-le, il a fait tout ça d’mal, mais il essaye quand même d’être quelqu’un de bien. Peut-être que c’est c’qu’Asher pense, et Ezra aussi. Mais c’est ridicule, comme ambition, c’est vain, et les raisons d’ma rédemption sont purement égoïstes, alors est-ce que ça compte vraiment, au fond ? J’crois pas. J’y crois plus. J’préférais avant. Quand j’savais que j’étais pas quelqu’un de bien mais qu’ça me faisait rien, j’avais la dalle de vivre et j’prenais tout c’que j’voulais sans jamais rien offrir, c’était simple, c’était pas prise de tête. J’étais heureux. J’étais heureux jusqu’à c’que ça fasse fuir Seth, en tout cas, mais s’il était pas parti, j’aurais jamais voulu changer. Jamais. J’aurais probablement crevé dans les chiottes d’un bar sordide, il aurait été débarrassé, ça aurait été si simple. J’ai jamais aimé les choses compliquées, moi, les équations et les débats philosophiques, j’y ai jamais pigé quelque chose, j’ai pas brillamment réussi mes études de théologie, même si j’m’en suis miraculeusement sorti. Grâce à Dieu. J’suis le genre de gars qui a vu tous les Disney quand il était gosse et qui se contente très bien d’une vision binaire de la réalité, du happy end final, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, même si j’sais que y’a pas que ça, et qu’y’a trop de possibles pour qu’on puisse dire que tout se passe toujours comme ça. La question des mioches était pas franchement sur la table avec Seth, mais j’aurais pu vivre toute ma vie avec lui s’il s’était pas barré. C’est une certitude, une évidence, mais maintenant y’en a d’autres et j’suis paumé. J’suis pas calibré pour savoir c’qui est mieux pour les autres, encore moins pour moi, j’suis pas capable de décider tout seul comme un grand, j’suis pas capable de savoir c’que j’pourrais faire pour m’en sortir, j’suis capable de rien. Comme avant.

Il pense trop, Asher, il pense trop alors qu’il ne sait pas, il ne sait rien, trop peu d’indices pour capter c’qu’il y a vraiment eu entre Seth et moi, il sait pas qu’j’ai tout abandonné pour lui, il sait pas la violence des mots et des gestes, les papiers du divorce, les seringues sur le plancher, il sait pas les je t’aime comme autant de coups de poignard, il sait pas les textos et mon cœur qui m’a trahi en s’mettant à palpiter plus vite. Il sait pas comme c’est cruel, d’me dire que mon mariage a foiré, il sait pas comme ça ravive des plaies mal refermées, que c’est l’genre de truc qui m’donne envie de cogner. Mon mariage. C’est peut-être la seule chose qui ait vraiment été réussie dans ma vie, la seule chose de vraiment bien. Pas au sens de la vie à deux, pas au sens de relation, parce que ça, ça a foiré, oui, comme toutes mes relations, faut toujours que j’gâche tout. Mais la fuite avant la fin du lycée, le genou par terre dans une station-service, la bague en plastique merdique que j’lui avais passée au doigt, le tatouage sur le cœur, la déception du mariage refusé, trop gay, et la joie trop grande de pouvoir se dire oui dans l’Etat au nom le plus débile. J’étais qu’un gosse, ouais, Seth aussi, mais c’est pas pour ça qu’ça avait foiré, y’avait pas plein de raisons comme Asher le pense. C’était juste moi, la raison, et parfois ça sert à rien de chercher autre chose quand c’est aussi évident que ça. « J’pense que dalle, Asher. Et toi tu penses beaucoup trop. » J’me sens épuisé, soudain, à attendre la messe de minuit avec tout ce bordel dans le crâne, « excuse-moi, j’ai juste envie de », j’termine pas, les gestes qui remplacent les paroles, j’penche la tête sur le côté et la cale contre son épaule. « Dis-moi si j’t’emmerde, hein. » J’ai un soupir qui reste coincé à la lisière de mes lèvres, presque un bâillement. Mes mains bougent pas, pourtant j’en ai envie aussi, de juste les poser quelque part sur lui, même pas en espérant avoir quelque chose en retour, juste parce qu’il est là et qu’il me manquait. Et qu’il me manque encore. « J’sais que j’veux pas te bousiller et j’sais que j’veux pas l’abandonner. J’sais que j’vous aime tous les deux. C’est à peu près tout c’que j’sais. C’est plutôt clair, en fait. Mais j’ai toujours été mauvais pour prendre des décisions. Et j’l’ai pas revu depuis qu’tu m’as quitté, donc j’ai pas avancé et j’sais toujours pas quoi faire. J’suis désolé. » Y’a le soupir qui s’échappe, dépité par ma propre connerie, à jamais pouvoir se comporter en adulte. « J’veux pas te mentir et te dire que tout va bien se passer. Parce que j’en sais rien. J’crois qu’mon Dieu m’en veut pour Dieu sait quoi, mais j’suis heureux qu’il t’ait foutu sur ma route. » Mais me d’mande pas d’choisir, et c’est les mots qui détruisent, les mots qui arrachent le cœur, c’est les larmes qui coulent discrètement et que j’essuie machinalement comme si ça n’avait aucune importance. J’ai pas la force de choisir. Pas maintenant. Probablement jamais.
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyDim 28 Jan - 0:10

Il pense trop, Asher, et il pense mal, y a qu’un amas d’idées difficilement articulées, jetées en vrac dans son cerveau, elles n’ont aucune cohérence, aucun fondement. Il se contente de balancer des banalités, des choses qu’il ignore parce qu’il ne les connait pas, au fond, parce que même Seth semble être devenu un étranger, son laïus est peut-être une manière d’éviter de l’admettre, laisser Toad penser qu’ils se connaissent bien, qu’ils se connaissent suffisamment. Sauf qu’il y a un blanc, un espace vide impossible à combler, il était comment avant, quand vous avez fui ensemble, il était doux, tendre, délicat, il cognait pas sur de parfaits inconnus à la nuit tombée ? Est-ce que Toad lui dirait la vérité, s’il lui demandait dans le blanc de l’œil, est-ce qu’il admettrait que son mari n’est pas l’ange de pureté qu’il laisse imaginer lorsqu’il s’attribue tous les torts dans l’échec de leur couple ? C’est pas dit, il est tombé trop bas, n’a pas assez battu des ailes, il n’a pas encore compris parce qu’il est indécrottable, parce qu’il préfère s’en remettre à Dieu plutôt qu’écouter les gens qui l’aiment, parce qu’il est trop con ou trop aveugle pour voir le festival des mecs qui bavent devant lui, qui se battent pour l’avoir, Seth, Asher, Ezra aussi, même s’il nierait probablement avoir un quelconque effet sur le petit Amish. Il est trop con, Toad, trop stupide, il aligne les justifications comme si ça allait changer quelque chose, comme si lui dire toutes ces choses allait bousculer quoi que ce soit. Ça change rien, putain. Le tambour bat toujours dans son myocarde et ses yeux sont toujours embués par les larmes, ses doigts sont toujours scotchés au piano et il a toujours le regard planté sur les touches. Il n’a presque pas frémi lorsque Toad a posé sa tête sur son épaule, presque pas bougé, a continué à presser légèrement quelques notes de sorte à faire une mélodie pas totalement harmonieuse mais pas dissonante non plus, à mi-chemin entre une nocturne de Chopin et une étude de Satie. Il essaie trop, Asher, de faire comme si ça ne l’atteignait pas, de jouer des airs imaginaires en s’inventant des futurs avec le pasteur, des lendemains moins douloureux, un petit déjeuner sur une table de cuisine baignée de soleil et des baisers volés sans que ça ne paraisse étrange, il essaie de ne rien dévoiler de ses pathétiques desseins, les gardes sous scellés au creux de son cœur, mais y a des gestes déclencheurs, ceux qui provoquent un arrêt des machines, une mise en sécurité du système. Par exemple, lorsqu’il voit Toad essuyer ses propres larmes, c’aurait sûrement été plus facile d’imaginer qu’il avait le beau rôle, qu’il était celui d’entre eux qui choisirait et que ce n’était certainement pas la pire place qui soit. Il ne l’a jamais vraiment vu craquer, pas comme ça, pas depuis l’hôpital et là-bas c’était différent, c’est forcé qu’une rupture donne envie de pleurer, cause une brisure au milieu de l’âme, c’est forcé que ça perce le cœur et que ça le fasse saigner. Mais y a d’autres circonstances où des larmes ne sont pas attendues, jamais. Et notamment pas ça, pas une veille de Noël, pas des retrouvailles sans cris, sans brutalité.
Silence, les mains se sont arrêtées de jouer, ça pulse dans sa poitrine et la proximité de Toad n’y arrange rien. Il s’est promis, quelque part, promis de laisser les époux discuter, essayer, promis de se mettre en retrait, de devenir la mouche sur le mur, l’ombre muette, promis de retrouver sa place normale, celle qu’il n’aurait jamais dû quitter, le mec qui fait joli au fond de l’église. Ou derrière l’orgue. Il se l’est promis et c’est pour ça que c’est frustrant, décevant, c’est pour ça qu’il n’est absolument pas fier de ce qu’il s’apprête à faire mais ses convictions piquent un sprint vers la sortie, s’évanouissent les unes après les autres. Ça se passe très doucement et incroyablement vite à la fois, la joue qui s’appuie davantage contre le front de Toad, le petit coup d’épaule qui l’oblige à relever les yeux, et ses lèvres sur celles du pasteur, bientôt entrouvertes, la cacophonie qui se joue sur le clavier lorsqu’il lâche les notes, lorsqu’il vient jouer une autre musique sur la cuisse de Toad, pression délicate contre le tissu, peau trop présente au travers, il en a besoin comme de respirer et il ne peut plus lutter, plus après ces deux longs mois sans nouvelles, sans contact. Le souvenir de la sacristie est trop net, trop proche, l’envie pulse trop sous l’épiderme, celle de recommencer, de faire des conneries, de se laisser embraser en oubliant tous les autres, Elena, Caïn, Minnie, Niamh, les noms plus anciens qui se relaient, s’incrustent, Scar et Sam, ils diraient quoi ? Sûrement que c’est un connard, sûrement qu’il est en train d’avoir des pensées impures sur un homme marié, pasteur de surcroit, et que sa mère grillerait un fusible si elle savait. Oh, si elle savait…
Si elle savait que ses mains sont désormais baladeuses, se faufilent sous sa chemise, qu’une partie de lui remercie le ciel pour ne pas lui avoir mis sous le nez un pasteur trop cérémonieux, même si c’est aussi la cause première de ses problèmes. Comme six mois (plus ?) auparavant, il enjambe le tabouret sans lâcher ses lèvres, attrape délicatement sa taille, l’attire à lui sans interrompre le baiser désormais brûlant, palpitant, les mains qui se posent automatiquement sur sa boucle de ceinture pour la défaire, la bouche qui se décolle de la sienne pour aller arracher des tremblements sur la peau de son cou. Il va le détester, c’est sûr, il va lui en vouloir, y a aucun doute.
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyMer 7 Fév - 22:55

Y’a les larmes qui n’arrêtent pas de couler, les yeux qui restent humides alors que y’a quelques années j’aurais juré que j’avais tout pleuré jusqu’à la dernière goutte. C’est presque étrange, de s’dire que j’suis encore capable de chialer après tout ça, après avoir touché le fond, à penser que mon existence valait même pas un jeton en plastique pour les charriots du supermarché, que crever d’une overdose serait sans doute le plus grand accomplissement de toute ma vie. Comme si j’avais déjà vécu la fin du monde, mais qu’elle se répétait. En double. Seth qui m’échappait, me filait entre mes doigts tremblants de camé, la première fois. Seth et Asher qui s’éloignent, à présent, que je perds peu à peu, sans pouvoir m’accrocher à eux. Je tends la main et y’a rien pour l’attraper. Je tends la main et tout est de nouveau vide, seul au monde contre mes vieux démons, toujours là, tapis dans un recoin de mon crâne, prêts à me sauter à la gorge, à m’engloutir le plus beau soir de l’année. Je ferme les yeux un instant, recale ma tête sur l’épaule d’Asher en essayant de me rappeler comment c’était de dormir contre lui, les mots à la con échangés sur l’oreiller après avoir trop bien baisé, les bras pour entourer sa taille et son souffle régulier qui parvenait à m’endormir en un battement de cils les rares fois où je sombrais pas avant lui. C’est débile de se souvenir de ça maintenant, c’est débile parce que j’ai l’impression que c’était hier à peine et pourtant ça ne pourra peut-être plus jamais se produire, et y’a le manque qui ravage tout dans ma poitrine, le manque qui ronge mes côtes comme un chien ronge un os à moelle, qui finira par me broyer tout entier si je reste là sans rien faire, pourtant j’fous rien, tétanie absolue du mec qui sait pas c’qu’il veut et encore moins c’qu’il doit faire pour être un gars bien. Et puis c’est Asher qui fait le premier pas, peut-être comme la première fois qu’on s’est embrassé, j’arrive plus à savoir, tout est flou dans ma tête dès lors que mes yeux croisent les siens, mes lèvres rejoignent les siennes, et j’avais pas réalisé à quel point j’étais avide de tout ça, que j’en crevais d’envie, que mon corps ne demandait que ça, et que mon âme en espérait plus encore. Les frissons se fraient un chemin sur ma cuisse là où sa main s’est posée, trop haute, trop indécente, ils remontent le long de mon échine et redescendent dans mon bas-ventre, font déconner tout c’qui fonctionnait encore à peu près bien. J’sais que ma langue est trop aventureuse, que mes dents sont trop mesquines quand elles s’accrochent sans douceur à la pulpe de ses lèvres, j’sais que je contrôle rien, que rien n’est réfléchi, tout est instinctif, les mains qui se collent là où il faut, dans ses cheveux, dans le bas de son dos, sur ses flancs, et merde, c’est tellement la pire chose à faire à vingt minutes de la messe de minuit, mais c’est tellement bon, tellement réconfortant, que ça tambourine dans ma cage thoracique pour m’empêcher de me barrer, que ça hurle à l’intérieur de pas le repousser.

J’sais pas c’qui me donne la force de l’arrêter, j’sais pas d’où vient la décharge électrique qui me réveille soudain, tout c’qu’on a vécu qui remonte brusquement à la surface. Peut-être que ce sont ses mains brûlantes qui se glissent sous ma chemise de pasteur, ou le brutal souvenir de la messe qui approche, des trois paroissiens susceptibles de nous interrompre à tout moment. Peut-être que ce sont les quelques centimètres de distance comblés lorsqu’il m’attire davantage contre lui, les corps trop proches, trop prêts à se consumer, ou alors ses doigts trop habiles lorsqu’ils trouvent la boucle de ma ceinture pour la défaire. J’sais pas. Peut-être que c’est simplement parce que ses lèvres quittent les miennes pour s’attarder dans mon cou, parce que j’me remets à respirer et que l’oxygène atteint de nouveau le cerveau, les pensées qui recommencent à fluctuer, à encombrer l’esprit, à s’empiler jusqu’à c’que mes phalanges s’enroulent autour de ses poignets pour suspendre ses gestes. Soupir, le désir qui se creuse alors que je tente de capter son regard. « Asher… » Murmure à deux balles, les mots qui veulent pas sortir, le front qui se colle au sien et les prunelles qui se fixent sur ses mains entravées par les miennes. « Asher, je t’aime. » Et y’a plus rien de bancal, de maladroit et d’interrogateur comme la dernière fois à l’hôpital, la rupture, la blessure que j’garde au fond de moi sans vouloir lui offrir un nom. Y’a plus d’artifice, plus de but caché, d’intention derrière les paroles, seulement une vérité brute qui m’explose à la gueule, et je supplie le Ciel pour qu’il le prenne pas mal. « J’aurais voulu pouvoir te l’dire quand on était ensemble. » C’est stupide, de l’admettre après coup, lorsque tout est fini, que y’aura peut-être plus jamais rien, alors que j’ai toujours prétendu qu’on était amis, rien qu’amis. C’est stupide, mais y’a rien d’autre à dire, rien d’autre à faire, juste essayer de préserver les bons moments, de les garder comme le plus précieux des trésors, de les chérir jusqu’à la mort en regrettant de pas avoir su dire ou faire ce qu’il fallait au bon moment. « Dieu sait que j’en crève d’envie, putain. Mais j’peux pas. J’peux pas t’faire ça. J’veux pas te laisser espérer des trucs alors que j’ai aucune idée de c’que j’vais faire. Et j’veux pas te dire adieu. »
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptyLun 12 Fév - 21:57

Faut quelqu’un pour l’arrêter. Pour retenir ses mains, pour retenir son cœur, l’empêcher de faire le grand saut dans le vide, l’élastique aux pieds qu’il n’a pas. Faut quelqu’un pour lui éviter tout ça, la déchirure des adieux qui arriveront forcément et la certitude angoissante qu’ils seront toujours un presque et jamais un totalement, qu’il resteront la plus belle partie de leurs vies mais aussi la pire, réciproquement, comme on s’échange une maladie honteuse, et ça bout sous la peau, et ça lui enlève tout sens commun, langue qui embroche sa bouche comme un glaive et mains honteusement cachées sous les fringues du pasteur. C’est lui qui stoppe le massacre, lui qui l’arrête, lui qui serre ses poignets, phalanges repliées, menottes de chair plus froide que du métal, il aimerait protester mais il a toujours appris à respecter les désirs des autres et particulièrement lorsqu’il s’agit de Toad. Faudrait pas le blesser comme lui a pu le faire, il a la rancœur trop volatile. Surtout là, maintenant. Surtout sur un banc, devant un orgue, à tripoter son ex. Surtout quand il lui dit je t’aime. Les yeux qui se relèvent immédiatement, iris électriques, dis que tu ne mens pas, dis que tu le penses vraiment. Sauf que la précision est accessoire, y a tout son être qui transpire l’amour, le sentiment qui dégouline du moindre de ses mots et il se tait un instant, Asher, suspendu, abattu en plein vol, les plumes qui éclaboussent l’asphalte en même temps que le sang. On bouffera de l’hirondelle, ce soir, elle n’a pas pu se faire totalement la malle. « J’te crois. » Soufflé, murmuré. Ça ne servirait à rien qu’il lui dise qu’il l’aime lui aussi, à rien du tout, il l’a déjà tellement dit que les mots ne font plus aucun sens, qu’ils sont devenus un simple agrément, un bonjour, un merci, rien d’utile et rien d’efficace, vu que ça n’a pas suffi à sauver leur couple. J’te crois, juste ça et ce n’est pas rien, il a lu dans ses yeux des choses nouvelles, des choses assumées, des choses qui se planquaient jusqu’à présent mais qui n’ont plus peur de sortir. Ça fout la trouille autant que ça galvanise, dague au creux des reins, picotements trop familier de la main qui menace de le lâcher au-dessus du vide, la sentence qui tombe rapidement. Bien sûr qu’il ne peut pas, bien sûr qu’il ne le fera pas. Il n’a pas vraiment beaucoup d’éthique professionnelle mais il est quand même pasteur, faudrait pas qu’il ait un vrai suicide sur les bras cette fois. Il se demande, Asher, et peut-être que c’est méchant, peut-être que c’est idiot, mais y a un bout de lui qui pense toujours que Toad enrobe les choses pour qu’il ne passe pas à l’acte, pour qu’il n’y pense plus, pour qu’il ne soit pas retrouvé une nouvelle fois avec une corde autour du cou. De l’amour, oui, de la culpabilité surtout. C’est pas grave, il prend tout, il n’a jamais été du genre à faire la fine bouche.
Bouche, d’ailleurs, qui se retrouve encore sur celle du pasteur, lèvres délicatement ouvertes, un baiser de trois, quatre secondes, un baiser d’adieu, un baiser d’à tout jamais. Les prunelles fixées dans les siennes au moment où ils reculent, lippes courbées en un sourire triste. « C’est pas des adieux, Baxter. » Baxter comme une plaisanterie, comme s’ils étaient deux camarades qui s’interpelaient dans une cour d’école. Qu’est-ce qu’il n’aurait pas donné pour le connaître au lycée, pour l’aimer à ce moment-là, pour être son Seth et pour qu’ils s’élèvent au lieu de se détruire. Ses parents auraient détesté ça, sûrement : raison de plus. « C’est pas des adieux. » Ça se répète beaucoup par ici, décidément, les mots qui roulent de nouveau sur la langue et une main qu’il pose sur le visage de son ami, paume plaquée sur la mâchoire alors que le pouce caresse doucement la pommette. Meilleur ami. C’est son meilleur ami, et c’est un sentiment qu’il n’échangera pas, jamais, c’est les matins à ne pas penser à autre chose qu’à l’appeler, les après-midi à vouloir se barrer du boulot pour aller le retrouver, c’est le Chopin joué à son oreille un soir d’été et l’orgue flambant neuf dans l’église pour un montant de trop de pipes pour pouvoir les compter. C’est la proximité même à sept-cent bornes, la promesse de ne jamais se perdre vraiment, l’abandon de s’éclipser pour laisser la place au mari, faire le sacrifice ultime juste pour qu’il soit heureux. C’est la vie qu’il abandonne pour lui, la vie et le bonheur et la complétude, l’impression d’être finalement totalement à sa place sans avoir bougé, comme si on avait posé des murs autour de sa carcasse et qu’on lui avait dit c’est ta maison, maintenant. C’est sa maison, Toad. « J’serai toujours le type qui fait joli au fond de l’église. Ou derrière l’orgue. » Il le ramène à la fois où tout avait dérapé, où tout avait pris un tournant inattendu, et il y a quelque chose qui se fendille dans son cœur même s’il ne le montre pas, parce que ça a des relents d’adieu, des reflets d’oubli, ça a le goût amer de l’amour qu’on quitte et de l’inconnu que l’on rencontre, et il ne sait pas vraiment comment faire si Toad n’est pas à ses côtés, s’il ne tient pas fermement sa main dans la sienne. Il ne sait pas comment s’y retrouver, comment patauger, comment nager dans la mer de tous les possibles, comment ne pas boire la tasse et continuer d’exister, parce que dans un océan d’incertitudes, il y a quelque chose qu’il sait, quelque chose d’aussi certain que deux et deux font quatre. Il l’aimera toujours. Il se demande juste à quel moment ça cessera de lui faire mal.
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MessageSujet: Re: god only knows (tosher)   god only knows (tosher) EmptySam 3 Mar - 19:50

C’est difficile, de lui adresser autre chose qu’un sourire triste, de pas s’accrocher désespérément à lui en s’disant qu’on pourrait peut-être, j’sais pas, arrêter le temps pour qu’on ait rien d’autre à penser. Qu’on puisse penser qu’à nous, être égoïstes mais sans blesser personne, sans la tourmente, sans plus avoir Seth dans la peau, logé dans le cœur comme une putain de balle de Magnum 357. Ça ressemble à des adieux, tout ça, le je t’aime qui quitte mes lèvres pour de vrai, après tout ce temps, l’honnêteté qui brûle la gorge, je t’aime et j’te crois, et on a l’air de deux beaux idiots bien pathétiques, trop proches l’un de l’autre sur un tabouret d’orgue, la chemise encore débraillée qui se souvient encore des mains indiscrètes glissées en-dessous, mon épiderme qui en redemande mais je ne dis rien, me contente de ce faible sourire rongé par la mélancolie quand nos prunelles se croisent à nouveau. Tout c’qu’on aurait pu être, toi et moi. Si j’avais pas eu cette vie, avant toi, si on s’était connus plus tôt, si on s’était aimés en premier. Tout c’qu’on aurait pu être, toi et moi, tout c’qu’on sera jamais à cause de toute ça, des mensonges et des erreurs et des cœurs trop paumés pour savoir c’qui est bon, c’qui est mal, c’qui pourrait les faire arrêter d’battre. Il s’était arrêté, mon cœur, et tu l’as redémarré, avec ta gueule de beau gosse, ton accent so british, ton orgue à la con et tes morceaux de piano au téléphone, avec tes baisers trop passionnés, tes mains qui crament quand elles me touchent et tes je t’aime dont j’voulais pas, que j’veux maintenant, et ton regard, Asher, t’as toujours eu c’maudit regard un peu triste, un peu absent, un peu brûlant. C’est pas des adieux, qu’il dit, et pourtant y’a ce vide qui se creuse, la distance qui revient alors qu’il vient de m’embrasser. Sa manière de m’embrasser, trop douce, trop pudique, j’la connais déjà, c’est la même que Seth, ce matin-là, y’a six ans, c’est la même que Seth et mes phalanges se resserrent sur ses poignets, pression délicate, pression quand même. Pars pas. J’me rappelle ce jour-là, à l’église, la fraîcheur de l’édifice comparé à la lourdeur de l’été au dehors, les peaux mises à nue en frissonnant, pas de froid, jamais de froid, j’me rappelle cette discussion qu’on avait eue, les marques de la corde que j’avais cru voir à son cou, trop présentes dans mon crâne, les bières sous l’autel et ma colère, puis les baisers. Parce qu’on était bourrés. Parce qu’on était tristes. Parce qu’on en avait besoin. Tous les deux. « T’es trop de choses pour moi, maintenant. » Trop de choses que tu étais, que tu es, que tu seras ou ne seras pas pour moi, tout c’que j’sais c’est que j’t’aimerais encore dans dix, vingt, cent, mille ans, et c’est tout c’qui compte, à présent. Je murmure à peine, les derniers mots qui s’évanouissent dans la nef, recouverts par le grincement sinistre de la porte de l’église, Magda qui apparaît dans sa robe du dimanche, qui me fusille déjà du regard. Je lui souris, lui fais bref signe de la main, puis elle me tourne le dos pour aller s’installer au premier rang. « Tu peux rester pour la messe, si tu veux. » Je libère ses poignets sans brusquerie, me redresse pour m’éloigner, lentement, à regret, regret qui pèse dans ma poitrine, mes yeux qui se posent sur le paquet toujours emballé, sur le banc. J’l’ouvrirai cette nuit, après la messe, après tout ça. J’me penche pour chuchoter à son oreille, « Enfin, j’veux dire. Reste, s’il te plaît. Ça me ferait plaisir », dépose un dernier baiser sur sa pommette avant d’rejoindre Magda devant l’autel.
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