Allongé sur son lit, il fixe le plafond, il a encore la gueule de bois. La tête douloureuse et l'estomac dans les talons, nauséeux. Ninel est dans le salon, il l'entend bouger des trucs. Peut-être qu'elle range le bordel qu'il sème sur son chemin. Ou peut-être qu'elle est venue faire ses affaires pour se tirer elle aussi. Il comprendrait. C'était Halina sa vraie famille, pas lui. Encore moins maintenant qu'il n'est plus foutu de veiller sur elle, plus capable de s'inquiéter pour elle. Au fond, il sait bien que ça fait un moment qu'il ne peut plus la protéger. Qu'il est passé du mauvais côté de la barrière. Il se souvient encore de sa main s'écrasant sur son visage cette nuit-là. Il se souvient s'en être voulu terriblement. Mais ce soir, ça ne lui fait plus rien. Il est complètement indifférent. Comme s'il n'était plus capable d'éprouver quoi que ce soit. Quoi que ce soit qui ne concerne pas Halina en tout cas. Il passe ses mains sur son visage, il a l'impression de sombrer dans la folie. Dans une mélancolie terrible qui le fait tourner au ralentit. Y a plus que son cerveau qui s'agite, qui se tord dans tous les sens. Il n'a plus d'alcool et suffisamment de conscience pour savoir que ce serait pathétique de se lever uniquement pour aller en acheter avant de rentrer. Il ne peut pas non plus aller s'abrutir devant la télévision puisque Ninel est dans le salon et qu'il la fuit comme la peste. Mais dès qu'il entend l'eau de la douche couler, il se lève sans plus attendre et il quitte leur petite maison sans craindre de la croiser. En arrivant dehors, sa chèvre lui bêle après, contente de le voir - c'est rare des jours-ci. Mais même avec elle, Jax n'a plus la patience. Il secoue la jambe pour la tenir à distance. — Lâche-moi Panini p'tain. La petite chèvre s'immobilise et baisse tristement la tête, ses grandes oreilles qui s'affaissent alors qu'elle pivote pour retourner de là où elle vient.

Il passe devant sa voiture sans s'arrêter, décide de marcher. Aussi longtemps que possible, enchainant clope sur clope. La dégaine sombre, il se fond dans le décor, devient une ombre parmi les autres dans l'obscurité de la ville. Il finit par sortir un peu de Savannah, les habitations deviennent de plus en plus rare, jusqu'à disparaitre totalement. Il passe non loin de l'ancien spot du crique mais prend bien soin de ne surtout pas y aller. Il n'est pas encore prêt, c'est trop tôt. Ses pas le conduisent finalement au vieux train abandonné. Il l'avait déjà vu de loin mais n'avait jamais pris le temps de s'y aventurer. Sans la moindre hésitation, il s'en approche. Plus loin à l'extérieur, des jeunes à l'allure douteuse s'éclatent autour d'un feu improvisé, hilares et bourrés probablement. Ça réveille la sécheresse dans sa gorge. Il secoue la tête et l'ignore avant de se hisser dans un wagon ouvert. Il observe vaguement l'endroit, ses yeux qui trainent au sol, sur les déchets, les objets abandonnés - quelques seringues aussi -, les tags qui recouvrent entièrement les murs. Des bruits de paroles attirent son attention. Il ralentit jusqu'à s'arrêter lorsqu'il voit une troupe débarquer devant lui. Ça pue les ennuis. Il reste stoïque, les mains dans les poches. Il aurait dû prendre son couteau, c'est ce qu'il se dit pendant une seconde. Avant de se rendre compte qu'il n'en a finalement même pas l'envie ; de se battre. Mais les choses tournent plus mal que prévues encore. — Putain j'y crois, r'gardez qui va là ! Il fronce les sourcils, intrigué, cette voix lui semble familière. Et de la bande se détache un homme en particulier, qui vient se mettre devant. Jax se redresse et inspire profondément en le reconnaissant. C'est un client d'Ellis, qui a violemment tabassé il y a quoi, un mois de ça ? Jax ne bouge pas, ne tente même pas de prendre la fuite - il est résigné. — Alors, il est où ton couteau enfoiré ? Hein ? Il ricane, il est en confiance parce que toute sa bande est avec lui et que Jax est seul. Mais ça ne l'effraie pas pour autant. Il reste juste indifférent, les mains toujours enfoncées dans ses poches de blouson. Il attend la déferlante, patient. — Les gars, c'lui le gros bras d'Ellis. Et aussitôt, les esprits s'échauffent. Il ne faut pas plus de 10 secondes supplémentaires pour que la horde de prédateurs se jette sur lui pour le dévorer.

Les coups qui pleuvent de tous les côtés, Jax qui s'écroule rapidement à terre, qui ne proteste même pas. Il n'a plus le goût à jouer des poings. Il protège sa tête et attend que la tempête passe. Mais elle s'éternise et très vite son esprit s'embrouille sous la violence des coups répétés. Le sang qui gicle, le nez qui craque et ça continue comme ça pendant trop longtemps. Jusqu'à ce que le calme revienne. Les rires satisfaits s'éloignent de lui et très vite le silence l'enveloppe. Son corps fracassé, glacé, il n'arrive même plus à bouger. Il reste allongé là, sur le sol dégueulasse du train. Y a du sang partout, sa tête est méconnaissable et il peine à rester conscient. Sur ses fringues noires on peut voir les traces des coups donnés à répétition, son corps complètement meurtris. Il n'est plus qu'un amas de douleur et il peine à respirer. Et pourtant, ça lui semble dérisoire face à sa détresse émotionnelle abrutissante.

Bruits de pas. A semi-conscient, Jax ne bouge pas mais dans sa tête, ça fuse. Colère soudaine qui gronde et qui monte en lui, qui envahit tout. Qui semble vouloir devenir reine sous son épiderme, prendre sa place et chasser la nonchalance qui l'accable depuis le départ d'Halina. Comme si les coups qu'il avait pris quelques instants auparavant lui avaient remis les idées en place. La sonnette d'alarme venait d'avoir été tirée et Jax semblait vouloir s'extirper de ce coma brumeux dans lequel il avait sombré.

Il cligne lentement des yeux lorsque la flamme d'un briquet jailli devant lui et il aperçoit le visage d'un inconnu. Ce n'est pas un des mecs de tout à l'heure et il doit reconnaitre que c'est plutôt une bonne nouvelle - il l'espère. Le mec n'a pas la tronche d'un vagabond qui tenterait de lui faire les poches, profitant de son état pour pouvoir le faire sans rien craindre en retour. L'homme soupire et le fixe, il a l'air exaspéré par sa présence. Encore plus par son état et Jax se braque - même si ça ne se voit pas sous la couche de sang et les gonflements. Pourquoi s'est-il arrêté ? Il aurait pu faire comme l'aurait fait la plupart des alcooliques du coin qui seraient passés devant lui : faire comme s'il n'avait rien vu. Peut-être est-ce un homme d'Ellis. Mais ses traits ne lui disent rien et il est persuadé de les avoir déjà tous rencontrés. Et puis, soudain, lui tombant dessus sans que ça n'ait aucun sens. — T’aurais pas vu un paquet, toi ? Un paquet ? Il ne réagit pas, encore dans un état légèrement second mais très vite, une idée germe dans sa tête. Il veut sa revanche, il veut se venger de l'enfoiré qui l'a foutu dans cet état. Lui et tout ses sbires. Mais tout seul, il n'a aucune chance d'y parvenir. Ses yeux glissent sur la carrure de l'inconnu et s'attarde sur son air sombre. A deux néanmoins... Les choses lui semble faisables. — Bon ben moi, c’est Attila. Au cas où tu doives attester aux flics que c’est pas moi qui t’ait collé sur la tronche. Viens… C'est plus fort que lui, il échappe un léger ricanement malgré la douleur que ça provoque le long de sa colonne vertébrale. Il s'agrippe à l'homme quand celui-ci l'aide à se redresser et il s'appuie sur lui pour s'aider. Dès qu'il est en position assise, le dos appuyé contre une des parois du train, il le relâche et souffle péniblement, complètement démoli de l'intérieur. Ils n'y sont pas allés de main mort, Jax déguste. Mais il serre les dents et encaisse en silence, comme il a toujours fait. — Les flics... Qu'il marmonne tout en attrapant le bas de son t-shirt pour venir s'essuyer le visage tant bien que mal. — Aucun risque. Quand on a pas de papiers et que les flics ont arrêté la moitié de son entourage, on évite d'aller les voir. De toute façon, les flics et les gens du cirque ça a toujours été comme chat et chien. C'est ce qu'on lui a toujours montré en tout cas. Ne pas s'y fier, ne pas les respecter, ne pas se laisser attraper. Au-dessus des lois du pays, lui et sa troupe avaient les leurs. Et c'était bien suffisant. Il marque une pause, rassemble ses pensées avant de relever le regard vers Attila. — J'ai vu un paquet, ouais. Il ment, sans le moindre scrupule. Il est calme, le ton posé et sûr de lui. Il sait très bien où il va. — J'imagine qu'les mecs qui sont partis avec m'ont pris pour toi. Ça expliquerait qu'ils m'soient tombés dessus sans raison apparente. La rage qui brûle au fond de ses yeux clairs, l'envie d'obtenir réparation qui gronde dans ses veines. — J'sais où ils sont allés, j'les ai entendu l'dire. C'est encore faux, mais il connait très bien l'adresse de leur petit chef puisqu'il était déjà allé lui rendre visite pour lui faire cracher quelques billets le mois dernier. Jax esquisse un léger sourire, un truc tordu sur sa gueule cassée. Il sait des choses - prétend savoir en tout cas - mais il n'est pas prêt à les livrer gratuitement.