✧ 01 Carmen Rivera et sa manie d’enchainer les hommes. Un premier, puis un autre et encore un autre. Tous y passent, du blond au roux, africain ou chinois, elle n’en a jamais assez. La seule constante c’est ses gamins, tous mélangés avec une touche d’authenticité. Alice est la deuxième gosse de toute la famille et la seule fille. Pour son plus grand malheur.

✧ 02 La marmaille qui court partout, les gosses qui s’entassent, entre  cousins et frangins ça se bouscule dans les lits pour tenir. Alice c’est une des plus grande, la deuxième après Samson, celle qu’est censée prendre des responsabilités et aider les autres. Trop souvent qu’elle sèche les cours pour bercer les gamins, trop souvent qu’elle dort pas la nuit parce que le dernier fait ses dents.

✧ 03 Son père c’est le genre de mec survivaliste. Il a pas fait long feu avec Carmen, faut dire qu’à vouloir chasser les fantômes et intercepter la radio des voisins pendant qu’il prenait leur chien en photo, c’était pas vraiment classe. Mais depuis que Carmen l’a foutu dehors, Alice passe régulièrement du temps avec lui, dans la forêt ou sur la route, à chanter à tue tête sur des vieux tubes usés. Les Doors, Chuck Berry ou encore Black Sabbath ou un relent de Metallica. D’ailleurs son père aime gueuler à qui veut l’entendre qu’il a nommé sa gosse Alice pour Alice Cooper et non cette putain de blonde au nez enfariné qui entend des fleurs parler.

✧ 04 Les études elle a jamais été douée la gosse, faut dire qu’elle a pas vraiment eu le temps pour ça. Trop souvent absente, trop souvent occupée à remplacer sa mère ou sa tante, à sortir les gamins ou à courir après les ptits jobs pour emmagasiner des piécettes pour s’acheter des bonbecs ou la dernière cassette du film d’horreur populaire. Elle a arrêté dès qu’elle a pu un an de lycée puis terminé. Y avait d’autres choses plus passionnantes à faire que de rester le cul vissé sur les bancs de l’école.

✧ 05 Mais elle a eu le temps de se découvrir une passion qui a fait d’elle l’Alien de sa famille. C’est les mots, les lettres, les phrases qui se forment et les jeux de mots. Y a les heures passées à dévorer les livres empruntés à la bibliothèque, les yeux explosés à force de lire à la lueur de la lampe torche sous la couette. C’est la facilité d’abord, les rimes enfantines de Lewis Carroll pour commencer jusqu’aux vers alambiqués de Dickinson en passant par la poésie noirâtre d’Edgar Allan Poe. Elle dévore de tout Alice, sans cesse, sans jamais s’arrêter. Toujours un livre sur elle, même en soirée, on sait jamais elle pourrait s’ennuyer.

✧ 07 Alice elle écrit aussi. Poète médiocre elle ne se proclame pas en tant qu’artiste. Mais elle écrit. Des heures durant à noircir des pages et des pages de cahiers durant ses insomnies. C’est toujours autour d’un café dans diner miteux aux alentours de 4h du matin qu’elle sort les vers les plus brillants. Elle partage pas trop Alice, c’est rare qu’elle montre, parce que c’est personnel. Parce que c’est réel.

✧ 08 Alice elle a toujours eu du mal avec les sentiments. Peut être parce qu’à force de voir sa mère toujours faire foirer elle a eu une vision biaisée de l’amour et de l’amitié. C’est la princesse de glace Alice, celle qu’on touche qu’avec les yeux, et bien trop rarement avec les mains. Elle a déjà essayé, les hommes, les femmes aussi. C’est pas qu’elle aime pas ça. Au fond si l’envie lui prend elle dira surement pas non. C’est juste qu’il y a plus intéressant. Alors elle se protège Alice, enferme son cœur dans un tiroir et elle avale la clé. Y a pas beaucoup de gens qui ont réussi à la retrouver.

✧ 10 Seize ans. Des souvenirs, et sa mère qui la fout à la porte. C’est pas méchant. C’est juste pratique. L’appartement devenu trop petit pour tous les mioches, et les grands qui doivent prendre leur envol. Y a toujours de la place pour toi mija qu’elle lui a murmuré Carment avant de lui foutre son sac dans les bras. Alice elle a pas voulu rejoindre son père. Trop loin dans le Nebraska. Mais elle a fait comme il lui a toujours apprit. Elle est débrouillarde Alice, grâce à lui elle sait comment trouver un appart inhabité, forcer une serrure ou encore activer l’électricité. Pas con le daron.

✧ 11 Elle a enchainé les métiers Alice. Livreuse de journaux, livreuse de lait, testeuse de crèmes glacées ou bien sujet pour des essais cliniques. Elle a passé le balais à l’université, elle a laissé des apprentis coiffeurs s’essayer sur sa crinière indomptable, elle a même une fois déambulée dans les rues déguisée en hot-dog pour promouvoir un nouveau fast-food sur Tybee Island. Elle aime la nouveauté Alice, essayer des trucs pour ne jamais se lasser. Mais depuis quelque temps elle se stabilise.

✧ 12 Actuellement elle vend des fleurs sur son stand dans la rue pour l’Ecume des Jours tenue par Minerva. C’est pas tous les jours, c’est quand elle a le temps. Le plus souvent elle joue le rôle d’Escort Girl. Souvent on se méprend sur son métier. On pense qu’elle couche contre de l’argent. Mais non. Alice elle tape dans le légal. Pas l’illégal. Son métier c’est tenir compagnie aux esseulés autour d’un verre, d’un diner ou tout simplement d’une balade dans la ville. Son métier c’est discuter, c’est embrasser parfois, pour réconforter. Elle vend son temps et ses sentiments contre de l’argent. Mais jamais autre chose, rien de vraiment dégradant.

✧ 13 Y a eu des hauts et des bas. Surtout beaucoup de bas. Y a eu les travers de la vie, la mélancolie de l’adolescence et l’impression de couler. Y a eu les rencontres, de squat en squat et les copains de Samson son frère aîné. Y a eu l’alcool, y a la musique, y a eu les soirées à se déchirer sur la musique, les genoux en sang de finir à quatre patte sur le gravier pour vomir ses tripes. Y a les trous noirs, les trous de mémoires, les lits des inconnus et puis la drogue. La putain de drogue. Merci Samson. Au revoir Samson. Elle a pas vraiment comprit comment ça s’est passé Alice. Peut être trop occupée à chercher comment rêver, à se perdre dans des tripes de LSD et de Morphine, la douceur des cachets et le spleen au réveil. Elle en veut encore à son frère de l’avoir trainé sans jamais lui tendre la main pour la sortir de là.

✧ 14 Vingt ans ou presque, la misère et un père qui serait surement désespéré devant sa gamine incapable de prospérer. C’est la zone dans les immeubles désaffectés, les mêmes bouquins à ressasser encore et l’impression de tourner en rond dans une bulle asphyxiante. Puis y a eu la lumière. Y a eu deux gars. Deux gars de rien du tout. Y a eu Rhoan. Y a eu Moe. Y a eu les deux gamins aux mêmes travers qu’elle, au passé déglingué et au futur incertain. C’est l’alchimie entre eux. Terrible, terrible alchimie. C’est les sourires de Moe et les rires de Rhoan. C’est le trio qui s’enchaine et qui s’enflamme. Elle fait tomber la carapace pour la première fois Alice, elle leur offre son cœur sur un putain de plateau.

✧ 15 STELLARR 505 où la période d’absolution. Le corps qui se nettoie de toutes les addictions, la passion et l’envie de se jeter corps et cœur dans une entreprise phénoménale. C’est les idées menant à d’autres et ainsi de suite jusqu’à construire un putain de château. STELLARR 505, Rhoan, Moe et elle. Hellebore sur scène et le micro greffé à la main. Elle chante pas si bien que ça Alice. Elle danse pas non plus si bien. Mais y a cette énergie du désespoir qu’elle met quand elle est sur les planches. Elle brille Alice. Elle brille dans le noir. Et ses deux compagnons en font autant. Ils partent de rien pour finir par monter. De petit groupe anodin, ils finissent par rencontrer le succès. Et elle vit presque plus que pour ça Alice. Pour la foule, pour les rires, pour les cris et les larmes. Pour les paillettes balancées, les gueules peinturlurées et l’extase qu’elle en tire. Mieux qu’un trip. Mieux qu’un shoot. Putain d’orgasme sensoriel.

✧ 16 Alice elle essaye tout. Son moto c’est tant que t’as pas essayé tu peux pas dire que t’aime pas. Alors elle change. Un jour elle est végétarienne, le lendemain elle fait un régime gluten free, la semaine suivante elle milite avec greenpeace pour décide de se convertir au bouddhisme. C’est dur de la suivre dans ses expérimentations étranges. Mais ça fait partie de ce qu’elle est. Grace à ça elle s’est découvert une passion très jeune pour les films d’horreurs vintage en allemand (surtout quand ça parle de zombie), les jeux de rôle grandeur nature (qui n’a jamais rêvé de jouer une elfe niveau 237689 qui peut lancer des sorts avec ses oreilles), le lait de riz à la fraise (lactose free et en plus c’est rose) ainsi que les marchés aux puces, aussi bien en tant que vendeuse qu’acheteuse (parce qu’il n’y a rien de plus passionnant que d’échanger un t-shirt du concert de Prince en 1998 contre une édition collector de Vingt Milles Lieux Sous Les Mers.) Bref joyeux bordel dans son sac et dans sa tête.

✧ 17 Alice c’est les aléas de la vie. C’est 22 ans et le corps qui chute, c’est la douleur dans le creux des reins et l’impression que des aiguilles s’enfoncent dans sa chaire. Trop jeune. Pourtant. Merci papa, encore une fois, foutue génétique pourrie et la loterie de la vie. Alice elle souffre de Sclérose en plaque sous forme précoce depuis cet âge-là. Elle est malade Alice et elle ne s’en cache pas. Elle fait tout pour soulager la chose, pour mettre toutes les chances de son côté. Elle se soigne comme il faut, les médicaments et la thérapie qui va avec, elle déconne pas Alice. Elle déconne plus. Parce que sa vie elle y tient malgré ce qu’on pourrait penser.

✧ 18 Elle a les yeux revolver Alice, et la manie de vous faire ravaler vos mots en un seul regard. Elle est pas grande pourtant, pas si impressionnante que ça. Mais elle a ces foutues cernes sous les yeux en permanence et la bitch resting face qui refuse de partir. Jamais de sourire plein, ou de rire complet, pourtant c’est pas faute d’essayer. Elle est pas triste Alice. Pas méchante non plus. Y a juste ce mur qu’elle arrive pas à balayer. Pis y a les griffes, des années à se battre dans les squats pour conserver sa place et son trône, la lame facile quand on vient l’emmerder, elle hésitera pas à taillader. Elle déconne pas Alice. Elle déconne jamais.

✧ 19 Alice elle se retrouve à basculer. Elle sait plus comment ça a merdé, un peu comme Rhoan ou Moe, la pente glissante qui refuse de les laisser atteindre le sommet. C’est quelques cachets pour la douleur sur ordonnance, puis une boîte, puis la suite. C’est la morphine dans les veines et la promesse des nuits sans rêves. Elle lutte Alice. Elle lutte pour quitter le Pays Imaginaire, refusant d’écouter le Lapin Blanc et de sauter dans le trou. Mais c’est difficile parfois. Trop souvent. Et la volonté qui suit pas.

✧ 20 Parfois elle se dit qu’elle aurait aimé continuer les études. Alors elle fait semblant Alice, elle joue le jeu parfois. Elle s’habille un peu plus proprement, met du rouge sur les lèvres et s’installe sur les bancs de l’université. Elle comprend pas grand-chose, ou peut être un peu trop. Elle se prend pour une étudiante Alice, avec ses carnets écornés et sa trousse remplie de stylos mâchouillés. Elle se dit qu’avec l’argent qu’ils commencent à gagner, elle pourrait économiser, pour recommencer.