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 bombe humaine (intrigue, niaivak)

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Daire Méalóid

Daire Méalóid
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▹ signe particulier : elle est atypique, daire. des tâches de rousseur prononcées, l'accent bourdonnant de l'irlande du nord, la peau encrée et la clope au bord des lèvres. une balle dans la poitrine, et une nouvelle cicatrice sur son bas-ventre.
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MessageSujet: bombe humaine (intrigue, niaivak)   bombe humaine (intrigue, niaivak) EmptyDim 15 Juil - 13:54

La lumière de son téléphone éclaire les éphélides de son visage l’espace d’un instant, le temps que les mots – pourtant déjà imprimés dans sa rétine – s’égarent sous son regard. Une poignée de lettres hasardeuses s’affichent sur l’écran blafard, se mélangeant sans pour autant perdre de leur sens. Daire s’imagine sans aucun mal l’intonation nasillarde de la voix qui pourrait les prononcer, les tremblements de la main qui pourrait les écrire avec peine sur du papier. Elle perçoit les difficultés appréhendées pour retranscrire le message correctement, avec certainement toute la bonne volonté du monde –  mais une volonté qui reste aliénée par une force qu’elle n’a jamais pu combattre à armes égales. J’ai plus rien, j’ai besoin de toi ma leprechaun. Viens vite stp. Un tas de fautes, de l’incompréhension pour le commun des mortels, mais la signification du message est limpide pour la concernée. Un sous-entendu récurrent depuis des années, si bien qu’elle n’a plus besoin de lire entre les lignes ; l’intention est claire, les attentes bien grandes. Et le choix est absent, elle le sait pertinemment. Quand la mère déchue est en manque, l’enfant rescapée n’a d’autres possibilités que de régler au plus vite ce problème. À cette heure perdue de la nuit, alors que l’écran s’éteint enfin et que les premières gouttes de pluie s’échouent dessus, la vieille maison en pierres aux légendes et chants révolutionnaires auprès de la cheminée lui semble bien lointaine. D’une époque révolue, la lumière du phare s’est éteinte de la pire manière qui soit, sans aucune dignité, sans aucune conscience pour ce qui est laissé à la dérive. Daire range son portable et passe une main dans ses cheveux emmêlés, les traits du visage figés dans une grimace entre l’exaspération et la méfiance. Les yeux posés sur le feu de circulation du carrefour au bout de la rue, le regard perdu dans le vide. L’immeuble dans l’ombre duquel elle se trouve protège négligemment sa silhouette de la pluie mais elle ne s’en préoccupe pas, de l’eau qui perle sur ses vêtements usés, du vent qui agresse son visage marqué par de nouvelles traces par-dessus les dernières qui n’ont pas eu assez de temps pour disparaître. Ce temps qu’elle n’a plus mais pourtant qui s’émiette perpétuellement autour d’elle, comme un édifice en disgrâce tombant en poussière pierre après pierre. Daire avait reçu le message à minuit, alors qu’elle s’enfilait une bouteille de vodka en solitaire au bord de la fenêtre de sa chambre – elle avait attendu une bonne heure avant de se décider à réagir. À croire que la présence humaine, même celle de ses proches, n’est plus suffisante pour éteindre les démons de son âme et le bourdonnement de ses veines. Au bord de la crise de nerfs, de la connerie trop grande ou de l’aller sans retour, du précipice – au bord de tout un tas de choses qui l’accablent ce soir plus qu’un autre, quand son propre esprit devient un supplice. Un frémissement lui secoue l’échine sous l’humidité d’une énième bourrasque glaciale et la machine abîmée s’ébranle à nouveau, faisant disparaître la tignasse rousse sous un casque avant d’enfourcher la bécane sans guère de considération pour l’assise trempée. Encore moins pour les conditions météorologiques et son taux d’alcoolémie qui sont loin d’être idéaux pour une conduite prudente sur un deux roues. Lorsqu’elle se penche en avant, la crosse du flingue lui rappelle sa présence, dans une sale impression de lui brûler la peau en même temps que la présence étrangère près de son myocarde. Plus que les évènements des dernières semaines, son instinct ne lui souffle pas uniquement de prendre les précautions nécessaires : il lui hurle que quelque chose de mauvais surplombe les fautes d’orthographe d’un simple sms égaré dans la nuit. La moto dérape sur le bitume humide du trottoir dans un rugissement du moteur avant de rejoindre la route, puis de disparaître au premier virage dans un crissement des pneus.
Que la nuit en soit témoin, l’âme esseulée part une nouvelle fois au combat.
 
Il pleut toujours quand elle coupe le moteur de la bécane et ôte son casque, garée le long du grillage de la maison pavillonnaire en décrépitude. Dans ce coin du quartier, c’est comme si toutes les bicoques tombaient en ruines ; égarées dans cette frontière entre l’effervescence du cœur de la ville et les bassesses de l’underground, les familles d’ici sont dans cet entre-deux comme une absence d’appartenance à un clan. Les vêtements trempés collés à la peau, quelques mèches rousses plaquées sur son visage, Daire a pourtant toute l’allure de l’éternelle tempête en débordement au bord de son épiderme brûlant. Elle s’avance prudemment dans l’allée, consciente que les rideaux aux fenêtres ne masquent pas réellement sa présence et que la lumière filtrant au travers projette son ombre vers la route. L’absence du taudis à quatre roues devant le garage manifeste également l’absence de son beau-père, et c’est certainement pour cette raison que sa mère a essayé de la joindre si tardivement. La porte n’est pas fermée à clés, mais elle n’a aucun souvenir que ça ait été le cas un jour – demeure du blasphème ouverte au monde, sans que le monde n’ait envie de mettre un pied dedans. Une réputation de camée tarée, c’est tout ce qu’il faut pour tenir les autres loin de soi. Tout ce qu’il faut pour ne prendre aucune précaution, pour laisser entrer un mal insoupçonné. « Gladys ? » l’écho de sa voix l’accompagne à mesure qu’elle avance dans le vestibule, pour se perdre dans le salon en désordre. Son regard se pose sur l’écran de télévision allumé, le son en sourdine attestant de ce bruit de fond qu’affectionne particulièrement la droguée dans son naufrage. Puis ses yeux constatent l’ampleur de la déchéance sur la table basse quand elle s’approche, effleurant les coutures usées du canapé en déposant son casque sur l’accoudoir. Le plaid laminé qu’elle connait si bien est là, mais sans le corps habituel dessous. « Gladys ?! » qu’elle appelle une nouvelle fois, plus fort, en jetant un coup d’œil dans la cuisine. Un soupir s’égare au bord de ses lippes tandis qu’elle tourne sur elle-même pour rejoindre l’escalier, non sans jeter un regard vers l’étage au préalable. Plusieurs lumières sont allumées là-haut également, bien assez pour projeter son ombre contre le mur lorsqu’elle gravit les marches. Son pied trébuche sur le cadavre d’une bouteille d’alcool, ayant le mérite d’engendrer une flopée d’injures dans un accent étouffé. Elle ne sait pas vraiment quoi d’entre la porte de son ancienne chambre ou de la silhouette qu’elle perçoit sur le lit de la pièce voisine lui procure un frémissement désagréable, dans le fond peut-être un peu des deux. Un peu de tous les souvenirs rattachés à ces lieux, ceux froissés dans les larmes et ceux qu’elle n’a jamais eu la chance d’avoir. Daire pousse la porte de l’autre chambre en soupirant une nouvelle fois, non sans pousser du pied un tas de fringues sales pour se faire un chemin convenable. « P’tain d’merde Gla- » L’exaspération meurt dans sa gorge en même temps que les miettes incandescentes d’une enfant oubliée s’éteignent au fond de son cœur. La matriarche déchue est bien là, allongée de travers sur le lit, ses longs cheveux d’un roux terni par les vices en bataille et les vêtements délavés froissés. « Maman ? » Les yeux grands ouverts, figés vers le plafond, une seringue encore plantée dans le bras et l’écume aux lèvres. L’information peine à être assimilée alors qu’elle reste hésitante devant le lit, les bras ballants le long du corps. L’heure de réception du message la frappe soudainement, minuit l’heure du crime. C’est la première pensée qui lui vient, en raccord aux circonstances mais dans la plus grande incohérence avec la situation. Puis elle prend conscience des tâches dans le cou de sa mère, du vomi présent sur la couverture trouée, et comprend que Gladys a eu le temps de regarder la mort dans les yeux. Elle se demande bêtement quel visage elle a vu en dernier, celui de son défunt époux, de sa fille disparue trop jeune, de son fils oublié en Irlande ou de sa fille qu’elle a abandonnée à la rue ? Enfin elle réalise, non pas l’absurdité de son encéphale en dysfonctionnement, mais celle de sa raison ici. Comment sa mère s’est-elle procurée une dose assez forte pour lui terminer la partie, alors qu’elle n’a pas d’argent et qu’elle a joint sa fille pour cette raison précise ? Au même instant, elle perçoit la présence dans son dos et l’ombre qui se mêle à la sienne sur le cadavre de l’irlandaise, mais ne réagit pas assez rapidement alors qu’elle sent le poids de son arme la quitter et le canon de celle-ci ou d’une autre effleurer l’arrière de son crâne. « Sois mignonne, ne t’agite pas cette fois. » Fuck, fuck, fuck.
 
Elle reconnait sans peine le timbre de la voix, l’accent chantant de sa contrée natale. Un visage s’impose à elle sans même qu’elle ne puisse l’apercevoir, aussi bien qu’elle s’était promise de ne jamais oublier ses traits, il avait pris soin de lui graver dans la chair. Daire garde les mains en évidence, un peu trop consciente de la situation précaire dans laquelle elle se trouve alors qu’elle n’a toujours pas assimilé le décès par overdose de sa mère. Le corps se bouge et vient lui obstruer la vue, le flingue toujours pointé vers elle mais cette fois-ci sur son front, elle peut désormais le dévisager dans le fond de ses prunelles grisâtres. « Allez, bouge. » Il la pousse vers l’arrière, l’obligeant à sortir de la pièce puis à descendre les escaliers pour rejoindre le salon. Aucun mot n’a franchi ses lèvres pincées, mais c’est tout le contraire dans ses pensées en plein régime. Elle entend l’autre ricaner dans son dos quand il regarde ses poings se serrer, et ça la fait enrager d’autant plus. De son impuissance, du rapport de force à son désavantage, de l’irlandais de merde qui la menace à nouveau après l’avoir plantée quelques semaines plus tôt. « Ils sont où tes potes ? Ils ont compris qu’t’étais une merde, ils t’ont lâché ? » La provocation pour seule défense, tout ce qu’elle a toujours été dans son insurrection. Le métal froid lui cogne l’arrière du crâne, assez brutalement mais pas assez pour la déstabiliser dans sa marche. « Ta gueule ! » Elle s’arrête au milieu du salon quand elle n’entend plus les pas de l’autre et se retourne pour le dévisager – l’arme est toujours dans sa direction, mais une distance mesurée sépare les corps. « Tu déterres les cadavres maint’nant ? » Son mépris est palpable, il n’y a plus vraiment d’arrogance dans ses prunelles bleuâtres, seulement de la haine. D’autant plus lorsque l’irlandais rigole une nouvelle fois, à gorge déployée. « Tu serais arrivée quinze minutes plus tôt, elle aurait sûrement pu entendre tes dernières paroles. » Et elle comprend, Daire. Qu’il est celui qui lui a envoyé le message, celui qui a piqué sa mère, celui qui l’a amenée à l’overdose. Elle comprend, que sa mère a été assassinée et que le dernier rempart de sa loyauté familiale s’est effondrée dans la plus grande injustice, pour la poussière d’un autre cadavre qui ne se trouve même pas en ces terres – elle en est toujours persuadée. Un poids incommensurable s’échoue sur ses épaules, comme une fatigue qu’elle ne surmonterait jamais. Comme le corps d’une enfant abandonnée, devenue orpheline de manière brutale. Ses entrailles s’enlisent dans l’acidité de la culpabilité et de la rancune, mais surtout dans la colère monstre qui s’enlise dans chaque parcelle de ses vaisseaux sanguins. En même temps que son corps s’accable, sa conscience s’enflamme – et d’une manière très nette, elle ressent soudainement le besoin pressent d’arracher le visage de l’assassin, de s’écorcher la peau contre ses péchés, de se perdre dans l’aveuglement de sa rage pour ne plus avoir à supporter la réalité. Ses gestes s’enchaînent mécaniquement, portée par une nécessité de néant, de chaos, de tout réduire en cendres. Elle plonge vers l’irlandais si vivement qu’il n’a pas le temps de réagir, le coup de feu part en même temps que son corps bascule, déviant ainsi la trajectoire du geste. La balle effleure sa joue dans une odeur de soufre et de chair légèrement brûlée, mais la seule pensée qui lui traverse fugacement l’esprit est que son corps est bulletproof – Belfast en a été témoin. L’homme lâche le flingue quand son dos heurte brutalement le carrelage sous l’impulsion de la rouquine, et l’arme glisse hors de leur portée immédiate. Daire se prend un revers bien assez fort pour la faire basculer sur le côté et l’irlandais se retrouve sur elle en moins d’une seconde. Au bruit de leurs souffles emmêlés, elle entend ceux des quatre autres qui manquent à l’appel. Au bruit des coups de poings échangés et des râles rauques échappés, elle entend les coups reçus dans le vestibule de son immeuble. À l’odeur du sang qui survient, elle ressent celle de la flaque d’hémoglobine dans laquelle Novak l’a retrouvée.
 
Le passé et le présent s’entrechoquent vulgairement, occultant le cadavre dans la chambre à l’étage ; oubliant ce qu’elle a vu, ce qu’elle ne veut pas entendre, ce qu’elle ne peut pas accepter. Même la douleur de son corps lui parait lointaine, dérisoire, comme si elle la ressent à travers un écran. Daire ne perçoit que la présence de l’irlandais sur elle, l’odeur chaude de sa peau qui lui retourne l’estomac et le mordant de ses gestes qui lui entament la peau. Il n’y a plus que l’adrénaline dans ses muscles, plus que le poison dans ses veines ; plus que la nécessité d’annihiler tout ce qu’il représente et tout ce qu’il a fait. Œil pour œil, dent pour dent. C’est ce que la rue apprend, ce que la vengeance engendre. C’est la seule option qu’elle a envisagé des nuits durant alors que le sommeil s’est fait absent, alors qu’elle n’a jamais pris le temps d’attendre de se remettre de ses blessures, et qu’elle est retournée s’arracher les poings sur le moindre merdeux qui croisait le chemin de sa guérilla personnelle. Tout ce qui fait la faiblesse de son corps mais la force de sa conscience, à ce moment précis. Quand les muscles gémissent d’une souffrance de trop et d’épuisement, sa rage décuple sa volonté et ses gestes. Elle parvient à repousser l’irlandais et leurs pieds se croisent alors, tandis qu’elle atteint son entre-jambe, il lui fait claquer l’arrière du crâne sur le carrelage. L’espace d’un instant le temps semble se suspendre, ne retentissent que les insultes de l’homme et le gémissement de la rouquine, sonnée par le heurt mais consciente des quelques secondes précieuses qu’elle vient de gagner. L’autre se recule dans la surprise de cette douleur, alors elle se redresse péniblement et se rend compte qu’elle a probablement un point ou deux qui a sauté de la blessure sur son bas-ventre – blessure qui n’aura certainement jamais la chance de cicatriser correctement. Elle titube sur quelques pas, son talon envoie l’arme à feu encore plus loin mais elle ne cherche même pas à la récupérer. Sa vision est obstruée, probablement sous les contusions enflammées de plusieurs parties de son visage – mais voir le visage en sang de l’irlandais lui donne la satisfaction nécessaire pour compenser ce mal. « Sale pute ! » Il s’est encore éloigné, cherche à reprendre son souffle tout en s’essuyant le nez avec le dos de sa main. « T’es cinglée ! » La remarque effleure son encéphale dans un étrange mélange d’amusement et d’accablement, alors qu’un rire dénaturé ébranle sa cage thoracique. Éclats de désespoir et de haine, désabusée de la conversation qui n’a pas lieu d’être. « Putain mais ferme ta gueule ! » Il sort un deuxième flingue de sa ceinture – le sien cette fois-ci – pour le pointer vers et elle se demande simplement s’il mettra un terme à la névrose de son âme, enfin. Il refait deux pas vers elle et elle ne bouge pas, indifférente au danger immédiat alors que la peur lui a toujours fait défaut dans son existence. « Dis-moi où se cache ton frère ou t’es la prochaine. »  Il s’impatiente, s’agace quand elle lève les yeux au ciel en l’insultant d’enfoiré, reste fébrile sur ses appuis – et c’est tout ce qu’il lui faut. « Qu’est-ce que tu fous ? » Elle défait la fermeture éclair de sa veste sans le quitter du regard, ne manquant pas de lui décharger toute la haine qu’elle ressent à son égard. Elle sent qu’il n’y pas que l’humidité qui colle ses vêtements à sa peau désormais et elle peine à se défaire des manches. « J’ai chaud avec tes conneries. » elle grommèle, fronce les sourcils et au moment où elle parvient à ôter sa veste complètement, elle se penche sur le côté de manière à lui cacher ses gestes. Tout ce qu’il voit, c’est le vêtement qu’elle balance sur la table du salon ; mais il n’a pas pu se rendre compte du couteau papillon qu’elle a sorti de sa poche en même temps. Déjà déplié, tenu fermement le long de son bras, hors de portée de vue. « J’ai rien à t’dire. » L’irlandais s’énerve vraiment, se rapproche à grandes enjambées pour lui saisir le col de son t-shirt de ses deux mains mais il n’a pas le temps de l’insulter ou de parler d’avantage, la lame du couteau s’enfonce brutalement dans la chair de la main qui tient l’arme, l’obligeant à tout lâcher une nouvelle fois sous la douleur. Il se recule dans un hurlement de rage, et les deux se rendent compte en même temps que la fureur de la rouquine a fait traverser la simple lame de part et d’autre de la main. Elle veut profiter de la diversion pour s’échapper, pour se saisir d’un flingue une bonne fois pour toute mais il la cogne si fort qu’elle s’écrase contre le mur, se baissant juste à temps pour éviter le coup suivant. Il n’a même pas pris la peine d’enlever l’arme blanche plantée dans sa chair, la colère lui déforme les traits du visage et de nouveaux coups s’échangent alors que Daire est à bout de force. La danse sanglante les amène valser jusqu’à l’entrée de la cuisine où elle se retrouve à nouveau au sol, obligée de ramper dans la pièce pour se mettre hors de sa portée.
 
Tout est en dysfonctionnement, les corps, les raisons, les paroles. Plus rien n’a de sens dans ce monde en décomposition, seuls des éclairs de lumière traversent les neurones de la tempête – elle n’a que son cerveau pour la sortir de cette situation, comme elle l’a toujours fait pour les siens. Toujours une solution à chaque problème, même quand le problème en question est une menace de mise à mort. Tout s’enchaîne rapidement dès lors qu’elle se redresse en prenant appui sur un plan de travail et que son regard se pose sur un couteau de cuisine. Elle en saisit le manche sans aucune hésitation et se retourne pour frapper l’irlandais, l’assommant d’abord avec son poing fermé. Le gars fait un pas en arrière, réalise ce qu’elle tient dans sa main et recule davantage. Daire voit ses lèvres se mouvoir sans comprendre les mots prononcés, n’entend rien d’autre que le sang qui pulse contre ses tempes. Ne ressent rien d’autre qu’une haine incommensurable contre l’ennemi pourtant de la même patrie, qui la consume toute entière à la rendre dingue. Alors, elle frappe, et la lame écorche une première fois l’abdomen de l’irlandais, puis une deuxième, une troisième. À la quatrième, elle s’enfonce délibérément et le corps se percute contre le carrelage, l’effroi de l’homme sur le visage et les mains en avant pour se protéger. Mais ça ne suffit pas, ça ne suffit plus, à éteindre le brasier dans son être, à faire taire le carnage dans son crâne. Daire tombe à genoux et continue de lui déchirer la peau en hurlant, encore et encore – pour Jax, pour ma mère, pour tous les autres, pour moi. L’enfer se déchaîne jusqu’à ce qu’elle épuise toutes ses forces et qu’elle prenne conscience de ce qu’elle vient de faire. Elle se laisse alors tomber en arrière, assise à même le bain de sang qui n’est pas le sien désormais. Son regard percute les yeux vitreux de l’irlandais – mais ce n’est pas la panique qui s’insinue dans ses veines. Ce n’est rien d’autre que de l’apaisement dans sa conscience et un immense silence qui retombe sur leurs corps – soulagée. Elle assimile sans difficulté la scène sous ses yeux, comprend l’ampleur du désastre mais n’en pense rien. Dans sa tête, c’est le néant. Du vide en elle, autour d’elle, partout, c’est vide, vide, vide. Elle se redresse avec difficulté, les mouvements en pilote automatique pour rejoindre sa veste et en sortir son portable. Des noms s’affichent sur l’écran, de ceux sans importance, de ceux qui ne pourront pas lui répondre – elle choisit celui que lui souffle son instinct, dont son cœur a besoin à cet instant, sans même penser à l’heure qu’il est.  « Niamh ? » Elle entend la chaleur de la voix de son amie, et c’est tout ce qu’il lui faut, qui la conforte dans son choix. « J’ai fait une connerie. » Son regard glisse vers sa main qui tient toujours le couteau comme accrochée à jamais à l’arme du crime. « Tu peux venir au 78 sur Selma Street le plus vite possible ? » Elle ne reconnait pas sa voix, trop monotone, dénudée de la flamme habituelle et des syllabes écorchées, mais elle s’en fiche. Elle raccroche sans entendre les mots de Niamh, sans même se rendre compte de son geste. Elle laisse le téléphone glisser de ses mains pour s’échouer sur sa veste et elle se tourne vers le cadavre défiguré qui git devant l’entrée de la cuisine. Elle se rapproche doucement, le contemple tout en se sentant trop loin, trop détachée, ses mains retombent le long de son corps – et pour la première fois depuis longtemps, elle se sent bien.
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MessageSujet: Re: bombe humaine (intrigue, niaivak)   bombe humaine (intrigue, niaivak) EmptyDim 15 Juil - 20:45

Les peaux se fracassent, les muscles se contractent. Les murmures au creux de l’oreille, les ongles dans la chair. La pénombre de la nuit, dans cet appartement où elle s’y rapidement établie. Les derniers coups de hanche de Novak la font vibrer. Font trembler la terre, et son corps avec. Puis c’est dans un soupir de sa part, et d’un grognement sourd de la part du serbe, que les muscles se relâchent. Le dos collé au mur, les jambes enroulées autour de la taille, les peaux nues, la main de Niamh vient s’égarer dans les cheveux sombres. Son nez retombe dans le cou du serbe, alors qu’elle reprend pied avec la réalité. Les deux corps qui ne veulent plus se quitter depuis les retrouvailles, qui se recollent avec fracas, qui se réassemblent avec plus d’archarnement que jamais. Après l’anxiété de la séparation, après la douleur de la perte, il ne reste plus qu’à s’aimer plus fort, toujours plus fort. Et c’est dans le sexe qu’ils se perdent, comme ils l’ont toujours fait. À croire que des choses ne changent jamais. L’irlandaise respire calmement, sa poitrine contre le torse de Novak. Ses lèvres qui glissent sur la nuque pour se déposer au creux de la mâchoire, embrassant la peau. Elle peut sentir le léger relief du tatouage familier. Les mains du serbe glissent sur ses cuisses, alors qu’elle retombe au sol. Ses pieds contre le plancher froid, sa main qui demeure sur la nuque. Baiser volé, avant de finalement s’éloigner un peu. Et elle a un sourire, Niamh, parce que pour une fois ils sont parvenus à entièrement se déshabiller avant de s’envoyer en l’air. C’est sans un mot qu’elle attrape un t-shirt pour l’enfiler - la nuit est fraîche. Ses culottes aussi, au passage, avant d’aller à la salle de bain. Une fois sortie elle trouve Novak rhabillé, installé sur le canapé, cigarette aux lèvres, et elle vient s’échouer à ses côtés. Pas besoin de parler, rien à dire - et ce soir Niamh n’a pas envie de parler juste pour parler. Un silence confortable et habituel entre eux, alors que la télévision s’allume sur un vieux western qui ne capte leur attention qu’à moitié. Attrape le verre de whisky oublié pour le terminer, la fumée de la cigarette dansant dans l’air. Les longues jambes de Niamh qui viennent s’étendre sur le serbe, et son regard s’attarde un peu sur lui, l’espace d’une pause publicitaire. Repense à ce tatouage qu’il s’est fait, qu’elle n’a pu cesser d’embrasser et de caresser du bout des doigts. Ce coeur d’encre qui a fait dérailler le sien, et qui continue de le faire. Tout est plus compliqué depuis qu’elle a retrouvé Novak, et en même temps tout est plus simple. La ville entière plongée dans la tempête, Niamh est incapable de se sentir entièrement calme. Sachant qui se promène dans Savannah, qui fait du mal aux siens. Le besoin de s’abandonner l’espace d’un instant, dans les bras de Novak, son souffle contre le sien, de faire comme si le reste du monde n’existait pas, et comme si la violence de la réalité n’allait pas les rattraper d’une minute à l’autre. Les blessures du serbe encore trop fraîches, l’adrénaline au coeur encore trop puissante. Le chien arrive dans le salon, s’écrase au sol juste devant eux, et Niamh vient lui gratter les oreilles d’un geste distrait. Le film ne parvient pas à assagir le chaos de ses pensées, qui se déchirent et se cassent les unes contre les autres. Son père, Novak, Daire, même son frère, tout ce putain de bordel. Niamh a un drôle de pressentiment, comme si à cet instant même il se passait quelque chose, une amertume au bout des lèvres qui lui donne presque la nausée. Elle se force à respirer, à se calmer. La nuit leur apportera peut-être repos, pour une fois. Peut-être.

Ou peut-être pas.

Niamh entend la vibration du téléphone presque trop tard. Elle baisse les yeux à temps pour voir le nom s’afficher - c’est Daire. Et quelque chose lui dit qu’elle doit répondre, que cette heure tardive ne peut qu’être un mauvais signe. La gorge sèche malgré le whisky avalé, l’irlandaise tend le bras et attrape l’appareil. Décroche. Elle aimerait que ce soit juste son amie qui appelle au sujet du garage. Ou parce qu’elle a envie de compagnie. Parce que la nuit est belle et jeune, malgré la pluie. Parce que du bon whisky l’attend, et qu’elle pourra débarquer et regarder le western avec eux. Elle aimerait. « Niamh ? » Mais elle sait immédiatement que ce n’est pas le cas. L’instinct qui se crispe, au son de la voix de la rouquine. Le timbre de sa voix, au simple son de son nom, et Niamh sait. Sait que quelque chose ne va pas, que quelque chose s’est passé. Sait que c’est le début d’un énième cauchemar. « Qu’est-ce qui s’passe ? » Elle demande immédiatement, les sens en alerte. Ne bougeant cependant pas du canapé, avec encore une lueur d’espoir dans le creux des tripes. « J’ai fait une connerie. » Les mots de Daire lui restent en travers de la gorge. Quelle genre de connerie, Daire ? Une connerie que t’as fait, ou que la vie t’a forcée à faire ? Niamh qui jette un bref regard à Novak, avant de se redresser sur le canapé. La bouche pâteuse, le whisky redéposé sur la table, prêt à être oublié à nouveau. L’autre main de Niamh qui s’attarde sur la cuisse de Novak, comme pour y trouver un appui. « Tu peux venir au 78 sur Selma Street le plus vite possible ? » On dirait un robot, une machine, un message automatisé - tout sauf Daire. Daire, la flamme vivante, Daire, la révolution dans la peau, Daire vivante. C’est bien sa voix, mais ce n’est pas elle. Et ce genre de déconnection, ça n’arrive qu’après les conneries les plus compliquées. Niamh est déjà debout, le coeur débattant dans sa poitrine, qui lui remonte dans la gorge. « J’suis avec Novak. Bouge pas. On arr - » Mais la ligne est déjà coupée. « Daire ? Daire ? Fuck. » Seule la tonalité lui répond, et l’irlandaise ne retient pas quelques mots salés en gaéliques, crachés entre ses dents. Raccroche elle aussi et se tourne vers Novak, les yeux débordant de panique, la peur qui lui serre les entrailles pour son amie. Daire a des ennuis - et Niamh ne la laissera pas seule. Hors de question. Son inquiétude qui s’écrase sur ses épaules d’un coup, pour Daire, pour eux, pour son Da. L’irlandaise qui regarde le serbe, agitée, les grands yeux brillants. « Daire a des ennuis. Allez, grouille. » À peine un regard pour le serbe encore dans le canapé, que Niamh se précipite pour attraper ses jeans. Les enfile, avec ses chaussettes et ses bottes. « Fuck fuck fuck. J’suis sûre que c’est ces salopards d’irlandais. Fuck. S’il lui est arrivé qu’que chose, je - » Elle ne termine pas sa phrase, les mots silencieux qu’elle sait que Novak comprendra. Elle empoigne sa veste, range le téléphone dans sa poche - ça urge, Novak. Son affolement qui la fait presque trembler, l’inquiétude qui la ronge entièrement. Le chien sent que quelque chose a changé dans l’air, il en fait les cents pas et il grogne, et Niamh termine d’enfiler sa veste, les mots de Daire qui résonnent dans sa tête. Les armes emportées, les pieds qui les mènent dehors. La pluie glaciale, la nuit soudainement si froide. En autant qu’ils parviennent à arriver assez vite, en autant qu’ils n’arrivent pas trop tard. Que peu importe la connerie, ça ne termine pas de la briser, que peu importe la tragédie, ça n’emporte pas tout sur son passage. Pas alors qu’il leur reste si peu, à Daire, à tous les trois.

Bouge pas, Daire.
On arrive.
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MessageSujet: Re: bombe humaine (intrigue, niaivak)   bombe humaine (intrigue, niaivak) EmptyLun 16 Juil - 16:17

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Les ongles plantés dans son dos, le souffle pressé dans son cou. Ses hanches qui fracassent le corps qu’il tient collé à lui. Les yeux fermés, écoutant leurs respirations erratiques et leurs mouvements instinctifs. S’imprégnant du plaisir de Niamh, à chaque instant. Du premier soupir au dernier gémissement. Le grognement qui s’échappe d’entre les lèvres du serbe, alors que ses mains se resserrent autour des cuisses que l’irlandaise a accrochées autour de sa taille. Les impacts de leurs corps résonnent dans son abdomen, dans son bras. Les douleurs qui lui rappellent que la position qu’il avait choisie pour l’aimer n’était peut-être pas la plus appropriée. Tant pis.

La tête de Niamh retombe dans son cou, et il reste quelques secondes immobile. Les relents de plaisir qui électrisent encore son corps. Il la tient, là — ne la lâche pas. Ignore les tiraillements à l'arrière de son bras toujours trop faible. La plaie, que trop sollicitée, refuse de complètement se refermer. Les bords qui tentent de se recoller, chaque jour, et qui se retrouvent immédiatement déchirés, séparés, dès que les efforts sont faits. Et quand bien même les sutures ne craqueraient pas, quand bien même l'irlandaise prendrait toutes les précautions du monde pour qu'il ne les brusque pas, sa présence n'aide en rien. Trois jours qu'elle était revenue. Dans quelques heures, le quatre serait atteint. Quatre jours à attendre que les répercussions ne viennent. Quatre jours à surveiller de loin le motel de Mads, après avoir mis Malo au courant. Quatre jours à s'habituer au fait que Niamh était revenue. Quatre jours à fracasser sa chair contre la sienne, ignorant la douleur à son abdomen, la douleur à son bras. Besoin de la retrouver, besoin de la toucher, besoin de la posséder. De se souvenir de son corps contre le sien, et de s'en imprégner. This time, I won't let you go.

Pourtant, ses mains relâchent leur pression. Son épaule gauche qui force son bras à reculer, à retomber contre son flanc, à s'oublier. La souffrance qui le rattrape, et son coeur battant qui essaie de se calmer. Baiser volé, Niamh s'éloigne, et il reste là un instant. Roc au milieu de la tempête, refusant de s'appuyer contre le mur pour souligner sa faiblesse. Une seconde ou deux — un long déglutissement. La porte de la salle de bain s'est refermée dans son dos, et il finit par se retourner. Attraper son caleçon d'une main. Se rhabiller. Un jean, un t-shirt. Constater le point de sang au milieu du bandage sur son abdomen. Inspirer longuement. Si les points avaient sauté, y en aurait plus que ça. Et il ne veut pas trouver de miroir. Ne veut pas regarder le bandage de son bras. Sent la douleur cuisante, douleur déchirante. Un ou deux points d'arrachés, sans doute aucun. Le mur, c'était pas une bonne idée. Mais la patience lui avait fait défaut, après qu'il ait accepté de jouer le jeu de Niamh et de la déshabiller en entier. L'empressement l'avait emporté, et dans le plaisir qui était monté, la douleur en avait été oubliée. Occultée. Maintenant, le mal était fait. Et tout ce qu'il voulait, c'était l'oublier.

Un verre, de la vodka. En prendre deux gorgées, l'abandonner sur la table basse. Se laisser aller dans le canapé, et s'allumer une cigarette pour oublier. Le film ne les a pas attendus pour continuer, et le serbe ne cherche pas à comprendre le point où ils en sont rendus lorsque ses yeux se reposent dessus. Bientôt, Niamh revient. Se cale contre lui, étend ses jambes sur les siennes. Il pose la main sur sa cuisse toujours nue, laisse la chaleur de l'irlandaise se mêler à la sienne. S'oublie dans les secondes qui passent. Dans sa présence familière, que le temps n'avait pas altérée. Elle est là. Et, petit à petit, le besoin des coups de son bassin contre le sien n'est plus nécessaire pour accepter qu'elle est bien revenue. Qu'elle l'a bien retrouvé. Petit à petit, l'idée se fraie un chemin dans son esprit. Le calme revient. Enfin.

Le téléphone qui vibre. L'instinct qui s'enclenche, et le géant qui sait. Ça y est. Après près de quatre jours de suspens, la machine infernale s'est remise en route. Niamh décroche, pâlit rapidement. Elle a reposé ses pieds au sol, et sa main s'est refermée sur la cuisse du serbe. Il la laisse s'y appuyer, la laisse serrer. Fixant sans un mot le combiné qu'elle tient plaqué contre son oreille. Captant les mots de Daire, malgré la confusion et la distance. Le volume du téléphone est assez haut, et le volume du film assez bas. Et Niamh qui réagit. Le sang qui ne fait qu'un tour dans ses veines, alors que le serbe est déjà prêt à se relever. Prêt à accueillir le coup d'envoi que la petite O'Leary lui enverrait. Celui qui lui dirait, t'as bien entendu. Celui qui lui confirmerait, Daire a des problèmes.

Daire est en danger.


« J’suis avec Novak. Bouge pas. On arr - Daire ? Daire ? Fuck. » Elle se met à jurer en gaélique, et il s'est déjà redressée. La cigarette au bout des lèvres, sa main valide poussant sur le dossier pour commencer à le relever. « Daire a des ennuis. Allez, grouille. » Elle n'a pas le temps de le lui dire une seconde fois. Le colosse est déjà debout. Ignorant le grognement du loup à leurs pieds. Le loup qui sent que quelque chose cloche. Le loup que, pourtant, il ne se résoudra pas à emmener. Niamh s'est déjà précipitée sur son pantalon, et le serbe déjà habillé a filé vers la cuisine. Le tiroir ouvert, et son couteau en est tiré. Trouve son chemin à sa ceinture, dans son dos. Le revolver qui le rejoint rapidement, coincé plus vulgairement. Tandis que Niamh, un peu plus loin, continue de paniquer. Continue de laisser la colère la gagner. « Fuck fuck fuck. J’suis sûre que c’est ces salopards d’irlandais. Fuck. S’il lui est arrivé qu’que chose, je - » Elle n'a pas besoin de terminer. Novak sait. Et il sent sa propre rage bouillonner. Celle qui n'avait jamais vraiment disparu, lorsqu'il avait compris d'où venait le type du motel. L'appréhension, l'anxiété. La culpabilité. Il aurait dû garder un oeil plus attentif sur Daire. Les mâchoires crispées, la cigarette abandonnée dans le cendrier, la télé laissée allumée. Le chien qui aboie quand la porte claque, et Novak qui serre dans son poing les clés de la voiture et celles de la moto. Arrive sur le trottoir, et la pluie qui claque sur son visage. Froide, mordante. Dur rappel de la réalité effrayante qui les attendait. Il a balayé la douleur, balayé l'idée de ne pas faire d'efforts. Daire a des ennuis. Et à côté de ça, rien d'autre n'importait.

Niamh qui file vers la voiture, et la voix du serbe qui claque dans l'air. Brutale, autoritaire. « Non. » Dès qu'elle se tourne, il lui lance les clés. Le casque qu'il avait attrapé au passage, sans que, dans son empressement, elle n'ait le temps de le remarquer. Et il le lui lance aussi, sans hésiter. « Pars devant. » La peur de la perdre qui lui broie les entrailles — mais il sait qu'elle est intelligente. Sait qu'elle est capable de s'en tirer, et qu'elle a assez d'instinct pour être prudente. « Si tu sens que quoi que ce soit cloche, n'entre pas et attends-moi. » C'est franc, et il sait qu'elle l'écoutera. Sait qu'elle obéira. Le regard qu'ils s'échangent, alors qu'elle s'éloigne, en atteste. Sois prudente. Son dos qui se tourne, celui de Niamh qui fait de même. En quelques longues enjambées, elle est à la moto. Casque déjà sur la tête, le véhicule qui démarre en trombe et disparaît en un éclair au bout de la rue. Il monte dans sa voiture, enclenche bien rapidement le contact. Et, toute prudence abandonnée, enfonce la pédale d'accélération pour démarrer. Les pneus qui crissent, la conduite imprudente mais maîtrisée. Il sait que Niamh ira beaucoup plus vite. Que si Daire a réellement besoin de soutien, la moto serait le moyen le plus sûr de s'y rendre en vitesse. Il a accepté de la laisser partir — accepté de lui faire confiance pour rester en vie. Malgré l'anxiété qui lui nouait l'estomac, et la peur de la perdre à nouveau qui révulsait ses yeux sous ses paupières, chaque fois qu'il tentait de laisser le sommeil le gagner. Won't lose you again. Mais l'urgence n'était pas là. L'urgence était à Daire. Daire qui avait besoin d'eux, de lui — d'elle en premier. Si c'était Niamh que Daire avait appelé, c'était que les choses le nécessitaient. Que lui n'était qu'accessoire, et que les ennuis n'avaient pas besoin de se terminer dans un bain de sang. Pas pour l'instant, à tout le moins. Mais si les irlandais s'en mêlaient, il devait être là. Devait être capable de parer à toute éventualité. En tuer un n'avait pas fait disparaître les autres. Et quelque chose lui disait que cette histoire était bien loin d'être terminée.

Freiner, brusquement. Arrivé à l'adresse qu'il avait entendue dans le téléphone de Niamh. Son téléphone cellulaire, ouvert en mode GPS, qu'il attrape en sortant. Le fourre dans sa poche, reprend l'arme à feu abandonnée dans la boîte à gants en partant. La remet dans sa ceinture, dans son dos. La moto de Niamh est déjà abandonnée devant la maison. Et lorsqu'il entre, sans s'embarrasser de frapper, sans prendre la précaution de s'annoncer, l'odeur du sang lui parvient très vite. Pas le sien, cette fois. Le loup qui constate l'étendue des dégâts, et qui progresse d'un pas lourd dans la maison. Les yeux qui scannent les environs. Et qui, bien vite, trouvent ce qui lui a titillé en premier lieu le nez. Le corps. Étendu, là. Dévisagé, lacéré. Corps d'un type qu'il ne connaissait pas. Pas celui-là. Et rapidement, il tourne la tête vers le salon. Salon où les deux accents irlandais se mêlent. Son corps qui les rejoint, bien rapidement. Carcasse brisée, mais droite dans la tempête. Aucun moyen de voir qu'il est blessé. Le t-shirt cache le pansement de l'abdomen, sa veste celui de son bras. Il n'est pas le sujet des pitiés — et c'est l'état de Daire qui lui retourne l'estomac. Fait grimper la colère, alors qu'il comprend ce qui s'est passé. Comprend qu'elle a dû tuer.

Un verrou qui saute, et quelque chose se brise. La volonté de la protéger de tout ça, de l'en tenir éloignée, de la rappeler à son intelligence, la tenir auprès de ses réelles capacités, qui a échoué. Il la regarde, et le noir s'est creusé dans ses prunelles. Daire avec Niamh — Niamh avec Daire. L'étrangeté d'une situation qui ne le choque pas. Plusieurs jours aux côtés de la O'Leary pour s'habituer à l'idée. Et tout ce qui importait, désormais, c'était de sortir Daire de ce merdier. De la protéger des répercussions, à défaut de n'avoir pu l'empêcher de sombrer. Ses yeux sombres qui sondent l'irlandaise. Et, peu à peu, son coeur se ferme. Bouclé à double-tour dans ses envies de meurtres, rendues caduques par le cadavre déjà étendu un peu plus loin. Mais y en a d'autres, et il le sait. Tout ça, c'est pas terminé. Va falloir rester aux aguets. Surveiller Daire, surveiller Niamh. Arrêter d'attendre, et agir. Les trouver, les tuer. Protéger les loups, avant que les loups ne soient en danger. Précaution impossible à écarter.

Et alors que ses prunelles soudainement extraites des les abysses de son âme sondent la petite Méalóid, il le sent. La mort est au bout du chemin, et elle les attend. Mais il était hors de question que l'une des deux l'essuie. Hors de question que la fissure dans son coeur de pierre ait été en vain, et qu'il soit une nouvelle fois celui que la vie avait décidé d'épargner. New York ne se reproduirait pas. Pas cette fois. Pas tant qu'il serait debout pour se battre. Debout pour respirer.

Pas tant qu'il aurait encore une vie pour défendre les deux rouquines que toutes les nuances de noirceur de son âme avaient soudainement décidé de protéger.

À en crever.

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