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 Argue tender _ (Dana)

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MessageSujet: Argue tender _ (Dana)   Argue tender _ (Dana) EmptyMar 15 Mai - 11:05

Argue tender
Daire & Nana
TERRITORY

Il s’appelle Tobias. Enfouis entre les draps défaits y a que sa chevelure dorée – pointant sur l’oreiller – que j’peux encore distinguer dans la pénombre. Sa chambre est toute petite et j’entends son coloc ronfler dans la pièce à côté.
J’ai rencontré Tobias y a quelques heures à un concert pourri dans un rade. Il était bourré, presque mignon à la lumière des spots, et surtout totalement surexcité. J’ai pas eu beaucoup d’boulot pour le convaincre de m’inviter chez-lui. Deux rounds plus tard il s’est mis à pioncer sans complexe.
Moi, j’suis assise sur le rebord du lit totalement à poil, la clope au bec sans que l’idée de demander la permission m’ait juste effleuré. Si cette partie d’jambes en l’air a eu le mérite de me défouler les nerfs, j’ai toujours l’esprit en ébullition. Y a une pensée qui m’a pas quitté depuis l’réveil. Elle ondoie sournoisement à la surface, parfois diffuse mais sans jamais disparaître. Elle me broie le cœur dès que j’fais mine de la regarder en face, alors je m’occupe comme je peux entre le boulot et l’exploration d’autres corps. Jusqu’au creux suivant où j’ai plus rien pour meubler.
J’écrase la fin incandescente de mon mégot dans une tasse à café sur la table de nuit et récupère mes fringues.
J’me tire d’ici sans prendre la peine d’être discrète.
J’claque même la porte de toutes mes forces.

Les paumes sont appuyées contre le carrelage recouvert de condensation. La tête penchée vers le bac de douche, j’espère me noyer dans chaque goutte brûlante qui me dégouline sur la peau. Ca fait près d’une demi-heure que j’suis sous le jet, à essayer de me nettoyer de ma frasque toute récente.
C’est pas la seule d’ailleurs, si on reprend les comptes sur ces quinze derniers jours. Rien de mirobolant – pas de coup d’foudre qui tombe ou de papillons dans le ventre - mais je sais que JJ pèterait un plomb s’il l’apprenait.
On s’en fout.
Ouais on s’en fout. De toute façon j’me contente de suivre le plan de Sam à la lettre : faire profil bas en donnant le change, parfaite image d’une gonzesse qui profite de sa jeunesse.
Rien qu’en pensant à lui j’ai les neurones qui gèlent.

Sam s’est bien fait arrêter. Je l’ai lu dans un quotidien, écris noir sur blanc dans un encart. Pas très grand, pas très p’tit non plus. En tout cas impossible à ignorer. Le journal a fini à la poubelle en un millier de confettis.
Deux semaines se sont traînées à la suite de ma gigantesque erreur. Le procès vient de se terminer. J’ai pas encore eu le courage d’apprendre l’issue ; j’en ai trop peur. Pourtant l’idée m’lâche pas. La culpabilité me grignote, doucement mais sûrement, jusque dans mes moindres recoins. L’imaginer en cage me rend malade. Savoir que j’en suis la cause me tue.

L’eau devient glaciale – comme d’habitude quand j’ai le malheur de tirer trop longtemps dessus – et je l’arrête d’un geste sans bavure. J’sors de là, en foutant partout au passage. La salle de bain ressemble plus à un placard qu’autre chose mais au moins elle est pas sur le palier.
D’un revers de main j’essuie le minuscule miroir fêlé qui surplombe le lavabo. Une tronche de macchabée s’y reflète. J’ai le teint crayeux. Même mes lèvres n’offrent aucun relief ; elles sont parfaitement blêmes, figées sur les dents. Y a que les yeux qui paraissent vivants : deux billes bleutées qui m’dévisagent avec ostentation.
T’as vraiment une sale gueule ma vieille.
J’retrousse les lippes en rictus - prête à mordre - et m’en vais enfiler les premières fringues qui me tombent sous la main. J’erre de pièce en pièce, ce qui n’signifie pas grand-chose puisque l’appart’ n’en possède que trois, et achève ma divagation sur le canapé.
J’allume la télé en quête d’une distraction. Un bref regard à l’horloge m’indique un honnête une heure du matin. J’pourrais essayer de dormir mais je connais déjà par cœur ce qui va se passer : me retourner entre les draps jusqu’à ce que le soleil se pointe, la liste de toutes mes erreurs passée en revue dansant dans le noir.
J’préfère largement comater devant des talkshow.

J’suis en train de somnoler entre les rires factices et les pubs criardes quand des coups secs me font sursauter. J’me fige quelques secondes, hésitante sur la véracité des sons. Les chocs reprennent de plus belle et se transforment carrément  en tabassage en règle de ma porte d’entrée.
Le premier nom qui m’vient en tête c’est JJ. Ils l’ont laissé sortir plus tôt et il sait tout.
Le deuxième, Seven. Il veut achever le boulot.
Le troisième c’est la police. Y a que les flics pour essayer de défoncer votre entrée comme ça.
Sauf qu’ils se seraient annoncés.
J’me lève à pas de loup afin d’aller entrouvrir le battant malmené. Je regrette de pas avoir de judas. Mon nez apparaît timidement, juste assez pour constater l’intrus. L’intruse.
Avis de tempête imminent, j’vais en prendre pour mon grade.
Pourquoi j’ai ouvert putain…


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Daire Méalóid

Daire Méalóid
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MessageSujet: Re: Argue tender _ (Dana)   Argue tender _ (Dana) EmptyVen 13 Juil - 2:00

Dix-sept cigarettes sur le bitume seulement autour de ses pieds, éparpillées sur l’asphalte humide depuis une durée indéterminée pour quelques unes. Des taches brunes rendues difformes par le temps, emmêlées aux mégots récents, certains encore incandescents. Des dizaines de bâtons usés dans la salive et le crachat du ciel, tout un tas entassé devant l’abribus pour marquer l’attente des existences mornes, des envies pressées et des silences trop longs. Pas moins d’une vingtaine de cigarettes à ses pieds, pas moins d’un tiers dans ses poumons. Clope sur clope dans l’attente, à compter les mégots sous le ciel brumeux, à compter les quelques badauds pressés sur le trottoir alors que le soleil ne s’est pas encore levé. À compter un peu de tout, pour ne pas se concentrer sur les secondes qui s’éparpillent dans chacun de ses pas depuis qu’elle a quitté le tribunal. Pour ne pas ressasser les mots qui ont été dits et ceux qui n’ont pas eu le temps de l’être, pour oublier que les siens ne sont pas infaillibles et qu’il n’y a que le système qui est risible. Justice déséquilibrée qui n’a pas de pitié, que des infâmes pourris jusqu’à la moelle qui n’ont dans les mots que le mensonge d’un idéal reposant sur la hiérarchie sociale. Aveuglés par le sens commun qui fait pourtant désordre, allant jusqu’à retourner les membres d’une même famille pour faire tomber le coupable sur un vaste mensonge. Bien ouej’ Sam, c’est plus facile d’convaincre l’reste du monde hein ? Le cœur au bord des lèvres, à s’acharner sur sa clope de sa main fébrile, avec ses croûtes coagulées sur les jointures et la nervosité dans ses doigts tremblants. Dégoûtée de ce monde qui n’a aucun sens, de ces incohérences merdiques que l’impartialité du temps encense. La conscience foudroyée à l’essence, immolée dans une colère sourde qui la rend aveugle – indifférente aux traits violacés de son visage commotionné, à la blessure jamais vraiment cicatrisée de son corps usé, aux esquives des passants qui s’éloignent de deux pas comme si elle portait la peste sur ses épaules voûtées. Elle a le regard perché vers une fenêtre de l’immeuble d’en face, le bleu orageux de son regard disparaissant à intervalle régulier derrière la volute de fumée libérée de ses poumons condamnés. Adossée contre la vitre en plexiglas de l’abribus, son pied tape le bitume d’une saccade énervée. Les tripes retournées dans sa tempête névrosée, les tempes bousculées par le sang qui se fracasse sous son crâne. Elle n’attend rien d’autre que le silence dans son encéphale, en sachant qu’il ne viendra jamais – pas avant que sa rage ne se soit exprimée ou que ses poings ne se soient fracassés quelque part par défaut. Ses lèvres se pincent tandis qu’elle jette le mégot au sol, l’écrasant avec une verve qui n’en mérite pas tant. Daire est bêtement là, à une heure égarée de la nuit, alors que les bonnes âmes de Savannah dorment encore, à faire le guet de l’autre côté de la rue comme une mule. Rien d’autre sur elle qu’un paquet de clopes à l’agonie au fond des poches de sa veste en cuir, et surtout une colère sourde ravageant ses veines au point d’en rendre son épiderme brûlant. Elle s’élance finalement, agacée par l’humidité nocturne qui colle ses vêtements à la peau ; traversant la rue sans presque un regard aux éventuelles bagnoles. Elle s’engouffre facilement dans le bâtiment alors que la porte n’est même pas fermée correctement et monte les escaliers en sautant des marches dans sa hâte. Charogne en quête d’une carcasse encore fraîche, qu’elle trouvera sans l’ombre d’un doute. Elle n’a aucune hésitation, certaine de trouver sa proie derrière l’une de ces portes. Elle a vu sa silhouette apparaître à la fenêtre qu’elle guettait, tandis que la lumière vacillante d’un écran de télévision ne s’est jamais éteinte. Des semaines qu’elle a mis la main sur l’adresse où elle se cachait, sans en toucher un mot au seul véritablement mis en confidence pour la planque. Tous deux savaient que l’autre en avait connaissance mais aucun ne s’était prononcé sur le sujet ; en l’absence de Samih, l’accord tacite s’est démis aussi facilement qu’il ne s’est laissé embarquer dans cette histoire sordide d’enlèvement de bambin. Daire ne tergiverse pas quand son poing s’abat sur la peinture morne de la porte qui lui parait soudainement bien bancale sous ses coups qui s’enchaînent, indifférente au raffut qu’elle engendre, au sommeil qu’elle pourrait annihiler dans les piaules voisines, aux flics qui pourraient être appelés pour tapage nocturne. Elle s’en fiche outrageusement, déversant sa hargne sur ce pauvre montant avec la force de celle qui pourrait déplacer des montagnes avec le feu de son âme. Elle n’entend même pas les pas qui s’approchent de l’autre côté, perçoit seulement la lumière filtrant timidement dans l’ouverture naissante pour se déverser dans le couloir. C’est plus qu’il ne lui en faut pour lui accorder implicitement la permission qu’elle n’aurait jamais pris la peine de demander. L’irlandaise repousse brutalement la porte d’entrée, peu lui importe que le corps derrière suive le mouvement ou se prenne le revers du geste. « Huit ans ! » qu’elle beugle en pénétrant dans la pièce, de sa voix tremblante sous le coup de l’émotion à s’y méprendre mais le fond de son regard ne laisse présager aucun écart – c’est de la colère pure qui fait tressauter son accent en même temps que ses mains craquent en se pliant furieusement. Quelques pas pour se faire une place, pour que le temps d’un instant les deux corps disposent encore d’assez d’espace. Son regard se fracasse sur le visage blême d’Eanna quand elle se retourne, s’accrochant à ses prunelles délavées par les derniers événements qui n’ont pas manqué de l’écorcher vive elle aussi. « Il a pris huit ans ! » Elle avait peut-être tout fait pour se concentrer sur autre chose mais il n’y avait rien à faire, l’information avait été assimilée et traitée sitôt la sentence tombée. Deux milles neufs cent vingt jours, que son cerveau a traduit en hurlant en silence ce jour-là. Huit putain d’années fermes, c’est bien plus qu’il n’en faut pour changer de vie – ou pour crever, tout simplement. C’est presque autant que le temps qu’elle a passé dans cette famille de bras cassés, à peine moins que son existence en Irlande. C’est tout ce qu’il a fallu pour qu’elle sache rassembler les pièces détachées d’un moteur, à peine plus de ce qu’il a suffi pour que sa sœur ne meure comme un vulgaire dommage collatéral d’un conflit idéologique plus vieux qu’elle. C’est tout ce qu’il faut pour s’arracher la peau contre le crépis, c’est tout le temps qui déborde vers l’horizon mais aussi tout le temps qui manque qu’elle n’a pas pour survivre. La silhouette bien vivante devant elle ne lui suffit pas à combler le trou béant qui s’est creusé quelque part dans son myocarde, plaie purulente à jamais ravagée par ses maux. Elle lève les bras dans un geste désabusé, désigne le vide entre elles, le néant en elle, le tout qui les accable, le rien qui l’abat. « C’quoi c’bordel Nana ? » Pourquoi t’es là et pas là, pourquoi tu t’caches ici alors qu’ta place est avec nous. Pourquoi t’es là et pas lui, pourquoi tu t’caches ici alors qu’lui est tombé pour toi.
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MessageSujet: Re: Argue tender _ (Dana)   Argue tender _ (Dana) EmptyLun 16 Juil - 18:19

Argue tender
Daire & Nana
répondez-moi

L’entrebâillement de la porte se transforme en gouffre béant qui laisse surgir Daire. J’me prends le coin du battant dans l’épaule mais suis trop occupée à dévisager la rouquine pour tenir compte de la douleur.
Son visage.
Là où auparavant la peau était constellée de myriades de petites taches de rousseurs, il n’y a plus que des ecchymoses. Toutes irrégulières, variant entre le violet soutenu et le jaune s’estompant. Au milieu de cette affreuse palette je ne reconnais que ses yeux d’orage en train de me balancer des éclairs à bout portant. Ca m’fout un sale coup au cœur. Un sursaut rageur propre à ceux d’une tribu dont un membre a été blessé.
L’espace d’une seconde je suis tentée de la prendre dans mes bras en lui demandant le nom de l’enfoiré responsable pour aller l’immoler.
Une seconde seulement.
Parce que Daire est pas ici pour recoller les morceaux de notre amitié bancale ou pour se plaindre. De toute façon ça doit certainement être déjà trop tard : tout s’est cassé la gueule en ne laissant que des miettes. J’ai l’impression qu’il faudrait une vie entière pour ne serait-ce que retrouver tous les éclats.
Ce qui s’confirme à partir du moment où elle ouvre la bouche.

Je blêmis en recevant ses syllabes en pleine face. Cherche à accuser le coup en m’occupant à verrouiller la porte dans mon dos, mais mes mains tremblent sensiblement. Sous mon crâne c’est le désert, y a qu’un chiffre qui s’y affiche en prenant de plus en plus de place. Huit ans. Avec mes conneries Sam se retrouve huit ans en cage.
J’ai envie de dégueuler. Hurler. M’arracher les yeux, sombrer, m’effacer. Oublier.
Faites qu’elle me cogne suffisamment fort pour que j’perde la mémoire.
Et surtout : j’me tais. Y a rien qui sort. J’suis là, en face d’une amie – ancienne amie vraisemblablement – infoutue de sortir une seule phrase pour ma défense. Elle sait. Bon Dieu de merde elle sait !
Et moi ça m'étonne pas vraiment. Entre les deux irlandais ça a tout de suite pris, il fallait être aveugle – ou eux-mêmes – pour pas l’voir. C’était évident que Daire allait être la première au courant. La plus touchée par l’absence de Samih.
Ça s’entend derrière chaque parole qu’elle prononce. Elles sont persiflées et m’atteignent, corrosives. Ça se perçoit à ses poings gainés. Aux jointures blanchies. A force, j’ai appris à reconnaître les signes et à m’esquiver vite fait bien fait avant l’début des hostilités.
Normalement.
Mais là y a trop de frustration. De rancœur et d’colère –surtout de la colère. Si elle avait été là pour l’aider à m’gérer ça s’serait pas passé comme ça ! Si elle m’avait pas laissé dans un coin en fermant les yeux et en imaginant que ça m’passerait ! Qu’il fallait pas chialer pour trois côtes cassées et que elle, la grande anarchiste, elle avait déjà encaissé bien pire !

C’est d’sa faute à elle aussi.

« Ce bordel ? »
Tu parles des ruines ou des cendres Daire ? Tous mes traits se tendent, formant un rictus au bord de l’hystérie fendant mon visage. La limite est pas loin, j’la sens à peine à deux doigts.
J’halète pour tenter de juguler l’hémorragie excessive d’adrénaline.
« J’POUVAIS PLUS VOUS VOIR! Vous m’dégoûtiez tous là ! … à faire semblant d’être des gens dignes de confiance et toutes vos conneries sur notre bande de merde ! »
J’ai les yeux qui m’sortent de la tête et les dents serrées par la pression du palpitant.
« J’aurais pu crever pour vous… comme une CONNE… Et c’est c’qui s’est passé hein ! Et qui était là… HEIN ?? TOI T’ÉTAIS LA ? »
Mes doigts se tendent vers elle, accusateurs. On dirait des serres prêtes à lui agripper le col.
« Vous avez tous cautionné en fermant vos gueules ! Personne a essayé d’m’aider à part… »
La seule idée de Sam me transperce de la tête aux pieds.
J’me mets à pleurer à gros bouillons.
C’est un chagrin comme seul un enfant peut en avoir. Celui qui vous secoue les épaules et résonne dans toutes vos fibres en partant de la cage thoracique. Ça me soulage sobrement de le laisser sortir, comme s’il était resté là, à grossir depuis trop longtemps.
Évidemment, j’arrive plus à aligner deux mots cohérents alors qu’ils vrombissent sur ma langue. Mais y a quelque chose de doux dans cette médiocrité à chialer sans retenue. On s’y laisserait presque s’endormir.


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