♪ C'est ça, l'Amour,
Hm hm hm hm ...
Le grand Amour !
L'Amour qui fait chanter la vie.
Là dans tes bras,
Hm hm hm hm ...
Je sais déjà ...  ♪

On l’a toujours vue comme un morceau de Soleil.
Un bout de chou souriant, positif, qui éclate de grands rires et boude de grands gestes. Un coeur tout mou qui fait la tête mais jamais vraiment, qui pardonne tout - qui trouvera toujours un moyen de voir le Beau, de l’entretenir.
Une optimiste dans l’âme, aux mains et parfum doux, dans les bras de laquelle on pourrait très bien oublier tout le monde, tout le mal.

On l’a toujours vue comme ça. Grace - qui n’a de grâce que le nom quand elle éclate de ses petits rires de cochon, joues rebondies creusées de fossettes.
Grace, qui perchée sur ses petits bottines, fait tourner les têtes avec ses robes et chemises fleuries, ses tons moutardes, prunes, oranges, salade de fruit. Ses rouges à lèvres pétants qui égayent la morgue, dans quelque chose qui frôle peut être - mais n’atteint jamais - le mauvais goût.
Excentrique, peu discrète, on ne sait si elle s’est noyée dans le verre de champagne ou si c’est elle qui l’est : à pétiller dans une euphorie constante.

Dans son dos, on dit qu’elle en fait trop.
Et puis les motifs de fleurs ça fait un peu grand mère.

Elle voit pas ce qu’il y a de mal à ça, elle aime bien les fleurs, elle : en robe, chemise, nappe, rideaux. Elles ont bordé ses cahiers de cours, ses paires de lunettes, se sont trouvées une place dans son jardin, puis dans son appart - entre ses dents.

Entre celles de son frère.

Charles et elle c’était un peu tout un univers, ça avait un équilibre, une logique. Partis d’un même morceau de cellule pour devenir deux entités complémentaires : de ces jumeaux si différents mais qui agissent d’un même mouvement, d’une même pensée. Elle était la casse cou, l’aventurière, la princesse qui venait sauter dans les flaques de boue en portant ses robes à bout de bras.
Il était plus scolaire, réservé, à apprendre les règles et les appliquer. Féru de justice et d’idéaux, là où Grace pensait devenir princesse depuis l’âge de ses 5 ans, lui voulait déjà devenir super héros. Puis flic. L’écart est pas si grand, dans la tête d’un enfant.

Ils avaient tous les deux ce truc.
Ce grain de folie, de soleil et d’aventure. Ce truc qui faisait qu’eux, gamins coincés dans leur appart de Chicago  (le beau Chicago, le Chicago bobo, le Chicago qui fait rêver) - donnaient tout de même l’impression qu’ils étaient des petits gamins de la révolution, de la Nature et des grands espaces. Ils voulaient faire quelque chose de grand. Vivre pour cinq, dix, mille. Ils avaient leurs amis de la ville, et leurs amis de la maison de campagne, changeaient de couleur pour les uns ou pour les autres. Mais restaient toujours à deux, dans les mauvais coups et surtout les bons. Des vrais phénomènes, ces jumeaux Cook.

Puis le duo est devenu un trio, quand Valdis est rentrée dans la valse, dans l’atmosphère avec la force d’une comète qui déchire le ciel. Elle en parle pas souvent, Grace, garde toujours des mots très simples et légers pour décrire ce que ça a été, sa rencontre avec elle. Comme si oui, c’était juste une amie.
Une meilleure amie.
Son premier amour.
L’amour de sa vie.
L’amour de nos vies.
Les gens sont fait pour changer, évoluer - en mieux si possible, et elle a jamais perdu de vue cet objectif. Mais peut être que ce changement a commencé au moment où elle a plongé dans les yeux de Valdis. Un univers de violence, de rage, de fragilité, de beauté - des nouvelles couleurs. Pareille à une nouvelle espèce de fleur. De celle qu’elle a voulu coupé, arraché, pour l’avoir qu’à soi - dans un vase sur sa table de chevet ou collée dans son herbier. Ou qu’elle voulait voir pousser, grandir - éloignant tous ces gens qui veulent marcher dessus, et laissant les racines lui prendre les chevilles, les jambes.
Les bras, le cou, la tête, le corps tout entier - à en éclore dans ses poumons au point d’étouffer.

Une fois, quand ils avaient 19 ans, Charles et elle ont eu cette petite discussion, en rentrant d’une soirée. Veste de son frère sur les épaules, épaules calées sous son bras, ils étaient en train de rire, et puis Charles, trop sérieux dans son sourire, a lâché ce -

“Tu sais que je l’aime aussi ?”

Elle a froncé le nez comme si elle venait de croquer à pleines dents dans un citron.
Oui, dummy, bien sûr qu’elle le savait - elle sait tout de toi. Tu sais tout d’elle. Pourquoi vous pouviez pas continuer de jouer à faire semblant ? Elle lui a donné un petit coup de coude bien placé entre les côtes, dans une moue douce-amère.

“Que le meilleur gagne alors.”

Il a ri, lui a embrassé la tempe.
Elle savait qu’elle avait pas de chance contre ça, et quand quelques mois plus tard, ils se sont mis à sortir ensemble, elle a laissé la faux s’abattre sur son coeur. Coupant net la jolie fleur qui était en train de pousser là - chassant le pourri, ou essayant, essayant de comprimer cette jalousie monstrueuse, coupante, blessante. Blessante pour tout le monde.

Je l’ai aimée la première.
Tu l’aimes moins que moi.
T’as pas le droit de me faire ça.

Elle est partie en études de médecine, de toute façon - nouveaux amis, nouvelles danses. Ses cheveux châtains foncés décolorés dans un blond hollywoodien, elle est devenue une petite starlette qu’on voyait une fois tous les trois mois. Qui venait rendre visite à Vlad, Charles des cadeaux plein les bras - achetés parce qu’elle pensait à eux. Tornade de douceur, à peine vue déjà repartie.

Grace est un rayon de soleil, un verre de champagne, un rire d’été.
Grace a les bras pour réconforter n’importe qui, n’importe quoi - elle est du miel dans une gorge qui a trop crié, de l’amour dans un coeur qui s’est trop vidé.
Mais Grace est en aucun cas responsable de votre guérison. Obligée de vous relever. Ses lumières, ses remèdes ne sont pas donnés aux premiers venus - et amour ou non - oh, elle est pas justicière prête à aller ramasser tous les chiots abandonnés dans la rue.

Faut pas lui demander “répare moi”,  à Grace.
Vous voyez pas qu’elle est cassée aussi ?

Charles est mort.
Charles a été tué.
L’index de Valdis sur la détente, le coup, les larmes, la rage, les insultes, l’impardonnable. La fuite. Des souvenirs et des cris violents rangés dans une boîte à souvenirs fermée à clé, un coffre sans bijoux mais beaucoup trop de cauchemars.
Si elle en “fait trop”, Grace, c’est parce qu’elle vit pour deux.
Si elle a fini au fond d’un service médico-légal alors qu’elle était partie pour être pédiatre au tout début de ses études, c’est parce qu’elle vit pour deux.
Si elle est incapable de savoir si elle déteste ou aime Valdis à en crever, si l’amie lui manque ou si elle veut la rayer de sa vie, c’est parce qu’elle vit pour deux.

C’est beaucoup, vivre pour deux, dans un petit corps comme le sien divisé par la perte, le vide, le manque qui sera jamais rempli de nouveau. Ca donne lieu parfois à des situations d’urgence, de trop. Des explosions soudaines - mouillées - des caprices, des décisions impitoyables et toujours discutables. La princesse, la jolie fleur se laisse dépiauter après deux, trois, quatre verres. Finit euphorique à s’enrouler dans des draps d’inconnus, amour en pétales dans la gorge, et rentre chez elle le matin avec l’envie de vomir et trop de contacts bloqués sur son téléphone.
Elle devient bien vite une “sale putain”, Grace la garce - mais ça c’est le monde adulte, on y peut rien.

On y peut jamais rien.

♪ Je sais déjà …
... Que mon bonheur est infini ! ♪