« Mam, Mam, tu crois que Lily va aimer mon cadeau ? » Faut jamais d’mandé ça à une maman, mais il sait pas, le p’tit Nemo, que tout c’qu’il pourra fabriquer de ses p’tites mains chétives trouvera grâce aux yeux d’sa génitrice. Même une marionnette en papier mâché qu’a la gueule de travers et qui part légèrement en lambeaux, toujours gluante de colle. Pourtant Mam elle répond seulement : « Mais oui, mon ange, c’est le plus beau cadeau du monde. » Ils traversent la rue main dans la main pour sonner à la porte de la maison en face de la leur, y’a la mère de Lily qui ouvre avec son sourire artificiel, manquerait plus qu’un gâteau parfait entre ses mains et on croirait qu’elle joue dans une publicité. Mam pousse Nemo vers le salon où Lily est en train de jouer à la poupée, lui chuchotant à l’oreille de ne pas oublier d’lui souhaiter une bonne Saint-Valentin. Il acquiesce avec gravité, Nemo, parce qu’il prend tout ça très à cœur. Il avance solennellement vers Lily qui ne relève même pas la tête de ses Barbies pour le regarder, se stoppe à un mètre d’elle en tendant la marionnette droit devant lui, vers elle, raide comme un piquet et les lèvres pincées. Il plisse les yeux parce qu’elle l’ignore encore, Lily, alors il se racle la gorge pour attirer son attention. Y’a deux billes bleu azur qui se posent sur lui, et comme un blizzard glaçant qui en émane. Y’a son corps frêle qui lui intime de reculer, mais il se ressaisit, gardant la marionnette dans sa direction avec toute la détermination du monde. « C’est quoi ? » Elle a les lèvres pincées aussi, Lily, mais sa moue tire plus vers le dégoût que la sienne. « Un monstre des marais. » Maintenant elle a franchement l’air dégoûtée, Lily, les lèvres qui se retroussent et le regard qui se détourne pour se concentrer de nouveau sur ses blondasses en plastique. « C’est pour toi. Bonne Saint-Valentin. » Il capte de nouveau son attention, à la gamine, mais cette fois elle tire carrément la langue, accompagnant sa grimace d’un « Beeeeeeurk, mais t’es trop moche, j’t’aime pas moi. » Elle se redresse, sa main s’empare du cadeau comme s’il s’agissait d’une immondice, la surprise qui se lit sur son visage poupon une seconde parce que ça colle aux doigts, et elle jette la marionnette par terre, l’écrase du talon. Devant l’absence de réaction de Nemo, les yeux rivés sur sa marionnette, elle se met carrément à la piétiner, puis à sauter dessus, jusqu’à c’que tout son travail artistique soit réduit à néant. Et comme Nemo pleure toujours pas, elle ajoute : « Toute façon, ma Maman, elle dit que les roux ils ont pas d’âme et que si elle avait eu un enfant roux, elle l’aurait noyé dans la baignoire. » Alertées par les cris, les deux mères débarquent dans le salon, et Mam embarque son diable roux qui se débat sous le bras, le sourire gêné des femmes embarrassées par le comportement de leurs gosses quand elle fait un bref signe de main à sa voisine. « Désolée, je lui rachèterai des Barbies », qu'elle bredouille, en jetant un dernier coup d’œil aux corps démembrés des poupées de plastique.