✧ 01 Il vit dans un appart’ miteux coincé entre un nightclub toujours bondé au néon vert fluo qui projette des lueurs glauques sur les murs et un bar qui diffuse des matches de football tous les jours de la semaine. Mais le bruit le dérange pas. En fait, il l’a choisi pour ça, pour que les voisins viennent pas se plaindre de la batterie passé minuit. Peuvent pas, y’a les cris des hooligans d’un côté et les boumboumboum de la techno de l’autre, et tout ce petit monde qui beugle jusqu’à cinq heures du matin dans la rue juste devant. La batterie, à côté, c’est quasi une berceuse. ✧ 02 Il adore parler espagnol et faire comme s’il comprenait que dalle à l’anglais pour faire chier les gringos. A part ça, il a toujours un accent pas possible quand il fait pas attention et il peut pas s’empêcher de rouler les r. Il s’en fout, c’est plus joli. Et lorsqu’il est en colère, faut pas lui demander de sortir un mot d’anglais, il préfère nettement les insultes et les jurons de chez lui. Même lorsqu'il est pas en colère, en fait. ✧ 03 Il causait d’ailleurs pas un mot d’anglais quand il a débarqué aux USA, ça l’a bien emmerdé à l’école parce qu’il comprenait même pas un mot sur quatre. Il était déjà mauvais en tout, alors il est devenu encore plus mauvais qu’avant, et balançait son bureau par terre dès qu’il arrivait pas à faire un truc – c’est-à-dire tout le temps – ce qui lui a valu d’être renvoyé plusieurs fois, jusqu’à c’que ce soit définitif. Il connait toujours pas ses tables de multiplication. ✧ 04 Les machines le détestent, il a zéro affinité avec elles, ordinateurs, radios, micro-ondes, télévisions, caisses enregistreuses, elles font jamais ce qu’il veut, il y comprend rien et il a pas la patience de lire les modes d’emploi. Il finit généralement par les exploser contre un mur dans la joie et la bonne humeur. ✧ 05 Il a vécu pas mal de temps avec sa grand-mère, ce qui explique pourquoi il a parfois des attitudes de vieux, du genre à vouloir rentrer chez lui à quinze heures pour regarder des jeux télévisés avec des lettres et des chiffres. Il a jamais capté les règles, mais il aime bien mater ça, la tête en bas et les pieds sur le dossier de son canapé. ✧ 06 C’est en partie pour ça qu’il a jamais été très fêtard avant de rencontrer Rhoan et Alice, parce que son abuela se couchait très tôt et l’incitait à faire de même, puis elle lui achetait des pulls tellement ringards que personne voulait l’inviter. Bon, y’a aussi le fait que personne ne l’aimait parce qu’il était grave chelou et qu’ils avaient peur qu’il casse la porcelaine de papa-maman dans un accès de rage. Mais c’est grave un détail. ✧ 07 La musique, c’est toute sa vie. Y’en a des tas, des p’tits mecs qui disent ça, avec des étoiles dans les yeux, occupés à rêver à leurs futures tournées. Y’en a moins qui ont la même culture musicale que Tito, intarissable sur tous les genres, tous les chanteurs, musiciens, auteurs, compositeurs, et là, bizarrement, il arrive à ressortir les dates, les titres des albums et des trucs que tout le monde ignore, sorte de wikipedia humain de la musique. Toute la mémoire qu’il a pas utilisée à l’école, elle est destinée à ça. Il est clairement et carrément monomaniaque, et il assume. Évidemment, il collectionne, et chez lui ça ressemble un peu à un magasin de disques. ✧ 08 Il est naturellement doué pour la musique, oreille absolue et rythme dans la peau, il a tout appris en autodidacte, même le solfège, réputé si chiant. Passionné jusqu’à l’obsession, ça lui arrive de travailler la même chose pendant des heures jusqu’à ce qu’il y ait des cloques sur ses doigts et du sang sur ses baguettes. Il a touché un peu à tous les instruments, notamment parce qu’il y avait un vieux piano désaccordé chez son abuela, mais la batterie reste son premier amour et celui de toujours. ✧ 09 Il a jamais été suivi ou traité pour ses troubles, Tito, même si déjà gamin il était pire qu’un chien atteint d’la rage, incapable de pas céder à ses pulsions, à ses envies de saccage. Ses parents s’en foutaient, ils trouvaient qu’il devait s’exprimer, c’est comme ça, les enfants. Pas vraiment, en fait. C’est pour se calmer qu’il a commencé à se camer, des downers plein les poches pour anesthésier le monstre. ✧ 10 Il avait quelques antécédents familiaux, faut dire, papá y mamá ils carburaient à la coke et aux amphét', et ses cousins lui ont filé du weed dès ses douze ans, histoire de le rallier à leur cause plus tard. Sauf que quand il a fallu rejoindre le gang, Tito il était pas très chaud, ça prenait du temps, c’était gavant, et lui il préférait jouer de la batterie. Alors il a pris ses baguettes sous le bras et il est parti à vélo. Il a pas vraiment fugué, il a juste dit à son abuela qu’il allait découvrir l’univers, et elle lui a dit de ramener du lait. ✧ 11 Il a fait le clodo pendant quelques temps, à dormir sous les ponts et à jouer dans des clubs de jazz et de salsa pour avoir à bouffer, mais il se faisait virer quand il s’mettait à jeter ses cymbales sur le public. Il a fini par atterrir dans un squat avec deux autres cassos trop défoncés, à se lancer dans des raves de tarés même s'il a jamais trop compris ce qu'il y foutait. Les STELLARR 505 sont nés, et il a plus jamais regardé en arrière, Tito. ✧ 12 Il ne croit pas en Dieu, mais il croit que ses parents sont au ciel et veillent sur lui, y’a rien à comprendre, c’est pas logique. Il leur a érigé un petit autel dans son placard, le genre trop coloré et couvert d’objets à la con comme des figurines qu’il a ramassés dans les poubelles, avec leur photo de mariage au milieu. Il leur parle et il leur écrit quand ça va pas, puis il leur laisse toujours un peu à manger. ✧ 13 D’ailleurs, aussi étrange que ça puisse paraître, Tito est un putain de cuistot en herbe qui fait des merveilles avec trois fois rien et toujours beaucoup trop comme une mama africaine. Il a vite compris qu’il pouvait grave pécho avec ça, et c’est devenu sa technique de drague de prédilection. A défaut de causer, il fait à bouffer. Par contre, il aime quand ça arrache, c’est le genre de mec qui s’avale des piments sans broncher. ✧ 14 Il a aussi la danse dans le sang, Tito, le corps qui se cale trop vite sur le rythme, qui se laisse porter par la musique. Il a un faible pour les danses latines, salsa, cha-cha-cha, parce que c’est c’qu’on lui a appris quand il était gosse et que c’est à ça qu’on reconnaît les bons danseurs. Il aime le vide que ça lui procure, les pensées qui s’estompent comme sous l’emprise de la drogue, bouger, bouger, bouger, pour pas se faire emporter par les cauchemars. ✧ 15 Si on lui demande de raconter une histoire, il choisit toujours la même, et ça commence par mi mamá era una puta. C’est celle qu’il avait racontée devant toute la classe en primaire quand il fallait présenter le travail de ses parents. C’est pas de sa faute si ses darons ont fait un remake de Pretty Woman, avec une femme un peu plus vulgos que Julia Roberts et un mec un peu moins blanc-bec que Richard Gere, et puis riche mais pas de façon très légale. Il s’en tape, que les autres se moquent. Lui, il l’aime bien, cette histoire.