« Heathcliff, on va avoir besoin du dossier de Borgens, matricule 46829... Figure-toi qu'il ne travaillait pas pour son compte, finalement t'as bien fait de pas l'envoyer en psychiatrie ! » Au fond de son bureau, Lazar lève un œil à peine surpris vers le directeur, déjà reparti vaquer à ses occupations. Quel étonnement... Carl Borgens. Un type qu'il avait interrogé, bien plus que ce que la police avait pu faire. Arrêté pour le meurtre de huit personnes sans liens directs avec lui. Le détail surprenant avait été qu'au lieu d'utiliser un flingue, comme tous les types dans la rue, lui avait préféré le poison. Cyanure notamment, ainsi que quelques mélanges fatals composés principalement d'acide. La deuxième chambre de son appartement avait pu être photographiée par un journaliste qui traînait et avait fait la une des journaux pendant trois jours, et la ville s'était affolée sur le cas du savant-fou. L'enquête avait suivie son cours, tout cela pour arriver à la conclusion – erronée, visiblement-, que Borgens était juste dérangé et adorait regarder ses victimes choisies sur le volet mourir à petit feu une fois le poisson ingéré. Piqûre ou assaisonnement pour le café, on ne pouvait pas lui retirer une habileté particulière. Pourtant, quelque chose clochait dans le profil. Carl était un homme parfaitement sensé, qui apparaissait surtout frustré de s'être fait pincer. Il n'avait pas tant cet attrait pour la mort, juste pour les résultats effectifs de ses petits cocktails. Un rat pouvait donc faire l'affaire, mais cela ne s'était pas déroulé ainsi... Alors, le directeur lui faisait plaisir. Borgens travaillait pour quelqu'un et était payé -ou du moins récompensé- pour son travail. C'était une supposition qu'il avait eue, mais que personne n'avait pris le temps de confirmer.

L'enquête avait fini par se rouvrir après avoir découvert d'autres meurtres, semblables aux œuvres de Borgens. Pas de suspect pour le moment, mais enfin un lien entre toutes les victimes. Des investisseurs pour une start-up à la notoriété grandissante. Visiblement, quelqu'un tentait de leur mettre des bâtons dans les roues. Lazar ne comptait pas y participer cette fois, s'amusant bien trop à regarder la police galérer. Malheureusement, il n'échapperait pas à l'interrogatoire en présence d'un flic. Et en remplissant la paperasse pour autoriser le visiteur à pénétrer dans la prison, il eut une sacrée mauvaise surprise de lire le nom de celui qui lui tiendrait compagnie pendant une partie de l'après-midi. Aden Lewis. Toujours flic, toujours starlette de la télévision, toujours petit con imbuvable. Quel plaisir... Ce n'était malheureusement pas comme s'il allait avoir le choix. On ne pouvait pas échapper à la présence de policiers en étant criminologue ; peu importe où l'on travaillait, on se faisait rattraper.

10h tapantes, Lazar était au poste de sécurité, patientant pour l'arrivée d'Aden. Ce fut sans surprises qu'il lui fallait poireauter vingt minutes avant d'enfin voir cette dégaine de grand dadais arriver, lunettes de soleil vissées sur le nez. Regard froid et air profondément agacé, l'homme prit le soin d'exacerber son regard en direction de l'horloge. « Je sais bien que les détenus n'iront pas loin, mais je suis assez occupé pour avoir autre chose à faire que de patienter pour que tu arrives. » Il tourna le dos, fit un geste du bras pour l'inciter à aller vers la sécurité, vider ses poches, déclarer son identité, récupérer son badge. À peine la chose faite, Lazar enchaîna le pas vers les couloirs gris et froids. « C'est l'heure de la sortie du matin. Je ne vais pas priver un homme de ce peu de liberté, tu comprends bien qu'autrement, ce serait impossible d'avoir le calme. » Dans un sens, c'était particulièrement arrangeant. Le criminologue avait quelques agréables surprises à proposer. « Je t'offre un café, et on y va. Profite-en pour m'expliquer ce que tu comptes tirer de Borgens. » Ils ne passeraient pas une minute de trop dans la salle de repos, que cela soit clair. Juste un café, et ils repartaient...