J'étais en train de polisher le comptoir d'un air absent lorsque Marko vint râler à côté de moi. Les traits rougeauds de colère, yeux annonçant la tempête. C'était lui qui devait me relever du service. Après trente secondes de grommellements intempestifs je finis par rompre mon mutisme. "Qu'est-ce que tu as encore à pleurnicher? Lazar t'as pas envoyé au charbon de toute la semaine et tu reviens de congés..." Il tourna vivement la tête vers moi pour déverser sa rancœur. Avec soulagement vu l'entrain qu'il y mettait. "C'est l'autre pute de Nadja. J'me suis encore retrouvé à la gérer et elle refuse de prendre un client ce soir. Il l'a demandé exprès pourtant, mais elle dit qu'il est trop pouillard pour elle." "C'est pouilleux." le corrigeais-je en levant les yeux au ciel. "Beh refile-le à une autre en lui disant qu'elle est pas disponible. De toute façon Nadja c'est pour la haute, pas pour des crevards. S'il est pas content tu le vires." "Mais Lazar a dit que..." "Ça suffit! J'me porte garant de lui trouver un client pour la nuit. Comme ça y aura pas de perte. Ferme-la et bosse maintant. Y a intérêt à ce que ce soit niquel." Je lui claquais un chiffon sous le nez avant de me détourner à grandes enjambées. Marko ne piperait pas mot, il aurait trop peur de s'en prendre une. Ou de disparaître du jour au lendemain. C'était beau le folkore autour du statut de nettoyeur. Et c'était tant mieux aussi: j'avais deux mots à dire à une certaine demoiselle.
Gentleman, je toquais à la porte. Pas de réponse. Agacé de resté planté comme un piquet je poussais doucement le battant pour trouver une pièce plongée dans la pénombre malgré le soleil radieux qui filtrait du dehors. C'était ainsi que vivaient, ou survivaient plutôt, les prostituées. Oiseaux de nuit, elles se paraient de leur plus beau ramage dans les ténèbres, profitant du jour pour se reposer. Mes yeux s'habituèrent peu à peu à la noirceur de la chambre avant de distinguer une silhouette perdue au milieu du lit king-size. Poupée de son au teint de porcelaine, le regard figé dans une contemplation invisible à tout être extérieur. L'énervement que je pouvais ressentir fondit comme neige au soleil. Nadja produisait cet effet sur moi. J'étais bien incapable d'expliquer pourquoi, mais quelque chose dans cette fragilité étincelante me poussait à un féroce instinct de protection. Il y avait quelques semaines je m'étais retrouvé dans cette même chambre à panser les plaies de la jeune femme. Elle avait alors refusé d'obéir à un quelconque ordre, absurde certainement, qui remettait en cause son intégrité déjà bien entamée. Le gars n'y était pas allé de main morte et lui avait fendu la lèvre. En réalité, elle aurait sûrement écopé de bien pire si je ne m'étais pas interposé. J'étais pas un saint, mais je refusais non plus d'assister à un martyr sans réagir. Ces filles de joies avaient beau exercer un métier différent des autres, c'était pas une raison valable selon moi pour blasphémer les droits fondamentaux de tout être humain. J'avais donc corrigé le type en le gratifiant d'un nez de travers et ramené Nadja dans sa piaule. Depuis un mystérieux vent m'amenait régulièrement à croiser sa route et essayer de la sortir au mieux de positions délicates dans lesquelles elle pouvait se fourrer. Corsaire de la reine en somme. Et là tout de suite, j'arborais un pavillon blanc, celui au tibias croisés en rechange. Au cas où... "Nadja?" l'appelais-je doucement, la voix roulant dans le silence comme le grondant d'un orage. Je m'approchais tranquillement, les pas à peine bruissant sur le sol, jusqu'à venir m'asseoir sur le rebord du lit. Le dos droit. Respectueux de son minuscule espace vital. "Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Marko? Il est venu pleurer dans mon giron parce que tu l'avais envoyé chier..." Toujours tout bas, j'esquissais un demi-sourire, soucieux de ne pas effrayer l'oiseau pas si fragile mais aux serres acérés et au cœur blindé.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Lun 16 Jan - 4:01
L'odeur âcre de l'air et le goût amer des nuits d'infortune. Nadja est encore une fois perdue dans tout ce maelström d'émotions et d'incertitudes qui lui tiraillent l'estomac. Elle est mal. Pas physiquement. C'est tout le reste qui hurle de douleur. Elle ne supporte pas cette situation. Ces nuits passées à chauffer des draps dégueulasses. Ces nuits passées à s'offrir à de parfaits inconnus. Sous prétexte qu'ils ont de l'argent, Nadja doit se pavaner à leurs côtés, les rendre avides de sa silhouette, affamés de son corps. Pas ce soir. Nadja, elle est malade de tout ça. Littéralement malade. A en avoir la nausée. Des crampes qui lui tordent le ventre. A ne plus pouvoir apprécier son reflet dans le miroir. Il n'y a rien qu'elle reconnaisse, surtout pas l'innocence d'antan. A l'approche de la nuit, le sentiment d'écoeurement ne fait qu'empirer. Elle ne veut pas y aller. Elle prie tout ce qu'elle a de plus cher pour ne pas y aller. Pas encore. Pas ce soir. Demain, peut-être. Alors elle essaye, vainement, de passer à travers les mailles du filet. Elle essaye de passer inaperçue, pour qu'on ne lui confie aucun service, ce soir, au club. En vain. Elle flirte avec la sanction, Nadja. Ce soir bien plus que les autres soirs. Elle manque la punition qui la fera regretter d'être née. Et ce soir, elle passe un peu plus proche du retour dans le noir. Alors elle file s'enfermer dans la chambre, volets clos. Il n'y a personne. Les filles sont toutes au travail, à cette heure tardive. Nadja, elle, ne souhaite que s'évanouir sous les draps et se faire oublier. S'oublier, peut-être même. Et c'est ce qu'elle semble faire, quand la porte cognée la rappelle brutalement à la réalité. Il est là, derrière, le bourreau qui viendra la plonger dans le noir. Elle a le coeur qui s'agite, un instant, calmé presque immédiatement quand elle reconnait Saul, derrière la porte. Saul et sa voix de velours. Saul et son réconfort à toutes épreuves. Je ne me sens pas très bien. Elle ne lui fera pas l'affront de lui dire qu'elle est malade à ne pas pouvoir sortir du lit. Pas à lui. Elle ne lui ment pas, à Saul, elle en est incapable. Elle le regarde, de son oreiller, assis sur son lit. Tout près d'elle. Elle resterait bien un instant de plus, juste comme ça. Sans parler. Sans peut-être même se regarder. RIen qu'à sentir sa présence. Et puis Nadja, elle s'agite soudainement. Se redresse subitement à sa remarque, le coeur reprenant sa course effrenée. Et l'esprit qui file à toute allure. Qu'est-ce qu'il a dit ? A qui d'autre il en a parlé ? Elle s'inquiète, Nadja. Parce que ce soir, c'était une erreur. Une faiblesse qu'elle a trop écoutée. Nadja, elle sait que si ses mésaventures parviennent aux oreilles des mauvaises personnes, son quotidien ne sera plus le même. Elle sait ce qu'elle risque. Et c'est bien justement ce qu'elle essaye d'éviter, tandis qu'elle lute contre elle-même et contre l'image écoeurante qu'elle se renvoie à elle-même. Tu viens me chercher, pas vrai ? C'est dit dans un demi-sourire invisible dans la pénombre. C'est résigné. C'est évident, pourquoi serait-il là, à part pour venir chercher le bétail manquant au troupeau. La tête plongée dans les mains, rien qu'un instant. Rien que le temps de réfléchir. A ses solutions. A ses issues de secours. A ses excuses. Si elle sort, elle sait ce qui l'attend. Mais si elle reste et qu'elle manque à l'appel, elle sait tout aussi bien que le sort lui sera tout aussi défavorable. Nadja, elle panique un peu plus. L'étau se referme un peu plus autour d'elle et il lui reste très peu de solutions viables. Qui lui permettraient de s'en sortir. Indemne. Ne me force pas à y aller. Qu'elle souffle, relevant la tête. Elle tente d'attraper son regard dans l'obscurité. De se raccrocher à quelque chose. A lui. La main douce vient le chercher et se referme autour de son avant-bras. Nadja, elle ne sait plus quoi faire. Plus comment faire. S'il te plaît, Saul. C'est un murmure, secret à demi-confessé. Ultime supplication. Elle fera ce qu'il voudra. Elle travaillera deux fois plus dur, demain et les autres jours. Mais ce soir, elle n'est simplement plus capable de rien.
Le visage de Nadja restait impassible. Ses traits, d'une beauté féminine et intemporelle, semblaient figés dans une expression de résignation aberrante mais compréhensible. Pendant quelques secondes, seules ses lèvres frémirent sous l'hésitation de parler ou non. Après tout je me trouvais de l'autre côté de la barrière, dans le camp de ceux qui exploitaient le trafic d'humains, qui vivaient de la chaire d'autres individus. De leur sueur. De leur sang. De leur temps. J'essayais de fermer les yeux sur toute cette merde, mais parfois elle refoulait tellement que vous étiez bien obligé de mettre les mains dedans. Enfin la jeune femme perça le silence de sa voix d'alto, légèrement tremblante mais tellement mélodieuse qu'elle m'égratigna le cœur. Mon intention première en venant la trouver avait été de lui secouer gentiment les puces pour la mettre au boulot. Mais face à cette phrase d'une bête sincérité je me retrouvais désarmé. Incapable de l'y forcer. L'oiseau s'effaroucha devant ma question. Je soupirais, las de devoir user ma salive et ma voix en explications. Nécessaire pourtant parce que je ne pouvais décemment pas la laisser s'inquiéter. Mais avant que j'ouvre la bouche sa main fine et minuscule se posa sur ma peau. Une peau claire mais qui paraissait presque tannée en comparaison à la sienne, translucide avec un velouté de pêche. Et cette petite main renfermait également une poigne non négligeable où transparaissait une pointe de panique et un refus féroce. Nadja était une survivante quoi qu'on en dise. Elle avait la rage au ventre et ce feu brûlant dans la poitrine. J'entendais ce fier accent jusque dans ses supplications. Baisser la nuque lui donnait le port d'une reine et non pas celui d'une victime. "Ça va Nadja." J'enveloppais à mon tour ses doigts dans une étreinte chaste et rugueuse. "Personne ne va te forcer à rien du tout, et Marko a bien compris qu'il devait fermer sa grande gueule." J'hésitais avant de poursuivre. " Mais il va falloir qu'on sorte d'ici. J'me suis porté garant pour toi. Tu sais ce que ça veut dire..." Dans ces cas-là on engageait sa parole pour quelqu'un. Et si quelque chose merdait vous étiez deux à trinquer. Ce qui dans un certain sens me rassurait parce que je ne foirais jamais. Mais bon nombre de certains crétins du gang attendaient comme des rapaces pour se repaître de mon cadavre en cas de chute. Marko compris. Tant que vous aviez du pouvoir ça filait doux, mais à la moindre faille tous les opportunistes du coin venaient y gratter, enfonçant leurs sales petits ongles pour l'élargir jusqu'à vous briser. "J'ai dit que je te trouverais un client pour éviter qu'on te mette avec n'importe qui. Il faut être rentable." J'inspirais profondément, peu enclin à lui dévoiler mes arrières-pensées, peut-être aussi à peine effrayé par le risque que je prenais en essayant d'aider une de ces "catins" comme disait Lazar. Pour autant, lorsque je repris, rien ne filtra sur mon visage. "Tu vas passer la nuit chez moi. Demain matin tu repartiras avec la somme qu'on attend de toi et surtout tu dis rien à personne, surtout pas aux filles, elles cancanent trop. On est bien d'accord?" Honnêtement j'aurais pu porter un bonnet d'âne là tout de suite. Saul, le preux chevalier au secours des gentes dames. Si jamais je me faisais prendre à couvrir un des "papillons de nuit" j'allais être dans la mouise. Jusqu'au cou. Au cou parce que ma tête serait certainement partie faire un tour loin de son tronc après avoir était plus ou moins proprement coupée. Mais c'était plus fort que moi. Une délicate aura de vie nimbait fragilement Nadja, faisant encore ressortir davantage la solidité de sa carapace. Elle ne se dérobait pas à ses obligations habituellement. Au pire, elle les contestait mais toujours avec intelligence. Si elle réclamait une pause aujourd'hui c''était que la rupture ne devait pas être loin et j'étais sensible à cette demande. Parce que moi aussi j'aurais pas dit non à un arrêt sur image. Partir sous le soleil pendant quelques semaines et ne se soucier de rien à part d'un rendez-vous avec la serveuse du bar draguée la veille, où jusqu'à quelle heure j'allais glander sur la plage.Pas de gros calibre. Pas de scie sauteuse. Pas de traînée de sang. Ou de prunelles mortes. Je me levais du matelas pour empoigner un sac que je lui balançais sur les genoux. Même si elle ne me répondait pas par l'affirmative je ne lui laisserais pas le choix. J'avais trop ouvert ma grande gamelle pour lui permettre d'aller faire courir le bruit que Saul avait en réalité un cœur, minuscule peut-être, mais bien vivant et surtout trop tendre. Un palpitant dont on pouvait au final abuser. Non, agir selon ses désirs serait signer mon arrêt de mort au sein de la bande. Et j'étais un survivant moi aussi.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Dim 22 Jan - 7:48
dans le noir, nadja se raccroche à la voix de saul. saul, qui semble la guider à travers l’obscurité. saul, qui semble avoir bien plus de solutions qu’elle n’en avait autrefois. nadja, elle a usé de tous les stratagèmes, utilisé toutes les excuses pour paraître crédible une fois de plus. pour passer inaperçue, à nouveau. elle sait, qu’on n’acceptera pas d’elle le fait qu’elle soit malade à en crever. elle sait, que ce dont elle tente de se persuader ne pourra plus être accepté, parce que nadja, si elle continue d’espérer, elle reste lucide. alors pour la première fois depuis longtemps, nadja ne sais plus quoi faire. perdue dans les méandres d’une organisation bien trop cruelle, bien trop violente pour elle. nadja, elle se dit tous les soirs qu’elle n’a rien à faire parmi eux et pourtant, elle accepte son châtiment sans même tenter de s’en échapper. ce soir, c’est saul qu’elle écoute. apaisée par le contact chaud de leurs mains dont elle se rend compte avoir étrangement besoin et par les réponses qu’il apporte. elle hoche la tête nadja, distraitement. inquiétée davantage par ce qu’il propose. elle essaie d’en comprendre les lignes. ce soir, c’est saul le client. Je ne peux pas te laisser faire ça. C’est bien trop d’argent, et s’il arrive quelque chose.. Non, c’est trop risqué. La tête hochée fermement, dans l’obscurité, presque effrayée, perdue un peu plus dans les choix impossibles qui s’offrent à elle. Nadja, elle ne connaît que trop bien les dangers qu’ils encourent, et c’était justement ce qu’il la tourmente. Toute sa vie, elle avait fait en sorte de ne pas s’attirer de problèmes, de filer droit. Passer inaperçue. Ce soir, elle avait l’impression que tout pourrait devenir différent. Qu’elle flirtait étrangement avec le trou noir du cachot qui l’effrayait tellement. Et si elle aurait donné n’importe quoi pour ne plus jamais y retourner, Nadja était aussi malmenée par le fait d’obtenir un temps mort, rien qu’une nuit. Un seul soir, de liberté. Et pour la première fois, il ne s’agissait plus seulement d’elle. Elle ne permettrait pas qu’il arrive quelque chose, et encore moins qu’il lui arrive quelque chose, à lui, par sa faute. Parce qu’il prenait simplement trop de risques à vouloir la sortir d’affaire, parce qu’il avait décidé de l’aider, le premier. Le seul. Et ça compte pour Nadja. Si elle a l’impression de ne pas tout à fait cerner ses intentions, encore moins ses raisons, elle a cet instinct qui lui soufflait confiance. Sans trop savoir dans quoi elle s’engage, elle se retrouve à fourrer dans le sac qu’il lui jette les quelques affaires qui lui semblent nécessaires. Il ne lui laisse pas le choix, et au fond, Nadja n’a pas vraiment envie de discuter l’ordre qu’il lui donne. Alors elle glisse le peu qu’elle possède, ou presque, à l’intérieur d’un vieux sac qu’elle referme rapidement. Il n’y a plus de temps à perdre, il y a juste celui de la fuite, qu’elle prend sans même réfléchir. N’importe quoi pour échapper à son monde d’infortune. Saul, je.. t’es pas obligé. c’est presque un merci soufflé à demi-mots dans l’entrebâillement de la porte, avant de faire face à la lumière du jour, dans un ultime retour vers l’arrière, pour lui faire face. comme pour lui donner une porte de sortie, s’il change d’avis. elle ne lui en voudra pas. Pourquoi tu fais ça ? la voix douce qui s’élève, dans le noir. et le regard qui cherche les vérités au fond du sien. parce que non, il n’est vraiment pas obligé de faire tout ça, encore moins pour elle, rien qu’une bête de foire parmi tant d’autres qu’ils possèdent, et pendant un instant, nadja se demande pourquoi il le fait. pourquoi il s’entête à s’embarquer dans cette histoire avec elle, quand il pourrait simplement faire comme tous les autres. fermer les yeux et ne pas s’en inquiéter.
Patiemment, un air morne toujours plaqué sur le visage, je l'observais rassembler quelques effets. Nadja restait méfiante, et j'pouvais comprendre. Fallait être le dernier des cons à débourser un montant à quatre chiffres pour éviter des ennuis à une prostituée. Chose qu'elle avait pas manqué de faire remarquer. Chose qu'il fallait garder secret pour que d'autres ne le remarquent pas. "T'occupes pas des détails et magne. On va sortir par la porte de service." A cette heure-ci les clients de tous poils commençaient à arriver, pour picoler, mater les filles, les entraîner au pieu en alignant les biftons. Parfois les trois, pas toujours dans le même ordre. Bref tout le monde devrait être plus ou moins occupé pour éviter de poser trop de question. "Tu l'ouvres pas, y a que moi qui parle OK? Si on nous demande, je joue le chauffeur privé pour t'emmener chez ton banquier de la soirée." Un dernier coup d’œil circulaire à la piaule qu'elle partageait avec une petite dizaine d'autres filles. Y avait le strict minimum, mais certaines des locataires avaient pris le soin de décorer par des photos ou d'autres affiches leur petit coin. Histoire de se rappeler parfois, j'imaginais, pourquoi ou pour qui elles en étaient là. Et qui elles étaient au delà des poudres et des fards. La mine maussade j'ouvris le battant et m'effaçais pour la laisser passer. Mais au lieu d'avancer docilement, elle se retourna une dernière fois pour s'assurer de ma bonne foi. Compréhensible. Je lui déroulais le tapis rouge pour une soirée de break. Improbable. Mais sincère pour autant. "Je sais. J'me sens pas obligé." J'en avais envie. Mais impossible de déballer un truc pareil. D'avouer que notifier une nouvelle ecchymose sur ses bras me tordait les tripes. Que ces derniers temps j'avais de plus en plus de mal à accepter d'être du côté des négriers. Que des filles, j'en avais vu défiler, mais qu'elle j'pouvais pas. J'pouvais pas la voir sauter dans le vide jusqu'à se laisser étouffer par l'abîme. Les mots restèrent bloqués dans mon plexus, comme d'habitude. A la place je lui fis un geste sec pour lui faire comprendre d'avancer. Pour soigneusement dissimuler également les pensées impies à la religion de Lazar qui m'agitaient. Déjà le bâtiment bruissait d'agitation. Dans l'escalier nous croisâmes une de ses collègues, la bouche carmin étirée en un chaleureux sourire, et son premier client de la soirée. Un homme bien charpenté mais à la mine patibulaire visiblement éméché. J'ignorais le duo mais aurais juré apercevoir un coup d’œil interrogateur à l'intention de Nadja. Tendu par l'idée de nous faire remarquer par un Anton ou autre de cet acabit je la pressais d'une poussée entre les omoplates. Un couloir s'offrit de chaque côté. A gauche se situaient l'entrée au club, obscur et bruyant, et le salon des filles dégageant une lumière chaude et caressante. Tamisée par les ombres chinoises des corps dans l'attente. A droite des bureaux, des sanitaires, des réserves. Et surtout notre discrète porte de sortie. Je l'y entraînais à longues enjambées tranquilles soucieux de jouer correctement mon rôle habituel. Mais bien évidemment c'est à cet instant que Marko choisit de ramener sa sale gueule. "Hé Morris! T'as réussi à nous décoincer l'balais coincé qu'elle avait? Mets-la dans le salon si tu veux, il reste de la place." Avec une patience infinie je me contentais d'expirer doucement tout en luttant contre l'envie pressante de lui foutre mon poing dans ses dents déjà de travers et d'observer avec bonheur des filets de sang en jaillir. Les prunelles dures, je mis en garde Nadja de garder le silence. "Ouais justement. J'l'emmène chez un gros client, donc elle fait du à domicile cette nuit. J'la ramènerais tôt demain matin." C'était plus que concevable. Il arrivait régulièrement qu'on joue les chauffeurs pour les belles de nuits. D'une part pour s'assurer qu'elles se feraient pas la malle trop facilement et récupérer le fric, d'autre part afin qu'elles oublient jamais qu'on était là. Mais Marko me paraissait hésitant. L’œil méfiant il marmonna quelques protestations. Et ce dut être son putain d'accent incompréhensible chuchoté qui rompit les digues. Je filais directement sur lui pour l'empoigner vivement au col, la main plus preste qu'un cobra. Son front à quelques centimètres du mien. Et ses dents... "Hé, je suis pas en train de te demander ta permission. Ou même ton avis. La seule chose que t'as à faire dans ces cas-là c'est de répondre "oui monsieur", te tirer et bosser correctement au moins une heure dans toute ta putain d'existence. J'pense pas que ce soit trop dur à comprendre pour le plus abrutis des cons. Et tu te situes juste au dessus de lui, ça tombe bien..." Je pouvais voir une rougeur commencer à s'étaler sur ses pommettes et son expression s'horrifier. Même parmi les méchants j'avais ma petite réputation. "Va falloir que je te rappelle comme la dernière fois comment tu dois faire quand je dis quelque chose?" Pendant quelques secondes son égo de mâle et l'instinct de survie se débattirent dans son regard. Le deuxième l'emporta sagement. Exhiber sa mâchoire bleuie pendant une bonne semaine avait déjà égratigné sa virilité. Surtout lorsque tout le monde avait su qui le lui avait infligé. Et qui pouvait savoir jusqu'où le nettoyeur irait... "Nan m'sieur." souffla-t-il en serrant des dents. Dans la foulée je relâchais mon emprise sur le tissu pour le laisser pantelant sur ses pieds, tandis que j'agrippais le bras de Nadja et l'entraînais à ma suite. Une seule envie me taraudait: celle d'étendre mes jambes sur la table basse, clope au bec et verre de bourbon dans une paluche.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Sam 4 Fév - 5:54
nadja n’est pas habituée aux traitements de faveur. et pourtant, ce soir, il semblerait qu’on ne lui en offre un. saul, derrière l’expression dure et les traits fermés, derrière l’agilité des gestes précis et tranchants ne laissant place à une aucune contradiction, lui permettait de s’évader, rien que le temps d’un instant. une soirée perdue dans le temps, à s’éloigner de ce cancer nocif qui lui ronge les veines depuis trop d’années maintenant. une soirée sans craindre rien ni personne. nadja oublie presque à quoi les soirées des gens normaux peuvent ressembler. elle craint seulement qu’il puisse changer d’avis, et ce serait même compréhensible : personne ne se mouille pour de simple prostituées, pas alors qu’elles sont si facilement remplaçables. pas alors qu’elles sont si facilement oubliables. alors devant les traits impardonnables de saul, elle se contente d’hocher la tête sans demander plus d’explication et de sortir à sa suite. nadja, elle sent son palpitant s’agiter une première fois dans les escaliers, alors qu’elle croise miranda et vraisemblablement l’un de ses clients. un simple regard échangé, et pourtant, nadja, le coeur battant, ne craint que le secret se lise sur son visage. qu’il suffirait qu’elle ouvre la bouche, pour que l’on détecte immédiatement le mensonge qu’ils tentent si bien de cacher. alors, baissant les yeux, nadja continue son chemin sans se douter que le pire est encore à venir : c’est marko qui les trouve alors même qu’ils s’apprêtaient à sortir par l’issue de secours. évidemment. marko et son regard plein de mépris, marko et ses mots qui dépassent largement la patience de nadja. marko à qui elle dirait bien deux mots, quitte à assumer les représailles, si saul ne la faisait pas taire d’un regard autoritaire. les dents plantées dans la joue, elle chevrota à peine lorsque saul quitta son côté pour se ruer sur le scélérat : nadja condamnait toute forme de violence mais elle était incapable de lui en tenir compte. il l’avait bien mérité. de nouveau en route, elle attendit qu’ils soient dans la voiture, à l’abris des regards indiscrets et des oreilles traînantes pour glisser un malicieux j’ai toujours rêvé de faire ça dans un sourire timide qui se révèle avant de passer le reste du trajet dans le silence le plus complet. l’appartement de saul est exactement comme nadja l’imaginait. petit, austère. une grotte dans laquelle se cache l’ours, pour s’écarter du monde. c’est comme poser les pieds dans le plat, pour nadja, qui avance au milieu de la pièce principale sans savoir ce qu’elle fait véritablement ici. elle n’appartient pas à ce genre d’endroit, nadja, son aura lumineuse n’éclairant que trop l’endroit terne et renfermé. alors c’est ici que tu ramènes toutes les femmes avec lesquelles tu sors ? léger coup d’oeil sournois, mais nadja se demande si c’est véritablement le cas. si elle n’appartient pas ici, elle doute qu’une femme trouve sa place dans cette garçonnière bien gardée. mais elle peut pas s’empêcher de s’épancher sur le peu d’effets personnels qu’elle aperçoit, nadja. un cadre. quelques objets. elle devine difficilement nadja, les contours du passé de saul. sa vie, en dehors du gouffre dans lequel ils sont engloutis. elle laisse ses doigts glisser sur le bois froid, et la curiosité mal placée lui décroche un fin sourire, doux et discret, qu’elle cache aisément dans le peu de lumière. ça doit être confortable d’avoir tout cet espace pour soi. c’est la voix douce qui l’emporte, les pensées filant au gré du vent. une pièce pour elle toute seule, elle en rêve nadja. cela fait trop longtemps qu’elle n’a plus connu ni la solitude ni la moindre petite parcelle d’intimité : dans ces appartements bondées dans lesquels les filles sont entassées, elles partagent tout, sans trop avoir le choix. il n’y a que cette petite boîte à musique, que nadja conserve bien précieusement pour elle et elle seule. pour le reste, rien ne lui appartient vraiment. peut-être que ce soir, c’est le plus près qu’elle puisse s’approcher d’une forme d’intimité. mais en même temps, nadja en est certaine : après tant de temps passé à vivre les unes sur les autres, ce n’est pas le soulagement qu’elle ressentirait d’avoir enfin un endroit rien que pour elle, ce serait la solitude, qui la ramènerait à des endroits qu’elle préfèrerait oublier. tu ne te sens jamais seul, ici ? alors elle s’éloigne un peu, nadja, avec la grâce qu’ont les danseuses. ça fait bien longtemps qu’elle ne danse plus, nadja, mais elle pourrait peut-être s’imaginer faire quelques étirements dans un endroit comme celui-ci, seule et à l’abris des regards. elle est plantée, au milieu de la pièce, inconfortable. elle ne sait ni quoi dire ni quoi faire, nadja, après tout c'est la première fois qu'elle se retrouve dans une telle position et elle sait très bien que ce n’est pas ici qu’elle appartient, nadja. que saul l’accueille mais qu’il peut tout aussi bien la mettre dehors, la dénoncer, dès qu'elle fera un pas de travers. que c’est pas son monde, ici, et qu’ils ont beau essayer, saul et nadja ne tromperont jamais personne, et certainement pas eux.
Elle avait l'air déplacé Nadja, au milieu de mon salon. C'était comme une brise folâtrant au travers de l'atmosphère nicotinisée. Comme une ampoule 2000 watts plein phare... Elle possédait une grâce singulière qui la faisait danser à chacun de ses mouvements, ondulant doucement sa crinière blonde.
Nous avions passés un trajet silencieux, sans laisser nos regards se croiser. Dans ma tête résonnaient déjà en boucle les précautions à prendre: tirer les rideaux, la faire passer par le parking, me servir un double whisky. Un joyeux bordel qui clignotait à perdre haleine dans mon cerveau tandis que ma compagne se gardait absorbée dans le paysage aux alentours. J'habitais pas très loin, en périphérie du quartier, limitrophe des frontières de la ville. Idéal lorsqu'on voulait en sortir en évitant les grandes artères du centre. Je m'accordais néanmoins le luxe d'effectuer de petits détours, histoire de vérifier ne pas être filé. Jusqu'à ce qu'on arrive en bas de mon immeuble, pas trop miteux, qui comportait un petit appartement avec une orientation plein nord. Ce qui ne me dérangeait aucunement puisque je me foutais royalement d'avoir une "lumière naturelle très présente" chez moi.
Et voilà comment je me retrouvais avec une putain de fée clochette dans mon salon en train de me chambrer de sa voix cristalline. Je tordis la bouche en un rictus forcé, presque mal à l'aise de devoir développer mes rapports chaotiques avec le genre opposé. "Non je vais chez elles. J'aime pas petit-déjeuner avec quelqu'un." J'm'en fichais qu'elle puisse discerner ou non l'ironie du vrai. Ma vie sentimentale actuelle était à l'état de néant, et j'avais d'autres besoins plus urgents à traiter. Comme me racheter une conscience par exemple. C'était pas non plus parce qu'il me suffisait de payer une fille pour trouver un exutoire. Je consommais pas la marchandise. Ceux qui s'adonnaient à ce genre de choses étaient au choix des pervers notoires, conscients de pouvoir abuser de leur petit pouvoir, ou des transis d'amour envers des jeunes femmes ne cherchant qu'à s'échapper du piège. Enfin j'pouvais parler... L'apparition leva ses grands yeux de biches vers moi, continuant à poser des question au timbre fluet. "Seul? Quatre-vingt pourcents du temps je suis à l'extérieur, en train de me coltiner une foule de gens. Alors me retrouver dans un 60m² les vingt restants avec pour unique compagnie mon illustre personne me convient parfaitement." Je haussais les épaules devant son air interrogateur. J'étais casanier, ça datait pas d'hier. Je fuyais la moindre soirée rassemblant plus de cinq personnes, en dehors des réunions pour le gang. J'étais pas à l'aise en société, ne parvenais jamais à saisir les codes des uns et des autres. Et j'parlais même pas des gonzesses. A part quelques unes attirées par le ténébreux du comptoir qu'elles apercevaient pour la première fois et qui se laissaient tenter pour un coït en règle, mes relations tournaient autour du zéro absolu. La dernière prétendante au titre de dame Morris avait mis les voiles en quatrième vitesse lorsque j'avais fait mine de lui agiter un anneau sous le nez. Fallait dire que j'étais pas simple à vivre. Et que mon business n'était pas non plus facile à accepter. (Salut chérie, t'imagine pas le mal que j'ai eu à dénicher où refourguer le cadavre... On s'prend l'apéro?) Je détaillais les courbes de Nadja. La volupté personnifiée. Une paires de jambes interminables surmontée d'une chute de rein éblouissante. Je devais presque faire le tour de sa taille menue avec mes mains. Elle avait un teint de pêche et des lèvres mutines qui vous donnaient envie de les mordre. En somme c'était un beau brin de fille. Mais ici, sans toute cette agitation autour sur laquelle se concentrer, je me rendis compte d'ignorer jusqu'à son âge. Dix-huit ans? Vingt-cinq? Pas foutu de le dire... Incapable de trouver autre chose, je me levais pour ouvrir le frigo, duquel un paquet de yaourt et deux bières me firent un doigt. Ouais, j'avais oublié ce détail. Je mangeais qu'à l'extérieur la plupart du temps, parce que j'avais aucune envie de me donner la peine de faire à bouffer. "On va se faire livrer un truc..." soupirais-je en refermant mon triste garde-manger avant de tendre une pile de prospectus à la jeune femme. "Choisis ce que tu veux je m'en fous. Dis-moi quand t'es prête que j'appelle." Hors de question de prendre le risque que quiconque entende une voix féminine à mon numéro. Être invisibles et prudents serait la plus sûre manière d'éviter d'ébruiter mon accès de compassion imprévue. "Tu veux boire quelque chose?" l'interrogeais-je en débouchant d'un même mouvement la bouteille de bourbon. Je m'en envoyais une rasade généreuse, délicieuse, comme si elle allait me laver de l'intérieur de chacune de mes fautes. Faudrait peut-être que je songe à consulter Tobias pour des glaçons d'eau bénite. Santé mon père, car j'ai péché...
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Jeu 9 Fév - 7:02
c’est comme un ange au milieu des enfers. qu’est-ce qu’elle fait là, nadja ? avec saul, qui plus est ? elle n’a rien à faire ici. elle devrait même pas connaître cet endroit, jamais il n’aurait dû la laisser entrer. jamais même n’aurait-il dû lui proposer de l’emmener, de lui offrir une pause dans le temps et son petit espace confiné qui la rendent malade. mais voilà, c’est trop tard, nadja est là, et nadja n’est pas certaine d’un jour oublier qu’elle y est venue, ici. elle s’en imprègne, de l’endroit, de l’espace, des objets ici et là. et de saul, comme un poisson dans l’eau, dans son environnement, si ce n’était pour elle. pour elle, l’éléphant dans la pièce, celle qu’on ne pouvait ignorer. peut-être qu’il regrettait de l’avoir emmenée. peut-être qu’il regrettait de l’avoir tirée de cette sale affaire qui la dévorait, même rien qu’une seule nuit. peut-être qu’il regrette oui, quand nadja se montre un poil trop bavarde, un peu trop joyeuse, à poser des questions qu’elle devrait garder pour elle. mais que voulez-vous, ce n’est pas tous les jours qu’elle se voit offrir un passe-droit. une seconde chance, d’être quelqu’un d’autre qu’une fille de la nuit. et nadja, elle est consciente des risques oui. consciente de tout ce qui pourrait les attendre, si jamais on venait à les découvrir. ils ne font rien de mal, et pourtant ils risquent gros. mais nadja, peu importe les risques, peu importe les dangers, nadja ne reviendrait là-dessus pour rien au monde. les genoux recroquevillés contre elle comme appui à la tête lourde posée dessus, et le regard, chaud, qui sonde, qui scrute. qui détaille les traits de son visage comme si c’était la première fois qu’elle les voyait, sans même faire une quelconque remarque à ce propos. t’aimes pas trop les questions, hein. demi-sourire, là, tout en douceur, dans la lumière sombre. nadja, elle observe beaucoup, c’est une vieille habitude qu’elle a prise, comme un instinct de survie qu’elle aurait développé. tout voir, et ne rien dire. c’était ça, nadja. et nadja, elle remarque bien qu’elle met saul mal à l’aise avec ses questions. qu’elle se confronte à son air fermé et son ironie cinglante depuis qu’elle a tenté de se montrer un peu trop curieuse, dans la chambre du club. et nadja a beau y réfléchir, elle n’arrive pas à le cerner complètement. elle n’arrive pas à discerner le saul qui s’est montré à elle, un peu plus tôt, de celui qu’elle a maintenant en face d’elle. elle ne sait pas ce qu’elle fait, ce qu’elle dit pour qu’il change de cette façon, elle ne sait même pas si ça vient d’elle, finalement. nadja, qui cerne d’habitude si bien les gens en quelques coups d’oeil, se retrouve face à une impasse. saul, trop habitué à renfermer tous ses secrets, n'entrebaille même pas la porte pour laisser nadja y glisser un pied. compris. elle hoche pourtant la tête pourtant, parce que du peu de chose qu’elle a compris, c’est qu’elle doit rester silencieuse. ne pas se faire dérangeante, et c’est ce qu’elle fait, dès à présent. les genoux qu’elle tient contre elle alors qu’elle tâche de ne pas trop le regarder. c’est si étrange, comme soirée, mais nadja tente de ne pas trop s’en formaliser. elle est reconnaissante, après tout, que saul lui ait offert un passe droit. et si elle n’en comprend pas encore très bien les raisons, si elle ne parvient pas à distinguer les regrets des regards plus doux qu’il pose parfois sur elle, nadja n’a pas envie de gâcher cet instant de repos. cette seule soirée, où, pour une fois, on ne la force pas à s’offrir pour quelques billets. elle est bien, là, finalement. bien mieux que dans une chambre miteuse ou à l’arrière d’une voiture, à déshabiller un homme dont le regard la fera frissonner d’effroi. nadja, elle jette un coup d’oeil peu intéressé vers les menus qu’il lui tend, l’estomac noué. rien de tout ça ne lui fait véritablement envie. ça ira, je n’ai pas très faim de toute façon. elle repose les menus d’un air las sur la table basse, relève la tête. dîner, peut-être pas, mais elle était toujours partante pour un verre, nadja. quelque chose de fort que lui offraient les clients, de quoi lui donner le courage d’affronter les soirées difficiles. la même chose, c’est parfait. nadja, elle est pas effrayée par les alcools forts. habituée à bien pire par le passé, elle se dit qu’un verre de liquide ambré ne pourra que lui faire du bien. l’aider à se détendre, un peu. elle sent bien qu’elle n’est pas chez elle, nadja, qu’elle n’est pas non plus à sa place et c’est peut-être même encore pire que le petit appartement qu’elle partage avec les filles. c’est inhabituel, presque malaisant, et nadja est presque certaine que la sensation aussi identique pour elle que pour lui. elle essaye, se confronte à des murs. alors elle essaye autrement. mais elle ne sait pas trop comment agir. personne ne lui a donné le mode d’emploi, de ce qu’il fallait faire quand on se retrouvait chez le boss pour la nuit. ce qu’il fallait dire, et ne pas dire. nadja, elle est pas le genre à être effrayée facilement, de toute façon. alors elle se relève, finalement. pas vraiment décidée à passer la soirée à se regarder dans le blanc des yeux. je peux préparer quelque chose rapidement si tu préfères. peu habituée à la cuisine, nadja n’est tout de même pas une cuisinière désastreuse. elle n’a jamais eu besoin de grand chose, nadja. quelques fonds de placards. un peu d’épices, qui la ramènent aux après-midi chez grand-mère à préparer les meilleurs repas. nadja a toujours pensé qu’il ne suffisait d’un rien pour créer un peu de magie. elle n’est pas certaine que saul accepte, ni même qu’il en avait envie. à moins que les dîners ne soient comme les petits-déjeuners. qu’elle lance, le fin sourire au bout des lèvres, plaisanterie douce en rappel de ce qu’il lui a dit tout à l’heure avec un ton si dur. peut-être bien qu’elle pouvait le faire changer d’avis, oui, s’il la laissait faire. de nouveau plantée au milieu de la pièce, nadja ne prend pas de décisions, jamais vraiment en tout cas. mais là, tout de suite, il lui fallait bien faire quelque chose, se rendre utile, au moins, pour ne pas devenir folle.
Nadja qui souriait c'était un peu comme un feu d'artifice. Ça commençait par quelques étincelles avant d'en projeter des gerbes brûlantes droit au coeur. J'me retrouvais désarmé, démunis devant cette douceur dont elle rayonnait. Moi j'étais habitué aux grosses voix masculines, aux faux sourires de la gente féminine, aux regards respectueux et craintifs. J'savais plus quoi faire. "C'est juste que d'habitude j'me contente de me taire. J'suis pas de ceux qu'on qualifie de mec sympa." Je me passais la main dans les cheveux et avalais une nouvelle gorgée de courage liquide. J'voulais pas paraître vacillant, mais j'voulais pas non plus la laisser s'imaginer une quelconque animosité. J'm'en foutais de ce que les autres pensaient ou disaient. Mais la demoiselle toute lumineuse qui se tenait devant moi, ça m'aurait dérangé qu'elle s'imagine devoir cohabiter avec un vieux con. A sa demande je réitérais le même verre que précédemment. Cela m'étonnait de sa part. Ce qui n'aurait pas dû puisqu'à force de côtoyer des filles de l'est j'avais pu me rendre compte du fondement de leur réputation avec l'alcool fort. Je la regardais se saisir du récipient avec sa petite main et faire tournoyer les glaçons en tintant. C'était sexy. Sa proposition pour s'occuper de nous rassasier me fit sourire cette fois-ci. "Si tu trouves quelque chose de potable dans les placards ce sera volontiers. Ça fait une éternité que je n'ai pas mangé du "maison"." Machinalement je pendais une blonde à mes lèvres avant de poursuivre. "J'aime bien les dîners justement. En tout cas fais comme chez toi Nadja. J'te laisse le lit, faudra juste changer les draps. Y en a des propres dans l'armoire de la chambre." Mon ton c'était radoucis. Le grondement se transformait en Progressivement, grâce à mon environnement terne et familier, loin de l'ambiance survoltée du club, je parvenais à me détendre. Au contraire de mon invitée qui semblait entretenir une ardente défense. Un peu de ma faute évidemment, avec mes manières rugueuses je faisais un hôte bien piètre. Dans une absurde tentative de paix je me mis en devoir de faire la conversation. "Dis-moi, après le dernier épisode avec Marko personne ne t'a embêté? 'Fin j'veux dire qu'il faut pas hésiter à venir me trouver si c'est le cas. Y en a quelques uns qui sont passés à côté de l'apprentissage du respect élémentaire et ça m'ferait plaisir de reprendre les bases..." J'me rendais pas compte de la maladresse dont je pouvais faire preuve. J'avais pas un sens du tact inné, et les mondanités et moi ne faisions pas bon ménage. En réalité je ne savais pas de quoi d'autre nous pouvions discuter. J'avais connu Nadja dans le cadre du boulot, et réciproquement. C'était compliqué pour moi de déterminer quel sujet banal nous aurions pu aborder. J'étais définitivement rouillé. Je vis son regard s'égarer sur les rares éléments de décoration parsemant l'ameublement. Elle effleura de ses pupilles le cadre où trônait l'unique photo de mon passé. Dedans, deux petits garçons aux sourires édentés et blonds comme les blés encadraient une femme aux traits doux et incontestablement beaux. La seule preuve d'une existence encore un peu innocente. Trois ans après la prise j'effectuais mon premier délit. Mal à l'aise je me levais pour retourner l'objet. J'voulais pas de questions. Certainement parce que j'étais pas capable de donner et assumer les réponses. Et encore moins d'une compassion corrosive qui suinterait le long de mon palpitant.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Sam 18 Fév - 5:41
c’était étrange. comme une fissure dans le temps. une soirée de repos octroyée avec saul. pas de question. pas vraiment d’inquiétudes non plus. rien que les deux clandestins cachés dans la pièce principale à l’odeur renfermée et nicotisée. une soirée loin du gang. une soirée loin de ce qu’elle était. là, sous le regard impassible de saul, elle était presque certaine d’être une autre. et c’était tout ce qui comptait. au milieu de la pièce, le verre de bourbon à la main, elle hoche la tête, en direction de la cuisine. ma grand-mère disait toujours qu’il suffisait toujours d’un rien pour faire un miracle. nouveau sourire, à l’évocation de sa nana. la grand-mère de nadja était une femme douce, mais une femme qui avait vu du pays, qui avait connu la guerre, l’explosion du pays, qui avait connu la pauvreté et qui avait vécu les deux pieds dedans jusqu’au jour où on l’avait privée de nadja. nadja n’avait su ce qui lui était arrivée, et elle ignorait même si elle était encore vivante, à ce jour. mais le coeur sombre à cette pensée morose, nadja ne préfère pas y penser. elle se contente de ces quelques souvenirs éparpillés dans sa mémoire, celle qu’elle chérit encore presque chaque soir, avant de fermer l’oeil. mais en découvrant le contenu des placards de saul, nadja n’est pas certaine que le proverbe soit toujours de situation. elle contemple quelques secondes ce qu’ils contiennent, et laisse quelques épices crépiter dans une poêle avant d’y faire revenir du riz. et son regard se perd, de nouveau. sur les quelques rares effets personnels. un cadre, que saul retourne pendant qu’elle a le dos tourné. elle le voit. et il la voit, elle aussi. elle a le regard figé nadja, pendant une courte seconde, et détourne les yeux vers sa poêle comme soudainement débloquée de sa paralysie momentanée, comme si elle n’avait rien vu, dans un moment bien trop embarrassant pour chacun d’entre eux. et cette image qu’elle repasse devant ses yeux, à laquelle elle ne pense que bien trop maintenant qu’il a choisi de la faire disparaître. une femme, des enfants ? ça paraît peu probable, mais pas impossible. ou bien une mère, et un frère. un passé sans doute douloureux, quoi qu’il en soit. comme le sien. comme celui de tout le monde. elle comprend nadja, ne dit rien. c’est un peu comme si on lui demanderait de danser. ce serait raviver des blessures bien trop vivaces encore, ce serait brûler la chair à peine cicatrisée. elle n’est pas prête nadja, et sans doute qu’il ne veut pas partager ce morceau d’histoire avec elle. ce n’est rien. elle le laisse la rejoindre dans la cuisine, sans un mot. ces derniers mots la frappant plus que de raison. tu ferais vraiment ça ? sourcil arqué, regard à moitié surpris, à moitié méfiant. regard qui ne comprend pas, pas vraiment. pourquoi se risquerait-il à tout cela, saul, si ce n’était pour s’attirer plus de problèmes ? tu fais déjà bien assez pour moi, saul, je sais déjà à peine commente te remercier. et par dessous tout, je ne veux pas te créer de problèmes, pas plus que je ne t’en cause déjà en tout cas... et de nouveau concentrée à ne pas faire brûler son riz, nadja échappe à son regard. c’est trop difficile, d’admettre qu’elle est dépendante. d’admettre qu’elle se permet de compter sur quelqu’un, quand elle ne devrait pas. quand il ne vaudrait mieux pas. elle a l’impression d’être redevable, nadja, et elle a horreur de ça. tu sais, malgré tout ce qu’on peut dire de toi, je n’arrive pas à y croire. et pourtant dieu sait qu’elle en a entendu nadja, des histoires. presque des légendes. saul est plutôt réputé dans le coin, et les rumeurs vont souvent bon train. et il est souvent craint, saul. personne n’ose le contredire, jamais vraiment en tout cas. elle l’a vu, tout à l’heure, et elle l’a vu des centaines d’autres fois, les dos se redresser à son passage, presque un frisson d’effroi glisser sur l’échine. elle sait, les histoires qui courent à son propos, et elle imagine très bien, nadja, les visions violentes des mains ensanglantées, des regards vides avant d’emballer les corps et les faire disparaître à jamais. nadja, elle sait très bien que saul a fait des choses horribles et qu’il ne fait pas partie des bons gars, et pourtant elle est incapable de se résoudre à croire qu’il est comme ces hommes. vide d’une quelconque conscience. alors elle se tourne vers lui, à la recherche des prunelles impénétrables. t’es quelqu’un de bien, saul. nadja en était persuadée. il n'y avait qu'à voir tout ce qu'il avait fait pour elle. il n'y avait qu'à la voir, elle, au milieu de son appartement à lui. et il y a ses mains qui glissent adroitement sur sa chemise décousue et dépareillée, avec une certaine réserve cependant. peut-être qu’elle dépasse les limites, nadja, mais qu’est-ce qu’elle en sait ? tout ce qu’elle a toujours connu s’est envolé en une fraction de minute, à partir du moment où il l’a invitée dans son espace personnel. nadja, elle navigue en terrain inconnu, sans jamais trop savoir où se positionner. jamais un pas de trop, mais jamais complètement repliée, non plus.
Je ne voulais donc pas de pitié, pas d'empathie, feinte ou non, mais ça ne m'empêchait pas moins d'en ressentir pour la douce blonde. Chacun des mots à demi murmurés perçaient un peu plus les murs ceignant ma conscience. J'me rendais bien compte qu'à force de la fréquenter elle finirait par les user jusqu'à les corroder complètement. Jusqu'à ce qu'ils s'effritent dans un souffle parfumé sortant d'entre ses lèvres. Je l'observais s'agiter devant les plaques, attentive à ses marmites qui frémissaient déjà, laissant s'échapper une odeur alléchante. Mon estomac grogna tout bas, comme mécontent de n'être nourris que d'alcool brûlant. Dans ce cadre et d'un point de vue extérieur elle aurait pu passer pour une jeune femme comme les autres. Une qui préparait à manger après sa journée de boulot en conversant de sa voix chaude. Dans cette réalité parallèle Nadja était chirurgienne, dresseuse de fauves, actrice. Nadja n'avait plus à se forcer dans des étreintes fugaces et usantes. Nadja était libre. Ce fut la méfiance affichée dans ses pupilles au lieu de l'air paisible que je m'imaginais qui me sortit de ma rêverie. Évidemment que j'étais suspect. Y a quelques mois je me serais moi-même foutu une raclée pour seulement émettre l'idée de protéger une des filles. J'y gagnais rien en dehors d'emmerdes. Est-ce que je me sentais si détaché pour me foutre des conséquences? Ou mes relations privilégiées avec Lazar me faisaient-elles penser me trouver au dessus des lois tacites? L'introspection prenait un tour trop étrange pour que je la pousse plus loin. En tout cas sans être accompagnée d'un autre verre. "Tout ce qu'on peut dire? Pas que du bien j'imagine..." ricanais-je en aspirant la dernière goulée glacée. Je me levais pour me resservir un verre bien tassé. La jolie blonde me donnait soif. J'savais bien que l'opinion populaire était pas tendre avec moi. Le nettoyeur. C'était un titre auréolé de mystère glauque, du genre dont on mourrait de curiosité de vérifier la légende sans pour autant oser même m'adresser la parole. Ce qui m'allait bien la plupart du temps: paraître inaccessible empêchait les cons et les froussards de s'approcher pour me polluer. Je grimaçais sous l'influence de la rasade infligée. Mais au lieu de retourner poser mes fesses sur le canapé défoncé je me laissais capturer par les yeux bleus-gris de la jeune femme. Interrogateurs ils devinrent affirmatifs en me lançant une constatation simple. Une croyance fervente. Des mots auxquels j'aurais voulu m'abandonner, jusqu'à me rouler en boule pour verser des larmes refoulées depuis l'enfance. On disait qu'en vieillissant on régressait. J'en étais p't'être à ce stade. En tout cas je les laissais s'imprégner dans mon esprit, les verrouillant soigneusement dans un coin. Quelqu'un de bien. Sur les milliards d'êtres humains c'était certainement la seule à penser. Et je me foutais qu'elle soit prostituée ou charmeuse de serpent. Ou même si c'était pour me récompenser de lui avoir fait échapper à une nuit de luxure forcée. Ça m'allait bien d'entendre ça sortir de la bouche de quelqu'un d'autre et que ça résonne dans cet appartement. La pièce m'apparaissait moins sordide tout d'un coup. Et j'me laissais aller à sourire. Un vrai putain de sourire qui me plissait le coin des yeux et me faisait paraître dix ans de moins. "T'es gentille Nadja. J'me demande comment tu fais pour pas être mauvaise et aigrie comme d'autres dans ta situation." Pour une fois les mots coulaient naturellement, sans digue pour les entraver. "C'est pour ça que je fais tout ça. Tu... Tu m'fais du bien." Voilà. C'était sortit. Saul Morris parvenais à communiquer de façon normale, presque sentimentale. Je levais un regard incertain vers elle, en proie à un terrible dilemme. Et si elle en avait rien à foutre des états d'âmes d'un vieux brigand? Si elle s'en servait pour ses propres intérêts? J'prenais un gros risque, poussé à bout par la fatigue morale. Mon esprit était rompu d'épuisement et le masque menaçait de glisser, tomber. Mais devant ce doux visage j'me retrouvais impuissant, pieds et poings liés, à genoux devant cette reine déguenillée.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Sam 25 Fév - 6:23
y a le coeur de nadja qui s’élève peu à peu, dans la cuisine et devant les fourneaux. il peut pas s’imaginer saul, à quel point ça la détend, à quel point ça l’a toujours rappelée à des souvenirs lointains qu’elle ne pourrait jamais oublier et lui redonnait une sorte de sourire heureux et mélancolique. et nadja, elle cuisine pas tellement, en dehors de ça. elle a jamais vraiment le temps ni la place de faire quoi que ce soit, dans ce petit appartement où les filles sont toutes entassées les unes sur les autres. y a rien dans le quotidien de nadja qui lui rattache à quelque chose d’un tant soit peu humain. rien qui ne lui rappelle qu’elle est une femme, jeune et insouciante, qu’elle pourrait avoir des millions de choses à vivre si ce n’était pas pour cette situation qui la gardait enfermée à en suffoquer. rien qui ne lui rappelle que nadja qu’elle peut pour la première fois depuis trop longtemps faire quelque chose dont elle a simplement envie, rien que comme ça. préparer un dîner, être quelqu’un de normal, rien que pour une fois. et nadja, elle sait bien que l’occasion ne se représentera pas de sitôt. elle sait bien qu’elle découvrira jamais vraiment la vie sous des yeux nouveaux que les siens, joyeux pour ne pas se laisser sombrer. joyeux pour tenter d’oublier, mais avec, toujours, aux poignets, ces marques qui la tiennent ligotée à cette organisation malfaisante. rois des bas fonds, dans lesquels nadja se retrouve piégée depuis des années déjà. alors là, ça lui fait du bien. beaucoup trop, certainement, pour qu’elle s’autorise à penser à ce qui l’attend demain et tous les autres jours de son existence. nadja, elle ne s’encombre pas des poids morts à moins d’en avoir besoin. et quitte à passer une soirée en toute liberté, nadja se défait de ses chaînes et en oublie le reste. et elle pourrait presque y prendre ses marques, invitée d’une nuit dans le petit abris qu’on lui offre. si on lui aurait dit, un jour, se retrouver dans les quartiers du nettoyeur, jamais elle ne l’aurait pensé vrai. et pourtant, tout n’était peut-être pas ce qu’il semblait être au premier regard, nadja en avait la preuve vivante sous ses yeux. disons que j’aimerais pas être sur la liste de tes ennemis. elle sourit, nadja, mais y a l’ombre d’une fine inquiétude qui recouvre son palpitant, rien qu’une seconde. je me suis toujours demandée si l’homme était à la hauteur de la légende. qu’elle glisse dans un sourire, mais nadja est bien contente de savoir qu’il est loin d’être celui qu’on décrit. que l’homme hermétique et insondable, sombre et méticuleux au travail n’est en rien celui auquel elle fait face aujourd’hui, rien non plus de celui qu’elle côtoie secrètement depuis quelques temps. mais elle se voile pas la face, nadja. elle sait ce dont il est capable, des prouesses qu’il exerce chaque fois qu’il répond aux ordres. elle voit le sang froid que ça demande et elle le voit parfois revenir comme si rien ne s’était passé, comme si la vie d’un homme était une chose qu’on prenait comme on pouvait poster une lettre. elle sait, que tout en lui devrait la secouer d’effroi tout comme il devrait pas s’attarder autant sur une pute. elle sait, que tout ça ne les mènera qu’à des problèmes qu’ils ne sont en aucun cas en mesure d’affronter mais nadja, elle sait tout aussi bien qu’elle s’est déjà trop accrochée à lui pour seulement imaginer devoir s’en détacher. et à défaut de pouvoir accorder entièrement sa confiance, à devoir constamment marcher sur des oeufs, à peser chaque mot, à déterminer chaque réaction, nadja, elle est comme aspirée par la tristesse de l’homme, par le puits sans fond dans lequel elle tombe. les silences de saul ne trouvent que trop bien leur écho dans les siens et au fond, y a l’espoir même infime de pouvoir y trouver un certain réconfort, peut-être tout autant que d’en procurer une infime partie également. il y a trop de choses à se réjouir pour passer son temps à en vouloir au monde entier. elle a l’air sereine, nadja, mais elle cache bien que y a qu’au petit matin qu’elle peut se laisser aller à sangloter, quand elle retrouve son lit froid plongé dans le noir. quand elle est certaine que personne ne peut ni la voir ni l’entendre, parce que nadja, elle s’efforce d’être la poupée qui sourit, y a que ça qui la vend. j’essaye de ne pas trop y penser, il n’y a que comme ça que j’y arrive. et elle se referme un peu nadja, tendue d’avoir abordé la corde sensible, baissant le regard pour ne plus faire face au sien. nadja, elle parle jamais de ça. jamais, parce qu’elle peut pas se permettre de se laisser aller, avec personne. parce qu’elle veut pas de pitié, elle non plus, et qu’elle veut encore moins se créer des problèmes, risquer que les confessions tombent aux oreilles des mauvaises personnes. mais elle se permet la franchise avec saul, et y a les yeux qui remontent, à son tour, et qui croisent ses prunelles percutantes. y a quelque chose qui électrise la gamine tchèque dans le regard qu’il lui porte, quelque chose dont elle a rarement vu l’éclat briller, en particulier chez son hôte. quelque chose qui la frappe en plein coeur et qui fait réveiller tous ses espoirs enfouis les plus profonds, quelque chose qui la laisserait imaginer pouvoir tout réparer du bout de ses doigts qu’elle ose laisser glisser doucement sur la joue de saul. si t’as un jour besoin, tu sais où me trouver. j’serai là, la blonde fragile au fond du couloir bondé.
Le monde avait pris un virage particulier ce soir. Il s'était mis à tourner à l'envers, créant un espace-temps étrange où la belle de nuit devenait une madone empathique, prête à écouter et apaiser un homme à la recherche de réponse. Elle ouvrait ses doux bras sans demander compensation, sans vouloir blesser d'une quelconque façon. Et pourtant cette gentillesse me poignardait violemment, me plongeant dans un tourment vertigineux. Les limites nettes et bien définies jusqu'ici se flouaient, se désagrégeaient ne me laissant qu'une carte inconnue pour naviguer en eaux troubles. Comme on approchait une bête sauvage, Nadja franchit les quelques espaces nous séparant. Sa main hésitante vint effleurer ma joue mal rasée d'une caresse presque imperceptible. Chacun de ses doigts y tracèrent une ligne de feu crépitante. Douce agonie que celle-ci. Je me sentis déglutir puis crisper les mâchoires dans une piètre tentative de défense alors que j'avais déjà rendu les armes il y avait bien longtemps.
Y avait bien longtemps en voyant de grands yeux de biches papillonner, étourdis, débarquant pour la première fois au club. J'savais pas d'où on la débarquait mais c'était certain qu'elle était pas du coin. Sa peau pâle se colorait sous l'effet des néons, et vite, vite, on l'emmenait déjà dans le salon pour y être choisie. Dans un tourbillon de cheveux d'or scintillants elle avait disparu de la même manière qu'elle était arrivée: avec une douce brusquerie. C'était ce même soir que j'avais dû intervenir en sa faveur, sans qu'elle ne le sache jamais. Anton avait voulu lui refiler Parker, un excellent client mais que l'on réservait aux prostituées les plus rodées à cause de ses goûts... discutables. Le mac disait qu'en lui foutant la nouvelle venue entre les paluches ça permettrait de la dresser plus vite, de la briser de façon efficace pour que jamais elle n'ouvre sa jolie bouche à l'encontre des ordres. Si habituellement je me foutais de tout ce qui pouvait concerner les filles et restais silencieux, j'avais eu l'étonnante idée de lancer un "non" claquant dans le bruit ambiant aussi fortement qu'un coup de feu. Parce que derrière ses traits de porcelaine j'avais aperçu un feu intérieur dévorant, un volcan en sommeil qui ne devait, pour une mystérieuse raison, pas s'éteindre. Ce soir-là Nadja avait partagé sa couche avec un homme lambda, entrant dans l'enfer d'une façon adoucie.
L'effet papillon se prouvait ce soir alors que la demoiselle m'apportait un réconfort oublié. Durant de fugaces secondes j'appuyais mon visage contre sa paume, me lovant dans sa chaleur. Un court moment j'pouvais faire comme si. Comme si j'étais un honnête travailleur, un homme simple avec une vie simple. Un homme qui savait même pas à quoi ressemblaient des tendons arrachés ou des os dénudés. Un homme qui avait jamais entendu une femme hurler puis finir par se taire sous les coups. Un homme qui se satisfaisait de son petit âge d'or personnel, sans déranger personne. Un homme ennuyeux mais pas au bord du gouffre, les vêtements happés par de durs doigts venteux pour l'attirer dans le vide. Quelques secondes... Puis me dégageais pour interrompre l'insidieux contact en déclarant d'un air bougon : "Je vais sortir les assiettes. J'meurs de faim. " Je me redressais de toute ma hauteur, dépassant mon interlocutrice de presque une tête. Mes yeux s'accrochèrent, s'écorchèrent sur la pulpe de sa bouche alors qu'une envie indécente fleurissait dans mon esprit. Une idée que je noyais bien vite tant elle n'avait pas lieu d'être. Fallait que je me contrôle. Comme toujours. Je contournais Nadja, savourant au passage ce frôlement entre nos habits, avant de plaquer des assiettes dépareillées sur la minuscule table à manger, flanquées de verres et couverts. "J'ai hâte de goûter à la suggestion du chef." Je lapais la dernière lampée de whisky avant de m'emparer des casseroles fumantes pour les déposer entre nous deux. J'savais foutrement pas ce qu'elle nous avait concoté, mais putain ça sentait bon! Une fois encore, ce qui commençait à faire beaucoup pour une soirée, je lui souriais par dessus les vapeurs odorantes afin de la remercier. Mieux que je n'aurais su le faire avec des mots creux et maladroits.
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Sujet: Re: Wild horses_(Sadja) Mar 7 Mar - 0:50
y a un long instant d’hésitation qui suit le geste, mais nadja est incapable d’y résister. la main effleurant à peine la joue de saul, nadja se demande. ce n’était peut-être pas une bonne idée. ce n’est sûrement pas une bonne idée. est-ce qu’il va la repousser ? peut-être même le lui reprocher. s’en défaire brutalement et ronchonner de ne plus jamais recommencer. sans doute qu’elle dépasse un peu les limites, nadja, mais ça ne lui importe pas beaucoup. pas ce soir, alors qu’elle a l’impression que leur réalité est si loin. elle en oublierait presque pendant un instant ce qui l’amène ici, nadja. pourquoi elle se retrouve dans cette pièce mal éclairée, pourquoi elle est si loin de son quotidien. y a cette constante horrible qui pèse au-dessus de sa tête, comme un fardeau qui l’attendrait dès qu’elle passerait un pied en dehors de cet appartement. elle sait, nadja, que c’est qu’une trêve dans le temps. que tout ça ne ne veut rien dire, après tout. que saul l’a sûrement prise en pitié, comme il l’a déjà probablement fait avant, avec d’autres. y a rien qui la retient vraiment ici, nadja, rien qui n’aurait le droit de la retenir, non plus. rien qui ne la rende différente des autres. c’est déjà dangereux, trop pour elle. trop pour lui, aussi, alors qu’ils tentent aussi bien l’un que l’autre de rester en dehors des ennuis. et nadja, qui met tant d’efforts à garder la tête hors de l’eau, à ne faire aucun pas de travers pour ne pas s’attirer les foudres de ses bourreaux, avait tenu jusqu’à n’en plus pouvoir : intériorisé tout ce qui la rendait malade jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus s’infliger ça une soirée de plus. et saul, comme à son habitude, en bon chevalier blanc, lui avait offert ce qu’elle désirait tant, rien qu’une soirée sans avoir à se préoccuper d’avoir à offrir son corps, d’avoir à se soumettre à des demandes rabaissantes et écoeurantes, d’avoir à supporter les mots violents, les gestes sales et les coups lancés sans réfléchir, si on la prenait à désobéir. saul l’avait fait. lui, et personne d’autre. il n’aurait sans doute pas dû. parce qu’elle savait, nadja, la position dans laquelle il se mettait pour elle. et si elle détestait qu’il l’ait fait, jamais elle n’aurait pu y renoncer. jamais elle n’aurait pu refuser cette offre, préférant s’y accrocher jusqu’à n’en plus pouvoir à nouveau. alors les plats posés sur la table, nadja s’installe à table, la modestie de la femme qui n’a rien et qui n’a jamais rien eu la rattrapant tout aussi vite. tu seras mon cobaye. si c’est bon, peut-être que je pourrais faire carrière un jour. y a le sourire figé dans l’espace du temps quelques secondes, juste assez pour qu’elle se rende compte de la bourde. de la réalité qui la rattrape déjà, si vite. assez pour que le sourire s’évanouisse quand la gêne la gagne, qu’elle pince les lèvres comme pour ne plus y penser, comme pour ne plus jamais dire de bêtises. nadja, y aura jamais rien qui l’attendra que cette couche partagée dans laquelle elle se réfugie chaque soir, rien que cette position de sous-merde, femme-objet s’offrant sans même en avoir le choix. nadja, elle aura jamais droit aux rêves et aux grands espoirs. elle aura jamais le futur pour grandir, jamais demain pour s’enfuir. rien d’autre que les soirées pour s’allonger et les matinées pour subir. alors nadja, elle trouve soudain grand intérêt au contenu de son assiette, l’estomac noué. elle n’avait pas faim, de toute façon. mais elle force quelques bouchées quand même, les yeux fuyants qui finissent à nouveau par se poser sur ce cadre qu’il a retourné plus tôt. y a l’esprit de nadja qui déambule à nouveau, curieux de ce qu’il ne connaît pas. alors elle est pas très assurée nadja, quand elle relève la tête pour poser la question franchement. saul, c’était qui sur la photo ? c’est un peu hésitant mais nadja, elle a envie de savoir. désépaissir un peu le mystère et creuser sans doute d’autres blessures que les siennes.
Je souriais devant la phrase lancée avec légèreté qui retomba pourtant aussi lourdement qu'une plume de plomb. J'voyais bien à son air que la réalité l'avait rattrapé à toute vitesse. Saul lui offrait une soirée éphémère dont chaque seconde s'égrenait sans relâche, sans faillir, à un train plus ou moins rapide. Elle savait aussi bien que moi que demain je devrais la ramener au milieu des autres filles, prête à écarter les cuisses pour des types curieux, vicieux ou juste paumés. Dans la misère épaisse qui lui tenait lieu de couverture Nadja se rendait pas compte du pouvoir qu'elle possédait. Dans son lit défilaient de gros bonnets qui, j'en étais certain, devaient se montrer aussi bavards que généreux. Alors quitte à pas voir la couleur des billets qu'ils claquaient autant conserver précieusement les confidences sur l'oreiller qu'ils pouvaient déposer. C'était terriblement terre à terre. Odieux même. Mais j'avais tendance à voir le verre plein plutôt que vide concernant les autres. Pour Nadja je devais un peu forcer le trait parce que j'étais pas du tout ravi de l'enfermer à nouveau dans ce trou. Brièvement je caressais la folle idée de la garder avec moi, bien au chaud et protégée des brutes du gang. Une injustice criante, car j'étais personne pour oser la garder en cage. Le seul service que je pouvais vraiment lui rendre aurait été de la dérober à ses gardiens et lui filer de nouveaux papiers pour qu'elle refasse sa vie ailleurs, sous d'autres ciels plus cléments. Avant de m'en rendre compte je me retrouvais déjà à racler le fond de mon assiette. Ben ça... Sans perdre une minute j'en profitais pour m'en resservir une seconde en observant pensivement la jeune femme. "Si déjà tu pouvais me nourrir comme ça une fois par mois ce serait le top..." Ouais on aurait pu faire un deal du genre puisqu'on était bon pour le business. Une soirée par mois où je lui offrirais quartier-libre et où elle pourrait s'engager à me laisser un plat soigneusement mitonné. Je la forcerais même pas à manger avec moi si elle en avait pas envie. La seule présence d'une nourriture préparée à mon intention me réchauffait vaguement le coeur. Être seul à table me paraîtrait moins insupportable. La jolie blonde me sortit de mes rêveries absurdes par une simple mais douloureuse question. Je pris le temps de mastiquer ma bouchée avant de tenter une réponse correcte, ni trop désinvolte ni trop pathétique. "Mon frangin... Et ma mère. C'était y a longtemps. Elle est morte il y a des années mais on a su se débrouiller tous les deux. Enfin à l'époque, maintenant il me parle plus à part quand je l'appelle pour son anniversaire. J'crois que mes fréquentations et le genre d'activités qui me permettaient de payer le loyer lui plaisaient pas vraiment..." Un euphémisme. Lors de ces appels téléphoniques deux phrases tout au plus étaient échangées. Mais le simple fait qu'il me réponde, que j'entende sa voix au bout du fil me prouvant qu'il était bien vivant me rassurait. C'était p't'être d'ailleurs le seul fil de soie qui me retenait encore de pas me coller un flingue dans la bouche devant un talk-show merdique pour mettre un peu de couleur sur les murs. Je me remis à manger en silence, cogitant à toute allure. J'comprenais pas pourquoi c'était si facile de parler avec elle. Quel envoûtement elle m'avait lancé. En Europe de l'est il devait bien exister des sorcières de quelconque sorte, p't'être qu'elle en avait reçu l'héritage. Ou p't'être que c'était simplement parce qu'on avait tous deux un passé encombrant à traîner. Chacun ses squelettes dans le placard, ses cauchemars dans le noir. Un vécu qu'on portait sur nos épaules influençant tout notre présent. Nadja arborait à son tour une mine sombre. Merde. J'avais plombé l'ambiance. "Enfin je te dis pas ça pour me faire plaindre hein. J'en parle pas d'habitude, ça gêne toujours les gens. Ils savent plus très bien s'il faut présenter leurs condoléances ou non. En réalité y en a pas b'soin, j'ai pas regretté ma mère quand elle est décédée. On était pas... très proches. C'est celle que j'ai connu durant mon enfance qui m'a manqué et ça faisait un moment que j'en avais fait le deuil." J'me sentais déplacé. Qui avait envie d'écouter les histoires glauques d'un pauvre type? Le second service torché je me levais pour débarrasser à grands gestes brusques. "Bon faudrait aller se pieuter, demain je dois me lever tôt." Je prononçais pas le reste. Pour la ramener. Là-bas en enfer, l'archange maudit qui l'y livrerait. Le temps qu'elle prenne ses marques je filais sous la douche. Courte. Efficace. Brûlante. Puis gelée quand je réalisais la trahison de mon corps excité quand l'image de sa taille fine surmontant sa chute de rein me traversa l'esprit. Manquerait plus que je traverse le salon avec une gaule pour que je passe pour le dernier des imbéciles. Vêtu d'un simple bas de survêtement je toquais à sa, ma porte d'où filtrait un raie de lumière et le ronronnement de la télé. "Hésite pas Nadja si t'as besoin de quelque chose. J'ai le sommeil léger." Je me tus quelques secondes avant d'ajouter d'une voix rauque "Bonne nuit." Puis je m'effaçais pour m'allonger sur le canapé inconfortable. Morphée refusa longuement de m'ouvrir les portes de l'oubli, projetant des images toujours plus vives de la belle de nuit. Les yeux grands ouverts sur le vide je voyais le visage de Nadja se dessiner dans le creux des ombres. Son sourire, discret, fragile, témoin des félûres qui l'habitaient. Ses longs cils qui créaient une ombre sensuelle sur ses pommettes. Sa façon de parler et ce léger accent à l'arrière-goût d'exotisme. Finalement je m'endormis pour un sommeil sans rêves et bienfaiteur. La première fois depuis des lustres.