Y’a son rire qui résonne. Il résonne comme une douce mélodie, donnant le sourire à chaque membre de la famille. Parce qu’elle a ce pouvoir Bee. Celui de rendre les gens heureux. Et toi, t’y échappe pas. Tu l’observes de l’intérieur de l’armoire tandis qu’elle parcourt la maison en faisant des acrobaties tout en te cherchant. T’aimes bien jouer à cache-cache avec elle. C’est toujours drôle. « Je vais te trouveeeeeer. Et je vais te MANGER ! » Tu ne peux pas t’empêcher de pouffer doucement de rire. Ce qu’elle entend évidemment. « BOOOOOUH ! » Tu sursautes comme une folle avant d’éclater de rire tandis qu’elle t’attire déjà dehors pour commencer à te chatouiller. Et tu gigotes dans tous les sens, ne pouvant t’empêcher de rire aux éclats. « Arreeeeeteuh ! » Tu essayes de te défendre sans grand succès. Et c’est finalement ta soeur qui arrête les hostilités pour venir s’allonger à coté de toi, essoufflée d’avoir trop rie. Et tu souris doucement, la poussant légèrement avant de simplement poser ta tête à coté de la sienne, observant le plafond étoilé de votre chambre. Puis tu tournes la tête pour l’observer elle. Elle et ses longs cheveux qui s’éparpillent sur le planché. Elle est belle ta grande soeur. C’est surement la plus belle grande soeur du monde. Même quand elle t’embête. T’aimerais bien être aussi jolie qu’elle quand t’auras aussi huit ans. Pour recevoir autant de petits cadeaux de garçons amoureux. Oh oui, t’aimerais beaucoup ça. « Me fixe pas comme ça petit monstre ! » Elle te chatouille encore un peu jusqu’à ce que votre père débarque, sonnant la fin des bêtises. « Les filles, arrêtez un peu de vous chamailler ! On va manger. Lavez vous les mains » Et Bee se lève presque en sursaut, criant « PREMS ! » avant de déjà disparaitre derrière la porte. Tu souris, te levant plus calmement avant de la rejoindre, te lavant aussi la main avant de remettre de l’ordre dans tes cheveux et tes vêtement. Lorsque tu vas finalement t’assoir, la différence entre elle et toi est flagrante. Elle est là, avec ses cheveux en bataille et ses vêtements déjà tachés tandis que tu as l’air d’une petite princesse avec tes cheveux lisses et ta petite robe bien propre.



Tu as vu son regard s’éteindre peu à peu. Sans vraiment comprendre. Elle a commencé à arrêter de manger. A trainer le soir après l’école. A mentir pour rester dehors un peu plus longtemps. Et parfois, tu l’entendais pleurer dans la nuit. Alors tu te levais pour la rejoindre, finissant par se glisser dans ses draps pour la serrer dans tes bras. Elle n’a jamais voulu expliquer ce qu’il se passait. Elle ignorait tes questions en t’adressant un petit sourire avant de souffler ces petits mots « T’en fais pas, c’est rien ». Mais c’était pas rien. Tu l’as toujours su que c’était pas rien. Alors t’essayais d’être là. De comprendre pourquoi elle changeait. Pourquoi elle perdait ce sourire qui la rendait si belle. Bee, elle te manque. Elle te manque à en crever. Tout te manque chez elle. Son petit sourire qu’elle ne destinait qu’à toi pour te rassurer. Sa façon de te souffler que tout allait bien quand tout allait mal. Ses rires. Ceux d’avant, quand elle était encore heureuse. Ses façons de te serrer dans ses bras ou de t’apprendre le nom des étoiles. Tu te souviens de ces moments comme si c’était hier. Pourtant, c’était il y a des années. Parfois, le samedi soir, elle t’amenait avec elle. Dehors. Vous n’aviez pas le droit, mais elle était là. Et c’était tout ce qui te fallait. Vous alliez vous allonger par terre sur l’herbe fraiche pour observer les étoiles. Tu sais pas comment elle en savait autant ta soeur. Peut être qu’elle inventait beaucoup aussi. Et toi, tu buvais ses paroles avec presque plus d’étoiles dans les yeux que dans le ciel.  Il y avait cette balance étrange entre vous deux. Elle était là. Tu étais là. Et quelque part, ça suffisait pour ne pas sombrer. Un temps. Puis elle est parti. Y’a cette sensation d’étouffement qui vient te prendre le coeur. Souvent. Trop souvent. Tout le temps même. Elle t’a abandonné. Elle t’a abandonné comme toi tu l’as fait pendant toutes ces années. T’étais aveugle. T’étais stupide. T’aurais pu le savoir avant. T’aurais pu mieux chercher. Puis la protéger. T’aurais pu aller te battre pour elle. T’aurais fait n’importe quoi. Mais peut-être qu’elle le savait. Peut-être que c’est pour ça qu’elle n’a jamais voulu partager son fardeau. Elle a dû penser que ça s’arrêterait quand elle partira. Elle aurait dû penser que tu lui ressemblait. Et qu’au final, elle ne faisait que te le léguer en partant. Lui. Son fardeau. Lui qui n’était jusque là que pas grand chose. Juste une bouche de plus à faire manger pour tes parents. Et puis les choses ont pris un nouveau tournant. D’étranger, il est passé à bourreau. Ca a commencé par pas grand chose. Il faisait simplement plus attention à toi. Comme si, soudainement, il se souvenait que t’existais. Puis il s’est mis à être tactile. Très tactile. Trop tactile. Et de fil en aiguille, il s’est insinué partout. Il est devenu ce cauchemar constant. Parce qu’il n’y avait plus que ça. Plus que lui et vos petits secrets comme il les appelait. Même lorsqu’il n’était pas là, il n’y avait plus que ça. Alors t’as cherché à t’évader autrement. Et c’est le monde virtuel qui t’a accueilli.



L’écran rétroéclairé vient illuminer la petite chambre qu’il vient de quitter. Les larmes coulent encore sur tes joues tandis que tu te connectes. Pour t’évader. Pour retrouver ce monde logique. Ce monde dont tu connais les règles. Fait ça, et t’auras ça. Ici, tes actions ont du sens. Et puis, les gens sont différents. T’as ta place ici. Quelque part dans ces terres lointaines numériques. T’es pas juste une étrangère que personne ne comprend.
« - Hey toi »
Tu essuies tes larmes. Leur présence suffit à te réchauffer le coeur. Un peu. Et pour une fois, t’as l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand que toi. De mieux. Et ça suffit à rendre le monde meilleur. Ou plutôt moins dur. Supportable. Tu t’es créée une vie dans le jeu. Une vie que tu t’évertues à faire évoluer jour après jour, délaissant la tienne au profit de celle de ton avatar. Chacun jour, tu arrives à l’école les yeux cernés et le regard un peu vide, baissant les yeux pour éviter les regards des autres. Depuis un moment, y’a un groupe d’amis qui se moque souvent de toi. De toi et de ton regard rivé au sol. C’était gentil au début. Juste des petites remarques pour faire rigoler la galerie. Puis c’est devenu plus violent quand ils ont compris que tu craquais un peu sur l’un des garçons du groupe. Tu rougissais comme une idiote privée de ses mots. Mais ce garçon, il était déjà en couple, et la fille n’a pas beaucoup aimé. Bonjour le cliché. Peu à peu, les moqueries sont devenues sales. Comme là. Là, dans les vestiaires de sport après la douche. Elle tient tes vêtements et ta serviette entre ses doigts manucurés. « T’en as pas besoin de toute façon non ? » Et dans un sourire, elle se barre avec tes affaires, t’abandonnant là. Nue. Seule. Les yeux bourrés de larmes. Et les deux filles qui étaient encore là se dépêche pour partir, flippant trop des représailles pour réagir en ta faveur. Alors tu te recroquevilles dans un coin de la pièce, pleurant silencieusement, la solitude pour seule amie. Puis tu l’aperçois. Ce gilet qu’une fille a laissé là. Surement volontairement. La gorge serrée, tu finis par te lever pour l’enfiler. Il t’arrive juste en dessous des fesses, dissimulant à peine ton petit corps humide. Tu tires un peu dessus, finissant par pousser doucement la porte. Tu avances dans les couloirs de sport pour chercher l’endroit où ils gardent les uniformes. Et évidemment, tu tombes sur lui. Sur la source de tous tes problèmes. Il te détaille un instant avant de finir par te tendre son gilet à lui. Comme ça. Sans rien dire. Et toi, tu restes plantée là. Comme une conne. Muette. Infoutue de dire merci.



Les années sont passées et t’as réussi à aller à l’université. T’aurais voulu aller plus loin, mais tes parents voulaient que tu restes dans le coin. Pour pas te perdre toi comme ils avaient perdu Bee. Et t’as rien su dire. T’as pas pu parler de lui. De lui et de ses visites nocturnes. De lui et des cicatrices qu’il laisse sur ton âme à chaque fois qu’il se glisse entre tes cuisses. Alors t’es juste parti la semaine. C’est déjà mieux. Chaque soir loin est un soir où tu peux respirer sans avoir l’impression de mourir. Et cette fois ci, tu te donnes à fond dans tes études. Parce que c’est ce que t’aimes faire. Développer des jeux vidéos. C’est pas comme y jouer. C’est même très différent. Mais il y a quelque chose dans cette création qui te plait. Comme si tu pouvais créer un monde à ton image. C’est comme ça que tu l’as rencontré. Matthieu. Un français venu étudier là pour un semestre. Un semestre que t’as passé à le fixer sans savoir comment l’aborder. Gamine amoureuse. Amoureuse d’une idée. D’une image. Parce que Matthieu, tu lui as jamais parlé. Même pas un bonjour. Si, peut-être un merci quand il t’a tenu la porte un soir en sortant de cours. Mais jamais plus. Ta coloc de chambre t’a donné des conseils pourtant. Mais rien. Et à la fin, quand c’est finalement lui qui est venu, tu es restée figée. Comme au lycée. Incapable de t’exprimer. Ca s’est reproduit plusieurs fois. De tomber amoureuse de garçon sans même les connaitre. Peut être que t’as trop lu d’histoire en fait Boo. Peut-être que t’as trop cru au prince charmant. Celui qui viendrait un jour te sauver de ton enfer. Alors doucement, t’as compris que ça n’arriverait pas. Que tu devais grandir et évoluer par toi même. Et c’est fou, parce que t’avais jamais réalisé que c’était ce que tu faisais déjà depuis des années. Te battre en silence pour t’en sortir. Avancer. Encore et encore. Comme dans tes jeux. Passer un niveau. Puis un autre. Et encore un autre. Acheter une nouvelle arme. Battre des méchants. Devenir plus forte. Finalement, c’est un peu ce que tu faisais dans la vraie vie aussi. Plus discrètement. Mais pas moins bien.



Il n’y a que lui qui sait. Qui sait tout. Absolument tout. C’est drôle, parce que c’est comme si tu répondais aux lettres de Bee en lui écrivant à lui. Tu lui dis tout ce que t’aurais aimer lui dire à elle. Et c’est pas grave. Parce que tu le connais que par internet. Tu le rencontreras probablement jamais. Alors c’est pas très important qu’il sache tout. C’est peut-être pas si mal. Parce qu’il peut te comprendre. Il peut te connaitre. Le vrai toi. Celle qui peut faire des blagues idiotes au beau milieu de la nuit. Celle qui rêve de connaitre tous les noms d’étoiles et de galaxies. Celle qui voudrait lancer son propre jeu. Il a même lu le concept. Il connait tes peurs et tes doutes. Tes envies et tes besoins. Et c’est lui qui t’a dit d’y aller. D’aller la retrouver. C’est lui qui a cherché le nom du musée sur internet. T’as réfléchis. Deux secondes. Trois peut-être. Juste assez de temps pour réaliser que … oui. C’était la chose à faire. Plus rien ne te retiens. Rien. Et t’as besoin de la retrouver. Tu t’en veux même de ne pas avoir pris cette décision plus tôt. Quand t’a reçu la dernière lettre. Alors t’as fait ta valise et t’as abandonné la maison familiale. T’as abandonné ton lit souillé par des souvenirs trop noirs, et t’es parti vers la lumière. Vers Savannah. Prête à tout pour retrouver ta soeur et la serrer enfin de nouveau dans tes bras.