anecdotes
(rencontre.) martha nicole vdkadovsky était, à l'époque, une jeune femme épanouie et pleine de vie — déterminée, elle avait l'ambition de devenir artiste-plasticienne et avait été acceptée à l'université de st-pétersbourg, pendant les années soixante. à cette époque, elle ignorait ce que deviendrait pour elle la personne de
richard petzold, un riche investisseur ricain, jusqu'à leur rencontre étonnante sur les trottoirs de la ville, plongée dans la nuit. il devait être une heure du matin à ce moment là et le froid glaçait lentement le sang de martha, presque dénudée à la vue de l'homme, qui comprit aussitôt l'affaire. faire la catin était, à l'époque, un moyen facile de gagner de l'argent et d'arrondir ses fins de mois, et pour richard, d'approcher la mafia russe, étant persuadée que la prostituée était liée à un réseau très influent au sein même de l'état communiste.
à sa grande déception,
vdkadovsky n'était proche d'aucun gangster connu et n'avait aucun lien avec la bratva. elle se souvenait avec émotion des premiers moments passés avec lui et leur rencontre ne se soldait non pas par une partie de jambes en l'air fastidieuse mais par un échange respectif de leurs numéros de téléphone. ils avaient prévus de se revoir, de se donner un rendez-vous dans un lieu plus respectable qu'un bordel caché au beau milieu des rues sombres de
« la venise du nord ».
il aimait la musique, le théâtre et la comédie, elle aimait la sculpture, le cinéma et la danse classique. l'art était une passion commune et c'était également lui qui les avait fait se rapprocher, puis, au cours d'une discussion hasardeuse dans l'appartement de
martha, il lui demandait d'emménager avec elle aux états-unis.
— je ne sais pas quoi dire... vraiment...
mais finalement, elle avait dit oui. quittant sa famille, insultée de paria, reniée par son entourage mais surtout aveuglée par l'amour qu'elle portait à cet homme mystérieux en qui elle voyait son âme-sœur, elle s'était envolée de l'autre côté de l'atlantique pour rejoindre le continent américain en pleine guerre froide. mais contrairement à ce que l'on pouvait penser, la véritable guerre n'a pas commencé en 1947 et ne s'est pas finie en 91.
non, la véritable guerre a débuté en 1990.
et elle ne s'est toujours pas terminée.
(foetus.) quinze août. les années quatre-vingt dix, c'est pleins de choses à la fois ; pour beaucoup, ça engobe le génocide des tutsis, le début de la fin de l'apartheid en afrique du sud, la chute de la glorieuse urss, et pour certains c'est totalement différent ; la plupart assimile cette époque à l'explosion d'internet et des nouvelles technologies, à l'apparition de la techno et du hip-hop tandis que d'autres font le rapprochement avec le développement de l'industrie des jeux-vidéos, à l'inverse du couple petzold. les années quatre-vingt-dix avaient pour eux une toute autre signification. en effet, ce fût à cette date que naquit le jeune
nelson.
comblée par un époux formidable et par son premier miracle,
martha avait délaissée sans regret ses parents qui n'avaient jusqu'alors jamais été tenus au courant de la naissance de leur petit-fils, et avait abandonnée ses études pour se consacrer à l'éducation de ce garçon qu'elle se jura de chérir toute sa vie. chanceux, elle et son mari avaient pu jouir des privilèges octroyés par l'entreprise de sa belle-famille dont le père était le directeur officiel, ce qui garantissait à
richard l'insouciance de l'aspect économique de leur situation. or, il y eût un couac. si son escapade improvisée à st-pétersbourg dans le but de se rapprocher du célèbre
semion mogilevich s'était soldée par un échec cuisant, il n'avait été nullement stipulé que ramener une femme issue du camp adverse faisait parti du contrat, surtout si cette femme là était porteuse d'un enfant au départ invoulu puis souhaité. il représentait pour chacuns des deux partis la honte du mélange de deux ennemis ; aux yeux des autres petzold et aux yeux des américains, ce gosse n'était pas des leurs, il n'existait même pas. déjà à cet âge,
nelson avait du mal à se faire accepter.
— on ne peut pas abandonner cet enfant richard, c'est notre enfant, avait-elle déclaré.
c'est soit tu pars avec moi, soit tu restes ici avec ton père et ta mère. c'est à toi de décider.ce fut à contre-cœur qu'il quitta ses parents, pour suivre sa femme et son nourrisson dans un petit appartement au centre-ville de valparaiso, loin de son habitat naturel et du confort que lui apportaient les postes prestigieux de ses géniteurs.
(enfance.) loin des nombreux calvaires dont il allait bientôt être la victime,
nelson passait un début d'enfance assez tranquille. c'était un garçon vif, attentif et ce fut tout naturellement qu'il se démarqua des autres élèves par son intelligence et sa soif d'apprendre. pourtant, il n'avait pas bénéficié d'un environnement luxueux, mais le logis dans lequel il séjournait lui était amplement suffisant. il se distrayait en sortant dehors avec ses amis et avait fait du dessin et de la peinture sa passion, comme ses parents l'avaient toujours souhaité. des traits maladroits, des coups de pinceaux hasardeux et l'œil gauche fermé, concentré par sa représentation propre de
daredevil, le super-héros qui avait inspiré la partie sombre qui résidait en lui et qui ne se révélerait que bien plus tard.
tout souriait aux petzold, et surtout à
martha, émue de voir l'existence de son fils enfin reconnue par la justice, mais elle avait toujours fait en sorte à ce que ce dernier ne révèle jamais aux autres ses origines européennes pour éviter qu'il soit victimes d'impétueuses brimades, parce que sa mère était non seulement une ancienne prostituée, mais aussi parce qu'elle était russe.
le seul point négatif à cette période paisible pour la famille fut le rapprochement dangereux de
richard à qui son ancien mode de vie manquait terriblement, et de ses parents. il s'était rapidement lassé de son logement minuscule, du quartier ennuyant dans lequel il habitait et de la ville dans laquelle il s'était installé. il n'y avait rien, à valparaiso, pas même un starbucks, alors qu'il y avait tout à indianapolis, absolument tout.
— je ne partirai pas ma chérie. je resterai ici avec nelson et toi, le rassurait richard, en caressant sa joue après une longue discussion à une heure du matin.
menteur.
(déchirement.) mais ça lui manquait. deux semaines plus tard, il partit. subitement. sans la prévenir. il avait réuni toutes ses affaires l'après-midi, et la veille, il avait quitté la ville, sa femme, et son fils.
martha, les yeux humides de chagrin, regretta de s'en être apitoyée. elle savait que ce moment allait arriver, un jour ou l'autre. elle savait qu'il était un boulet pour lui, pour son avenir, et le maudissait de l'avoir laissé tombé au profit de ses beaux-parents. le sommeil de
nelson s'était déréglé, comme quand il n'était encore qu'un bébé. il sentait que le cocon familial s'était fissuré. tout le monde l'avait remarqué.
cependant, la nature optimiste de
martha la contraint à ne pas se laisser envahir par la tristesse du départ de
richard. elle avait fini par s'habituer à ce mode de vie de célibataire, mais, remarquant la peine infinie de
nelson, elle avait finalement décidé de refaire sa vie, à trente ans cinq ans, avec un autre homme, pour qu'il puisse enfin grandir avec un véritable père et non plus un lâche qui avait délaissé son entourage. cet homme là, ce serait son voisin,
dave davenport.dave davenport avait beau avoir deux ans de moins que
petzold, il semblait avoir quarente ans. une bedaine précoce apparente, une barbe mal rasée et des cheveux coupés courts — rien chez ce type ne correspondait aux goûts personnels de
martha. sa personnalité elle en revanche, s'alliait formidablement à son physique ingrat ; c'était un beauf, le cliché du père naturellement mauvais et irrespectueux de l'image de la femme. c'était pour cette raison que son ex l'avait quitté, mais, doué d'une éloquence digne de bergerac, il avait réussi à convaincre le juge de l'incapacité de cette dernière à élever leur fille unique,
helen. ce fut donc tout naturellement qu'elle rejoint
dave dans l'appartement de sa nouvelle mère.
à l'inverse de ce qu'on aurait pu penser,
nelson et elle s'entendaient bien. l'un heureux de pouvoir faire la connaissance de la petite sœur qu'il n'avait jamais eu, l'autre rassurée de ne plus être désormais la seule à supporter le détestable
davenport, ils avaient réussi à tisser des liens fraternels, comme s'ils étaient nés de la même mère. bien-sûr que ça a été difficile au début, après tout ils n'avaient aucun vrai lien de parenté.
— content de faire ta connaissance, lui avait-il dit en tendant sa main pour la lui serrer.
— ouais.néanmoins, le temps a fait comme s'ils en avaient un. mais ça ne s'est révélé que bien plus tard.
encore ce foutu temps. (adolescence.) le sang est à chaud. c'est à cette période que l'on veut tout défoncer, prendre son envol. lui, ce qu'il aimerait surtout, éclater la tronche du gros porc qui lui sert de beau-père, mais
helen l'avait toujours dissuadé de s'en prendre à
dave, et puis, dans l'univers du meurtre, le parricide était très mal vu, question de crédibilité.
les premiers mois de cohabitation avec les
davenport furent plutôt silencieux mais se déroulaient de manière calme. puis
dave a commencé à se mettre à l'aise assez rapidement et à se comporter comme s'il était le seul et unique maître de la maison. ça débutait par des remarques sexistes à sa mère, puis par des fessées indiscrètes et une attitude tout simplement dégoûtante qui avait le don d'exaspérer
nelson. puis il se comportait comme un bâtard et n'avait d'yeux que pour ses parties de poker avec ses amis aussi répugnants que lui. ça le gonflait. il s'était éloigné de
martha — pourquoi avait-elle décidé de se marier avec ce chien ? puis il se rappelait de sa demi-sœur. comment réussissait-elle à ne pas se rebeller, à ne pas fuguer, après toutes ses années à vivre avec lui ? il s'était montrait compatissant avec elle et lui avait partagé ses envies d'assassinats quelques jours après une soirée blackjack organisée par son père.
— du calme claudius, elle avait lâché sur un ton sarcastique,
tu vas buter personne. si tu veux niquer mon père, je ne t'en empêcherai pas. fais-le si ça te chante, mais ne compte pas sur moi pour t'aider à réaliser ce macabre homicide.cette fille, c'était son coup de cœur, la seule chose bénéfique qui était arrivée dans sa vie depuis la venue de
dave. elle avait deux ans de moins que lui, et ne ressemblait pas à son père. elle était calme, éclairée et cultivée, sage et modérée. elle adorait l'ironie, c'était sa marque de fabrique. elle exerçait sur l'adolescent une bonne influence et le retenait de péter la tronche du premier venu. mais ils avaient surtout un fanatisme commun pour les films d'horreur. surtout les plus vieux, les classiques. et puis un soir...
— dis, tu veux aller voir le silence des agneaux ? (destruction.) avec cinq oscars, le silence des agneaux s'était démarqué à l'époque pour l'originalité de son scénario et par le jeu d'acteur grandiose d'anthony hopkins qui endossait le rôle du très charismatique hannibal lecter. pour
helen, ce long-métrage était un classique, pour
nelson, c'était le meilleur de tout les temps. rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de se rendre au cinéma regarder son film préféré avec la personne qu'il aimait le plus au monde.
helen l'avait d'ailleurs mis en garde sur son comportement avec elle.
— fais gaffe à ce qu'on ne t'accuse pas de consanguinité, ça te donnerait une très mauvaise image.après avoir passés un peu plus de deux heures à trembler devant buffalo bill, ils avaient décidé d'emprunter une ruelle tranquille de valparaiso. il devait être vingt trois heures du soir, heureusement, ils avaient réussi à intercepter un marchand de glace qui tenait encore son stand ouvert, malgré le vide de la population. il n'y avait quasiment personne, mis à part eux deux, le vendeur, et un groupe de trois hommes de dix neuf ans, à tout casser. il confiera plus tard
« que le monde venait généralement à partir de minuit, quand les bars et les discothèques aux environs commençaient à se remplir. » c'était ça son gagne-pain en quelque sorte.
— attends moi, j'vais t'offrir une glace, avait-il déclaré, en regardant les parfums proposés par le service.
ils ne leur avaient suffit pourtant que d'une seconde. une seconde pour s'emparer
d'elle et de voler sa dignité. il n'avait réagi que trop tardivement pour les empêcher de s'en prendre à elle, il n'avait même pas tilté quand il l'avait laissé seule, sur le bord du trottoir. il était occupé à choisir le goût qu'aurait sa glace et n'avait compris que quand le marchant l'alerta sur ce qu'il se passait dans son dos.
mais elle avait déjà disparu. il avait gueulé. fort. si fort qu'un autre cri lui avait répondu.
c'était elle. son rythme cardiaque s'affolait, il était à deux doigts d'exploser complètement, mais il fallut pour lui se déplacer jusqu'au lieu du drame pour laisser déverser toute sa rage, déchaîner sa haine, sur ceux qui avaient osé toucher à sa demi-sœur, à son intimité. nous n'évoquerons pas l'horreur de l'acte, ni même le sang qui s'était échappé lors de l'agression et qui longeait ses jambes, jusqu'à se noyer dans le béton du bitume, ce même sang qui s'était répandu partout ses vêtements pour une grande partie déchirés et dont la semence avait été exposée sur son visage meurtri, mêlée aux larmes qui coulaient sur ses joues, ainsi que ses ongles, cassés, brisés à l'image de sa dignité, qui s'étaient maladroitement accrochés à la surface rocheuse du parterre pour lutter contre les attaques de ses trois agresseurs, et encore moins de l'arête de son nez fracturé par un coup de coude, du creux qui s'était formé sur la surface même de sa boîte crânienne et des nombreux bleus qui ornaient ses bras, entièrement nus. elle se sentait comme une proie abattue, puis dépecée jusqu'à la moelle par un chasseur, comme un vulgaire objet que l'on venait de jeter après l'avoir utilisé. elle ne ressentait plus rien en réalité — de l'intérieur elle était morte.
il s'en était pris à eux et y avait perdu l'usage de sa main gauche, endommagée par les éclats de verre d'une bouteille brisée qui se dirigeait droit sur son visage. il avait perdu bien plus en commettant son premier meurtre, après avoir sauvagement assassiné un des assaillants, laissant les deux autres prendre la fuite. il aurait pu passer pour un héro ce soir là, si seulement il était intervenu plus tôt. si seulement il avait réussi à sauver
helen. (internement.) son esprit n'avait pas survécu. on l'avait déplacé dans un hôpital psychiatrique en arizona, loin de chez elle et loin de son frère qui, lui, s'en était énormément voulu. il culpabilisait. avant de partir, elle l'avait rassuré, et lui avait dit que ce n'était pas de sa faute, que ça n'aurait rien changé. un ramassis de mensonges qu'il rejetait. tout était de sa faute. le cinéma, la glace. c'était son idée. il avait détruit sa vie, et involontairement, il avait brisé quelque chose en lui. il devenait aussi fou qu'elle, sauf que lui ne serait pas envoyé à l'asile. il devrait vivre comme si rien ne s'était passé, comme si sa sœur ne s'était pas faite violée, comme s'il n'avait jamais tué personne.
si, en fait. il a déjà passé à l'acte. aux yeux de la justice, ce n'était pas vraiment considéré comme un meurtre, mais, légitime défense ou pas, le résultat était le même. il avait ôté la vie à quelqu'un. il venait sûrement de ravager une famille entière, détruit la vie de sa mère et de son père. mais le pire dans cette histoire, c'est qu'il avait aimé ça.
il ne l'avait dit à personne, évidemment, ça aurait été beaucoup trop risqué. mais il voulait revivre l'expérience. il avait tué cet homme avec un ciseau récupéré sur le comptoir du stand, gentillement emprunté au vendeur. il n'avait appris que bien plus tard l'identité de sa victime.
miles finnigan. un connard parmi tant d'autres, finalement. il s'était senti dans son élément, et étrangement, avait apprécié le moment où il a transpercé de la lame de son ciseau sa carotide, puis enfoncé une seconde fois celle-ci dans sa gorge. il entendait les borborygmes mêlés au flot de sang qui s'écoulait de sa gorge, il sentait la vie le quitter et avait adoré le moment où il s'est retiré, pour laisser son corps s'étendre brusquement sur le sol, mort.
ce jour là, il était devenu un monstre. (rébellion.) — le tueur est de retour parmi nous !dave avait dit ça sur le coup de l'ironie, lui aussi était un maître du sarcasme, à la différence que
nelson avait du mal à accepter les plaisanteries qui sortaient de sa bouche. c'était juste après sa dernière audience. on l'avait acquitté, au grand désespoir des parents de
finnigan, mais il s'en fichait pas mal de leur malheur. ils avaient enfanté le violeur de sa sœur, il n'avait pas à se sentir désolé pour eux.
davenport n'avait pas bougé de son canapé entre le moment où il dût se rendre au tribunal et le moment où il en était sorti, toujours avec son pack de bières qui, malgré tout, se vidait au fur et à mesure de ses gorgées. une bouteille à la main, il profitait tranquillement de la télévision, regardant en direct un match de superbowl, avant de réaliser que sa bouteille était vide.
— martha ! ramène moi une autre bière !
— c'est la dixième fois que tu m'en redemandes, arrête de boire un peu..
nelson hallucina quand il le vit se relever de son sofa et frapper sa mère d'une gifle monumentale. il serrait les poings, et se dirigea vers son beau-père. c'en était trop. il lui asséna un coup au nez, laissant ce dernier brisé et ensanglanté par la force du gamin, mais il était trop fort pour lui être comparable. il s'empara de ses mains et l'entraina contre un mur d'une violence telle qu'il le fit tomber au sol, lui debout pour prouver sa supériorité physique.
— qu'est ce que t'as fait tocard ?
— je...
— qu'est ce que t'as fait ?! hurlait-il en frappant sa mâchoire avec la pointe de ses baskets défigurées et en piteux état.
— je...
— espèce de sale fils de pute, ta mère c'était une prostituée de st-pétersbourg. t'es un putain d'enfant non voulu, à ton avis, pourquoi ton père s'est tiré de chez vous ?nelson jeta un coup d'œil à sa mère. pourquoi l'avait-elle épousé ? était-elle masochiste au point de se laisser souffrir de cette manière ?
— barre toi de chez moi. maintenant. (comico.) il avait réuni toutes ses affaires et avait abandonné valparaiso. c'était là qu'il était né. il aurait pu rejoindre son père et ses grands-parents à indianapolis pour vivre dans un cadre idéal, un tableau idyllique, mais il éprouvait trop de rancœur pour son géniteur pour pouvoir revenir comme si de rien n'était. il avait volé toute la fortune de
dave au poker et s'était tiré avec. c'était peu, parce que c'était un piètre joueur de poker, mais c'était suffisant pour se payer quelques nuits à l'hôtel, le temps de trouver un boulot. ce boulot, c'était au sein du commissariat de savannah. pourquoi savannah ? c'était au hasard, il voulait partir le plus loin possible et avait claqué toutes ses économies autrefois réservées à ses études pour le voyage jusqu'en géorgie. il avait été accepté, après avoir réussi avec brio tous les tests d'aptitudes suite à son inscription à l'académie de police de la ville pour prétendre être un vrai poulet. il s'apprêtait à quitter son existence d'enfant pour devenir un adulte, un vrai, et ce changement s'était fait ressentir lorsqu'il entra pour la première fois au poste en costume de travail.
il savait que son chef ne l'aimait pas. sans doute à cause de son histoire et de l'échec du sauvetage de
helen. ses collègues prétextaient que c'était parce que c'était le nouveau de la bande et qu'il faisait figure de
nouveau souffre-douleur. c'était pour cette raison qu'il l'avait associé à un autre homme. plus calme, plus doux, plus expérimenté, mais comme lui, détruit par le destin. contrairement à ce qu'il avait espéré, ils s'entendaient bien, tous les deux, et se montraient efficaces à chacunes de leurs missions. ils se confiaient souvent l'un l'autre et racontaient leurs expériences.
nelson lui avait souvent parlé de son histoire à lui, du viol de sa demi-sœur et de sa profonde mésentente avec son beau-père, mais il lui cacha les vraies raisons qui l'avaient poussé à devenir keuf. son goût prononcé pour le mal et son obsession pour les crimes devaient rester secrets éternellement.
or, son comparse ne prit pas longtemps à comprendre ce qui se cachait derrière lui. il avait un jour saisi l'ampleur de sa blessure et de la violence qui l'avait ravagé.
(la goutte d'eau). il entendait l'aiguille de l'horloge avancer inlassablement. cette histoire de temps lui les brisait sincèrement. il était assis sur un fauteuil individuel en plastique. face à lui, la silhouette familière d'un homme. ce n'était pas n'importe qui. c'était son boss.
— bon nelly, j'vais pas passer par quatre chemins. on sait tout les deux que j'te déteste et que j'comprends toujours pas pourquoi t'es encore dans la brigade, que t'es un couillon et que cette fois t'as dépassé les bornes.il se souvenait parfaitement de ce qu'il s'était passé. c'était hier soir. l'exécution d'un plan minutieux, qu'il avait préparé un mois plus tôt, pour coincer ce dépotoir de
jack o'phrinney. le violeur au turban de savannah. il avait réuni suffisamment de preuves et avait réussi à recueillir assez d'informations pour avoir une petite idée de son emploi du temps quotidien. on était le dimanche soir. il allait au bar à chaque fois, le
condor, ça s'appelait. c'était le genre de brasseries pour des quinquagénaires en manque ou pour des salopards de son espèce, où la moitié de la salle finissait bourrée après avoir fini son premier verre. son collègue et lui attendaient dans une fiat 500, à l'entrée du pub, qu'il sorte du bâtiment.
lors de sa première rencontre avec
o'phrinney,
nelson avait immédiatement cerné le personnage. c'était aussi la nuit, et l'homme était calé confortablement contre un lampadaire isolé. le faible éclairage rendait l'atmosphère encore plus glauque, encore plus intriguante mais surtout plus attrayante. il savait ce qu'il attendait. à l manière d'un chasseur, il attendait sa proie. et ce prédateur allait devenir la sienne.
à savannah, les viols n'étaient pas rares. la hausse de criminalité s'était rapidement faite ressentir, surtout dans le quartier où il habitait. et il était sur le point de chopper l'un des auteurs de cette barbarie. alors, à l'instant même où
o'phrinney pointa son nez à l'extérieur, sa première réaction fut de sortir lui aussi du véhicule et de hurler à celui ci :
— eh trou du cul ! c'est nous qu'tu cherches ?!sprint. ils tapaient tous les deux une course effrénée à travers toute la ville, mais l'avantage revenait à
jack, qui connaissait mieux que lui l'endroit. il s'était réfugié dans un immeuble au hasard qui était, en vue de son état, abandonné, faute d'être en travaux à la vue des nombreuses grues qui étaient placées là.
nelson entra à son tour. lampe-torche dans la main gauche, tremblante, sa main droite saisissant un colt 45, il inspectait les lieux. il n'était pas dans la meilleure des positions. soudain, il sentit une planche s'abattre sur sa tête.
il venait de réveiller la bête.il empoigna la gorge de son assaillant si fort qu'il le sentait mourir. sa paume de main gauche s'était écrasée sur son nez et il enchaina ses coups de manière frénétique, avant d'envoyer valser son corps au sol. il était assis à califourchon sur l'homme et continuait de le tabasser. il sentait que ses doigts étaient devenus visqueux, ce devait-être sûrement son sang mais il n'en n'était pas si certain, à cause de la lumière de sa lampe qui était trop mal positionnée pour éclairer leur bagarre. il saisit à son tour la planche de bois et cogna celle-ci contre son crâne une dizaine de fois, le bruit des coups mêlés aux cris et aux pleurs du violeur. il n'arrivait pas à s'arrêter, c'était trop bon. ça en devenait même délicieux. il sentait une main étrangère sur son épaule. c'était son fidèle comparse.
— arrête nelson. c'est bon, il est sonné.retour à la réalité. vingt heures après ce qu'il venait de se passer, et il était toujours prisonnier du bureau de son commandant qui ne semblait pas très heureux de ce qu'il avait fait. oh, les résultats de l'opération était certes très satisfaisant, mais c'était plutôt la manière qui l'avait déplu.
nelson avait oublié qu'il vivait dans une époque où la violence, même pour les forces du bien, était censurée.
— t'es viré. t'as de la chance que le tribunal ait jugé que c'était de la légitime défense. c'est marrant hein ? à chaque fois que tu fais le mal, la justice pense que c'est juste pour te protéger. c'est pas la première fois que ça arrive. tu te souviens n'est-ce pas ? du soir où tu as buté miles finnigan. non ? pourtant ses parents ne l'ont pas oublié. il s'était barré du comico, mais il ne pouvait pas quitter la ville. faute de moyens. il avait amassé suffisamment d'argent avec son salaire de flic pour pouvoir se payer un appart à kayton. il n'était pas très beau, ni même confortable, mais il était suffisant. il ne s'attendait pas non plus à une villa avec une piscine.
voilà ce qu'il était devenu. un chômeur à tendances criminelles en quête de paix et d'harmonie dans un monde corrompu par les vices. mais il n'existait pas de
Salut dans la voix qu'il avait emprunté.