Sujet: Parce que les fleurs c'est périssable (Ariel) Lun 29 Oct - 17:59
Alice est partie. Alice l’a laissé. Alice reviendra p’t’être pas. Jamais.
Sa noyade ratée l’a pas trop satisfait, le retour à la thérapie non plus. Sans Alice pour admirer le spectacle de ses sarcasmes mal placés, il en voit pas l’intérêt. Il sait pas depuis quand c’était comme ça, depuis quand le but premier était passé de faire de la vie de tous les malades mentaux du coin un enfer à divertir purement et simplement Alice. C’est sûr que c’est moins drôle, quand y’a plus personne pour applaudir, pour rire malgré elle. Maintenant qu’il peut plus reluquer sa beauté bousillée, il reste assis près d’la fenêtre, à faire des doigts aux mémés qui déambulent dans l’parking de l’hosto. Il s’emmerde. Il suffoque dans le vide, le regard absent, crevé. Il essaye de lui écrire, y arrive pas. Y’a sa lettre qui est toujours sur la table bancale de son appart’ miteux, dépliée pour l’éternité, il la regarde sans la lire chaque fois qu’il rentre, passe devant dans un ballet incessant entre son lit et son canapé éventré. Il a jamais été aussi proche de la mort cérébrale. Il en est persuadé. C’est l’amour, ça, dose létale. Ça dure des semaines. Apitoiement, mélancolie, dégoût de soi et des autres – ouais, ça le change pas de d’habitude, c’est vrai –, à s’bourrer la gueule en solitaire, à trop fumer, à trop s’shooter aux antidépresseurs. Mais elle est toujours là, celle-là, la dépression, à l’serrer trop fort dans ses bras. Jusqu’à c’qu’il décide de s’soigner.
Les uns seraient allés chez leur psy, les autres auraient cherché un groupe de soutien après une rupture. Nemo est allé s’planter devant un lycée, adossé à la barrière à l’heure de la dernière sonnerie. Résultat décevant. Une fois, deux fois. Là, c’est la troisième école qu’il fait en deux semaines, sortie des classes dans cinq minutes. Il a la clope au bec, se remémore ses jeunes années parce que c’est son école à lui. Il trouve la coïncidence amusante. Enfin, s’il est bien là. Dans tous les cas, la distraction est acceptable. Il pense pas à Alice. Juste au joli minois qu’il aime tant embêter. Y’a des chances pour qu’il soit scolarisé à la maison, ou qu’il soit plus vieux qu’il le pense, entre un ado et un première année à l’université, y’a pas tant de différences que ça. Mais il le sent bien, il sait pas pourquoi. Au pire, il pourra bien s’y trouver une autre victime ou aller voir si Mister Pryce est pas dans les parages. Il en doute, avec cette histoire de procès. Ça le fait sourire rien que d’y penser. La fin des cours retentit et il attend, tire sur sa cigarette, souffle la fumée dans la gueule des gamins qui passent trop près de lui.
Et puis, il apparaît.
Boucles brunes, yeux éteints, peau pâle, air morne. C’est comme s’il le revoyait pour la toute première fois. Ça fait longtemps, faut dire. Trop longtemps. Alors il traverse la rue, Nemo – sans regarder, évidemment –, lui barre la route en lui tendant un paquet empli de friandises aux couleurs aussi criardes que sa chemise. « Un bonbon ? » Sourire carnassier. « Désolé d’pas être venu te voir plus tôt. J’t’ai manqué ? »
Ariel Walker
apprenti sashimi
▹ posts envoyés : 625 ▹ points : 56 ▹ pseudo : XERXES. ▹ crédits : (a) soeurs d'armes / (s) EXORDIUM. (icon) Tweek. ▹ avatar : Timothée Chalamet ▹ signe particulier : Les yeux verts ouverts sur l'enfer, le cœur malade, le corps malade. Séropositif qu'il est, on lui a dit qu'il allait crever. Un peu malvoyant, c'est qu'un cadavre errant.
Sujet: Re: Parce que les fleurs c'est périssable (Ariel) Sam 24 Nov - 23:50
“et alors tu disparais, et alors je crois avoir gagné” & Tu l’as oublié. Ses yeux claires, et son visage d’enterré, sa malice, son sourire carnassier. Tu l’avais oublié.
T’as le regard qui s’échoue sur l’extérieur, les feuilles tombantes, couleur orange fanée qu’aurait pu te rappeler sa chevelure rouillée. Les traits de son visage effacés dans la mémoire, tranquillité d’automne, ennuie morne. T’as presque envie de pleurer quand t’abandonnes ton stylo, que tu préfères jeter ton esprit par la fenêtre, le laisser courir loin d’ici. De toute façon le cours va trop vite, de toute façon, j’comprends rien, de toute façon, j’irais jamais loin. De toute façon, ça sert à rien. Et les secondes sont longues, les aiguilles bougent pas sur l’horloge, même les oiseaux semblent figés, y’a rien à regarder. Tu soupires, tu fermes les yeux, le stylo d’Isaac que tu entends à côté, raturé la feuille de papier. Toi, t’es silencieux, toi t’es presque mort. Tu disparais du décor. A rêver encore. En secret, sans l’avouer à personne, sans le marquer quelque part, à jamais sortir du placard, laisser tout ça dans le noir, l’rêve de réussir, de guérir, l’rêve de voir net. L’rêve d’être honnête. Tu t’effaces, comme toujours, au fond de la classe, sans bruit, sans vie, l’esprit intouchable, l’esprit qui pense, qu’imagine tellement de choses, l’genre belles, l’genre folles. Cœur d’adolescent qui bat trop fort. « Ariel ! », sursaut, tu te réveilles. Joues rouges, ça y est, projeté dans la lumière, projeté sous le feu des projecteurs, on te regarde, on te voit, toi, l’gamin qui s’est endormi, l’gamin minable, l’gamin méprisable. Tu reprends ton stylo mais c’est pour venir gribouiller les coins de ta feuille, Isaac qui te regarde, qui te sourit. C’est pas grave d’être fatigué tu sais, que ses yeux disent, ça arrive. Tu hausses les épaules, c’est pas grave si c’est trop souvent ? C’est pas grave si c’est tout le temps ? Cette feuille devant toi, est encore plus floue qu’hier tu crois. Plus blanche. Plus toi. Un vide total qu’attend de s’exprimer, qu’attend trop, trop passif, trop évasif, un vide total perdu dans un cahier sale. Tu repars chercher l’extérieur des yeux, l’horizon, parce qu’au fond y’a plus que lui pour ta vision, plus que lui qu’est joli, qui te donne pas le tournis.
Et puis ça sonne. Et puis rendez-vous chez le proviseur. Encore, routine. Tu dis à Isaac, m’attends pas t’inquiète, j’rentrerais à pieds, ça risque de prendre du temps. En réalité, tu sais que ça durera cinq minutes à peine, juste assez pour te dire que tu merdes, pour que tu fermes ta gueule, que tu lui donnes pas de réponse, que tu l’entendes soupirer, signe que tu peux filer. Oh oui, tu sais que ce sera pas long du tout, juste cinq minutes consacrés pour avoir le sentiment de bien travailler, de bien gérer son lycée, mais tu veux pas qu’Isaac pose les questions après alors tu lui mens un peu. Tu touches ton collier. Pardon. Y’a même plus de conviction. Y’a les derniers rayons de soleil qui viennent éclaircir ta peau lorsque tu pousses la porte, lorsque le calvaire est fini, que tu vas enfin pouvoir détaler d’ici. Tu remets ton sac déglingué sur tes épaules, regard baissé sur tes chaussures, un jour tu te prendras un mur et les gens rirons. Presque. Presque un mur. Y’a plein de couleur, y’a un air sucré qui s’élève. Tu l’avais oublié. Tu baisses les yeux vers ses bonbons, tu cognes ton épaule à son bras pour pouvoir passer, pour lui dire de dégager. Il te suit (forcément), il continue de faire vibrer ses cordes vocales, et t’essaies de rester stoïque, « non… », marmonné, agacé, tu le traines sur quelques minutes pour l’éloigner du lycée, pour que les gens arrêtent de le regarder, arrête de vous regarder, qu’ils s’imaginent, que les rumeurs filent. Et puis lorsque que la rue est vide, tu te tournes vers lui, « tu veux quoi encore ? », c’est agressive, c’est froid, mais c’est las, comme une autre routine qui s’installe, presque normal. Tiens te revoilà.