samih | jj

Qu'est-ce t'as ? T'veux quoi ? Sam sursauta presque quand ce type, Carl qu'il s'appelait, surgit juste devant lui, d'un coup. Vas-y demande, vu que t'en crèves d'envie. Tais-toi, et arrête de faire la gueule. Fais-moi taire, faire partir Jay. Vas-y, on dirait que c'est la solution parfaite, hein ? Comme d'habitude, ton plan va marcher comme sur des roulettes, et tu vas tout régler. Hein ? Bon, t'arrêtes d'être passif-agressif ? Va te faire foutre. Très bien. T'es sourd, tête de con ? Sam glissa ses yeux exorbités vers Carl. Il détaillait sa gueule qui ne ressemblait plus à rien. Carl devait avoir trente cinq piges. Il en paraissait cinquante. Il était pourri de l'intérieur. La drogue fait ça. L'héroïne, surtout. Allez, casse-toi. Sam fit volte-face. De loin, Bobby lui lançait des coups d'oeil. Il n'osait pas faire de remarque. Sam l'ignora. Il traversa la cour comme un robot. Il était dans un genre de réalité alternative. Dans un univers parallèle. Un univers où il n'avait plus de prise avec rien. Les révélations d'Assia, trois jours auparavant, n'arrivaient pas à s'intégrer, à s'imprimer. Il avait passé deux jours au mitard après le bordel qu'il avait créé au parloir. Il venait d'en sortir. Il s'était raccroché à l'idée qu'une fois dehors, il foncerait dans la cellule que Bobby lui avait indiqué. Celle qui offrait la première prise. Parce qu'il n'était pas assez fort pour gérer tout ça. C'était trop. Il avait passé les douze dernières années de sa vie à s'anesthésier pour éviter de ressentir quoi que ce soit. Maintenant qu'il était sobre, tout était trop violent. Il n'y arriverait jamais.

Il se retrouva devant les cabines téléphoniques. Sans trop savoir qui l'avait mené ici. Appelle-le, vois directement avec lui. De toute façon faudra bien que tu le fasses. Sam leva les yeux, adossé de l'autre côté de la cabine, les bras croisés sur le dessus, Jay. Il leva les yeux au ciel. Sérieux, pourquoi tu m'ignores ? A ton avis connard ? Arrêtez de vous engueuler. Non mais il est con aussi. Le coeur de Sam s'accéléra, sa respiration se raccourcit. Comme à chaque fois. Il n'y arriverait jamais. Bordel, bordel. Il attrapa le combiné. Jay lui fit le plus radieux des sourires. Sam le regarda d'un air blasé. Bon, tu me laisses ? Qu'il lâcha sans faire attention, un détenu qui passait un coup de fil à côté de lui lui lança un coup d'oeil. Shit, il avait encore oublié. La seconde d'après, Jay n'était plus là.

Sa main tremblait au moment de composer le numéro. Sam n'aurait jamais pensé avoir à faire ça. Plus jamais. Pour lui, tout était déjà foutu, terminé, flingué, cramé. Il était entre la culpabilité vive d'avoir accusé à tort son meilleur ami, et le soulagement extrême que JJ ne soit pas entièrement perdu. Mais le plus dur, c'était pas ça. Le plus dur, maintenant, c'est que tu vas devoir le sauver. Le sauver de Don, de ses nouvelles idéologies. Le pardonner aussi. Le pardonner d'avoir couché avec Trixia, puis de l'avoir envoyé à l'hôpital. Le pardonner pour tout, puisqu'il n'avait pas encore commis l'irréparable. Il termina de composer le numéro. Une sonnerie. Sam raccrocha. Bordel, pourquoi t'as raccroché ? T'en es sûr au moins ? De ce que t'as dit Assia ? Pourquoi elle mentirait ? J'en sais foutre rien. Alors ?! Sam recomposa le numéro, fatigué.

Ça sonnait.

Un temps d'attente. Et puis la voix de JJ, pleine d'une appréhension que Sam ne détectait pas très bien. JJ, c'est Sam. Il avait l'impression d'avoir un katana qui le transperçait de part en part. Bon. Ecoute euh.. comment ça se passe à l'extérieur ? For real ? La ferme. Sa gorge était tellement nouée qu'il n'arrivait même pas à en placer une. Il pouvait pas parler d'Assia, il pouvait pas sans se mettre à pleurer. Il jeta un coup d'oeil autour de lui, comme pour vérifier que personne n'écoutait, surtout pas Don. Surtout pas un de ses larbins.

J'me prélasse dans la baignoire de la salle-de-bain d'otto, clope dans la main, musique en fond, tel un pacha. Le pied. J'ai quand même pris soin de fermer la porte à clé, au cas ou l'autre pédé ait l'idée de venir me mater à poil dans mon bain. Gros dégueulasse. Et évidemment, c'est à ce moment que quelqu'un se décide à m'appeler. Fait chier. Je grogne et coince ma clope entre la commissure de mes lèvres tout en me redressant dans la baignoire. Je me penche pour attraper mon téléphone qui vibre sur le sol dans un boucan d'enfer. Je ne fais pas gaffe au numéro, comme d'habitude et je décroche à la hâte ; un poil énervé. — Ouais ?! Que je grogne. Mais pour toute réponse, la voix mécanique d'une femme qui me demande si j'accepte un appel venant de la prison de Savannah. Putain, putain, putain. Je déglutis. C'est qui ? Don ? Akker ? Ou Samih ? La dernière option me semble un peu trop belle pour être réelle. Quoi qu'il en soit, je finis par accepter l'appel en appuyant sur la touche demandée. J'inspire un grand coup, assis dans la baignoire, méfiant.

— Allô.. ?
Y a un léger blanc et ça me suffit à comprendre de qui il s'agit.
Je souris.

— JJ, c'est Sam.
Je ne réponds rien, trop occupé à savourer ma victoire. Je me laisse glisser dans l'eau, gardant simplement le haut du corps en dehors. Je cale ma clope entre mon index et mon majeur et la retire de ma bouche, prenant le temps d'expirer la fumée.
— Bon. Ecoute euh.. comment ça se passe à l'extérieur ?

Je manque de m'étouffer. Je me dresse à nouveau, posant ma main gauche sur le rebord de la baignoire, la cigarette toujours entre les doigts. Les yeux écarquillés, je m'indigne.
— Comment ça se passe à l'extérieur ? Tu- t'es sérieux là ?
J'échappe un long ricanement nerveux, avec la furieuse envie de lui foutre mon poing dans la gueule. J'avais beau savoir qu'il finirait par appeler, je ne m'attendais quand même pas à ça. Ce qui joue plutôt en ma faveur du coup, puisque ma réaction est finalement sincère. Même pas besoin de faire semblant.
— S'tu veux un truc va droit au but, sinon va t'faire foutre fils de pute.
Hey, faut pas déconner.

Raccroche, raccroche, raccroche. L'autre n'avait pas encore pardonné, pendant que Sam s'en voulait terriblement d'avoir fait du mal à un petit frère. Dualité éternelle entre lui, et lui-même qui faisait trembler sa main autour du combiné, pendant que le rire de JJ résonnait jusque dans la cour du pénitencier, Sam était presque sûr de tout le monde entendait l'échos du rire d'adolescent en crise de JJ. Il inspira un grand coup. Oui j'suis sérieux, où est-ce que tu crèches ? Certainement pas chez eux, du moins il osait espérer que Daire avait fait son job en le virant de l'appartement. Encore une question qui ne trouvait pas de réponse dans la solitude des murs de cette prison. Une question à laquelle personne ne venait répondre. T'as déjà ta toge blanche et tu fais cramer des croix dans la forêt ou l'initiation est pas encore terminée ? Sans doute que JJ ne comprenait même pas où il voulait en venir avec ses références au Ku Klux Klan. Laisse tomber, va. Qu'il lâcha de lui même de toute façon, JJ s'énervait déjà. S'tu veux un truc va droit au but, sinon va t'faire foutre fils de pute. Un spasme violent secoua le coin de ses lèvres, qui s'étirèrent en un rictus mauvais. Raccroche putain, de toute façon t'arriveras pas à le pardonner. Si on pouvait arrêter de se concentrer sur ce que je n'arriverais pas à faire, ça serait chouette. Sam garda le silence quelques longues secondes, regardant autour de lui. J'ai vu Assia dernièrement. Il attendit avant d'en dire plus. De toute façon il avait à nouveau perdu sa voix. Assia, elle était morte maintenant. Morte pour lui, et fallait qu'il vive avec le deuil, celui d'avoir désormais perdu l'intégralité de son code génétique. Restait plus qu'eux, les Kids. Plus que May, Daire, Cal, Eanna. Et JJ. Solide besoin de ne pas être seul. T'es pas seul. Ouais, ça va. T'as fait que de m'induire en erreur depuis le début avec JJ. Il répondit pas. Ha ! Il aura au moins cloué le bec à une personne. Sam planta son regard sur l'herbe terreuse. J'pourrais te dire que je suis désolé d'avoir cru que t'étais capable d'un truc pareil JJ. Sa voix se brisa sur la fin. La vérité, c'est que JJ était capable de faire un truc pareil. JJ était capable de tout. Aussi bien de se tatouer une croix gammée que faire du mal à quelqu'un. Et Sam n'était pas tellement sûr des autres horreurs qu'il avait pu faire ici. Et pourtant, fallait qu'il l'accepte, qu'il ravale toute la colère qu'il avait eu pour lui et qu'il avait encore au fond, sans doute. Parce que JJ était son frère, il l'était à nouveau, il l'avait sans doute toujours été et c'était ce qui l'avait empêché de le tuer, les deux ou trois fois où il en avait eu l'occasioN. Le truc c'est que je suis plus tellement sûr de comment tout est parti en couilles aussi vite, tu sais. J'sais pas si on peut faire machine arrière. Que JJ oublie les erreurs qu'il avait commise, et inversement. La seule vérité, c'est que Sam ne l'oublierait pas pour les huit ans à venir. Bordel, il en avait les larmes aux yeux. Trop d'émotions. Pas assez de médoc. Sam détestait ressentir ce genre de truc qui l'étranglait complètement. Mais j'sais que tu me disais la vérité, au moins au sujet d'Assia. Au moins pour ça.

— Oui j'suis sérieux, où est-ce que tu crèches ?
Alors là, il pouvait toujours aller se faire foutre avant que je ne lâche le morceau - et pour ce qui est de se faire foutre, en prison, il avait l'embarras du choix. Quoi qu'il en soit je ne dirais rien. Personne ne sait où je vis, pas même les mecs de Don. La maison d'Otto c'est mon secret. Et y a pas de raison que ça change. Alors je ne réponds rien. Fais la sourde oreille. Et je n'arrive pas trop à savoir s'il s'inquiète de là où je vis, ou s'il veut juste s'assurer que je ne suis pas au loft. Cet appel, ce n'est peut-être pas ce à quoi je m'attendais finalement ?
— T'as déjà ta toge blanche et tu fais cramer des croix dans la forêt ou l'initiation est pas encore terminée ?
Je plisse les yeux.
— Quoi ?
De quoi est-ce qu'il me parle putain ? Mais il abrège rapidement, me disant de laisser tomber et je n'insiste pas. J'en ai un peu rien à foutre de ses histoires de croix et de forêt et j'sais pas quoi. J'suis pas là pour parler camping.

— J'ai vu Assia dernièrement.
Petite boule dans la gorge. Mélange de gloire et d'appréhension. Si Assia n'a pas jouée le jeu, j'suis foutu. Mort. Je me contrôle tant bien que mal pour jouer les indifférents, faire celui qui n'est au courant de rien.
— Euh, ok, cool pour toi ? Si t'as envie de raconter ta vie t'as pas appelé la bonne per-
Il m'interrompt.
— J'pourrais te dire que je suis désolé d'avoir cru que t'étais capable d'un truc pareil JJ.
Je me tais et me mords violemment la lèvre pour ne pas exploser de joie. Je me remets dans mon rôle, celui du menteur. C'est que je commence à ne pas être trop mauvais dedans. La voix qui part un peu plus dans les aigües pour feinter la surprise et l'incompréhension.
— Atta, atta, quoi ?
— Le truc c'est que je suis plus tellement sûr de comment tout est parti en couilles aussi vite, tu sais. J'sais pas si on peut faire machine arrière. Mais j'sais que tu me disais la vérité, au moins au sujet d'Assia.
Bon, c'est pas franchement ouf comme excuses. Je m'attendais à plus de culpabilité que ça. Peut-être même quelques larmes, qui aurait eu le goût de sa trahison. Ou de la mienne, je sais plus trop. Les choses sont trop emmêlées dans ma tête pour que je parvienne encore à dissocier la réalité de mes mensonges.
— Woh, attend, euh, j'ai l'impression d'avoir raté un épisode là.
Je tire une taffe sur ma clope avant de reprendre, les émotions confuses.
— Parce que la dernière fois qu'on s'est vu tu voulais me buter et maintenant tu me dis que tu réalises que tu t'es planté ? C'est pas comme si j'te le répétais depuis TOUJOURS ? Je... Putain.
Je passe une main sur mon visage, me perdant véritablement dans mon rôle. Comme si tout ça n'avait pas été prémédité. Je ressens les émotions comme si elles étaient réelles, comme si j'étais vraiment surpris par ses révélations. En colère aussi. Très en colère.
— Tu voulais ME BUTER SAM ! Me buter putain. Pour un truc que j'ai pas fait et tout ça pourquoi ? Parce que madame Trixia te l'a dit ? Tu, enfin.. Tu réalises le délire ? Tu réalises c'que ça m'a fait à moi ? Que tu la crois elle plutôt qu'moi ? Sam putain...
Je soupire doucement, la voix qui tremble un peu.
Et puis mon ventre gargouille. Je change d'état en un instant, la tête qui se tourne vers la porte alors que j'oublie complètement Samih. Putain, j'aurais dû demander à Otto de me préparer un plateau de bouffe avant de venir m'enfermer ici. J'ai la dalle.

Woh, attend, euh, j'ai l'impression d'avoir raté un épisode là. Sam avait l'impression d'avoir raté plus d'un épisode. Sa vie entière, genre ? Il garda le silence, parce que ça avait toujours été comme ça : il encaisse, et attend. Toute sa vie, à attendre que ça passe. Peut-être bien qu'entre JJ et lui, les choses s'arrangeraient. Peut-être qu'ils se pardonneraient l'un et l'autre. Fallait maintenant. C'était le seul moyen de le sortir de là. D'effacer de son organisme chaque micro particule de la haine qu'il s'était tatouée sous la peau. Revenir en arrière, retrouver le gosse qui avait été là toute sa vie. Ouais, sans doute que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, même si l'autre dans son crâne, pestait. Il était énervé. Sam le sentait dans ses veines. Tant pis. De toute façon JJ parlait à nouveau : Parce que la dernière fois qu'on s'est vu tu voulais me buter et maintenant tu me dis que tu réalises que tu t'es planté ? C'est pas comme si j'te le répétais depuis TOUJOURS ? Je... Putain. Oui, il voulait le buter. Il aurait peut-être fini par le faire, un soir où l'autre aurait pris le contrôle. Un soir de grande colère, après une dispute de plus. Et bordel il se serait détesté toute sa vie pour ça. Il serait arrivé quoi, si Assia lui avait avoué la vérité trop tard ? Sam ferma les yeux si fort qu'il entendait son sang battre dans ses tempes. Tu voulais ME BUTER SAM ! Me buter putain. Pour un truc que j'ai pas fait et tout ça pourquoi ? Parce que madame Trixia te l'a dit ? Tu, enfin.. Tu réalises le délire ? Tu réalises c'que ça m'a fait à moi ? Que tu la crois elle plutôt qu'moi ? Sam putain... Trixia hein, on en revient toujours à elle. Elle qui l'avait flingué la fois de trop. On peut se faire tuer combien de fois, avant de vraiment mourir ? Il n'en savait rien. Mais le pouvoir qu'elle avait sur lui avait un côté effrayant. JJ avait sa conception bien à lui de la loyauté. Sam avait foiré dans son rôle de grand frère, il le savait pertinemment. Et tout serait toujours de sa faute, parce que c'était à lui de s'assurer que JJ prenne les bonnes décisions. Sans doute que c'est ça d'avoir des enfants : se sentir coupable pour leurs erreurs. Être responsable de chacun de leur faux-pas. Et dire que des gens font des gosses volontairement. Le silence c'était étiré quelques secondes, parce que Sam avait toujours les yeux fermés si forts qu'il n'entendait presque rien, et puis il n'arrivait pas à parler. Enfin, il lâcha dans un souffle : Je sais. Il savait, il en avait pris conscience, et les rugissements de l'autre ne changerait rien à ce qui allait suivre : Je suis désolé. De tout. Il inspira profondément. Quand il ouvrit les yeux, il tomba face à la cour, aux détenus, aux gardiens qui tournaient. A quoi bon hein ? Puisqu'il passerait les huit prochaines années ici. Il aurait très bien pu attendre, oublié, finir seul ses jours ici. Ca ferait pas de grandes différences. Après tout ce qui s'est passé entre nous... Trixia était salement cabossée à l'hôpital et... Il pourrait expliquer, tenter de trouver une justification. Le truc c'est que c'est pas parce que Trixia te l'a dit que tu l'as cru, t'aurais cru n'importe qui d'autre, parce que tu le savais, tout au fond de toi, tu l'as toujours su. Tais-toi, j'avais tort. Il s'était planté, parce que c'était plus commode de penser JJ perdu que de devoir gérer ses conneries de plus en plus monumental. Trouver la force d'accepter tout ça. Un sourire en coin, teinté d'une émotion trop vive. Putain il donnerait n'importe quoi pour arrêter de ressentir ça, au fond de son bide. Ce point énorme. J'ai foiré, je sais que j'ai foiré. Il serait pas là sinon. C'était Seven, hein. hoquet de rire, au final il avait deviné la bonne réponse à la seconde où il avait vu Assia. Voilà que ses yeux se noyaient de larmes. Ca a toujours été Seven finalement. La première larme coula. Il espérait que JJ ne l'entendrait pas. Il s'essuya la joue d'un revers de main. Mais ça n'a plus d'importance maintenant. Assia est morte pour moi, Trixia pareil. J'ai assez gâché ma vie pour elles. Ca sonnait comme une promesse faite à JJ. Une promesse qu'il n'y aurait jamais rien d'autre pour se mettre entre eux, et l'empêcher d'arranger les choses, et de le rattraper avant qu'il ne tombe trop bas.

— Je sais.
Allez, crache le morceau Sam. On sait que c'est pour ça que t'appelle. Le silence s'étire encore pendant quelques secondes, jusqu'à ce que, enfin.
— Je suis désolé.

Mon sourire s'élargit nettement sur mon visage satisfait.
J'ai gagné les filles. Vous êtes échec et mat.
Je reporte ma cigarette entre mes lèvres et contient un soupire d'aise, pour ne pas éveiller les soupçons de Sam.

— Après tout ce qui s'est passé entre nous... Trixia était salement cabossée à l'hôpital et...
J'échappe un ricanement nerveux, contrarié par ses mots. Il croit franchement que ça va être aussi facile ? Qu'il va pouvoir se cacher derrière des excuses minables comme celle-là ? C'est lui qui a commencé à tout faire foirer. Lui qui m'a frappé le premier, pour elle. Et maintenant il a failli me buter, à cause d'elle. Va falloir qu'il se démène pour avoir mon pardon.
— J'ai foiré, je sais que j'ai foiré.
— Ouais, clairement t'as foiré. J'te signale que c'est la deuxième fois que tu t'en prends à moi à cause d'elle. J'commence à me demander de quel côté t'es, Sam.
J'expire la fumée tranquillement, m'amusant sans m'en rendre vraiment compte à retourner encore plus la situation. A ce que le rôle du grand méchant lui revienne entièrement. Que je ne sois vraiment que ce pauvre gamin paumé que l'on accuse toujours à tort et à travers parce qu'il fait le coupable parfait.

— T'as essayé d'me tuer et tu m'as dégagé des kids. Tu t'doutes bien que je vais pas passer l'éponge comme ça, hein ?
La vérité c'est que je m'en fous, c'est déjà pardonné. Je voulais juste l'entendre admettre qu'il avait tort, ça me suffit. Mais bon, pour plus de réalisme faut que je joue la carte de la rancune. Sinon il va se méfier.

— C'était Seven, hein. Ca a toujours été Seven finalement.
Bon, j'ai toujours faim moi du coup. Je me lève et sors de la baignoire tout en attrapant une serviette de ma main libre, clope coincée entre mes lippes.
— J'en étais sûr, j'te l'avais dit. J'l'ai toujours dit. Mais on m'écoute jamais.
J'me demande bien pourquoi d'ailleurs. Une fois la serviette nouée autour de ma taille je sors de la salle-de-bain et revient caler ma cigarette entre mes doigts. Je continue, tout en crachant la fumée.
— Du coup c'est lui qu'tu vas buter ?
Ça m'arrangerais, accessoirement. D'ailleurs si y a besoin d'aide, j'suis volontaire.

— Mais ça n'a plus d'importance maintenant. Assia est morte pour moi, Trixia pareil. J'ai assez gâché ma vie pour elles.
Je bug. Arrêté au beau milieu de l'escalier, ses mots me frappent. Un long silence s'en suit.
Assia est morte pour moi.
Assia est morte.
Assia est morte.
Assia est morte.

Et, doucement, cette idée s'insinue discrètement en moi. Se niche dans un coin de ma tête en silence, invisible, mise en sourdine. Pour l'instant. Je cligne des yeux, comme un retour à la réalité après un moment d'absence. Ses mots semblent flous désormais, ils s'emmêlent et le paquet de nœuds dans ma tête me parait indémêlable. Alors je l'oublie, n'y fait plus attention, sans réaliser que je laisse toute la place pour germer à une idée terrible.
— Ça veut dire que j'peux rentrer au loft ?
J'suis pas certain d'avoir envie de retourner y vivre à plein temps. J'suis bien ici. Je règne comme un roi et Otto n'est pas du genre à me dire quoi faire, quand, comment, où. Ni même si c'est bien ou mal. J'attrape une grappe de raisin dans le saladier sur l'ilot central de la cuisine et je me hisse dessus, les jambes qui se baladent dans le vide tandis que je jette mon mégot dans l'évier avant de commencer à manger quelques grains, serein. Tout se déroule comme prévu. Ce fut facile finalement.

Ouais, clairement t'as foiré. J'te signale que c'est la deuxième fois que tu t'en prends à moi à cause d'elle. J'commence à me demander de quel côté t'es, Sam. L'autre remuait à l'intérieur des entrailles de Sam Il refusait. Il peut pas dire ça. Pas pareil tout ça. Pas après s'être tapé Trix, pas après avoir fait fuir Eanna, pas après tout ça. Les mensonges, les non-dits, le club nazi. C'est toi qu'a foiré JJ, et j'en ai rien à foutre si Sam est trop bon et trop con pour te remettre à ta place, j'te laisserais pas t'en- Stop. Sam n'avait pas le temps pour gérer un nouveau conflit intérieur. Et si JJ était autant parti en couilles, c'était sa faute. C'était parce qu'il l'avait laissé tomber. C'était parce qu'il n'avait pas pu l'empêcher de faire ça. Il aurait pu l'arrêter, avant qu'Eanna ne soit marquée à vie par ses coups. Il lui aurait suffit d'être là, d'être présent pour le raisonner. Il aurait pu l'empêcher de se rapprocher des nazis, s'il avait été là, s'il était allé le voir au parloir, avant de commettre la connerie de trop. Pour lui expliquer que personne ne le laisser tomber. Voilà l'explication. Tu vas t'en vouloir Sam, tu vas t'en vouloir d'avoir cru un mot de ses excuses bidons. Tant pis. T'as essayé d'me tuer et tu m'as dégagé des kids. Tu t'doutes bien que je vais pas passer l'éponge comme ça, hein ? Sam ne répondit encore rien. JJ passerait l'éponge, c'était même sans doute déjà fait. Il faisait sa crise pour se donner de l'importance et qu'on le plaigne. Et quelque part, ça rassurait Sam de voir qu'il ne le connaissait encore pas trop mal. Comme si, maintenant qu'on lui avait donné la bénédiction pour le pardonner, il recommençait à voir les choses clairement. Comme si tout redevenait logique : JJ est un sale gosse, rien de plus, rien de moins. Et Sam doit le gérer. C'était comme ça depuis dix ans. Au lieu d'ça, il balança l'info : c'était Seven. Ça avait toujours été Seven. Et le dire à voix haute, c'était comme se prendre un coup d'poignard dans l'bide. Parce que c'était trop con. Tout aurait pu se régler si vite. Sam se souvenait, quelques semaines seulement après le viol, de cette bagarre dans un bar, et de ses mains à deux doigts d'ôter la vie à cette saleté de Seven. JJ qui l'en empêchait. Ouais, c'est JJ qui t'a empêché de faire ça. Stop. J'en étais sûr, j'te l'avais dit. J'l'ai toujours dit. Mais on m'écoute jamais. Du coup c'est lui qu'tu vas buter ? Non, on s'en fout de Seven. Parce qu'on s'en fout d'Assia. C'était le message. Ce à quoi il rajouta, la voix tremblante : J'te rappelle que j'suis en prison pour les huit prochaines années à la place de ta copine. Parler d'Eanna, c'était pas cool, Sam le savait. Mais que JJ arrête de penser qu'il n'y avait pas eu de sacrifice des deux côtés. Il inspira profondément, les larmes avaient arrêté de couler maintenant. Comme si, rien que d'entendre JJ se plaindre sur combien l'univers était contre lui avait ce petit côté rassurant. Ces derniers mois, ils n'avaient pas été capable d'échanger trois mots. Ou bien, c'était forcément dans la douleur. JJ n'avait pas raccroché, il continuait à parler. Ce n'était que maintenant qu'il se rendait compte à quel point ça l'avait manqué d'avoir un frère. Cal, c'était autre chose, c'était pas pareil. JJ était le frangin qu'il s'était trouvé, y a de ça dix ans.

Ça veut dire que j'peux rentrer au loft ?
Non !

Qu'il balança, peut-être un peu trop vite. Mais rien que cette idée lui avait donné des frissons. Non JJ, tu rentres pas. Parce que rien n'était encore pardonné, rien n'était encore réparé. Et le mea culpa de Sam ne voulait rien dire d'autres que : on va essayer de se pardonner. On va essayer de faire marcher tout ça. Ça veut dire qu'on y réfléchi. Mais j'peux déjà te dire que si tu changes pas de fréquentations, ça sera pas la peine d'y penser. Ca il pouvait pas accepter. Il pourrait jamais accepter. C'était pas tellement comme s'il s'intéressait aux délires néo-nazis jusqu'à y être directement confronté. Jusqu'à ce qu'il s'aperçoive, comme une révélation subite, que ce que détestaient ces gens, c'était lui. C'était sa couleur et la religion que sa mère lui avait transmise, lui qui ne parlait pas un mot d'hébreux et n'avait pas fait un seul shabbat de sa vie. Il n'avait jamais été perturbé par ça, jusqu'à ce qu'on l'insulte de bougnoul ou de youpin. Jusqu'à ce que JJ porte sur sa peau, la marque indélébile de leur haine, une haine qu'il ne comprenait même pas. Mais si fallait le sauver, alors faudrait en passer par là. C'est eux ou nous. Ce que t'as fait en prison, moi non plus je vais pas pouvoir passer l'éponge juste comme ça.

— J'te rappelle que j'suis en prison pour les huit prochaines années à la place de ta copine.
Douche froide. Je m'arrête dans ce que je fais et je bug. Putain, j'avais oublié ce détail. Et d'ailleurs je réalise que je ne sais rien de cette histoire. Kidnapping d'enfant ? A la place d'Eanna ? J'avale un grain de raisin avant de reprendre.
— D'ailleurs j'sais même pas c'est quoi l'histoire, il s'est passé quoi putain ?
Je marque un pause, la voix qui faiblit un peu quand j'ajoute.
— Mais euh... t-tu vas vraiment rester 8 ans là-bas ? Y a pas un moyen de t'faire sortir avant ?
Non parce que moi je n'ai pas trop prévu de réussir à survivre huit ans sans Samih en fait. Déjà que ces derniers mois ont été l'enfer, alors huit ans ? Je commence à me tendre, contrarié. Légère panique au fond des entrailles. J'en profite pour tenter de négocier mon retour au loft. Et sa réaction n'est pas vraiment le résultat escompté.
— Non !
Je me fige, blessé.
— Okaaay, ça venait du cœur ça putain.
Que je grommèle tout bas, mauvais, avant de recommencer à manger du raisin. Enfoiré. On verra si je ne retourne pas au loft en huit ans. Qu'est-ce que tu vas pouvoir y faire de toute façon, hein ?
— Ça veut dire qu'on y réfléchi. Mais j'peux déjà te dire que si tu changes pas de fréquentations, ça sera pas la peine d'y penser.
J'échappe un rire nerveux, sidéré. Mes fréquentations ? Mais je l'emmerde putain. Je traîne avec qui je veux.
— Hey, t'as pas à m'dire qui j'ai le droit de fréquenter ou pas, ok ? T'es pas mon père.
Peut-être un peu, d'une certaine façon. Mais ça ne change rien au fait qu'il n'a pas à contrôler qui gravite autour de moi. Ça ne le regarde pas.
— Ce que t'as fait en prison, moi non plus je vais pas pouvoir passer l'éponge juste comme ça.
Je manque de m'étrangler face à ses mots. Putain, il se fout de ma gueule le con. La bouche à moitié pleine encore, je commence à vociférer dans le téléphone.
— Ce que MOI j'ai fait ? Sérieux ? C'est toi qui a pété un plomb et qui m'a poussé à te cogner comme ça putain. C'est toi qui est venu avec l'intention d'me faire la peau. Alors putain, redescend et inverse pas les rôles, c'est trop facile de tout me remettre sur le dos.
Faut quand même pas oublier que c'est moi la victime dans notre histoire.

D'ailleurs j'sais même pas c'est quoi l'histoire, il s'est passé quoi putain ? Oh, c’est fun comme histoire, j’te la raconte si tu veux. Sam regarda derrière lui, sur le côté, baissa la tête, nouveau tête à tête avec ses pieds. J’peux pas vraiment en parler ici. Les conversations pouvaient être enregistrées, écoutées. Il en avait même déjà trop dit. Paranoïa. S’innocenter était une chose, balancer Eanna une autre. La scène lui revenait en tête. Cette nuit au loft, Eanna en pleine crise d’hystérie. Le gosse. Tout s’était passé tellement vite dans sa tête qu’il n’était pas très sûr que ça se soit véritable passé ainsi. La décision s’était imposée toute seule, elle était née de rien et s’était installée si profondément. Comme une solution miracle. Tu parles. Mais euh... t-tu vas vraiment rester 8 ans là-bas ? Y a pas un moyen de t'faire sortir avant ? Court silence. Chaque fois qu’il y repensait, c’était comme se prendre un grand coup de chaud. C’était comme réentendre le jugement, au procès. Un coup de massue, dix tonnes de briques. Ca fracassait tout en lui. Il n’avait pas encore digérer la nouvelle ça semblait irréel. Mais y avait une possibilité ouais, une possibilité qu’il ne sorte plus de ces murs pendant les huit prochaines années. Ainsi, il aurait tout perdu. Sa voix tremblait quand il répondit : Je euh… mon avocat il… il bosse à me faire sortir. Il va faire appel et voir si… bref. Il n’osait même pas l’envisager, trop habitué à ce que rien ne se passe comme prévu. Ca serait bien fait pour lui s’il ne s’en sortait pas. Bien fait pour lui s’il crevait ici. Mais parler de son cas, et plus précisément entendre l’inquiétude de JJ avait un connu rassurant. Plus que de réaborder les mêmes sujets acides qui lui niquait sa santé mentale depuis trop longtemps maintenant.

Hey, t'as pas à m'dire qui j'ai le droit de fréquenter ou pas, ok ? T'es pas mon père. Douloureux. Mérité, sans doute. Sam n’avait pas la force de se battre de toute façon. Il se contenta de soupirer longuement. T’as pas besoin d’eux, c’est nous ta famille, c’est les Kids. Le Ku Klux Klan et les Kids, c’étaient pas compatibles. Et s’il les choisit eux ? Alors faudrait à nouveau faire le deuil. Va falloir que tu choisisses. Y a pas de nazis chez les Kids. Qu’il lança, de but en blanc. Et le reste ne fit qu’envenimer la situation. Il comprenait pas JJ, il voyait pas le problème parce qu’il était trop autocentré, trop bête pour comprendre où il avait mis les pieds. C’était triste, ça faisait mal. Mal de se rendre compte que lui, ne s’était rendu compte de rien. Ce que MOI j'ai fait ? Sérieux ? C'est toi qui a pété un plomb et qui m'a poussé à te cogner comme ça putain. C'est toi qui est venu avec l'intention d'me faire la peau. Alors putain, redescend et inverse pas les rôles, c'est trop facile de tout me remettre sur le dos. Il inspira profondément. J’me suis excusé pour ça il me semble. Qu’il articula. La colère n’était pas enfouie très profondément. Elle surgissait parfois. Elle l’étranglait souvent. Et j’attends de toi la même chose. T’as failli me buter parce que je suis un bougnoul JJ. Tu sais ce que ça veut dire au moins ? Et maintenant tes supers copains font tout pour me rendre dingue. Sa main libre s’accrocha à la cabine, il baissa la voix, comme si ça changerait quoi que ce soit. Ils bloquent les traffics, j’ai plus accès à aucun médoc. E tu sais que j’en ai besoin JJ. Ils… vont me faire la peau si ça continue. Il jetta un nouveau coup d’oeil derrière lui. Parce que c’est ça la prison : être sur ses gardes, tout le temps, à chaque instant. Parce que le moindre petit mot de travers, peut lancer une énième guerre.

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