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 il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)

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Casper Pryce

Casper Pryce
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MessageSujet: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyMar 15 Mai - 23:21

Creux dans le bide. Y a de la faim et y a autre chose de plus insidieux, de moins beau, un fond de douleur, de rouge dans l’eau. Les yeux poisseux qui s’ouvrent, l’un un peu plus gonflé que l’autre, une semaine et toujours la tête de quelqu’un qui est passé dans un broyeur. Ça tire entre les côtes, un peu, pas plus que l’élancement fulgurant quelque part dans un bout de sa poitrine, paumé, paumé, paumé, les draps resserrés sur sa silhouette pour éviter de trop cogiter. La tête qui tourne vers le radioréveil et les aiguilles qui alignent les secondes, il contemple l’heure, midi presque pile. Jamais il n’aurait cru que le boulot lui manquerait, qu’il en redemanderait, qu’il aurait un jour envie, vraiment envie de remettre son habit de prof et d’enseigner des choses trop obscures à des élèves trop stupides. Creux dans le bide et bientôt le bruit qui va avec, lui fait sentir que la maigre portion qu’il a ingurgitée la veille n’est plus suffisante à calmer l’appétit qui grimpe calmement entre ses côtes. « ‘Chier », il grommelle, ramène le drap au-dessus de sa tête, se cale confortablement contre l’oreiller, là où c’est frais, en faisant attention de ne pas trop appuyer sur son œil tuméfié. Autant pioncer, ne pas se réveiller. Pas maintenant. Les rêves, ça ne fait pas mal, c’est mieux, ça donne l’impression de glisser dans une enveloppe qui n’est pas tout à fait la nôtre mais pas non plus trop étrangère, un genre d’amie domptée au fil des années, qui a tissé des nids de plumes autour des nuits du gamin qu’il avait pu être. Une connaissance qu’on aurait domestiquée un peu plus une fois le crépuscule venu, jusqu’à l’apprendre totalement. Les rêves, ça ne fait presque que du bien, sauf quand ils font se tourner, se retourner, basculer des possibles dans des univers trop fantasques. Les rêves, ça fait filer le temps, dix secondes là-bas et plusieurs heures dans le monde réel. Lorsqu’il émerge enfin, il est quinze heures, et force est de constater que son estomac accuse le coup.
Il ne sait pas vraiment ce qui le pousse à aller au KFC. Déjà, il n’est pas vraiment fan de poulet, plutôt végétarien quand sa conscience le rattrape, et ensuite, il sait parfaitement ce qu’il va y trouver. Qui il va y trouver. Peut-être qu’inconsciemment, il a envie de voir Tito, voir pour comprendre, pour haïr ou pardonner, voir pour savoir qu’il n’est pas le seul éclopé à écumer les rues de la ville, y poser ses os comme un cadavre décharné. Peut-être aussi parce qu’Eoin avait autre chose de prévu, qu’il a joliment esquivé le rendez-vous, qu’un bout de Casper reste persuadé qu’il a peut-être honte, peut-être plus envie, peut-être un champ entier de possibles parce qu’il est de ces gens qu’on délaisse aussi vite qu’on les a aimés et qu’il s’y est sûrement habitué, avec le temps. Il ne sait pas, non, le restaurant se trouve à une bonne vingtaine de minutes de chez lui à pieds et il attire, sur le chemin, le regard des curieux, inconnus ou élèves qu’il salue vaguement pour ne pas leur dire d’aller cordialement se faire foutre.

L’endroit est quasiment désert, trop tard ou trop tôt pour une ville aussi nocturne que la leur, la plupart des pochtrons attendant la nuit pour sortir le bout de leur museau et trois moustaches. Trop tôt mais pas assez parce que le regard de Casper dévie vers les cuisines et qu’il entraperçoit la silhouette du portoricain en train de retourner des bouts de bidoche sur une plaque fumante. Il doit passer peut-être trente secondes à le détailler, essayer de se souvenir de sa voix, de ses cris, de son regard quand il est à poil sur lui, aucune haine dans les émotions, à peine de l’amertume. Juste du manque. Mal placée, sa fierté ferait même pas un strike au bowling, ça roule dans la gouttière pour s’écraser dans le néant sans un bruit. Trente secondes et pas une de plus, parce que le mec devant lui élève la voix et que ça attire malgré lui son attention. « J’veux un autre cuisinier ! Pas lui ! » S’il suit bien la direction indiquée par l’index de l’inconnu, il peut facilement en déduire que l’ordre ne s’adresse pas à un commis pioché au hasard mais à celui qu’il connaît sûrement le mieux. Sourcils froncés, ça chatouille la curiosité du prof, l’oblige à tendre davantage l’oreille. Sa gorge le démange, l’envie de coller son grain de sel. Pas avant d’avoir entendu la suite, les yeux qui naviguent de Tito au client mécontent pour tenter de comprendre l’objet de leur querelle. Dix contre un que c’est un amoureux éconduit. « J’veux pas qu’un putain de noir foute ses doigts sur ma bouffe ! » Oh. Jamais il n’a été plus déçu de perdre un pari contre lui-même. T’entends le bruit du verre qui casse ? T’entends la déchirure de ton calme olympien ? « Hey », il interpelle l’homme, arrive à peine à ce qu’il lui adresse un bref coup d’œil. Il ne sent pas tout à fait ses phalanges se serrer, son poing se former, menacer de s’écraser sur un coin de la mâchoire de l’inconnu à tout moment. « Putain arrête t’as pas compris », c’est le raciste qui vocifère encore, se paume dans les aigus, à deux doigts de passer par-dessus le comptoir pour empêcher Tito de faire le boulot pour lequel il est payé. Une inspiration et il pose la paume sur l’épaule du type, l’oblige à se retourner. « Ça suffit », la politesse, toujours, le ton trop zélé alors qu’il rêve de lui casser la gueule. Sa main se fait dégager par un mouvement brusque, rattrape l’os au vol pour le forcer à lui faire face. « J’te parle, t’es sourd ? » Un flash et il aperçoit Tito en décalage par rapport au décor trop flou. Un flash et ça lui serre la gorge. « Casse-toi d’ici si t’es pas content. » L’acide au bout des lèvres, il reporte son regard sur l’agresseur de Tito devenu le sien, parce qu’il colle ses grosses paluches sur son torse et le pousse en arrière. Déjà reparti pour briser ses insultes sur le portoricain. Ça dessine des fusils dans les yeux de Casper. Ça souffle des tornades.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyMer 30 Mai - 23:35

Il a pas envie d’aller travailler. Comme tous les enfoirés qui bossent dans les bas-fonds du rêve à l’américaine, fastfoods qui engraissent les gamins jusqu’à leur faire péter les artères, il suppose. Et comme tous ces connards, il est bien obligé d’y aller, parce que ça paye les factures et à bouffer, et qu’il va pas se racheter une batterie en foutant rien. C’est sûr qu’il aurait pas dû l’exploser, de base, mais maintenant c’est fait, pas d’retour en arrière et il a jamais été du genre à s’apitoyer sur les trucs qu’il a cassés. Faut dire que s’il faisait ça, il passerait sa vie à s’apitoyer, alors bon. Du coup, il se retrouve piégé dans la médiocrité, à faire griller des ersatz de steak et frire du poulet reconstitué, une casquette débile vissée sur le crâne. Et le pire, c’est qu’il doit être reconnaissant de toujours l’avoir, ce job de merde, parce qu’avec deux blâmes dans son dossier, c’est rare qu’on fasse long feu, qu’on lui a dit. Ils le gardent juste parce qu’il doit rembourser cette putain de caisse enregistreuse qu’il a sauvagement massacrée un jour, sûrement qu’ils flippent qu’il les rembourse jamais s’ils le virent. Puis y’a eu l’affaire du mec enfermé à l’intérieur et de la vitre pétée. Il a prétendu qu’il l’avait pas remarqué, mais sa manager restait sceptique. Y’a de quoi, vu l’expression morne de Tito, il avait pas l’air franchement concerné, comme d’hab. Mais il sait qu’au troisième blâme, sa tête va sauter, tant pis pour le fric, il leur coûtera moins en dommages collatéraux s’ils le foutent dehors. C’pour ça qu’il se tient à carreaux, qu’il prend son service à l’heure et qu’il garde les yeux rivés sur sa tâche pour pas avoir des envies d’meurtre à l’égard de ses collègues décérébrés ou des clients qui gueulent des conneries à longueur de temps. Après tout, on l’a collé aux cuisines pour qu’il soit loin de tout contact social, planqué derrière les rails à hamburgers, alors ça devrait pas être si compliqué de pas causer d’esclandres. En théorie. En théorie, encore, quinze heures, c’est pas l’heure des clients chiants, y’a pas grand-monde, en fait, et ceux qui passent par là veulent des sundaes et des cafés, donc il glande allègrement derrière ses fourneaux en tapant d’ses ustensiles sur le plan de travail. Y’a toujours bien un con qui vient commander un hamburger au milieu d’l’après-midi, mais d’habitude, ça va. Ça va, parce que d’habitude, c’est pas Casper qui débarque, leurs prunelles qui se croisent pendant une petite éternité de trente secondes et ses doigts qui s’resserrent sur sa spatule, réflexe haineux en s’rappelant la douleur qui lui flingue toujours la pommette et les autres bleus disséminés sur son corps. Ça va, parce que d’habitude, y’a pas un putain de néo-nazi qu’a décidé de revendiquer son racisme haut et fort juste devant son ex-plan cul dans la file.

Y’a le doigt pointé sur lui et Tito reste impassible, continue de cuisiner tout en soutenant le regard noir qu’le connard lui adresse avec autant d’émotions qu’un bovin. C’est à l’intérieur, qu’il bouillonne, mais seules ses jointures qui blanchissent légèrement trahissent le magma dormant. Il voit sa collègue se débattre, de dos, bredouillant qu’il n’y a pas d’autres cuisiniers vu qu’il est quinze heures et qu’une personne suffit, visiblement pas consciente qu’un mec comme ça, on le sert pas, point barre, quand bien même le client est roi. Y’a son autre collègue qu’a disparu à l’arrière, sûrement à la recherche de la manager, alors que Casper semble vouloir s’en mêler. Il a les sourcils qui se froncent, Tito, pas à cause des insultes et des exhortations de l’individu, auxquelles il est franchement imperméable, pour une fois, mais parce que Casper est en train d’essayer de faire partir le type, et ça le fait vriller. Un peu. Quand l’autre repousse Casper, il lâche spatule et tablier pour faire le tour du comptoir, le menton en avant, bien plus menaçant que cet abruti de raciste qui lui fait face, à présent, et qu’a plus l’air aussi enclin à faire le malin. Faut dire qu’il le dépasse d’une tête, et que Tito est jamais passé pour quelqu’un de très doux, bizarrement. « Qu’est-ce tu veux, pendejo ? Tu veux qu’je crache dans ta viande ? Tu vois sa gueule ? » Il désigne Casper du pouce, sans pour autant lui lancer un regard. « S’tu veux pas la même mise en beauté, j’te conseille de dégager. » C’est à son tour, de le pousser, les paumes brutalement plaquées sur les épaules pour lui indiquer la sortie. Le pendejo voit qu’il fait pas l’poids, la porte se referme bien vite derrière lui, c’est fini. Mais Tito a pas fini, il se retourne vers Casper, mâchoires crispées et œil noir. « Uno, j’ai pas b’soin d’un héros, j’peux me débrouiller tout seul, cabrón. Dos, qu’est-ce tu fous là ? Va au McDo, sérieux. »
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyDim 10 Juin - 22:20

Mal dans le creux du bide, y a un drôle de frisson qui le dérange quand il pose une nouvelle fois les yeux sur Tito alors qu’il fait le tour du comptoir. Les bras droits le long du corps, Casper a serré les poings, comme si ça pouvait vraiment l’empêcher de jouer les gros bras, de se jeter une autre défaite derrière l’oreille, une catastrophe de plus à son palmarès. Mal dans le creux du cœur aussi lorsque leurs regards se croisent, le brun incandescent de Tito qui se mêle à son gris orageux, un semblant de sentiment qui se barre quelque part dans les airs. Il aurait dû savoir que ça arriverait un jour, qu’ils se recroiseraient et qu’il y aurait la même erreur système dans leur programme, dans tous leurs actes manqués, leurs regards tronqués et les mots muets qui restent au fond de leurs gorges. Il a envie de le serrer contre lui et de le tabasser, exploser sa gueule contre le zinc du comptoir et l’embrasser à pleine bouche. Ça le chatouille plus bas, ça le démange tout court. Le putain de raciste ne fait rien pour arranger les choses, attisant significativement la rage du portoricain qui ose l’ironique comparaison qui lui vaut un regard meurtrier du prof. C’est comme ça qu’il veut la jouer, hein. Comme s’ils n’étaient que ça, une vulgaire bagarre un soir de printemps, des poings qui s’écrasent contre des os, échappent à leur contrôle pour détruire ce qu’ils avaient aimé hier. « Tito », il commence, trop bas pour qu’il l’entende, sûrement. Il aimerait qu’il le laisse gérer la situation, qu’il ne s’en mêle pas directement, qu’il ne risque pas sa place pour de pareilles sottises. Ce serait naïf de penser que traiter un client de cette façon ne sera pas remarqué par les hautes instances du KFC, et ça lui fait mal au cœur. Et ça lui fait mal au cœur que ça lui fasse mal au cœur, putain. Il a le regard rivé sur les yeux de merlan frit du type qui les mate de derrière la porte vitrée, trop choqué pour comprendre ce qu’il lui arrive. Ça lui arrache presque un sourire de le voir frotter son t-shirt, dégoûté que Tito y ait posé les mains, sûrement plus propres pourtant que ledit vêtement si on tient compte de l’odeur de sueur qui se dégageait du bonhomme. Ça lui arrache presque un sourire, oui, parce qu’il sait que ça va être son tour, maintenant, la grande débâcle de leurs reproches pour savoir lequel d’eux deux sait vraiment se faire du mal. Évidemment que c’est Tito qui commence les hostilités, comme toujours. Les mots font écho, se brisent contre la boîte crânienne de Casper.
Pas besoin d’un héros.
Ça tombe bien, il n’en est pas un.
« De rien », il lâche, les yeux dans les siens, un rebond dans la cage thoracique alors qu’il contourne le cuistot, s’approche du comptoir. Il essaie de ne pas remarquer que tout le monde mate les ecchymoses qui s’étalent toujours sur son visage, alternant avec celui de Tito. C’est plutôt simple d’établir le lien de corrélation, de comprendre ce qui a bien pu se passer. C’est plutôt simple, sauf que c’est très compliqué, à leur image, putain de contrefaçon. « Bonjour, je voudrais commander, s’il vous plait. » Il s’adresse à la jeune-femme qui essayait tant bien que mal de repousser le facho, il y a quelques minutes de ça. Les battements de son cœur s’entendent sûrement dans tout le resto, à en faire trembler les murs. Il a plaqué ses mains sur le comptoir, laisse la moiteur de ses paumes imprimer le contour des phalanges sur le métal trop froid, les yeux qui gravitent autour du menu. Mauvais jeu, acteur pourri, il connaît le menu par cœur. Ce qu’il connaît moins, en revanche, c’est le remord, notion inconnue là d’où il vient. Ses parents ne lui ont jamais vraiment appris à se noyer dans la honte. Ils lui ont, au contraire, toujours conseillé d’assumer ses actes ainsi que ses sentiments. C’est peut-être pour ça qu’il a fait n’importe quoi jusqu’à maintenant, jouir comme tabasser, ça glisse pas beaucoup d’émotions suspectes dans son cœur. Sauf quand il y a quelqu’un qu’il aime qui rentre dans le calcul, pose sa gueule au milieu de l’équation. « Tu veux faire ta pause maintenant ? » Il a un peu tourné la tête, le coin de l’œil qui dérive sur Tito qui est toujours derrière lui, n’a pas bougé d’un iota. Il serait prêt à lui expliquer, si seulement il voulait l’entendre. Pas sûr que ça soit le cas.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyMar 26 Juin - 15:41

Y’a des cris et des détonations qui martèlent dans son crâne, ses mâchoires serrées pour contenir l’orage à l’intérieur. Il sait qu’il vient probablement de signer sa fin d’contrat chez KFC, alors il sait pas c’qui l’empêche de foutre son poing dans la gueule de Casper. Juste comme ça, gratuitement, pour se défouler. Peut-être parce que Casper n’a quasi rien répondu, qu’il s’est contenté de le contourner pour commander sans lui passer sur le corps. Sérieusement. Il est au courant qu’il bosse ici, son cerveau a franchement dû court-circuiter pour qu’il se pointe là comme une fleur. Son regard dévie vers le raciste toujours derrière la porte, qui essaye de prendre à parti les quelques pelés installés aux tables dehors. Tito le fixe de son air froid et impassible pendant un moment, jusqu’à ce qu’il ait de nouveau le visage dans sa direction. Puis, avec toute la grâce d’un musicien classique, il lui offre son plus beau doigt en cadeau. Le mec finit par tourner les talons, découragé par le manque d’enthousiasme de ses congénères blancs-becs. Ça lui apprendra qu’faut pas interrompre ces bons vieux Américains quand ils se bâfrent joyeusement de nuggets de poulet. Il soupire, blasé, la bête est calmée. Mais Casper est toujours là, et s’essaye même à lui proposer de prendre sa pause maintenant. Tito lève un sourcil, le toise de bas en haut, pas enchanté du tout à cette perspective. Il a envie de lui dire d’aller s’faire foutre. Il voit pas pourquoi il devrait faire un effort, c’est d’sa faute, tout ça, c’est lui qui l’a provoqué, et qui revient se mettre dans ses pattes alors qu’il veut juste faire son job. Il pourrait presque le blâmer pour la perte dudit job, faut pas s’leurrer, il a vu dans les multitudes de paires d’yeux qui les observent encore, et surtout celles d’sa collègue, que cet incident allait pas passer inaperçu pour la direction. Il est baisé, il le sait. Mais il sait aussi que Casper a voulu l’aider, curieusement, et qu’ça serait injuste de lui coller ça sur le dos. Son abuela serait pas d’accord. « J’peux pas, y’a un connard qui vient d’commander à bouffer », il grogne, regard noir à l’appui. C’est pas parce qu’il a décidé de l’épargner qu’il va brusquement red’venir sympa avec lui. Il a la rancune tenace, et ça le fait chier que Casper soit venu. Il comprend pas. Ça le saoule. Et il renifle avec dédain, penche la tête sur le côté comme s’il voulait bien faire une concession. « T’as des clopes ? » Il a clairement pas d’quoi en acheter ces temps-ci, c’est ça ou la nourriture, et il a beau être pas fort brillant, il a capté que la nicotine apporte pas beaucoup d’vitamines ni d’nutriments d’toutes sortes. Il attend que Casper acquiesce et il hausse les épaules pour lancer, à peine emballé : « Ok, t’as qu’à aller t’asseoir dehors, j’te rejoins dans dix minutes avec ton plateau. » Il repasse derrière le comptoir pour cuire la pitance de Casper, le cœur qu’arrive pas à retrouver un rythme normal après toutes les conneries qui viennent de s’enchaîner. Il en a marre. C’comme si le monde entier s’était retourné contre lui en même temps, y’a eu Alice, puis Casper, et Mihail. Pas moyen pour lui d’rester en bons termes avec quelqu’un, apparemment. C’est plus facile d’leur faire la gueule que d’leur montrer qu’il est blessé, d’traduire ça dans des colères trop grandes pour qu’ils s’disent qu’il est juste taré, qu’y’a pas d’sentiments sous sa cuirasse. Il attend qu’son collègue soit là pour le remplacer avant d’sortir, dépose le plateau sans cérémonie devant Casper et se laisse tomber sur le banc inconfortable dans un silence pesant. Il pose son coude sur la table, sa joue dans sa paume et ses pupilles dans celles de Casper, puis s’décide à causer. « J’ai qu’vingt minutes, file-moi ma clope. » Pas question pour lui d’aborder l’sujet en premier.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyJeu 28 Juin - 13:09

Il se souvient de la première fois qu’il a couché avec Tito. Ça peut paraître stupide, dit comme ça, parce qu’on ne devrait jamais oublier les plus jolis instants d’intimité que l’on partage, mais il aurait toutes les raisons du monde de ne pas se rappeler d’une minuscule addition à son impressionnant tableau de chasse. Pourtant, ce n’est pas le cas. Il pourrait décrire ce jour au détail près, trouver des mots pour parler du goût de Tito, fer, citron, sang et sel, aligner les adjectifs pour relater ce qu’il avait bien pu ressentir, de la frustration et de la gêne et de l’amour, de l’amour à l’état brut et primitif, un désir brûlant en-dessous des côtes quand ils avaient fini dans le même plumard et une extase inexpugnable quand il l’avait enfin possédé. Il se souvient du sentiment grisant d’être prisonnier de ses longs bras trop fins, il se rappelle des soupirs lâchés dans son oreille et de la sensation de la peau du portoricain sous sa langue. Ça n’arrive pas toujours parce que Casper est souvent trop pressé, trop absent, parce qu’il a presque toujours de la cocaïne dans le sang et que ses sens s’en trouvent déformés, bousillés. À l’époque, il était encore lui-même, encore suffisamment pour ne pas être en permanence sous l’emprise d’une drogue ou d’un alcool quelconque. À l’époque, il se sentait encore vraiment en vie, les pieds sur un rebord de toit à osciller entre la sécurité des tuiles et l’attrait terrifiant du vide. Il se souvient de cette première fois mais Tito le ramène rapidement à la réalité, lui demande s’il a des clopes, acquiescement automatique parce que s’il y a quelque chose qu’il a toujours sur lui, c’est bien ça, ça et de la coke mais il sait pertinemment qu’aborder le sujet serait terriblement malvenu. Il se laisse maltraiter, donc, parce que c’est ce que Tito préfère, parce que c’est comme ça qu’il se sent vivre, en l’envoyant dans les orties et en lui crachant au visage. C’est comme ça et il a longtemps aimé cet aspect de lui, cette familiarité grossière avec laquelle il rabroue certaines personnes sans faire attention à ce qu’il sème. Tito sait que Casper n’est pas fait de papier, et c’est sûrement pour ça qu’il insiste, pour ça qu’il frappe, pour ça qu’il brûle. Pour ça que Casper obéit et sort du restaurant pour aller s’installer à une table au soleil.
Il s’en grille une en attendant, les yeux plongés dans le ciel trop bleu, tellement qu’il ne s’aperçoit pas que Tito le rejoint, retient un sursaut quand le plateau s’écrase bruyamment sur la table. « Merci », lâché en même temps que la dernière expiration, il pose le mégot sur la table pour pas oublier de le jeter dans une poubelle en partant, Tito serait capable de l’engueuler s’il le laissait tomber par terre. Il pousse négligemment le paquet de cigarettes vers lui et attrape une aile de poulet qu’il croque avec voracité, le bide qui hurle toujours de ne pas avoir été alimenté depuis trop longtemps. Ça doit faire vingt-quatre heures qu’il bouffe quasiment que dalle, préfère enchaîner les clopes et les bières, tellement que sa transpiration sent presque l’alcool. Pitié, il fait pitié et ça ne devrait pas être une nouveauté, ça ne devrait pas sauter aux yeux, mais il est plutôt loin du Casper habituel, celui qui se vautre dans le paraître et dans l’indécence grossière de celui qui a tout et le montre ostensiblement. Il mange et il ne regarde pas Tito, concentré sur sa pitance, finit par lever les yeux au bout de la troisième aile de poulet. « J’ai lu tes SMS. » C’est le premier temps de la confession, sûrement qu’il n’aurait pas dû, sûrement que c’est mal. Mais Tito ne peut pas le blâmer d’être curieux, il est persuadé qu’il aurait fait la même chose si l’occasion s’était présentée. Ses doigts graisseux attrapent la boisson et il avale peut-être cinq grandes gorgées avant de reprendre la parole. « Y a ce mec à qui tu as dit que j’étais un pervers. » Ce mec, s’il avait la moindre idée de qui il s’agit. Il n’a pas reconnu la photo, pas compris qu’il s’agissait de Mihail, ancien élève plutôt stupide, et même s’il savait, ça ne changerait rien. Il ne comprendrait pas s’il s’agit d’une vengeance stupide, d’une médisance à peine calculée ou d’un vrai ressentiment, une haine qu’on lui vouerait secrètement pour le temps passé à lui répéter que ses devoirs étaient merdiques. « T’es censé être mon ami. T’es censé me défendre. T’es pas censé dire que je suis un pervers mais que c'est pas grave parce que je suce bien. » Et y a ses yeux qui lancent des balles quand ils se plantent dans ceux de Tito, essaient de comprendre le fond de la pensée, pourquoi il a fait ça, pourquoi il s’est octroyé le droit de le faire. Il sait que Tito ne l’a jamais beaucoup aimé, qu’il l’a toujours trouvé hautain et expansif, qu’il a sûrement souvent pensé qu’il était trop, trop pour lui et trop pour ce monde. Il sait que leur amitié est sûrement à sens unique, qu’il est peut-être juste un plan-cul à ses yeux, juste un moyen de se vider l’entrejambe sans risquer de perdre quelqu’un qui l’aime. Ça fait mal quand même. « J’t’aurais jamais fait ça. » Et s’il peut douter de beaucoup de choses, il peut au moins être sûr de celle-là.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyMar 3 Juil - 22:27

Il s’empare d’une des clopes du paquet en un mouvement vif et gracieux, agilité du musicien qui passe son temps à faire des tours avec ses baguettes, l’a fait tournoyer dans l’air une seconde avant de la planter entre ses lèvres. De l’autre main, il extirpe son briquet de sa poche et l’allume en un éclair, presque aussi avide de nicotine que Casper l’est de poulet. Il l’observe manger en silence, tirant sur sa cigarette à intervalles réguliers. Ça ne le dérange pas que l’autre préfère se jeter sur ses chicken wings plutôt que de causer, il pourrait très bien se passer de toute discussion, profiter de sa pause au soleil et de la fumée âcre qui grignote ses poumons sans qu’une ombre vienne se poser dans son regard. Il ne se fige pas, lorsque Casper décide finalement de lever les yeux, lui concède à peine un léger battement de cils, ses gestes se poursuivant avec la même aisance, porter la clope à sa bouche, prendre une bouffée, reposer son poignet contre l’arête de la table pour faire tomber les cendres entre les lattes d’un tapotement expert. Son attitude n’est pas engageante, aucun sourire pour détendre ses traits, les prunelles tout aussi noires, blasées, ne quittant jamais le visage de son interlocuteur. Il n’a pas plus de réaction qu’un sourcil haussé lorsque Casper lui annonce avoir lu ses sms. Il ne voit toujours pas de quoi il veut causer. Il se souvient avoir aimé Casper, à un moment donné, il ne sait plus trop quand, bien qu’il dirait sûrement tolérer plutôt qu’aimer à voix haute. Il le laissait le baiser malgré ses affronts, taisait ses pensées intimes quand il l’agaçait et n’avait pas eu une envie incontrôlable de lui refaire le portrait avant cette fameuse soirée. Il se demande si Casper trouve normal de fouiller dans le téléphone de ses conquêtes, s’il se dit qu’il aurait fait la même chose face à cette tentation futile. Probablement. Tito sait qu’il ne l’aurait pas fait, par manque d’intérêt, il n’a jamais eu cette curiosité malsaine envers les autres, même de curiosité tout court, à ne jamais poser de questions, toujours l’air de s’en foutre lorsqu’on lui raconte sa vie. Il ne proteste pas, pourtant. Casper n’a qu’à croire ce qu’il veut, il n’est qu’un de plus à se persuader de choses fausses à son égard. Tito a l’habitude.

Il comprend à peine le grief, tandis que le mot tombe à plat, entre les dents de Casper, pervers. Son sourcil revient à sa position initiale, expression stoïque, colosse de marbre qui sombre dans un océan de perplexité. Pervers. C’est un mot qu’il a balancé pour rire, un joint entre les phalanges, à Mihail, plus qu’assurément, parce que Mihail le rend terriblement bavard, pour peu qu’il soit un brin défoncé. Peut-être une subtilité de la langue anglaise qu’il n’a pas saisie le rend plus offensant qu’il ne l’imagine, peut-être que Casper est étonnamment susceptible malgré toutes les insultes qu’ils ont échangées, sourire narquois au fond du cœur, avant que cela ne vire au drame. Il ne comprend pas. J’t’aurais jamais fait ça. Il incline la tête sur le côté, son regard est dur, d’une froideur franche et assumée. « Tu l’as fait pourtant. » Il n’a pas tiqué, lorsque Casper a invoqué leur amitié supposée. Il n’a pas cillé, pas vrillé, parce qu’il lui semblait, aussi, au tout début, dans leurs messages, dans leurs corps qui s’emboîtaient si bien, qu’il pouvait y avoir un petit quelque chose d’amitié qui brillait çà et là. Ça n’avait pas perduré, braises étouffées avant d’être flamboyantes, simplement parce qu’il y avait eu un petit sachet de coke oublié sur sa table de nuit et qu’il avait entrevu quelque chose qu’il détestait. Encore plus chez quelqu’un qu’il pensait aimer. « J’savais pas, Caz. Comme tu savais pas qu’la coke a presque fait d’moi un meurtrier. J’suppose. Parce que t’aurais pas fait ça si t’étais mon ami, pas vrai ? J’l’ai gardé pour moi. J’t’ai laissé revenir. J’t’ai donné une seconde chance. » Ses yeux se perdent sur la clope qui brûle encore entre ses doigts, une seconde, reviennent sur Casper, un éclat de fierté mêlée de tristesse dans ses pupilles. Il n’a pas envie de se confier, pas envie de lui parler, pas envie d’être vulnérable comme il l’a été cette nuit-là, à frapper de toutes ses forces pour faire partir cette faiblesse qui lui attaquait les entrailles. « Toi, tu m’as rien donné, tu m’as rien expliqué. J’voulais pas t’péter la gueule, t’es v’nu m’provoquer. C’est pas d’ta faute, c’est moi qui suis pas assez fort pour me contrôler. Mais j’suis pas sûr d’vouloir être ton ami, Casper. J’crois qu’t’es comme tous les autres. J’crois qu’tu fais des trucs moches et qu’tu refuses d’assumer les conséquences de tes actes. J’ai passé ma vie à tenter d’me défaire de gens comme toi. » Il écrase sa cigarette contre la table comme s’il voulait écraser un souvenir douloureux pour l’empêcher de refaire surface. Il est à peu près sûr que Casper comprendra pas, qu’il se braquera, mais il ne veut pas faire d’efforts pour enjoliver, adoucir le tout d’un désolé.
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Casper Pryce

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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyJeu 9 Aoû - 0:38

Il fait mal, Tito. L’habitude empoisonneuse fait un peu mal entre les côtes, quand le cerveau se met à tourner trop vite, à chercher des excuses à l’inexcusable, des explications hasardeuses pour comprendre les raisons qui le font agir comme il le fait, se terrer confortablement dans une distance toute relative et poisseuse, le genre qui empêche d’avancer plutôt que de délester d’un poids trop encombrant. Il sait qu’il est quelque chose de gênant, Casper, qu’il est le chewing-gum qui se colle à la semelle des baskets et refuse de s’échapper sur le trottoir, qu’il est la tâche qui suit le regard quand on a un peu trop fixé le soleil, il sait qu’il est envahissant et terrible et trop, toujours trop. Mais il sait aussi qu’il aime Tito, pas suffisamment pour lui avoir confié tous ses secrets mais assez pour se préoccuper de ce qu’il pense de lui, assez pour que ses pensées vagabondent dans sa direction de temps en temps, assez pour avoir envie de passer du temps en sa présence, et c’est peut-être ce qui lui cisaille le cœur, l’empêche de prendre du recul, de ne pas ressentir toutes ses attaques avec beaucoup trop de vigueur, les larmes qui menacent de perler au coin de ses yeux alors qu’il éloigne légèrement le plateau de lui. Boule au fond de la gorge, il remâche les mots vomis par Tito et ne leur trouve aucune saveur autre que le salpêtre qu’ils glissent avec duplicité dans leurs échanges. Peut-être que c’est pour ne pas trop sentir l’amertume que Casper a serré les mâchoires, les yeux rivés sur Tito comme sur un phare, aveuglé, déboussolé, à se demander pourquoi il continue de vouloir se cramer les ailes aux mêmes soleils, se heurter aux mêmes écueils, toujours pareils, sempiternelle rengaine. Ça fait mouche. Il tapote du bout des doigts sur la table, semble hésiter. Et finalement les mots sortent crus de sa bouche, une vérité acide qui ne lui ressemble pas, lui qui aime polir son verbe avant de le formuler. « D’accord. » Pas d’accord. Ses yeux lancent des fusées. Tito l’a peut-être oublié en route, faut croire, entre deux groupies prêtes à casser leur épargne pour se faire une place entre ses bras. Mais lui s’en souvient, parfaitement, même pas une éraflure sur la bande. Tic nerveux, il tremble un peu, ne l’assume pas, préférant planter le regard dans le ciel trop bleu plutôt qu’avouer qu’il est mal, en pleine redescente, que ses organes demandent leur poison et qu’il ne peut rien faire pour y remédier, si ce n’est replonger dans les mêmes travers qui les ont déjà éloignés. « Je ne savais pas. » Comme Tito ne sait pas qu’il est salement esquinté, qu’il aurait besoin de quelqu’un pour l’empêcher de se tuer à petit feu comme il le fait mais qu’il n’y a personne pour lever le petit doigt, pour se dresser face à l’ennemi, pour l’obliger à délaisser sa poudreuse. Dire tout cela, ce serait avouer sa faiblesse. Ce serait élever la voix pour demander de l’aide, montrer à Tito qu’il n’est pas suffisamment fort pour se tirer de la spirale sans fond tout seul. Egoïstement, il se l’interdit. « Je suis désolé. » Et c’est prendre sur lui, vraiment, les mots qui lui râpent le fond de la gorge alors qu’ils dégringolent sur la table dégueulasse du KFC. Dis-le pas, dis-le pas. Il a beau se le répéter, ça ne rentre pas. Finalement, les phrases se font la malle, en même temps que son regard se pose de nouveau sur Tito. « Mais je ne sais pas ce qui est le pire, Tito. Ne pas avoir su pour toi et la coke et avoir eu le malheur d’en laisser chez toi. Ou savoir que cette erreur de ma part t’importe plus que le fait que je me drogue. » Parce qu’il est comme les autres, hein Tito ? Il va juste regarder, se délecter du spectacle, rien faire pour comprendre que c’est plus un appel à l’aide qu’autre chose, une prière susurrée entre les quatre murs d’une chambre dont il n’a pas su saisir l’écho. Il se relève presque trop hâtivement, contourne la table à la va-vite. Pas l’habitude de ne pas assumer ses actes sauf quand y a un trop-vide d’air dans les poumons, au point de lui faire mal entre les côtes. Douleur assassine, plaie mortelle. Ochoa. Le plateau dans une main, il fouille dans sa poche pour y arracher quelques billets qu’il colle sur la table. « Tiens, on est quitte. » Pour la bouffe, pour le cul, pour tout. Ça lui arrache le cœur, et ça l’emmerde, cette impression détestable de route à sens unique sur laquelle s’engouffrent à vive allure ses sentiments estropiés. Il se casse, a presque l’impression de courir alors qu’il marche lentement, jusqu’à la poubelle sur laquelle il pose son plateau, jusqu’à la sortie qu’il emprunte en titubant vaguement, se heurtant à quelques obstacles sur le chemin. Sens unique. Il te déteste, Ochoa.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyMer 15 Aoû - 23:20

Violent, toujours trop violent, parce qu’il parle sans filtre, qu’il dit les choses telles qu’elles lui viennent, telles qu’il les ressent, qu’il ne prend pas de pincettes pour faire avaler la pilule, et qu’il ravale jamais ses insultes. Il a pas toujours été comme ça. Il était lent, un peu naïf, autrefois, il laissait les gens profiter de lui, se faisait marcher sur les pieds, sur la tête, il ne parvenait jamais à dire ce qu’il avait à dire, les réparties lui venaient un temps en retard, quand il n’y avait plus personne pour l’écouter, qu’il avait été jugé coupable et condamné. Il ne comprend pas. Il voit bien l’émotion qui s’imprime sur les traits de Casper, les yeux embués, sa manière d’éloigner son plateau comme s’il le mettait à distance lui, les mâchoires qui se tendent. Il voit tout ça, mais il peine à déchiffrer. Encore plus lorsque Casper le gratifie d’un d’accord. Tito hausse un sourcil, sachant très bien qu’il n’en a pas fini. Il a toujours trouvé Casper trop intelligent pour son propre bien, c’qui avait alimenté sa méfiance à son égard, autant qu’son sentiment d’infériorité. Il pourrait le manipuler avec des stratagèmes même pas élaborés, peut-être même que c’est ce qu’il est en train de faire, à mesure que les mots sortent de sa bouche, se déroulent entre eux comme autant de pièges. Peut-être qu’il cherche à se faire plaindre, à lui faire croire qu’il n’est pas aussi pourri qu’il le dit, à le faire culpabiliser. Peut-être. Sans doute. Peut-être qu’il le fait pas exprès, à s’dire que c’est normal de tirer la gueule à un pote pour des textos envoyés à la va-vite et d’le provoquer sans lui expliquer quoi qu’ce soit, à trouver qu’ses malheurs sont pires que ceux des autres, qu’il a l’droit de reprocher n’importe quoi quand on lui a d’jà tendu la main. Un gosse. Un gosse qui fait sa mijaurée, qui lance de longues phrases pleines de non-sens pour se donner de grands airs. Un gosse qui mérite des claques, de l’avis de Tito. Et les dollars qu’il fait pleuvoir sur la table sont de trop, le mec se croit dans la scène de Moulin Rouge où Ewan s’égosille J’AI PAYÉ MA PUTAIN. Tito n’a jamais aimé cette scène, sa mère la pute aurait pas kiffé non plus. On fait difficilement plus condescendant qu’un homme blessé, faut croire.

Il fixe les billets verts une, deux, trois secondes, le temps que Casper s’éloigne à pas lents et las, sonné, paraît, paumé, ouais, et Tito n’en met pas trois à le rattraper, les billets froissés dans sa main qu’il lui jette à la tronche, les paumes qui se plaquent sur ses épaules pour le plaquer lui sur le mur du fastfood, visages si proches qu’il pourrait le mordre, lui arracher des lambeaux de peau pour en faire son déjeuner. Certainement pas l’embrasser. « Joue pas à ça avec moi, Pryce. Tu veux de l’aide ? J’viens avec toi au dispensaire, j’te présente Carlita, j’te montre où y’a des réunions, pas de problème. Mais me casse pas les cojones pour des paroles en l’air, cabrón. S’tu veux t’en sortir, faut qu’tu l’veuilles, j’peux pas l’vouloir à ta place », il crache à sa figure, dégaine le flingue pour un headshot, parce que Casper vient d’le viser en plein cœur. Il sait pas, peut-être. Ils savent pas, tous les deux, les points faibles et les histoires tristes de l’autre. Ils se connaissent pas, se sont vus à poil, se sont emboîtés, mais ça suffit pas pour se connaître, c’est pas vraiment se mettre à nu. Se connaître, ça évite d’appuyer là où ça fait mal, là où ça attise la rage, là où ça brutalise. Peut-être qu’il sait pas, Casper, que Tito est terrorisé de retrouver Rhoan ou Alice crevés dans un coin, la seringue dans l’bras ou la poudre au nez. Peut-être qu’il joue juste au con, qu’il veut seulement s’apitoyer sur sa sale gueule, qu’on le prenne en pitié, lui reprocher un truc ignoble parce qu’il veut pas assumer qu’il l’a été. Injuste, foutrement injuste, comme tous les connards de son existence. Et pourtant Tito s’résout pas à l’lâcher. « Tu veux t’en sortir ? », la question qui claque contre sa langue, leurs yeux qui s’entrechoquent, putain d’étincelles. Déconne pas, cette fois, qu’il voudrait dire, parce que s’il se souvient pas des sms où il le traitait de pervers, Tito s’souvient parfaitement d’cette fois où il l’avait envoyé chier quand il avait voulu l'aider.
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MessageSujet: Re: il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito)   il n’y a que comme ça que je me sens vivant. (Tito) EmptyLun 27 Aoû - 23:45

Badum badum.
Son cœur qui se fissure. Pas sûr que Tito entende derrière le claquement de ses pas, le choc tonitruant du dos de Casper contre le mur du KFC, le duel silencieux des yeux qui se copient, se regardent d’un peu trop près. Les bras le long du corps il ne bouge plus parce que Tito est un tireur plus rapide, parce qu’il a dégainé alors qu’il n’avait même pas la main sur l’arme et qu’il ne peut plus rien faire, plus rien dire, juste contenter les décombres fumantes de leur amitié à mesure que le portoricain fait claquer les mots contre son palais, s’adresse à lui dans un anglais roulant, chantant, terrifiant. Tito a toujours su faire danser les syllabes de cette façon percutante, à en faire tourner des millions de têtes, la sensibilité du musicien dans le cœur. Ça lui aurait fait moins mal de se trouver en plein milieu de l’autoroute et de se faire renverser par un trente-trois tonnes, ça aurait sûrement provoqué moins de battements irréguliers dans sa poitrine, ça n’aurait pas laissé sa gorge sèche alors qu’il vient de descendre un grand verre de soda cul-sec. Quelque part, il ne veut pas entendre ce que Tito veut lui dire, quelque part il ne veut pas de solution, pas de soutien, surtout aucune main tendue, parce que c’est plus confortable de se complaire dans le fait que personne ne veut l’aider, que tout le monde préfère le laisser couler, que la face du monde ne s’en trouverait pas changée s’il n’ajoutait pas sa gueule de con au décor. Un désir d’autodestruction qui crame dans ses veines, l’hédoniste qui se bat avec sa raison, voudrait crever sous des montagnes de cocaïne plutôt qu’assumer, plutôt que tenter de trouver une solution, n’importe laquelle. Cette Carlita ou autre chose. Comme à chaque fois qu’il flanche, il paume ses yeux sur les lèvres de Tito, se rappelle à quel point il aimait les embrasser, à quel point il se sentait bien même pour un court instant, une poignée de minutes, un fragment de vie, il donnerait tellement, tellement, tellement de choses pour que Tito se taise, pour qu’il le serre contre lui, pour qu’il le saute contre ce putain de mur, c’est aussi bien que la drogue ça, aussi bien que tout ce qui fait de lui ce qu’il est, une catastrophe, un quasi rien. Il ne sait pas s’il veut s’en sortir ou plutôt, il sait qu’il ne le veut pas, il sait qu’il crèverait dix fois avant d’admettre qu’il a un problème alors qu’il sent, qu’il voit, ses gestes qui changent, ses mots qui dérapent, sa peau qui craque sous les coups d’aiguille, son nez cramé d’avoir trop sniffé. « Non. » Ça siffle doucement entre ses lèvres, ses phalanges qui se posent sur celles de Tito pour le forcer à le lâcher, à reculer, à le laisser reprendre son souffle, respirer, prétendre respirer. Feindre qu’il va bien, que ça ne le remue absolument pas, que ça ne lui donne pas envie de gerber ses chicken wings dans la poubelle la plus proche. « Comme tous les junkies, Tito, j’veux pas m’en sortir. » C’est dit ironiquement, la voix qui se barre en fin de phrase, il laisse s’échapper un sourire de sa mâchoire crispée. Il ne pleure pas, il ne pleure jamais. Ça ne l’empêche pas de frotter ses joues du plat de la paume, laisser des traces trop rouges sur sa peau blême. A en crever, il ment à en crever. Ça aura raison de lui, un jour, quand on retrouvera son corps sur le carrelage de la cuisine, quand il sera un nom au milieu d’une liste sur la page des faits divers. Lentement il contourne Tito, se casse sans se retourner. Ça fait mal de le regarder. Ça fait mal d’essayer de voir.
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