01 ; Tu glisses tes doigts dans les siens, squelettiques déjà. Et tu as cette pensée morbide, mais néanmoins constante. Cette pensée qui t’enserre la cervelle, te la presse et te malmène. Tu songes qu’étant donné sa maigreur, tu sais déjà à quoi elle ressemblera dans quelques mois, dans son cercueil, sous terre, lorsque son corps ne sera plus. Lorsque ses chaires auront pourri. Ses chaires qui sont un peu les tiennes. Lorsque ses organes ne seront plus que nécrose, que ses yeux eux-même auront disparu. Lorsqu’il ne restera d’elle qu’un amas d’os. Une cage thoracique constituée uniquement de côtes, vide de poumons, pleine de vide. Un crâne semblable à tous les autres, elle qui est pourtant si différente. Tu embrasses sa main, sens ses os contre ta bouche. Tu embrasses sa main, dépose un baiser sur chacune des petites veines qui la traversent, songeant que le sang qui y coule, ce sang qui coule dans tes veines, ne tardera pas à cesser de circuler. Maman.

   02 ; Tu saignes à l’intérieur. Littéralement. Tu saignes à l’intérieur. Ce n’est pas abondant, et ça devrait l’être tant c’est douloureux. Tu sens quelques gouttes, perles carmins, glisser sur ta peau fine, fragile, juste là entre tes cuisses. Tu marches si lentement qu’il n’y a qu’une différence imperceptible entre ta démarche et un déplacement à reculons. Tu sais dés lors que tu ne supporteras plus le contact physique d’un autre homme, tu as d’ailleurs des frissons de dégoût rien qu’à l’idée qu’on puisse poser une main sur ton épaule. Tu as essayé de lui dire, que les hommes ne t’avaient jamais fait envie, que c’était dans les bras d’une femme que tu souhaitais ressentir du plaisir. Il ne t’a pas cru, ne t’a pas écouté. N’a pas prêté attention aux hurlements que tu as poussé, à t’en déchirer les poumons, à t’en exploser la cage thoracique. Tu vas en garder une cicatrice lorsque la blessure aura cicatrisée, elle est déjà là, à l’intérieur, bien encrée dans tes chaires.

   03 ; « Alors, t’aimes toujours pas la bite ? » Ce ne sont pas tant les mots qui te transpercent, mais la voix qui les a prononcés. Ton sang, si vif dans ton corps, te paraît couler au ralenti. Tu te sens vide. Tu te sens froide. Comme gelée par un tel affront. Tes amis s’arrêtent en même temps que toi, au milieu de ce bar miteux, avec la synchronisation d’un ballet. En d’autres circonstances cet accord entre vous aurait pu te rendre fière ou t’émouvoir. Mais tu n’es actuellement capable de n’éprouver quoi que ce soit, si ce n’est ce sentiment de haine, parti de tes orteils il y a quelques secondes et qui atteint déjà la racine de tes cheveux. Ta main part, d’un seul coup. Le poing serré, tu fais volte face. Le poing serré, tu cognes son visage comme il a cogné ton âme il y a longtemps déjà. Ce geste, loin de te libérer, au contraire, te donne envie de cogner encore plus fort. Mais déjà tout va trop vite. Déjà, son gang tente de le défendre. Déjà, son gant tente de la défendre. Des loups qui se jètent les uns sur les autres. Le début d’une guerre, elle en est consciente. Une guerre qu’elle n’abandonnera jamais.

   04 ; Tu sens ses doigts sur toi et tu frémis. Tu ne sais même pas comment elle s’appelle. Tu t’en fous. Tu ne savais pas comment s’appelait celle d’hier non plus. Les corps féminins t’attirent aussi fort que les corps masculins te repoussent. Tu aimes les admirer, leur faire l’amour avec ferveur. Tu les aimes, les femmes, mais tu les repousses sans relâche. Tu ne t’attaches pas, ou plutôt tu refuses de le faire, et quand par malheur cela t’arrive quand même, tu t’arraches le coeur et le piétine, te force envers et contre tout à n’avoir personne à aimer de manière démesurée. Tu ne veux pas qu’une femme devienne ta faiblesse, et surtout tu t’interdis de vivre avec la peur un jour qu’elle ne t’échappe ou qu’elle ne disparaisse d’une quelconque manière.

   05 ; Seven. Tu le regardes, fixement. Tu n’as pas besoin de lui parler. Lui non plus. Vous êtes faits du même bois. Il sait ce que tu penses de lui. Tu sais que c’est réciproque. Il sait surtout que tu n’aimes pas qu’il prenne autant de risques lors d’une course. Il le sait alors tu ne dis rien, te contentes de le regarder fixement. Tu n’approuves pas sa façon de faire, pas plus que tu n’approuves qu’il risque sa vie chaque fois qu’il pose ses mains sur un volant. Mais il est ton meilleur pilote, alors tu te tais. Mais tu aurais peur de le perdre, sans jamais oser lui dire, alors tu le fixes. Seven.

   06 ; Barbra. Ô Barbra. Elle t’en a fait voir, celle-là. Toute droite sortie de la poche de Seven. Elle t’en a fait voir mais tu l’as tout de suite appréciée, sans jamais lui avouer. Tu l’as laissée libérer son agressivité, tu l’as laissé s’énerver, jusqu’au jour où elle a compris d’elle-même que tu étais bien davantage une alliée qu’une menace. Barbra, elle t’a plu dés le premier jour. D’abord parce que son corps ne t’étais pas désagréable à regarder, bien que tes pensées n’aient jamais dépassé celles de l’amitié, et surtout parce tu l’as sentie entière. C’est vrai, elle est franche Barbra, elle ne t’a jamais servi de fioritures et de mélodies enjôleuses. Elle ne s’est pas non plus laissée impressionnée par ton statut dans le gang. Alors elle ne t’aimait pas, et toi tu l’aimais déjà.

   07 ; Kurtis. Vous êtes si différents et pourtant si semblables. Votre vie passée n’a rien de similaire, l’une étant faite de paillettes et l’autre de cendres. Et pourtant. Pourtant votre vie actuelle est entremêlée, l’une ne se dissociant plus de l’autre. Tu te rappelles encore de votre rencontre incongrue, mais tu n’en parles jamais. C’est un secret entre vous, votre minuscule part d’intimité, le petit élément que vous souhaitez garder pour vous. Et la curiosité des autres membres de la bande vous délecte, alors vous vous nourrissez de leur imagination sans limite et des hypothèses qu’ils émettent tous à votre sujet.

   08 ; Tes mains serrent le volant si fort que tes ongles s’enfoncent dans le cuir. Tu sens l’excitation monter en toi, comme une vague de chaleur qui envahit ton corps. Tu ne tournes pas la tête, les yeux fixés sur l’asphalte. Tu n’as pas un regard pour tes adversaires. Tu sais que ça les perturbe à chaque fois, que ça te donne de l’assurance. Cette affaire, ces courses de voiture, c’est de plus en plus rentable, c’est du sérieux. Vous commencez à être rodés, à avoir vos petites habitudes, chacun son rôle, chacun sa place. Tu n’admets pas de débordements, jamais.

   09 ; Trixia. Tu les observes. Les uns après les autres. Tu as confiance en chacun d’eux. Sauf une. Tu donnerais ta vie pour chacun d’eux, si tant est qu’elle ait de la valeur. Sauf pour une. Trixia. Tu l’acceptes. C’est tout. Tu te dis qu’il vaut mieux l’avoir dans ton camp que contre toi, que ça fait toujours une alliée en plus. Mais à tes yeux elle reste une traître, et même si tu n’as pas souffert de sa trahison, même si tu as su en tirer des avantages, tu n’oublies pas qu’elle est capable de trahir, et que ce ne sont pas tes façons de faire. Tu sais que les autres sont loin d’être favorables à sa venue, et tu les comprends. Mais il faut parfois penser davantage stratégie qu’affinités. Alors elle est là. Trixia.

   10 ; Levi. Il t’apaise, parfois juste à le regarder. Les mains pleine de cambouis, manipulant minutieusement ses outils dans son moteur, à la manière d’un chirurgien qui manierait le scalpel dans la chaire. Ce ne sont cependant pas ces gestes qui t’apaisent, mais le fait de savoir qu’il te comprend. Le fait de savoir que tu n’es pas seule à parfois te sentir déborder, sans toutefois jamais le montrer, par cette bande de lions en cage. Ça t’apaise de savoir que vous pouvez parfois vous évader, quand tout va trop loin, quand les propos et les actions du groupe dégénèrent. Quand vous avez besoin de prendre l’air. Levi.