certaines n'avaient jamais vu la mer.

01 ; peter c'est le premier, fierté de son père, qui s'occupe bien des bestiaux, qui sait chasser, qu'a jamais raté une cible et qui rit aussi fort qu'une locomotive en sur-régime. bethany c'est la deuxième, serveuse dans un bar de la ville, c'est celle qu'est soi-disant facile, qu'aime bien qu'on lui foute la main au cul et qui se fait sauter dans des chiottes qu'ont pas été lavés depuis une décennie. cindy c'est la troisième, elle a le mariage en berne, elle en a enchaîné trois et a quatre mômes dans les pattes, coiffeuse pas franchement transcendante, elle a de la dégaine quand elle a son bébé dans les bras et sa clope au bec qui se casse la gueule. john c'est le quatrième, celui qu'a eu du cul, qui s'est tiré quand il a pu, en gagnant une bourse, en faisant ce qu'il pouvait pour se tailler, et lui tout le monde dans la famille le juge, c'un pompeux, c'un lâcheur, trop bon pour nous disait sa mère, amère. priscilla c'est la cinquième, elle bosse comme femme de chambre dans un hôtel miteux, elle s'enfile des rails ici et là - personne le sait techniquement ça, ce serait un coup à se prendre une botte au cul. henry c'est le sixième, il passe sa chienne de vie dans une épicerie, il commence à avoir le ventre du père, remplis de gras et de bière. billy c'est le septième, et y'a pas à dire, il a chié dans la colle. charity c'est la huitième, la bonne pieuse, qui refuse de se prendre une queue avant le mariage, elle a son nom qui lui colle à la peau, quasi tatoué sur son front. ed c'est le neuvième, pauvre rebelle qui veut se la jouer sur les bagnoles tunées, il rêve d'argent, de gonzesses à seins taille planétaire et d'une villa - mine de rien, personne dans la famille aime son rap et ses baggys, mais il est jeune, il est surtout con, on lui pardonne. mary c'est la dernière, encore toute jeune elle sait pas encore quoi faire, elle aime bien caresser le vieux chat de la bicoque, elle aime les poupées, le rose et les princesses aux cheveux longs.
la brochette sheridan, c'est comme une mauvaise vanne.
- sheridan.
- t'es l'combientième déjà ?
- est-c'que ça compte vraiment ?

02 ; billy détonne, billy déconne, billy prend pas le soleil, il a pas le cou aussi rouge que celui de peter ou de son père. billy il fait tache sur le parquet, genre de tache que même la javel peut pas enlever, il se sent un peu comme john des fois - à se faire dévisager. faut dire que souvent le père a demandé à sa femme.
- t'es sûre qu'tu m'as pas trompée ?
- si j'te l'dit, j'vais pas voir ailleurs moi.
- t'es sûre ? l'môme a une drôle de tête.
- c'toi qu'a une drôle de tête gordon.
il a préféré se dire qu'il avait été adopté, ou échangé dans l'hôpital un jour d'halloween. le pire c'est que le sujet retombe toujours sur le tapis, pour se marrer un coup - lui il en roule des yeux billy, trop fatigué pour leur dire de la fermer.

03 ; n'empêche qu'il a fauté. fauté assez fort pour se faire jeter dehors - mais pas totalement quand même, ça reste un sheridan qu'a su se faire une place, minable mais elle vaut ce qu'elle vaut. n'empêche qu'il a royalement merdé, qu'on l'a chopé à rouler un patin à un mec, l'avait quinze ans billy, l'avait quinze ans et bien deux semaines après on l'a balancé dans un centre à une trotte de la maison. thérapie de conversion, être pédé c'est pas beau pour les yeux de dieu - puis faut pas déconner, les sheridan iront baiser des gonzesses et parsemer des bâtards dans le pays tout entier. alors faut le changer le billy, faut le modifier, lui faire capter que c'est une maladie qui coule dans ses veines, qu'il est pas loin de l'exorcisme et qu'il reviendra propre comme un sou neuf.

04 ; de base il devait tirer qu'un an et des brouettes. de base il devait sortir plus ou moins vite. faut dire qu'il mentait bien billy, qu'il avait une langue de serpent, qu'il mettait des traumatismes à tout va pour expliquer ses déviances, mais il écoutait rien. il a jamais rien écouté - encore moins le pasteur, ni les faibles qui se laissaient avoir par ce travail de haine de soi. de base c'était écrit, à peu près écrit. puis y'a une nuit où il a pas pu s'en empêcher, il tournait autour de ce type depuis un moment - nolan qui le jour où il a déboulé c'était presque à croire qu'il allait faire la révolution. c'était sans compter sur le pasteur qui passait chaque nuit pour vérifier et choper sur le vif les cons - alors il a fait rien de mieux que de tout mettre sur son dos. une rechute, dieu quelle rechute. un an s'est finalement transformé en deux ans - joie et volupté, il connaît une bonne dizaine de chants bibliques clamant l'amour du seigneur.

05 ; il joue de la guitare depuis toujours billy. depuis qu'il sait tenir un objet entre ses doigts, depuis qu'il a percuté que les cordes peuvent faire des sons. c'était bien la seule chose qui lui faisait passer le temps, et c'est son grand-père, le bon vieux donald qui lui a filé les bases, lui a donné cette petite envie de gratter puis de se laisser porter par la musique - même s'il était plus banjo qu'autre chose. depuis elle le quitte pas, elle est vieille, elle a pas coûté un bras - mais putain ce qu'il peut l'aimer.

06 ; il a un accent pas toujours facile à déchiffrer, mais facile à souligner. billy il a ce petit truc qui sonne redneck dans le langage, à mâcher les mots, à être un peu brut de décoffrage, qui s'emmerde pas avec les tournures sur quinze mètres. à tout ça il ajoute sa manie de fumer, de plus en plus chaque jour, il est pas loin des vingt, il la joue pompier qui laisse la maison s'enflammer - et ses cordes vocales en prennent un coup, cassées, elles sont pourtant adaptées au micro.

07 ; petit, on arrêtait pas de vouloir lui enseigner que les noirs sont des bouffeurs de bananes, que les arabes sont tous des terroristes et que les chinois sont bons que pour leurs masseuses qui foutent la main sous la ceinture. il y a jamais cru, il a jamais osé y croire - et en y repensant, il a honte. cette idée de force blanche, de terres volées par autrui, d'intelligence supérieure - à jauger les membres des sheridan un par un, il se doute qu'ils sont bons à jeter. n'empêche que ça reste dur de refaire des cons et que sans eux, il serait même pas là à essayer de relever leur piètre niveau.

08 ; il a un truc billy, pour les émissions de catch. il a un truc qui l'hypnotise quand il voit toute la mise en scène, les histoires dramatiques qui se mettent en fond et les costumes qui en jettent. il regarde ça depuis qu'il est en âge de supporter la violence - selon son père, sept ans - et sans regret aucun, il se paie des barres devant.

09 ; il a de ces réactions qui foutent la honte, installent le malaise, qui se pigent pas toujours. lui il rit devant la tristesse, il rit parce qu'il sait pas comment réagir, à un enterrement il est pas loin de tomber au sol en gloussant parce que son cerveau a pas le temps de digérer l'information. il a le deuil en blague douteuse de fin d'année, celle qui se prononce par l'oncle bedonnant qui louche que sur les larges décolletés. il s'excuse, et au départ si ça faisait tout drôle, chacun dans la famille a décidé que c'était comme ça, que c'était pas si grave. il aura beau essayer de se retenir, billy, il aura toujours un éclat de rire triste qui viendra séparer sa bouche en deux.

10 ; il sait au moins se rattraper un peu en matière d'amour, il sait comment tourner les mots, que ce soit violent ou un peu plus beau, il sait manier avec finesse shakespeare même si ça ressemble à un vide ordures abandonné sur l'autoroute.