01 ; un nom qui n'évoque qu'un poids. un patronyme qui écrase parfois trop. ses frêles épaules, elles succomberaient presque. quand les gens lui parlent de son nom, elle ne fait que sourire. que pourrait-elle dire ? qu'avant même d'être venue au monde, on traçait pour elle son destin. qu'avant même qu'elle puisse penser, on dessinait à l'encre indélébile son chemin. pas d'écartade. pas d’échappatoire. pas dans sa famille. surtout pas dans sa famille. faut dire que les miller sont connus dans le milieu de la politique. sénateurs de générations en générations ça ne passe pas inaperçu. les attentes étaient donc très grande sur cet enfant à venir. il fallait qu'il soit un garçon. il fallait qu'il devienne sénateur. comme tous ses ancêtres avant lui. manque de pot. ce fut une fille. nova. qui n'avait aucune envie de rentrer dans le monde impitoyable de la politique. bien loin d'elle cette idée. pire encore elle exécrait cette idée. ça lui rendait insupportable. voir dans quel état ce monde a mis sa famille, elle préférait clairement s'en éloigner le plus possible. quitte à s'attirer les foudres paternelles. tant pis.

   02 ; faut dire que sa famille, c'était pas des originaux. née dans une famille presque en diamant, elle en a ressenti les désavantages tous les jours. le diamant ça a beau être si joli, si brillant. c'est si froid et dur. comme ses semblables. faut savoir que la jeune femme n'a jamais été tellement voulu par ses parents. ils étaient à peine mariés. son père commençait tout juste sa carrière. sa mère n'était pas prête à une maternité. et elle lui a fait très vite comprendre. c'est sans doute pour ça, sans parler des antécédents de leur milieu froid, qu'elle n'a jamais reçu un foyer très attentionné et aimants. ses parents étaient le plus souvent en déplacement pour son père et occupés à organiser des événements caritatifs pour sa mère. bien loin d'élever leur fille. c'est pour cette raison qu'elle fut remise à une nounou qui prit énormément soin d'elle. dans un sens, c'est elle qui lui donna l'affection dont elle manquait cruellement. "tu es gentille, tu es intelligente, tu es importante". voilà ce que sa gouvernante ne cessait de lui répéter comme pour panser inconsciemment ses blessures familiales. ainsi grâce à elle, elle put vivre une enfance à peu près normale et rempli d'amour, malgré ses parents et son milieu. presque un soulagement. c'est d'elle d'ailleurs qu'elle tient son tempérament si solaire. oh que oui. au contraire d'avoir les cheveux blonds de sa mère et les yeux marrons de son père.

   03 ; pourtant ses parents restaient ses parents. c'était indéniable. c'était bien plus fort qu'elle surtout. c'est pour cela qu'elle s'évertue à travailler excellemment bien pour les rendre fiers. elle se fichait de la deuxième place ou encore de la troisième. tout ce qui l'importait était la première, celle qui pourrait faire briller quelque chose dans les yeux de ses parents. alors elle travailla, encore et encore. d'arraches pieds. ne comptant pas les heures, ni les nuits blanches. elle devait être la meilleure pour qu'enfin ses parents la remarquent. à chaque bonne note, elle courrait jusque dans le salon où sa mère recevait. néanmoins à chaque fois, elle était balayée par la main de sa mère qui s'agitait à peine, lui intimant de partir. ce n'était jamais le bon moment. ce n'était jamais assez parfois. des bonnes notes qu'ils ne verront finalement jamais. au fond, au final, nova s'est faite une raison. elle a fini par ne plus les montrer. simplement à les garder et à profiter toute seule de sa petite réussite. c'est tout ce qui lui restait après tout.

   04 ; faut dire que c'était facile pour elle. ou presque. elle avait des capacités. mieux encore des facilités. c'était indéniable. ses professeurs en étaient convaincus. dès sa plus jeune âge, son esprit semblait bien plus mature et apte que les autres enfants. alors, ils ont fini par le lui demander. enfin surtout à ses parents. si ça valait le coup de lui faire sauter une classe. ce n'est pas une petite décision à prendre. ça peut perturber un enfant. ça peut le perdre totalement. ça aurait pu perdre nova. elle, si petite déjà pour son âge, en face de ces géants plus vieux qu'elle. c'est l'impression qu'elle pourrait avoir par exemple. alors il fallait bien réfléchir et ne pas prendre tout ça à la légère. c'est sans doute la seule fois où elle a vu son père sourire. car il savait ce que ça signifiait, que ça signifiait que sa fille était enfin haut dessus du lot. à faire honneur à la famille. enfin. alors c'est tout naturellement qu'ils ont dit oui presque tout de suite. pourquoi attendre ? nova allait sauter une classe. il le fallait. peu importe les autres conséquences. elle en était capable et réussirait. c'est ce qu'elle a fait. presque malgré elle.

   05 ; elle en avait aussi de l'ambition. pas qu'un peu. elle avait toujours eu ça en elle. ce besoin d'aider. cet altruisme. ça a toujours fait partie d'elle. elle a toujours voulu être médecin d'ailleurs. du plus loin qu'elle s'en souvienne, c'est souvent qu'elle prenait son stéthoscope-jouet pour faire l'enfant en blouse blanche. alors entamer des études de médecine, c'était une évidence pour tous. enfin sauf pour son père évidemment. lui ne voyait que politique. nova était presque sûre qu'il devait manger, respirer et dormir politique. s'il avait pu, il pourrait presque coucher politique. presque décevant. ou plutôt, c'est elle qui l'a déçue -encore une fois disait-il- en choisissant médecine. mais elle n'a pas cédé cette fois-ci nova. oh que non. c'était son choix, son rêve. elle ne pouvait pas tout lâcher pour elle ne savait quelle tradition familiale idiote. ce n'était pas possible. alors, contre avis parentale, elle a continué ses études devenant d'abord externe à l’hôpital pour enfin être externe. son choix d'étude pouvait être large. la médecine recouvre de nombreux secteurs. c'est vrai. et certains sont beaucoup plus durs que d'autres. c'est connu. mais nova est une battante. son choix s'est très vite porté sur la médecine d'urgence. portée secours en premier à ceux qui en avaient le plus besoin. c'est ce pourquoi elle était faite. vraiment. alors c'est tout naturellement qu'elle a déposé sa candidature à l'internat de médecine d'urgence. se fichant pas mal des conditions parfois bien difficiles ou encore des gardes interminables. il lui en fallait bien plus pour mettre le genou à terre.

   06 ; nova, c'est une rêveuse. faut bien se l'avouer. elle rêve tellement. de tout et de rien. mais surtout de rien. ou alors de choses beaucoup trop grandes pour elle. de choses qu'elle aimerait tellement réaliser sans en avoir jamais eu le cran. peut être un défaut de naissance. une force qu'elle n'avait jamais su trouver en elle étrangement. pourtant, ça ne l'empêche pas d'imaginer tous les soirs en regardant à travers la fenêtre. oh que non. peut être qu'un jour, elle le fera. elle quittera cet esprit trop rationnel, prendra son sac à dos et partira. où ? ce n'était pas l'important. elle partirait simplement à la recherche du monde, à la recherche d'elle-même. tout simplement. elle n'aurait que la route comme itinéraire et son coeur comme gps. peut être ferait-elle des rencontres. peut-être découvrirait-elle d'autres choses. des choses si incroyables. mais non. rien de tout ça n'est arrivée. oh que non. elle aurait pu. elle aurait sans doute du. mais elle n'a jamais pu. alors ce rêve, il est au cimetière des déceptions et des regrets. avorter avant même sa naissance. c'est bien triste. peut être qu'elle le fera un jour. peut être qu'un jour elle atterrira en grèce et fera d'une ferme une auberge. ou peut être qu'elle finira à tahiti et vivrait d'amour et d'eau de mer. qui sait réellement ?

   07 ; elle a fini par le rencontrer lui. elle avait dix-huit ans. lui un peu moins. c'était logique entre eux. un coup de foudre amical comme on en voit peu. des atomes qui se sont complétés sur le coup. nova, elle a fini par le considérer comme son meilleur ami. le premier homme de sa vie en quelques sortes. la colocation a sonné comme une évidence entre eux. l'indépendance voulue des deux était carrément la bienvenue. c'est ainsi qu'ils devinrent encore plus inséparables qu'avant. ils en ont fait des conneries. et parfois pas des belles. mais nova, elle a toujours été là pour casper. oh que oui. quitte à être celle qui le ramasse à la petite cuillère. quitte à être celle qui lui tient les cheveux au dessus de la cuvette des toilettes. quitte à être tout ça. parce que la jeune femme est sa meilleure amie. cette femme qui pourrait sans doute tout faire pour lui et bien plus encore sans doute. un lien indéfectible entre eux, aussi amical que possible. rendu d'ailleurs concret par ce tatouage qu'ils partagent, l'un au bras gauche et l'autre au bras droit. entre eux, c'était l'amitié folle. celle qui rend presque fou mais qui enivre tellement. parce que nova, au final, elle a toujours été ivre de casper. faut bien se l'avouer. ce gars, était son contraire. un mec qu'elle aurait sans doute du jamais rencontrer, bousculant jusqu'à sa propre nature. mais c'est sans doute ça qui est beau. ils avaient toutes les raisons de claquer la porte. de faire imploser cette amitié si belle. mais au final ce sont ces mêmes raisons qui les font rester. qui les font être si inséparables l'un de l'autre.

   08 ; mais voilà. c'est étrange. même quand on veut pas, ça finit toujours comme ça. elle voulait pas nova. elle voulait que ça reste toujours comme ça avait été dans leurs débuts. ceux si insouciants. mais ça marche pas comme ça. les lois du coeur sont impénétrables. et pire encore. parce qu'au final, elle a fini par tomber. oh que oui. malgré elle. malgré leur amitié. une tragédie. certaines fois, elle se dit que c'est rien. que ça va passer. mais ça passe pas. c'est bien ça le problème. ça semble rester coincé dans sa gorge. ça l'étouffe presque. elle dit rien nova. parce qu'elle a pas envie de tout gâcher. parce qu'elle a pas envie que tout change. saloperie de coeur. c'est idiot. elle sait qu'elle devrait pas tomber amoureuse. c'est son meilleur ami et ça devrait être toujours le cas. ça l'est. mais la donne a quelques peu changé. damn it. elle devrait pas penser comme ça. elle devrait pas le voir plus qu'un ami. oh que non. elle aimerait se mettre des baffes parfois. se secouer un bon coup pour faire partir tout ça. mais ça s'accroche. elle a beau réfléchir encore et encore. c'est plus fort qu'elle. elle n'y arrive pas. elle a besoin de casper dans sa vie. plus que jamais. en tant qu'ami. en tant que son meilleur ami. en tant que... non. faut qu'elle arrête. ce n'est pas bien. elle ne dit rien nova. elle ne veut pas tout foutre en l'air. parce qu'elle-même, elle est paumée. elle sait pas quoi penser de ces sentiments. on sait toujours comment ça finit ces histoires là. les histoires d'amitié qui finissent en amour ça n'est bon que pour les mauvaises comédies romantiques. la vie c'est pas un film.

   09 ; alors elle aimerait que ça cesse. cette douleur lancinante. cette souffrance chaude. mais rien à faire. c'est ridicule. parfois, elle a envie de rire. mais tellement fort à en faire trembler les murs. mais bien vite les larmes finissent par la bloquer dans son élan. c'est plus possible cette situation. pourtant, elle se borgne à ne rien faire. à se dire que ça va passer. elle en a parlé à personne. sauf une. une amie. c'est elle qui lui a dit de s'éclater plutôt que de ruminer. que ça passerait plus vite comme ça. c'est à cause d'elle qu'elle s'est retrouvée un soir dans le lit d'un autre. juste parce qu'elle voulait se prouver que c'était plus que ça. qu'elle n'était pas coincé par un coeur capricieux. quelle connerie. elle a fui devant l'homme et est redevenue une gamine effrayée. elle n'a pas pu. c'était beaucoup trop pour elle. parce que finalement, elle a l'impression de ne pas pouvoir passer au dessus. de ne pas pouvoir se défaire de l'emprise qu'il a sur elle. dont il a aucune conscience réelle. et malgré elle aussi.

   10 ; avec tout ça, ses choix, sa vie. elle en oublierait presque sa famille. ou bien ceux qui l'ont mise au monde. c'est tout. ses contacts avec ses parents se font rares. c'est bien connu dans la colocation. quand nova reçoit un appel de son père ou de sa mère, il vaut mieux ne pas se trouver à proximité. pourtant, la petite, elle est si douce d'habitude. si tendre. mais jamais avec ses géniteurs. son visage se ferme. elle devient tendue. voire même gênée. il n'est pas rare de la voir se tordre les doigts lorsqu'elle leur parle. alors elle finit bien vite par s'enfermer dans sa chambre. pour leur dire tout ce qu'elle pense. tout ce qu'elle n'a jamais pu leur dire quand elle était encore enfant. quand encore, elle les attendait. quand encore, elle espérait qu'ils reviennent vers elle. mais c'est fini tout ça. elle en est bien consciente. alors elle n'hésite plus. de toute façon, les coups de téléphone résonne rarement. de moins en moins, elle n'entend la voix de ses parents, autoritaires. peut être qu'au fond, elle attend des excuses. quelque chose. qui sait réellement ?