Il s’appelle Tobias. Enfouis entre les draps défaits y a que sa chevelure dorée – pointant sur l’oreiller – que j’peux encore distinguer dans la pénombre. Sa chambre est toute petite et j’entends son coloc ronfler dans la pièce à côté.
J’ai rencontré Tobias y a quelques heures à un concert pourri dans un rade. Il était bourré, presque mignon à la lumière des spots, et surtout totalement surexcité. J’ai pas eu beaucoup d’boulot pour le convaincre de m’inviter chez-lui. Deux rounds plus tard il s’est mis à pioncer sans complexe.
Moi, j’suis assise sur le rebord du lit totalement à poil, la clope au bec sans que l’idée de demander la permission m’ait juste effleuré. Si cette partie d’jambes en l’air a eu le mérite de me défouler les nerfs, j’ai toujours l’esprit en ébullition. Y a une pensée qui m’a pas quitté depuis l’réveil. Elle ondoie sournoisement à la surface, parfois diffuse mais sans jamais disparaître. Elle me broie le cœur dès que j’fais mine de la regarder en face, alors je m’occupe comme je peux entre le boulot et l’exploration d’autres corps. Jusqu’au creux suivant où j’ai plus rien pour meubler.
J’écrase la fin incandescente de mon mégot dans une tasse à café sur la table de nuit et récupère mes fringues.
J’me tire d’ici sans prendre la peine d’être discrète.
J’claque même la porte de toutes mes forces.
Les paumes sont appuyées contre le carrelage recouvert de condensation. La tête penchée vers le bac de douche, j’espère me noyer dans chaque goutte brûlante qui me dégouline sur la peau. Ca fait près d’une demi-heure que j’suis sous le jet, à essayer de me nettoyer de ma frasque toute récente.
C’est pas la seule d’ailleurs, si on reprend les comptes sur ces quinze derniers jours. Rien de mirobolant – pas de coup d’foudre qui tombe ou de papillons dans le ventre - mais je sais que JJ pèterait un plomb s’il l’apprenait.
On s’en fout.Ouais on s’en fout. De toute façon j’me contente de suivre le plan de Sam à la lettre : faire profil bas en donnant le change, parfaite image d’une gonzesse qui profite de sa jeunesse.
Rien qu’en pensant à lui j’ai les neurones qui gèlent.
Sam s’est bien fait arrêter. Je l’ai lu dans un quotidien, écris noir sur blanc dans un encart. Pas très grand, pas très p’tit non plus. En tout cas impossible à ignorer. Le journal a fini à la poubelle en un millier de confettis.
Deux semaines se sont traînées à la suite de ma gigantesque erreur. Le procès vient de se terminer. J’ai pas encore eu le courage d’apprendre l’issue ; j’en ai trop peur. Pourtant l’idée m’lâche pas. La culpabilité me grignote, doucement mais sûrement, jusque dans mes moindres recoins. L’imaginer en cage me rend malade. Savoir que j’en suis la cause me tue.
L’eau devient glaciale – comme d’habitude quand j’ai le malheur de tirer trop longtemps dessus – et je l’arrête d’un geste sans bavure. J’sors de là, en foutant partout au passage. La salle de bain ressemble plus à un placard qu’autre chose mais au moins elle est pas sur le palier.
D’un revers de main j’essuie le minuscule miroir fêlé qui surplombe le lavabo. Une tronche de macchabée s’y reflète. J’ai le teint crayeux. Même mes lèvres n’offrent aucun relief ; elles sont parfaitement blêmes, figées sur les dents. Y a que les yeux qui paraissent vivants : deux billes bleutées qui m’dévisagent avec ostentation.
T’as vraiment une sale gueule ma vieille.J’retrousse les lippes en rictus - prête à mordre - et m’en vais enfiler les premières fringues qui me tombent sous la main. J’erre de pièce en pièce, ce qui n’signifie pas grand-chose puisque l’appart’ n’en possède que trois, et achève ma divagation sur le canapé.
J’allume la télé en quête d’une distraction. Un bref regard à l’horloge m’indique un honnête une heure du matin. J’pourrais essayer de dormir mais je connais déjà par cœur ce qui va se passer : me retourner entre les draps jusqu’à ce que le soleil se pointe, la liste de toutes mes erreurs passée en revue dansant dans le noir.
J’préfère largement comater devant des talkshow.
J’suis en train de somnoler entre les rires factices et les pubs criardes quand des coups secs me font sursauter. J’me fige quelques secondes, hésitante sur la véracité des sons. Les chocs reprennent de plus belle et se transforment carrément en tabassage en règle de ma porte d’entrée.
Le premier nom qui m’vient en tête c’est JJ. Ils l’ont laissé sortir plus tôt et il sait tout.
Le deuxième, Seven. Il veut achever le boulot.
Le troisième c’est la police. Y a que les flics pour essayer de défoncer votre entrée comme ça.
Sauf qu’ils se seraient annoncés.
J’me lève à pas de loup afin d’aller entrouvrir le battant malmené. Je regrette de pas avoir de judas. Mon nez apparaît timidement, juste assez pour constater l’intrus. L’intrus
e.
Avis de tempête imminent, j’vais en prendre pour mon grade.
Pourquoi j’ai ouvert putain…