01 ; Tu t'es enfermé Cassie. Loin des autres loin de tout. Tu peux prétendre que c'est pas de ta faute, que c'est eux qui ont fait ça. Ce sera jamais complètement vrai. T'as tout fait pour garder les autres loin de ton cœur et loin de ton corps. Pour plus souffrir, t’estimes avoir assez donné. Trop, et trop tôt. Mais t’as pas arrêté d’souffrir. T’as juste oublié comment on fait pour rire, pour aimer, et tout ces trucs qui font vibrer l’âme. Alors tu te planques, encore, dans un coin de la bibliothèque, un Lovecraft pour flipper, un roman d’amour pour rêver, des mondes pour vivre. Par procuration.

02 ; Avant y avait maman. Avant y avait papa. Avant y avait la petite Jake. Et toi. Et c’était bien. C’était pas facile. C’était pauvre, dur, mais c’était bien. Ils vous ont pas cru. Ils ont pas cru les larmes de ta mère, il ont pas cru la colère de ton père, ils ont pas cru la terreur de ta soeur. Ils t’ont pas cru non plus. Ils ont cru les bleus, les fractures, et les séjours à répétition aux urgences. Jusqu’à c’qu’ils décident de t’retirer à cette effroyable pauvre et misérable famille violente. Délit d’faciès. C’était pas vrai. Mais ils vous ont pas cru.

03 ; Et après y a eu les St John. Une couple d’avocat bienséants, bien pensants. Mais ils étaient gentils. Ils ont pris soin de toi, et t’as goûté à un autre niveau d’vie. La facilité et les liquidités. L’école privée. Conte fée des temps moderne, crapaud des bas quartiers recueillis par des puissants miséricordieux qui feront de toi un prince. Ils étaient gentils, oui. Alors t’as oublié les autres gosse ingrat. Et c’est eux qu’t’as commencé à appeler papa et maman.

04 ; C’est tombé comme la nuit sur le monde, comme une tête sur un billot. Cruel retour de bâton parce que c’est toi t’avais raison, et c’est eux qui t’ont pas cru. Parce que quand le petit gosse dans rats d’Savannah a un radius cassé, c’est son vieux qui l’a cogné. Parce que quand le jeune des grands de la ville se fissure le tibias en ouvrant trop vite la porte du placard, on convoque tous les docs de la ville pour savoir c’qui s’passe. Et c’était ça. Toi et ta maladie des os de verre. Personne t’avais cogné. Tu l’savais, on t’a pas crus, même pas les St John, déchus instantanément de ton affection. Réduit à l’état de tuteurs légaux. La colère qui ronge davantage l’ossature.

05 ; Tu t’es enfermé, ils t’ont enfermé. A l’abris des dangers du monde, des risques du corps et des périls du coeur. L’école à la maison, la gouvernante sur tes talons d’ado capricieux. Tu t’es alors fait roi dans ta tour d’ivoire, l’acide dans les yeux et le sarcasme au bout de ta langue. Les exigences et la menace de t’barrer s’ils t’obéissent. Tu l’aurais jamais fait, trop la trouille de te briser en deux au moindre quand de vent. Alors c’est eux qu’tu t’es employé à briser, tous ceux coincés ici avec toi. C’est d’leur faute.

06 ; T’as eu des années, des mois, des semaines, des jours, des heures, des minutes, des secondes à tuer, entre les quatre murs de la propriété de 300 m², cruellement étroite. Le sport, les bouquins, les dessins, expulser la rage, sourire devant un truc beau, pleurer sur un truc triste, les frissons de l’angoisse délicieuse de Poe, et t’exprimer enfin. Rêver un peu. Ou sentir battre ton coeur comme la première fois qu’a fugué, ombre parmi les ombres d’un bar crasseux. t’as écouté la musique. T’sa laissé la batterie rechargé les pulsations d’ton coeur. La tienne, à peine franchie les portes de la demeure St John, elle en a rejoint la cave, avec d’autres reliquats de tes vaines joies.

07 ; Raiponce, Raiponce, déroule ta belle chevelure. T’as oublié le monde normal, vautré entre tes serviteurs, l’or et l’argent. les billets partout, pour régler le moindre de tes problèmes. Les diplômes, les pots-de-vin, trop facile de décrocher ton diplôme d’infirmier. Et puis l’herbe pour savoir c’que c’est, les employés pour leur silence, couvrir tes fugues. Tout c’que tu veux et qui s’achète. Trop de trucs. Presque tout à priori.

08 ; Soudoyer pour pouvoir couler dans l’ombre et t’y mouvoir sans embuches. Parce que t’es passer de l’autre côté des barrières. Une fois, puis une autre, et de plus en plus attiré comme un papillon par les flammèches du feu d’camp dans lequel il va finir par brûler vif. C’est peut-être une tare génétique ça aussi, l’appel des bas fonds, mais tu t’enfonces de plus en plus à chaque fois, conscient du danger. C’est peut-être exactement pour ça que t’y vas, réveiller ton enveloppe inerte. Electrochoque de l’adrénaline.

09 ; Et puis y a elle. Debra. Gentille, accueillante, la langue qui claque comme il faut, douce acide, un brin coquine et la force d’une lionne. Miss Debra Jake. Hommage sordide à une mère et une soeur abandonnées, oubliées, dont tu t’souviens à peine des traits. T’essayes de les faire revivre dans ta tête, de capturer une part d’elles, de c’qu’elles ont été ou de c’qu’elles peuvent être devenues. Le tout juché sur des talons trop hauts, englouti sous une perruque trop longue, masqué par trop de maquillage, dans un bar trop coloré aux allures de foire aux monstres. Mais peut-être que quand t’es elle, t’es pas elles, juste toi. Qui sait.

10 ; Et puis y a elle. Jake, ta soeur, perdue, cherchée, retrouvée, les jours qui passent à chercher le moment et la façon de l’approcher, elle et son fils, ton neveu, putain. Et puis y a lui, les mèches roses, tu connais même pas son nom, mais c’est une obsession au bout d’tes crayons à dessins. Y a ceux qui t’laissent passer leur portes, qui t’adressent la paroles, qui t’causent te prennent en considération et t’donnent un peu d’ce monde que tu réclames. Mais toi, illusion d’accessibilité, les vérités qui franchissent pas tes lèvres, la retenue encore, la trouille d’avancer et de t’mettre à découvert, encore enfermé dans ta boule à neige.