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 long shot (dairih)

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Samih Scully

Samih Scully
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MessageSujet: long shot (dairih)    long shot (dairih)  EmptySam 7 Juil - 3:01

Il sent le chewing-gum à la nicotine. Oui, il savait. Il le sentait bien, c’était juste devant son visage que Connor se trouvait, pendant qu’il réajustait les plis de sa chemise. Sam retenait son souffle, surtout à cause de l’haleine de Connor. Faut lui dire de jeter son chewing-gum, il peut pas nous représenter en mâchant de la gum. Sam ne disait rien, il fixait le jeune diplômé du barreau qui semblait plus stressé que lui. Il avait au paupière qui sautait, et un tâche de café sur la cuisse. En plus de ça, des papiers dépassaient de son attaché-case neuf, sans doute un cadeau de ses parents lors de sa remise de diplôme, connerie de tradition, transmission d’un père à son fils, quelque chose comme ça. Sam l’observait avec beaucoup, beaucoup d’attention, sans doute qu’il planait un peu aussi. Connor était sans doute un avocat raté, mais il avait de l’avenir comme dealer, il avait encore réussi à lui piquer à droite et à gauche un petit cachet de morphine. Ca aiderait pour le procès et “après tu te débrouilles comme tu veux, mais j’y participerais pas”. Très bien, une fois à Coastale State, il n’aurait plus besoin de lui de toute façon. T’as un chewing-gum ? Quoi ? Non, j’ai pas envie de puer cette merde ! Connor passa un bout de gum, Sam le mâcha quelques instants. On leur fit signe presque au même moment d’entrer dans le tribunal. En passant devant les vigiles, Sam ne contrôlait plus sa main, qui alla sous le seul contrôle de son copilote prendre le chewing gum sur sa langue, pour le coller contre l’une des portes. Un vigile avait vu, mais il n’osa rien dire. J’déteste ces trucs. Sam soupira longuement. Génial, donc maintenant ils n’avaient même plus les mêmes goûts en terme de bonbons. Ce sont des chewing gum pour arrêter de fumer, pas des bonbons. Sam soupira.

Il la cherchait dans la salle d’audience, dans le public, mais y avait du monde. Beaucoup trop d’ailleurs, ça n’était pas logique, Sam ne connaissait personne ici. Aucun de ces visages à l’air contrarié, effrayé, abusé. Il ne reconnaissait même pas le couple sur le banc de l’accusation, les parents de ce bébé. Celui avec qui Sam n’avait passé que quelques heures. Il aurait aimé le revoir, ce petit gars. Revoir ce visage paisible au milieu de la tempête, lui qui avait vécu pendant une seule lui à travers les tourments de toutes une famille dézinguée. Lui qui avait été aux côtés de Sam au moment où il avait raccroché au téléphone, pour ensuite aller se rendre à la police. Pendant ces quelques secondes d’hésitation. Peut-être que voir son visage tranquille aurait aidé. Voir les cheveux roux de celle qu’il attendait vraiment, ça, ça aiderait. Mais il avait beau cherché il ne la voyait pas dans l’assemblée. Son coeur compressé contre sa poitrine, il ne trouvait pas vraiment la force d’analyser tous ces visages hostiles. Kidnappeur d’enfants, malade mental, peut-être même pédophile. Allez savoir quelle image ils avaient tous de lui ici. Un visage familier, un seul, dans cette foule aurait réussi à tout apaiser. Rien, que dalle. Juste du néant, et un putain de bourdonnement dans le fond du crâne.

Sam s’installa sur le fauteuil, très confortable si vous voulez mon avis. Pas tape à l’oeil, mais visiblement de la qualité. Mille fois plus confortable que le lit simple dans lequel il avait dormi ces dernières semaines. Comme pour vous mettre à l’aise, au moment de recevoir la sentence. Quand on vous dit que vous allez perdre dix ans de votre vie, au moins vous êtes dans un fauteuil en cuir.

Connor sortait ses papiers, et ses mains tremblaient comme des feuilles à côté de la caféine. Il n’osait même pas regarder l’avocat de la partie adverse, qui avait au passage dix fois plus d’expérience que lui, pas dur, Connor était vraiment très nul. Ca… ça va aller Sam. Pas vrai ? il attend vraiment une réponse ? Sam se contenta de le regarder d’un air vide. Un peu trop amorphe pour réfléchir à ce qu’il faudrait vraiment dire dans ces cas-là. Parce que plus rien n’irait bien. Sam avait déjà refermé toutes ses portes de sorties. Il avait déjà témoigné, déjà plaidé coupable, déjà fait tout ce qu’il pouvait faire pour être sûr d’être condamné. Il n’était plus l’heure des hésitations. Juste des regrets. Et de la peur.

Le coup de marteau résonna jusque dans les entrailles de Sam. Il avait sursauté. Monsieur le procureur, mesdames et messieurs les jurés, messieurs, dames, bonjour. Nous allons débuter, nous fixerons pendant cette séance la peine de monsieur Samih Scully. La peine. Faudrait évaluer le degré de gravité de tout ça, jusqu’à quel point Sam avait réussi son coup. Jusqu’à quel point c’était foutu. Sam avala sa salive, il se leva quand le Juge lui fit signe de le faire, comme son avocat lui avait appris. Monsieur Samih Scully, né le 12 avril 1990, à Cork, Irlande. Vous avez plaidé coupable pour les chefs d’accusations suivants : kidnapping sur nouveau-né et menace à l’arme blanche lors de l’interpellation, non respect des consignes de sa conditionnelle et enfin vous étiez sous l’emprise de stupéfiants au moment des faits. Tout ça en une soirée. C’est une blague ? Faut qu’on rigole ? Sam restait pétrifié alors que tous les regards étaient braqués sur lui, comme des flammes qui viendraient le consumer vivant, lui carboniser la chaire, pendant qu’il ne pouvait ni crier, ni bouger. Oui, c’est ça. Qu’il confirma en begayant. Connor lui donna un coup de coude. Sam fronça les sourcils, avant que ça ne fasse tilt : ... votre Honneur. On leur fit signe de se rassoir.

C’était faux. Tout était faux, inventé, monté de toutes pièces. L’usage de stupéfiants mis à part. Et pendant toute la journée, persuadée que leur petit système judiciaire est parfait, ils allaient tous discuter de quelle peine était suffisante pour apprendre une bonne leçon à cet individu perdu, sans doute malade dans sa tête, et dangereux. On allait organiser administrativement la vie, sa vie, à partir de maintenant, tout ça baser sur du vent, une mascarade grotesque. Et une fois que t’auras buté JJ en prison, tu vas faire quoi ? Là tu seras encore condamné et tu ne sortiras plus jamais de prison. Pour dire la vérité, Sam n’avait pas vraiment réfléchi à tous les aspects de son super plan jusqu’ici. Il était en train de se dire qu’il aurait dû. Mais il n’arrivait pas vraiment à ajuster le fil de ses pensées. C’était comme un grand néant. Même l’autre ne trouvait plus rien à redire, quand le procès débuta. Ils étaient muets. Muets de peur.

Il ne ferma les yeux qu’une seconde. Une seule toute petite seconde, pendant le discours de l’avocat adverse, qui dans son speech d’introduction, présentait Sam comme un pervers, immigré clandestins et raclure de la société. Il ferma les yeux, s’enfonça la tête dans les mains. Un tiers de seconde où il déconnecta complètement. Une seule seconde sans entendre tout ça, rien que le vide, rien que le va et vient de l’air. Qui entre. Qui sort. Rien d’autre que sa propre terreur, et celle de l’autre. Leurs sentiments mixés les uns aux autres, rien qu’une seconde, mais qui dura en réalité une éternité. Seul un mot réussi à le faire sortir de sa torpeur. ... Assia Scully, soeur aînée de l’accusée… Sam releva la tête dans un sursaut électrique. Tandis que parmi la foule, la silhouette de sa soeur bondissait. Putain de merde. Je t’ai jamais dis de la contacter. Connor fouillait dans ses papiers en transpirant. J’veux pas qu’elle soit là. qu’il ordonna, dans sa barbe. Connor se leva. Objection votre Honneur, Mademoiselle Scully ne figure pas parmi la liste des témoins qui m’a été communiquée hier. Assia Scully n’a pu confirmer sa présence que ce matin. Sa présence nous aidera à définir un profil psychologique. Shit.

Sam prit une grande inspiration avant d’oser glisser ses yeux jusqu’à elle. Assia, tel qu’ils s’étaient quittés, des mois plus tôt, des années presque. Assia, plus vieille et plus distance, qui évitait son regard tout autant que lui. Elle avait honte. Quel genre de soeur témoigne pour le camp opposé dans un procès ? Quel genre de soeur vous laisse vivre avec un violeur, sans vous dévoiler qui il est réellement. Quel genre de soeur choisi la fuite ? Pas celle que Samih avait connu toute sa vie. Alors, quand leurs regards s’accrochèrent, il eut comme l’impression d’être face à une étrangère.

Assia Scully, reconnaissez-vous votre frère Samih, dans les faits qui lui sont reprochés ? Assia tremblait, elle tirait nerveusement sur ses doigts. Je… je pense que… Je pense que Sam ferait n’importe quoi pour ceux qu’il aime. Shit. SHIT. Elle avait compris, elle avait deviné, elle le connaissait trop bien. Elle savait que c’était Eanna la coupable. Je pense que Sam… il a toujours eu envie de faire partie d’une famille, vous savez. Et, j’ai pas été parfaite dans ce rôle là. Depuis… depuis l’adolesnce il traine avec ces gens. Ces gamins qui le suivent et… Et puis… Je sais pas je… j’imagine juste qu’il a voulu… agrandir cette famille et arranger les choses d’une manière terrible. Sam fronça les sourcils, et chaque putain de mot était comme du poison qu’elle envoyait en rafale dans ses veines. Comme de l’acide qui le grignotait de l’intérieur. Le plan était sauf, mais Assia le pensait capable de ça. Assia témoignait littéralement, contre lui, dans ce tribunal. Le choc était si brutal qu’il ne remarquait même pas sa bouche entrouverte. Sam est… un garçon fragile et, impulsif et… Votre Honneur si je suis là aujourd’hui c’est pour… pour vous dire que Sam ne mérite pas d’aller en prison. Faut me croire, il… il n’a rien à faire là-bas. Il faut qu’il aille à l’hôpital. Deuxième coup de massue. Connor s’enfonça le visage dans les deux mains. Sam faut que… tu te fasses soigner. Troisième coup de massue. Cette phrase, Assia l’avait prononcée en arabe, pour qu’il comprenne qu’elle s’adressait à lui. T’as pas le droit... qu’il chuchota à peine, entre deux inspirations saccadées. Sam avait le tournis. Il allait clairement tomber dans les pommes.

La seconde d’après, il était dehors entrain de fumer une cigarette. Quand il ouvrit les yeux, il avait la fumée dans la gorge et il la souffla par mécanisme, Connor revoyait ses notes, il parlait. Parlait de plein de choses que Sam ne comprenait pas. Du procès, de ses estimations. Que s’était-il passé entre temps ? Est-ce qu’il avait lui-même témoigné ? Qu’est-ce qu’il avait dit ? Est-ce que Assia était encore là ? Est-ce que Daire était arrivée ? La sentence avait-elle déjà été prononcée ? Allez viens Sam, le Juge a terminé.

Quand il retourna dans la salle d’audience, Daire était là. Sam ne savait pas depuis combien de temps, peut-être qu’elle était là depuis le début, mais ce fut le premier visage qu’il vit, là pas très loin de lui. Daire avait le visage en miette, elle était brisée, couvertes de tâches bleutées, signe de son passage à tabac. La couleur des coups. Elle avait bien menti, au téléphone. Mais il le savait pas. Ca n’empêcha pas son coeur de marquer un long arrêt, lui et tout ceux autour. C’était comme si on avait appuyé sur pause, il n’y avait qu’elle et lui pour se regarder au milieu d’un tableau figé, d’un tableau bordélique et figé. Sam ne bougeait plus, planté là sans aucune force ni ambition, sans même savoir ce qu’il foutait, et pourquoi. Pourquoi faire tout ça ? Pourquoi avoir pris cette décision. Ce qu’il laissait derrière lui était trop important, trop énorme. Il devait se dégonfler, maintenant. Mais déjà, Connor le tira par le bras pour le faire avant, et Sam ne la quitta pas des yeux jusqu’à retrouver le joli fauteuil en cuir très confortable. Le Juge s’installait également.

Monsieur Samih Scully, né le 12 avril 1990 à Cork, Irlande. Pour les chefs d’accusations suivants : kidnapping, usage de stupéfiants, menace sur agent à l’arme blanche et viol des règles de sa conditionnelle, vous avez plaidé coupable. Les juges vous jugent également coupable. Premier arrêt sur image. Quant à la peine, je la fixe à 8 ans, vous pourrez faire une demande de libération anticipée à la moitié de cette période. Votre peine prend effet immédiatement. Vous purgerez votre peine à Coastal State Prison. Coup de marteau.

Rien d’autre.
Juste ça. Comme ça. De cette manière.
Huit ans.
Huit ans.

Y avait un scénario qu’il n’avait pas anticipé, c’était celui-ci. Celui où son plan fonctionnait trop bien. Où il faisait un coupable idéal. Où il prenait huit ans ferme, sans sursis, rien. Huit ans. S’occuper de JJ, ça prendrait quoi ? Une semaine ? Après ça il en resterait encore 416. Huit ans. Quand on vous annonce ce genre de nouvelle, généralement on se met à calculer. On aura 36 piges. Il inspira profondément.

Huit ans. Le choc était trop brutal pour qu’une réaction suive. Comme si le circuit était coupé. Comme si le coup de marteau avait heurté son lobe frontale et non la table. Connor se tourna vers Sam désamparé et l’aida à se relever. Il parlait, là, juste devant lui avec son haleine de chewing-gum à la nicotine, mais Sam n’entendait rien. Comme s’il s’était trouvé au milieu d’une explosion. Des policiers attrapèrent l’une de ses manches pour le tirer vers la sortie. Il sortaient des menottes. Sam ne pouvait pas lutter, il ne pouvait rien faire, il avait l’impression d’être bourrée. L’impression d’être dans une tempête et de se faire arracher de tous les côtés par des bourrasques.

Jusqu’à ce que la bourrasque ne l’emmène jusqu’à Daire. Debout, au milieu de la foule qui sortait. Sam pris congé des flics une minute. Il fonça vers elle. Il fendit la foule avec une force juste retrouvée. Une force qui électrisait tout son être. Il fonçait droit sur elle, jusqu’à entrer en collision. Ses mains autour de son visage cassé, il embrassa ses lèvres sans même hésiter une seconde. Les flics étaient à sa suite, les menottes en main, ils le tirèrent longuement en arrière jusqu’à ce qu’il la lâche enfin, arraché à elle, tellement qu’il avait l’impression de s’être collés à la glue. Et pendant qu’on lui passait les menottes, il la regarda, un sourire presque paisible sur les lèvres, et l’émotion au coin de l’oeil : C’est toi qui est en charge maintenant Daire. Qu’il annonça, sans qu’elle ne puisse discuter. Il avait trop confiance en elle, et sans doute que ça la tuerait. Il n’hésitait jamais à faire reposer quoi que ce soit sur ses épaules, puisqu’il savait qu’elle resterait debout. Il ne se préoccupait pas des conséquences, puisqu’il la pensait infaillible. Et pourtant y avait une chose qu’elle ne pouvait pas arrêter, qu’elle ne pouvait pas prévoir. Une seule : Je t’aime. qu’il balança presque avec légèreté, avant de se faire embarquer par la police, sonné.
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Daire Méalóid

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MessageSujet: Re: long shot (dairih)    long shot (dairih)  EmptyLun 16 Juil - 3:47

10h au tribunal, t’oublie pas. Comme si ça pouvait s’oublier, que la personne la plus importante de son existence se retrouve mise en charpie par une justice lapidaire. Putain d’système à la con. Elle se tient en retrait sur les marches du tribunal, observant l’effervescence des uniformes et des citoyens se faire un chemin à travers la cohue, à travers les journalistes aussi. Dégoûtée du spectacle auquel elle assiste, de cet intérêt vulgaire pour une histoire d’enlèvement qui n’a jamais eu aucun sens. Des rapaces prêts à se battre pour leur carcasse, sans savoir qu’ils s’alimentent d’un mensonge sans vergogne. Elle tire nerveusement sur sa clope, ne tient pas en place et piétine la marche sur laquelle elle fait du surplace. Elle est arrivée bien avance, comme si ça lui permettrait de revoir son visage plus tôt – des espoirs vains qui lui rongent l’estomac au point qu’elle n’ait rien avalé depuis la veille. Elle n’a rien de tangible auquel se raccrocher, si bien qu’elle est venue à se demander si tout ça en valait la peine, cette nuit. Elle aspire une nouvelle bouffée qu’elle aurait voulu salvatrice mais qui condamne simplement son trépas, avant de la relâcher vers le ciel sans nuages. Un profond soupir l’ébranle et elle s’élance vers la masse populaire, ne cherchant pas à jouer des coudes pour ne pas recevoir les mêmes coups en retour ou des regards noirs. Elle n’a pas le droit à l’erreur ici, pas le droit de se faire remarquer, de se faire éjecter. Elle ne se le pardonnerait jamais, si elle en vient à manquer son jugement. Sauf que toute la difficulté réside dans sa figure commotionnée, qu’elle n’a pu camoufler. À d’autres les bons soins de masquer leurs blessures sous du maquillage, l’irlandaise n’est pas de cette trempe – plutôt de celle d’affronter le monde en lui montrant qu’elle porte les marques qu’il se plait tant à lui infliger. Si elle est passée inaperçue parmi les autres personnes, c’est une autre affaire devant le poste de sécurité. Elle sait qu’on la remarque de loin, il suffit de se rendre compte des regards des agents de sécurité braqués sur elle. Des murmures qui enflent entre eux, que les badauds les plus près entendent assez bien pour se retourner vers la concernée. Elle n’apprécie guère cet amas d’attention soudain, aussi dérangeant que malsain, comme si elle était subitement devenue une bête de foire. Elle serre les poings dans le fond de ses poches, se retient d’abattre tous ces abrutis sous ses insultes, et se contente donc de les terrasser de son regard orageux. Lâche pas. Pas maintenant. Sa mâchoire se contracte quand vient son tour, essayant de se faire la plus tranquille possible ; mais lorsqu’elle montre ses mains et qu’elle s’apprête à traverser le portique, une main heurte son buste d’un geste prompt et la collision se répercute jusqu’à la blessure juste en dessous. « Tu ne passes pas. » Daire fronce les sourcils, se retient péniblement de ne pas faire de vague. « Pourquoi ? J’suis réglo. » Le type la regarde comme si la raison était évidente mais devant l’inertie de sa victime, il désigne l’ensemble de sa personne avec son menton. « On ne veut pas de problèmes ici. Dégage. » What the hell ? « Quoi ? J’viens assister à l’audience d’mon ami. J’ai tous les droits d’être ici ! » Le gardien se saisit de son bras et la secoue un peu en la poussant vers la sortie, l’air de lui montrer qu’elle n’a pas à contester son ordre. L’injustice de la situation lui crève ses bonnes volontés, foudroyée par la mauvaise foi d’une autorité qu’elle exècre tant. Il lui en faut beaucoup, pour se retenir de l’insulter, d’éclater son poing dans sa gueule et de finir en garde à vue pour la nuit. Il ne se rend pas compte de la tempête qu’il détient dans sa poigne de fer, de la bombe à retardement qu’il a enclenché. Tout ce qu’il voit, c’est un physique qui ne lui convient pas : de multiples ecchymoses sur le visage et des tatouages sur chaque parcelle de peau découverte. Un mélange qu’il assimile simplement à la délinquance, et cette comparaison la fait enrager. Il n’a aucune idée de l’ampleur de la violence qu’il a sous les yeux, aucune idée de ce qu’elle a subi dans l’ombre de ladite justice qu’il protège. Elle ne les a pas cherchés, ces balafres – n’a même pas réussi à se défendre suffisamment pour les éviter. Ça la tue d’autant plus qu’on la condamne aussi futilement sous le couvert d’une apparence dérangeante ; ce n’est pas comme si elle cachait une bombe dans la plaie de son bas-ventre ou que les contusions sur son corps étaient contagieuses. « Lâche-moi ! » L’agitation commence à se faire palpable, son seuil de tolérance est au bord de la déflagration. Son regard dérive vers l’heure affichée sur la pendule du mur d’en face, elle réalise que l’audience a commencé, et ça l’énerve de savoir que Samih se trouve dans une pièce entouré d’inconnus sans pouvoir se raccrocher à son visage. « Allez, p’tain ! Il m’attend ! » J’ai promis. Promis d’être là. T’as aucun droit d’m’arracher à ma promesse. Aucun droit d’m’empêcher d’le voir une dernière fois avant qu’ça soit trop tard. L’homme la secoue encore plus fort en lui ordonnant de se calmer avec sa voix sortie des tréfonds d’une caverne, ce qui termine d’attirer l’attention vers eux. Ce qui suffit à lui faire ressentir une gêne au niveau de son ventre, son corps n’a pas encore retrouvé toute sa résistance et il est hors de question qu’elle tombe en défaillance dans ce couloir au milieu des badauds à la curiosité malsaine. Une femme se détache du poste de sécurité pour les rejoindre, demande ce qu’il se passe. Daire lui explique rapidement qu’elle vient assister au jugement de Samih Scully, que son collège l’a mise en retard et qu’elle est profondément blessée de ce traitement irrégulier. Pas d’insulte, pas d’envolée gaélique, pas de mâchoire contractée – simplement la vérité, bien tournée pour qu’elle puisse avoir son passe-droit. Et ça marche, la femme la raccompagne vers le portique, s’occupe des formalités de la fouille et la laisse rejoindre l’instance.
 
Le monde à l’intérieur de la salle la surprend, tous ces visages d’inconnus venus assister à la sentence d’un innocent la révulse et elle sent la bile lui monter à la gorge. Respire, putain. Elle a manqué le début, manqué la bonne place, manqué de pouvoir apercevoir son visage qu’elle ne peut distinguer en se retrouvant ainsi cloitrée au fond. Alors elle se résigne, se fond dans les rangs pour trouver une place et se dit – espère – qu’elle aura sa chance plus tard. Elle a débarqué au milieu du discours de l’avocat de la défense et les mots qu’il prononce sont comme des projectiles qui lui mitraillent le cœur sans lui laisser le temps de retrouver sa respiration. Tous les termes utilisés pour désigner un homme qu’ils ne connaissent pas déclenchent en elle une envie de massacre, de destruction. L’envie de bondir au-dessus de la tête de ses salopards, de prendre la main de Samih et de casser d’ici, de cette ville, même de ce putain de pays qui n’a rien d’autre à leur offrir que sa poussière et son indifférence. Ses poings se serrent beaucoup trop fort sur ses cuisses, sa mâchoire se contracte par soubresaut à chaque martèlement de cette voix qu’elle ne supporte pas. « Assia Scully, sœur aînée de l’accusé » Son corps se redresse subitement, les muscles tendus à se rompre, la circulation du sang définitivement coupée dans ses poings. « C’est une blague ? » Les têtes qui l’entourent se retournent vers elle en lui soufflant de se taire, alors qu’elle les regarde prête à leur arracher la peau du visage devant autant d’indifférence à ce que la sœur de l’accusé doive témoigner contre lui. Putain d’Amérique qui n’tourne pas rond. Elle entend le discours de la sœur de Sam avec la même impuissance dans laquelle il doit se trouver, en imaginant difficilement les émotions qui doivent s’entrechoquer dans sa cervelle fracassée pour devoir assister à cette condamnation publique. Cette trahison, même. Tous les mots qui s’enchaînent lui donnent envie de hurler, de lui faire comprendre qu’elle ne connait rien du Sam qu’elle a laissé derrière elle – qu’elle n’a aucun droit à témoigner contre lui, pas alors qu’elle s’est faite la malle en le laissant à la dérive. « Il faut qu’il aille à l’hôpital. Sam faut que… tu te fasses soigner. » Elle se lève presque de son banc, transpirant la colère par tous les pores de sa peau. « Mais quelle connasse » Une main la tire en arrière pour la forcer à se rassoir au milieu des mêmes regards désapprobateurs tandis que quelqu’un lui dit ouvertement de fermer sa gueule. Elle entend les approbations autour d’elle, les murmures des personnes qui valident le discours d’Assia dans un enjouement rageant. Ils n’ont aucun droit, aucun.
 
L’audience est levée, dans l’attente du jugement. Les gens autour d’elle s’amassent vers la sortie pour prendre l’air avant de se féliciter d’avoir pu faire condamner un autre innocent, un délinquant qu’ils disent si bien. Daire se retrouve portée par le flot malgré elle, jusqu’à ce qu’elle aperçoive le visage de la sœur de Samih s’éloigner. « Assia ! » elle appelle une première fois, n’en a rien à faire des coups de coudes qu’elle donne pour se frayer un passage vers elle. Le vacarme des discussions surplombe sa voix, mais quand elle gueule le prénom une deuxième fois tout le monde se retourne vers elle – même la concernée. Leurs regards se percutent d’une force qui aurait pu faire trembler les murs du palais de justice et aucun mot ne pourra certainement suffire à décrire le ressenti de chacune. La rouquine se précipite vers elle mais se trouve rapidement bloquée par un avocat, l’obligeant à se hisser sur la pointe de ses pieds pour crier par-dessus son épaule. « Pourquoi t’as fait ça ? Il l’mérite pas ! » Des bras l’encerclent, tentent de l’éloigner. « Vous êtes en train d’agresser un témoin, mademoiselle. Cessez sur le champ ou je serais contraint de vous faire arrêter. » Elle serre les dents, se retient de lui mordre le bras à celui-là. Elle ne regarde qu’Assia – Assia qui l’observe sans broncher, qui ne lui dit aucun mot. Qui n’a qu’un air pitoyable sur le visage, avant de lui tourner le dos et de se précipiter vers la sortie. « C’est ton frère, merde ! C’est ton propre frère qu’t’as condamné ! » Ses paroles se perdent dans le vide, entre les corps amassés autour d’elle. On la relâche sans pour autant baisser la garder, prête à l’attraper s’il lui vient l’idée de courir après le témoin – mais Daire n’a plus d’attention à leur donner, et déjà elle retourne dans la salle de l’audience.
 
Elle est dans les premiers rangs cette fois-ci, prête à intercepter l’âme à la dérive de Samih. Prête à n’importe quoi, à vrai dire, et il lui faut toute la meilleure volonté du monde pour rester calme sur son siège. Ses prunelles céruléennes sont accrochées à la silhouette de l’égyptien, et elle donnerait n’importe quoi à cet instant pour pouvoir ressentir sa présence rassurante à ses côtés, pour pouvoir sentir sa peau contre la sienne et se perdre dans ses bras en oubliant que le sol ne cesse de s’effondrer sous ses pieds. « Monsieur Samih Scully, né le 12 avril 1990 à Cork, Irlande. Pour les chefs d’accusations suivants : kidnapping, usage de stupéfiants, menace sur agent à l’arme blanche et viol des règles de sa conditionnelle, vous avez plaidé coupable. Les juges vous jugent également coupable. » Son regard oblique brutalement vers le juge, sidérée que personne n’ait compris la supercherie. Qu’est-ce qu’il lui coûterait, là, maintenant, de se lever et de leur gueuler qu’ils se trompent tous, que ce sont des incompétents à la solde d’une société détraquée ? « Quant à la peine, je la fixe à 8 ans … » Elle n’entend pas la suite, n’en a pas besoin. La sentence est tombée en emportant son cœur dans la chute. Huit ans. Soixante-dix mille quatre-vingt heures. Putain d’cerveau d’merde. L’information tombe comme une peine capitale au creux de son âme, elle ne veut pas l’entendre mais pourtant il n’y a qu’elle qui tourne en boucle dans son encéphale au bord de l’agonie. Huit ans. Ses yeux cherchent Sam mais le monde s’agite autour d’elle, satisfait qu’une autre raclure de la société soit mise sous écrous. Daire se redresse trop vite, se hisse sur ses pieds pour l’apercevoir, étouffant dans tout un tas de choses qui lui donne envie de hurler sa haine au milieu de cette salle. Elle se retrouve emportée par la foule avant de se dégager sur le côté avant la porte de sortie, et c’est tout ce qu’il lui faut. Pour être la tempête et le phare en même temps, pour qu’ils se voient et que le temps se suspende. Elle n’entend plus l’agitation autour d’elle, ne perçoit que le corps de Samih qui vient se percuter contre le sien avec force en encadrant son visage abîmé avec la chaleur de ses paumes. Son corps gémit sous le heurt mais elle n’y fait pas attention, ses mains s’accrochent à sa nuque alors qu’elle lui rend son baiser avec toute la violence de sa passion. Elle ne réfléchit plus, ne veut pas penser au lendemain. Ne veut pas s’imaginer vivre une année sans lui, encore moins les sept qui doivent suivre. Elle a le sentiment cinglant qu’elle pourrait tuer n’importe qui pour le garder auprès d’elle, pour qu’on lui laisse son oxygène. Quand elle sent ses lèvres s’éloigner, puis son corps, ses mains glissent sur les épaules de Sam et viennent s’agripper vivement à ses bras. « Non ! » Les policiers sont obligés de s’y mettre à deux pour les séparer, et presque pour la retenir également. Elle s’agite dans les bras de l’un pendant que l’autre passe les menottes à Sam et ça lui donne envie de foutre le feu à cet endroit. Elle fronce les sourcils devant l’esquisse sur les lèvres de l’égyptien, ne peut s’empêcher de réprimer un sourire en échange quand il lui fait sa requête. « C’est toi qui est en charge maintenant Daire. » Elle a conscience qu’il ne lui laisse aucun choix, qu’il repose toutes ses attentes sur elle – et elle accepte ce fardeau sans rechigner, comme si elle l’avait attendu toute sa vie. Elle lui concède dans un hochement de tête, en essayant encore de se défaire de l’emprise du gardien. « Je t’aime. » Elle s’immobilise, le dévisage dans une surprise à peine dissimulée. Une chaleur nouvelle se diffuse dans tout son corps et elle essaie de tendre une main vers lui alors que le policier entrave encore ses mouvements. Elle n’a pas le temps de réaliser complètement, pas le temps d’y répondre, un autre gardien intervient pour la maintenir pendant que l’autre rejoint son collègue afin d’emporter l’égyptien loin d’elle.  « Non ! Sam ! » Elle donne un violent coup de coude en arrière, parvient à se libérer de l’emprise, et s’élance à leur poursuite. « Sam !! » son cri se percute contre les murs, alors que la force qu’emploie l’homme pour l’arrêter lui coupe le souffle. Elle est soulevée facilement de terre, embarquée dans la direction inverse.
Je t’aime, qui résonne dans son crâne à lui en faire mal. Je t’aime, qu’elle aurait dû lui répondre, qu’il n’entendra jamais. Emporté avant qu’elle n’ait le temps de lui dire, qu’elle l’aimait aussi. Révoltée de cendres, éjectée sur le parvis sous le sourire satisfait du gardien qui avait essayé de la virer avant l’audience.

- rp terminé -
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