1 ϟ Angel

Rafael ralentit la voiture au bout de la rue, avec lui sur le siège passager était installé un ami qu'il logeait depuis sa sortie de prison.

« Putain, c'est pas vrai... »

Le regard du latino s'arrêta sur le trottoir de droite, bientôt suivi par celui du brun à ses côtés.

« Luis, ven ! » beugla le père après avoir baissé la vitre électronique de droite.

Une petite bouille à la tignasse sombre et bouclée, un cartable presque trop grand sur le dos, sursauta tandis que trois pré-ado l'entouraient. Ils n'avaient pas l'air très clairs, c'est certain, des gosses de quartier qui traînaient les rues. Embarrassé, le petit Galvez eut l'air honteux tandis que les voyous, amis ou non, avaient l'air dérangés. L'ami de Rafael posa alors le coude contre la portière et lança une menace à la volée, son éternel gueule de dragueur provocateur sur la face, un sourire franc et finalement une tchatche qui avait si peu d'importance lorsqu'il adoptait une allure si désinvolte. Il avait dû les prévenir de faire attention à eux, de retourner dans leur bac à sable ou de laisser Luis tranquille. Et même si ce dernier n'était pas forcément menacé par ses drôles de fréquentation, du haut de ses huit ans seulement, il en profita pour s'extirper et gambader jusqu'à la voiture.

« Salut Khor ! » s'enthousiasma l'enfant en se hissant sur le siège arrière.

« Salut Angel »

Angel, c'était le surnom qu'il lui avait donné...


2 ϟ Un ami

« Allez, au lit ! »

C'était une soirée désorganisée : Khor, qui depuis qu'il avait récupéré son fils avait trouvé son propre appartement, était venu avec celui-ci pour le dîner. Après un court débat il avait été décidé que lui et son fils passerait la nuit à l'appartement de père et fils Galvez.

« Je peux dormir dans le canapé aussi... » avait dit Khai, le fils de Khor, alors qu'ils constataient ensemble qu'il n'y avait que le petit lit de Luis, le double de Rafael et un canapé à leur disposition pour la nuit.

« Mais non, il y a mon lit ! » s'était exclamé boucle brune en revenant dans le salon, vêtu de son pyjama coloré avec pour motifs des soleils dorés.

« Mais tu dors où toi alors ? »

« Bah dans mon lit ! »

« ... »

Sans avoir vraiment le choix, Khai s'était alors retrouvé dix minutes plus tard dans un matelas étroit avec à sa gauche occupé de le fixer un regard sombre et immense, si pétillants même dans le noir, qu'il témoignait une hyperactivité qui endormi promettait d'être turbulent.

« Hey Khai, tu me racontes une histoire qui fait peur ? »

« J'en connais pas... »

« Ok, alors moi je raconte ! »

Le plus grand enfant était resté silencieux, peu convaincu par l'histoire sans frayeurs que lui racontait Luis-Angel. Mais quand celui-ci se mit à lui sortir toutes les blagues puérils qu'il connaissait, il se décoinça enfin et pour la première fois il se mit à rire de bon cœur. Depuis que son père l'avait récupéré à l'internat, c'était plutôt rare... et même avant d'ailleurs.
Puis même s'ils firent du bruit en gloussant jusqu'à pas d'heures sous la couverture d'une personne, qui plus est contenant un nombre trop conséquent de peluches en tout genre, leurs pères ne vinrent jamais les gronder...


3 ϟ Où es-tu, Khor ?

« Ça fait quatre jours maintenant...»

Le garçon de onze ans avait l'épaule appuyée contre le mur, à côté de la seule et large fenêtre du salon de l'appartement de son père. Du haut de l'immeuble, il pouvait voir ce dernier en bas, si bas, occupé de s'agiter au téléphone, composant des numéros et faisant les cent pas.

Khai, lui, était assis sur le canapé, silencieux pendant que le cadet s'inquiétait.

« Papa passe son temps à appeler les mêmes personnes, je crois que ça sert à rien.»

Luis soupira et se redressa pour se tourner vers son ami. Il ne l'avait jamais vu aussi... ailleurs ? Peut-être autant que son père.


4 ϟ Mama

...Maman pense fort à toi, mon chéri. Je te fais dos millones de besos !

Tuuut tuuut tuuuut

Pour réécouter le message, appuyez sur un. Pour effacer, appuyez sur deux...

Le pré-adolescent restait planté devant le téléphone posé sur la table de cuisine, lui-même assis sur une chaise.

« Elle revient quand Maman ? » avait-t-il demandé à sa grand-mère derrière lui, occupée de terminer sa vaisselle pour ensuite se diriger vers le salon.

« Tu ne devrais pas l'attendre, concentres-toi sur tes études, c'est le plus important à ton âge »

Maintenant seul dans la pièce froide, le garçon avait continué à fixer son téléphone. Il recomposa le numéro de sa messagerie.

Salut mon cœur, excuses-moi de pas avoir su appeler plus tôt, maman est très occupée. Comment ça va à l'école ?


5 ϟ Échec scolaire

« C'est qui c'guignol ? »

« C'est Luis ! Haha ! Qu'il est con ! »

En haut du toit de l'établissement, un jeune homme vêtu d'un tutu rose et peinturé de toutes les couleurs tenait une pancarte avec dessus marqué un « Mother fucker » grossièrement écrit. Derrière lui, les silhouettes de ses soit-disant amis s'agitaient, alors que plus bas un attroupement de lycéens se réunissait.


6 ϟ Silence nocturne

Luis franchit la porte de la nouvelle maison de son père. Nouvelle vie, nouvelle ville et nouveau départ. Il était complètement saoul, le corps frôlant les murs. Mais il ne l'était pas assez pour ne pas retrouver le chemin vers sa chambre, ni pour croiser celle de Khai en passant, située avant la sienne le long du couloir. La porte était entrouverte, et seule la lumière de son bureau éclairait sur ses leçons et la silhouette du jeune homme penchée dessus.

Les paupières lourdes, le bouclé ne s'était pas rendu compte qu'il s'était appuyé contre l'encadrement de la porte pour l'observer silencieusement. Titubant à moitié, il s'était alors trainé jusqu'au lit de son ami, -et pratiquement fils adoptif de son paternel-, pour se laisser tomber sur ce matelas qui n'était pas le sien en silence. Sans rien dire de plus, il serra le coussin de Khai entre ses bras, puis il s'endormit.


7 ϟ Celebrity

« Moi c'est Britany, Britany Andresen »

« Comme les clopes ? »

« On peut dire ça comme ça... »

Le jeune homme sourit, le coude sur le bar, soudain intéressé par la blonde.

« Luis-Angel De Amézaga, peut-être que ça te dit quelque chose. Mon père est gérant d'une chaîne d'Hôtel en Espagne, du genre de ceux qu'on ne loupe pas quand on voyage avec un minimum de savoir vivre, je crois. »


8 ϟ Incertitudes

Luis-Angel se tenait sur le toit d'un restaurant, une vue imprenable sur la ville étendue devant lui. Derrière, des rires faux et des coupes pleines s'entrechoquaient sous une mélodie hypocrite mais vivante. Des affaires se concluaient, rien de bien intéressant lorsqu'on constatait le jeune âge des occupants, mais dans tous les cas on parlait d'argent, de modes et d'Instagram. Le mexicain n'avait pas sa place ici, il le savait, sauf que comme d'habitude il avait fait en sorte de ne pas être lui.

Luis-Angel était mort dans ces cas-là. Il n'avait pas d'avenir, pas de diplôme ni de but en particulier. Il n'était ce soir, comme chaque soir, qu'un homme sympathique avec qui il est agréable de parler. Qui s'adapte, qui flatte et qui sait retourner la conversation vers lui. Il était soit disant un riche héritier, ou bien le plus jeune photographe en vogue d'Europe, quelque chose comme ça...

Et tandis qu'il regardait les lumières en bas, il se demandait où se trouvait la sienne. Celle véritable qui n'était pas superficielle.


9 ϟ Amitié

« Luis, toi et moi on est potes ! »

Ça devait faire quatre ou cinq fois qu'il sortait en boite avec ce gars et sa bande. Complètement torché, celui-ci avait un bras autour de ses épaules.

« À à la vie à la mort, vieux ! »

Ils titubaient, un verre en main, non loin du bar où le bouclé s'était fait offrir sa boisson.

« Ouai, pa'ce que t'es un mec bien toi t'sais. T'vas aller loin dans la vie »

« Ouai, toi-aussi, t'vas aller loin »

« C'est genti' d'me dire ça, pa'ce que sous pretesste que mon père a d'l'argent, les gens croient que j'fous rien d'bien »

« Faut pas les croire Francis... »

« Boah moi c'est Erhan »

« Ah ouai... »


10 ϟ Bordel

Difficilement, le jeune homme sortit de la salle de bain encore en caleçon, un nombre incalculable de nœuds dans ses boucles sombres et les cernes d'une bonne gueule de bois sous les yeux. Gémissant d'inconfort, il traîna sa carcasse jusque dans la cuisine. Au milieu de celle-ci, l'attendait une jeune femme visiblement peu ravie, les bras croisés au milieu d'un bordel monstre : vaisselles dans tous les coins, déchets non jetés, poubelle débordée, vêtements et... un panneau de signalisation ?

« Oh, Cassie, t'es revenue d'tes vacances... » marmonna-t-il.

« On avait dit pas la cuisine ! »

Une paupière collée à celle du bas, l'autre œil plissé parce que trop de lumière, le mexicain mit un temps à comprendre de quoi elle parlait. Impatiente, elle s'insurgea.

« Le bordel Luis ! T'avais promis de faire attention ! »

« Ah... » Il haussa les épaules puis alla se chercher un yaourt dans le frigo. « Bah t'es virée de la colloque. » osa-t-il.