"Qu'est-ce que tu veux dire par j'suis dans les Hamptons ?"

Toujours des excuses de merde, Scar, à croire que ça devient une habitude chez elle. Ils ont dix-sept piges et c'est sans doute ridicule d'en attendre trop, de lui demander de lui offrir plus que ce qu'elle peut, un an après l'avortement. Juste un an, à peine plus. Juste un an et demi, à peu près, c'était l'été mais c'est pareil, ça fait trop peu de temps, c'est encore trop frais. C'est stupide, stupide, stupide, et un bout de lui qui se dit que leur couple ne tient que par l'opération du saint esprit. "C'est qu'une Saint Valentin" elle répond, elle a raison. Dix-sept printemps, y a plus important que s'offrir des chocolats sur un canapé en regardant un film avec Hugh Grant. Il ne sait pas pourquoi il prend ça à coeur, pourquoi il a envie de lui raccrocher au nez, pourquoi y a ses joues qui se piquent d'un léger carmin lorsqu'elle se justifie par une phrase aussi stupide que c'est qu'une Saint Valentin. Parce que ouais, c'est pas des conneries, c'est qu'une Saint Valentin, y en aura peut-être des dizaines d'autres à passer ensemble alors il ignore pourquoi ça le fait vriller à ce point, pourquoi il reste silencieux au bout du combiné, pourquoi il attend qu'elle dit allo pour réagir. "J'vais peut-être inviter Jess à la maison." Jess qui a été élue plus beau cul du lycée édition 2002 c'est méga subtil comme appel du coude. Il aimerait qu'elle soit jalouse, Scar, qu'elle saute dans le premier avion et le rejoigne, l'empêche de se taper la plus grosse pétasse du bahut juste parce qu'elle a froissé son ego. Il aimerait, vraiment, mais ça ne sort pas. Ce serait si simple, pourtant, admettre qu'il avait juste en tête de la rendre folle, qu'il ne le pense pas vraiment, qu'il ne coucherait jamais avec elle tant qu'il y a la rouquine dans son champ de vision. "Amuse-toi bien alors." On joue à se faire souffrir encore combien de temps ? On attend qu'y en ait un au sol, qu'il se vide de son sang ? "Pardon", première réplique sensée. Un silence. "J'l'inviterai pas, j'ai jamais aimé les blondes." Pas faux, ça changera peut-être. Elle ne répond rien, Scar, trop habituée à ses envolées, pas assez loin de lui pour ne pas percevoir les frémissements dans sa voix. "J'te tromperai pas." Il raccroche, pas envie d'entendre la réponse. Ça ne pourra pas être tellement plus glorieux que le amuse-toi bien dont elle l'a gratifié lorsqu'il a évoqué la possibilité de se taper une autre nana.

Il repose le combiné, se laisse tomber sur le lit en échappant un soupir. Y a Damon Albarn qui le nargue sur un poster scotché au plafond, se fout de lui comme s'il venait de dire qu'il préfère Oasis. "Ta gueule", faudrait qu'il se débarrasse de cette sale habitude de parler à des objets inanimés, à croire que Toy Story l'a traumatisé à vie. Et il entend soudain la porte de sa chambre grincer, se redresse sur le lit pour affronter l'intrus. L'intruse. "Tu fais quoi là Microbe ?" Microbe, il ne croit pas l'avoir déjà appelée autrement. Cinq ans qu'elle est là et cinq ans que c'est différent, en mieux. Jamais il ne lui montre, pourtant, grand-frère insupportable, jamais directement, les sourires trop souvent cachés dans des blagues de daron pour vraiment lui faire comprendre à quel point il tient à elle. Et pourtant. Pourtant y a pas une âme sur terre qui brille autant que Maxine, une gamine qui soit aussi lumineuse, aussi impossiblement parfaite, aussi fatalement indispensable. Il sourit quand il la voit s'approcher à pas de loup, se hisser dans le lit à côté de lui, les genoux qui glissent sur la housse de couette, il sourit et puis il rit lorsqu'il remarque qu'elle grimpe péniblement, musaraigne dans un monde d'éléphants. "Attends j'vais t'aider", les mains qui se glissent sous les bras de la fillette pour l'aider à le rejoindre. Il l'observe alors qu'elle s'installe, si petite et déjà toute remplie de manières princières, ses boucles brunes qui viennent se coller à l'épaule du frangin lorsqu'elle se blottit contre lui. "T'veux voir un flim ?" Rires, il peut pas s'en empêcher c'est plus fort que lui. Y a quelque chose d'extraordinairement mignon à la voir enchaîner les syllabes, échanger les lettres, parler à l'envers, dire n'importe quoi. "Non Max. C'est la fête des amoureux et y a même pas Scarlett, j'veux juste rester seul dans ma chambre, jouer à la GameCube..." Pas tellement plus d'idées, franchement. Y a qu'à voir le choix d'activités qu'il a, dans son grand appartement New-Yorkais. C'est pas les Hamptons, pour sûr. "On regarde Anastasia ?" Elle comprend rien, bordel. Foutu lutin, moulin à paroles. Il baisse les yeux vers elle, remarque qu'elle a levé la tête pour l'observer, en attente de son approbation. "Tu connais ce film par coeur, Microbe." Il est quasi persuadé que s'il voit de nouveau la scène où ils chantent en plein Paris, il est capable de faire un malaise. Et de ne jamais se réveiller, de surcroît. "Mais c'est un flim de zamoureux alors c'est bien non ?" Contre-argument impossible à battre, il jette l'éponge. L'avantage c'est qu'ils ont le DVD, si elle avait choisi Le Roi Lion il aurait dû brancher le magnétoscope. "Bon, ok. Ça veut dire que t'es ma Valentine, du coup ?" C'est à elle de rire, cette fois. A elle de laisser le son le plus mignon au monde sortir de ses lèvres. Et le baiser qui claque sur son front, sur ses joues, avant qu'il ne se lève pour allumer la télé. C'est sûrement la meilleure Saint Valentin dont il aurait pu rêver.