Elle est furieuse, plus que jamais. Complètement retournée par l'appel de Nash, elle n'arrive toujours pas à y croire. Partagée entre la douleur de savoir son ami là-bas, et la haine viscérale contre celui qui l'a envoyé là-bas. Elle ne l'a pas cru au début, et même encore maintenant l'information bloque dans sa tête. Pourtant, elle ne peut pas s'empêcher de repenser à leur dernière entrevue. Quand il a dit que Nash ne lui manquait pas, quand il n'a montré aucun sentiment face au fait que son ami soit enfermé là-bas. Elle l'a mal pris sur le coup, mais ça ne l'a pas travaillée plus que ça. Mais maintenant tout est différent. Maintenant elle a l'impression de faire face à l'horrible vérité. Et elle n'arrive pas à digérer. Elle tourne en rond dans sa chambre en attendant que Sid arrive. Il est deux heures du matin passés, mais elle n'a pas réussi à se décider avant pour l'affronter. Elle a cogité, des heures durant après avoir raccroché d'avec Nash. Mais elle ne peut plus attendre. Elle doit savoir, elle doit comprendre. Et surtout, elle doit lui faire payer. Il ne peut pas s'en tirer comme ça. Il ne peut pas les trahir et la décevoir autant et s'en sortir indemne. Nash en prison, par sa faute. Ça lui fait froid dans le dos. En réalité, ça lui fait plus de peine que ça ne l'a met en colère. Elle sent les larmes lui monter aux yeux, parce qu'elle entend encore la voix fatiguée de Nash, et tous les mots durs qu'il a voulu taire pour l'épargner. Il va mal. Et elle ne le supporte pas. Elle entend la porte de sa chambre s'ouvrir tout doucement, la voix de Sid qui l'interpelle. Elle se retourne, furie, et le mitraille du regard. Elle fronce droit sur lui et elle explose sans attendre. Elle voulait le mariner, le pousser à avouer, mais elle n'a pas la patience. Elle n'a jamais été douée pour ce genre de choses. Elle, elle rentre dans le tas, les deux pieds dans l'plat. Alors elle abat son courroux sur lui et les coups pleuvent de tous les côtés, elle ne s'arrête plus, les larmes qui se mettent à couler, mêlant frustration et hargne. — COMMENT T'AS PU FAIRE ÇA ? C'EST NOTRE AMI ! La désillusion est violente, la déception sans limite. Y a son cœur qui part en morceaux. Si même Sid n'est plus une valeur sure, alors qu'est-ce qui lui reste ? Elle cogne de plus belle, déchainée, hors d'elle. — TU M'DÉGOÛTES ! J'VEUX PLUS JAMAIS T'VOIR ! Elle voudrait que ce soit vrai, mais elle fait comment pour respirer s'il n'est plus là ?

Pas de réponse de Mads, rien d'autre qu'un viens au motel c'est urgent et y a son sang qui bouillonne, l'inquiétude qui grimpe en flèche. Il se cramponne au volant, passe en revue tous les cas de figure possibles et imaginables. Et si elle a un problème ? Et si un client a pété un câble ? Et si sa mère n'est pas rentrée ? Et si le motel a été vandalisé ? Et si on les a cambriolées ? Ou pire, braquées ? Il sait pas, il sait rien du tout et ça le rend fou.

Il est complètement angoissé quand il arrive au motel au beau milieu de la nuit, la marque de son coussin encore imprimée sur la joue. Il ne remarque rien d'inhabituel, grimpe directement jusqu'à la chambre de Mads. Pas un bruit suspect, pas de trace inquiétante, y a rien qui sort du commun et au final ça le rassure encore moins. Il tape à sa porte, n'obtient pas de réponse, entre quand même. La porte qu'il ouvre doucement et « Mads ? » qu'il appelle sans oser hausser la voix. Elle est bien là, et elle n'a pas l'air d'avoir de problème.

Sauf qu'elle lui fonce dessus.

Elle se met à le frapper, à pleurer. Assailli par trop d'informations en même temps il la dévisage d'un air hébété, ayant tout juste le réflexe d'utiliser ses bras comme remparts alors qu'elle s'acharne contre lui. « Mais qu'est-c'que tu fous ? » Elle n'écoute pas, elle crie. « COMMENT T'AS PU FAIRE ÇA ? C'EST NOTRE AMI ! » Et elle cogne encore, encore, encore. Tellement fort qu'il est sûr d'en garder des traces cette fois. « Hein ? Mais arrête ! » Il finit par réussir à attraper ses poignets, obligé de serrer pour la forcer à s'immobiliser. « TU M'DÉGOÛTES ! J'VEUX PLUS JAMAIS T'VOIR ! » Il comprend rien. Il la fixe, un peu abasourdi, totalement perdu. Les larmes qui maculent ses joues dorées, la fureur dans sa voix et ses gestes, la douleur au fond de ses yeux – elle va mal il le sent, mais il saisit pas ce qu'il a à voir là-dedans. « Calme-toi, s'il te plaît. Je comprends que dalle là. » Il a l'air dépassé, confronté à une crise qu'il ne s'attendait pas à gérer. Il pensait pas que l'urgence c'était lui, et il sait pas ce qu'il a fait pour mériter tout ça. Ses mains qui retiennent toujours les poignets de Mads mais se font plus douces, son regard inquiet qui se plonge dans le sien. « De quoi tu parles ? » Sa confusion est palpable et il a beau chercher rien ne vient – c'est qui l'ami en question, et il lui a fait quoi ? Il pense à Nash à cause de leur dernière dispute mais n'ose rien dire, il sait combien le sujet est dangereux, tranchant. Il l'a appris à ses dépends. « Pourquoi t'es dans cet état ? »

Il proteste, ne comprend rien et tente de parer ses attaques avec ses bras, mais il récolte quand même pas mal. Elle est déchainée, on dirait qu'elle ne va jamais s'arrêter. Et ça la bouffe de l'intérieur, elle ne supporte pas de ressentir autant de choses négatives à son égard. Sid a toujours eu une place de choix, il a toujours été le numéro un sur le podium, elle ne pensait pas le voir un jour dégringoler autant. Ça laisse un grand vide et elle ne sait pas quoi faire de ça. Il finit par attraper ses poignets pour l'obliger à s'arrêter, mais ça ne la calme pas ; au contraire. Elle se débat autant qu'elle peut, elle gesticule, tire, tente de le pousser, elle ne s'arrête plus. Son sang qui brûle à l'intérieur, qui l'oblige à rester en mouvements, l'envie de lui faire payer, de le réduire en charpies. — Calme-toi, s'il te plaît. Je comprends que dalle là. Elle voudrait lui hurler de ne pas se foutre de sa gueule, mais elle n'y arrive même pas. Les mots trop nombreux qui se mélangent dans sa gorge, qui se font étouffer par les insultes qu'elle grogne à moitié, sons incompréhensibles jetés à la volée dans ses respirations féroces. — De quoi tu parles ? Et ça l'insupporte de le voir réagir comme ça. Elle a la sale impression qu'il se fiche d'elle, qu'il joue les innocents pour tenter de sauver sa peau. Et elle ne l'accepte pas. — Lâche-moi, lâche-moi, lâche-moooi ! Qu'elle hurle, qu'elle ordonne ,qu'elle insiste. Elle tente même de le mordre pour l'obliger à la libérer. Elle veut le frapper encore, y a ce besoin viscéral d'extérioriser toute sa douleur. Les larmes ne suffisent pas. — Pourquoi t'es dans cet état ? Elle a envie de lui faire mal. Elle n'en a jamais eu autant envie. Elle arrête de s'agiter dans tous les sens, son regard sévère qui se plante dans le sien, l'orage qui gronde dans ses prunelles sauvages. — JE SUIS AU COURANT POUR NASH ! Je l'ai eu au téléphone aujourd'hui, il m'a tout dit Sid, TOUT ! Elle s'étrangle à moitié, les émotions qui obstruent sa trachée, les sanglots qui déforment sa voix. — Comment t'as pu faire ça ? Comment t'as pu l'trahir .. ? La colère qui retombe brutalement pour laisser place à un visage démuni. Dans ses yeux flotte l'incompréhension, et la douleur déborde de tous les côtés.

« Lâche-moi, lâche-moi, lâche-moooi ! » Même s'il tient bon elle continue à se déchaîner, s'agite dans tous les sens pour tenter de se libérer, essaie même de le mordre. Il tient bon même si ça lui coûte de serrer ses poignets comme ça, au point de s'en faire mal aux jointures – il laissera sûrement une trace sur sa peau et ça lui noue la gorge. « Mais arrête putain ! » Il est obligé de lui faire mal et ça l'tue, il voudrait juste qu'elle se calme, qu'elle explique. Il insiste, transpercé par les éclairs qui ont élu domicile dans les yeux de Mads. « JE SUIS AU COURANT POUR NASH ! Je l'ai eu au téléphone aujourd'hui, il m'a tout dit Sid, TOUT ! » Il se fige.

Tout quoi ?

Il a beau chercher il ne comprend pas, Nash n'a rien de compromettant sur lui – à part peut-être leur dispute ridicule, la haine qu'ils se sont crachés par messages interposés. De quoi les engueuler ou se moquer d'eux peut-être, mais pas se mettre dans un état pareil. Alors quoi ? « Comment t'as pu faire ça ? Comment t'as pu l'trahir ..? » Y a ses yeux emplis de larmes et sa voix saturée par les sanglots, la douleur qu'il sent émaner d'elle et se loger jusqu'au creux de ses os. « Je.. Quoi ? » Le trahir ? Il est tellement déconcerté qu'il finit par la lâcher, la dévisageant un moment comme s'il cherchait une réponse dans son regard. Et puis il baisse la tête, remarque les traces rouges qu'il a laissées sur ses poignets quand il a tenté de la calmer. « Merde.. pardon.. » Ça fait des nœuds dans son bide et il les attrape à nouveau, doucement cette fois-ci, son pouce qui trace des arcs de cercle sur les marques. Ses prunelles reviennent s'accrocher aux siennes, ses sourcils se froncent. « Comment ça j'ai trahi Nash ? » Il n'a jamais rien fait contre lui, à part peut-être cracher son venin, et laisser planer son animosité devant Mads. Rien de plus. « Il t'a dit quoi au juste ? » Il comprend pas. C'est Mads qui n'a rien compris ? C'est Nash qui a menti ? Il sait bien qu'ils se sont bouffé la gueule – par message en plus, c'est pathétique – mais de là à retourner Mads contre lui, ça lui paraît gros. Il le pensait pas capable de ça. Il veut pas y croire, ça serait trop bas. « Faut que tu m'expliques tout correctement, parce que j'patauge là. »

Elle ne sent même pas les mains de Sidney autour de ses poignets. La douleur interne est bien plus forte, elle annihile toutes les autres. C'est la première fois qu'elle ressent un truc pareil, elle ne sait pas comment le gérer, elle ne sait pas comment réagir. Elle finit par cracher le morceau, elle crie d'abord, mais rapidement sa voix retombe sous le poids de son désarroi. Et elle se heurte au regard perdu de Sidney, il n'a pas l'air de comprendre, il a l'air pris au dépourvu. Mais elle ne le croit pas. Tout son corps tremble de haine contre lui, son cerveau qui fait blocage et qui lui répète : te fais pas avoir Mads, c'est qu'un connard. Et ça lui tranche le cœur. — Je.. Quoi ? Ça l'insupporte. Ses yeux qui se lèvent au plafond, dans un mouvement excédé. Elle s'apprête à lui dire d'arrêter son petit manège, de ne pas la prendre pour une conne, pas plus qu'il ne l'a déjà fait ces derniers temps. Depuis que Nash est derrière les barreaux. Peut-être même avant ? Mais il la relâche et ça la coupe dans son élan. Elle a envie de le gifler, de lui décrocher la tête. Et lui, il reste tout pataud devant elle. Mais ça ne marchera pas ce soir, ça ne marchera plus. T'es pas innocent Sidney, t'es pas un mec bien. La vérité qui éclate et ses entrailles avec. — Merde.. pardon.. Elle ne comprend pas au début. C'est quand il revient saisir ses poignets, avec sa délicatesse légendaire - mais qui aujourd'hui lui brûle la peau - qu'elle saisit. Et ça la rend folle. Elle retire brutalement ses poignets et s'époumone à nouveau. — Arrête ! Arrête de t'excuser tout l'temps pour tout ! J'y crois plus, t'es un menteur Sidney. Elle recule d'un pas. — Et n'me touche plus. Qu'elle ajoute tout bas, ne supportant plus de l'avoir à proximité. Elle est dégoûtée. Et ça la tue. — Comment ça j'ai trahi Nash ? Il t'a dit quoi au juste ? Faut que tu m'expliques tout correctement, parce que j'patauge là. Elle échappe un ricanement nerveux, elle secoue sa tête de gauche à droite, l'air méprisant. Elle en a marre de ce petit jeu. Elle a juste l'impression qu'il essaye de sauver son honneur, de ne rien avouer tant qu'il ne saura pas ce qu'elle sait exactement. Peut-être qu'il a peur d'en dire trop, de révéler des choses qu'elle ignore encore. Et ça lui fait peur. — Il sait que c'est toi qui l'a vendu. Il t'a vu. Il.. J'en reviens pas. Je sais que t'es flic et que c'est important pour toi, mais je pensais pas que tu pourrais aller jusque-là. J'peux même plus t'regarder Sidney. Et pour appuyer ses propos, elle détourne la tête, malaxant sans faire attention ses poignets, simple réflexe. Elle part en cendres à l'intérieur, elle a l'impression de perdre ce qui compte le plus dans sa vie. Comment elle va s'en remettre ?

« Arrête ! Arrête de t'excuser tout l'temps pour tout ! J'y crois plus, t'es un menteur Sidney. Et n'me touche plus. » Elle recule, il n'ose plus bouger. La situation lui échappe comme Mads, la distance qu'elle rétablit entre eux, le vide qu'il a l'impression de voir se creuser. Entre eux y a comme un fossé et il l'a pas vu arriver, il a rien pu faire pour le combler. Il sait ni quoi faire ni quoi dire, paumé dans les relents de colère de dégoût de tristesse – y a toutes les émotions de Mads qui lui arrivent à la gueule et il n'arrive plus à faire le tri. Elle ricane et ça fait mal, elle le méprise et il voudrait hurler, la secouer, la forcer à tout expliquer. Ou peut-être qu'il aurait préféré ne pas savoir, finalement.

« Il sait que c'est toi qui l'a vendu. Il t'a vu. Il.. J'en reviens pas. Je sais que t'es flic et que c'est important pour toi, mais je pensais pas que tu pourrais aller jusque-là. J'peux même plus t'regarder Sidney. » Il en a le souffle coupé, le corps qui se fige d'la tête aux pieds. Et il a beau répéter les mots dans sa tête rien n'y fait, c'est trop dur de les assimiler, les accepter, les digérer. « Tu te fous d'ma gueule là ? » Il voit que ça. C'est une mauvaise blague, une foutue caméra cachée. Elle va se mettre à rire et lui dire qu'il est con d'y avoir cru, qu'elle l'a bien eu.

Il attend.
Rien ne se passe.

Elle est sérieuse et il sait plus quoi penser. Y a un silence qui s'éternise pendant qu'elle se masse les poignets et il comprend, l'équation finit par se régler petit à petit. Si Nash l'a vu ça devait être lors de son arrestation, quand il est arrivé trop tard pour le prévenir, pour lui dire de se barrer. Si Nash a dit ça c'est sûrement qu'il y croit lui, et même si ça l'fait grincer des dents il comprend d'où ça vient, il sait pourquoi Nash le blâme même si ça fait mal. Mais Mads ? Elle a pas le droit, pas elle putain.

« Il m'a vu hein ? Tu veux savoir pourquoi j'y étais ? » Sa voix est aussi dure que ses traits, et au-delà de la colère c'est sa douleur qui est palpable. « J'ai appris qu'il allait s'faire arrêter et j'ai voulu le prévenir. Il me répondait pas ce con, alors j'y suis allé. Je suis arrivé trop tard. » Il déglutit difficilement, la gorge nouée rien que d'y repenser. Il n'a rien dit à Nash, n'a pas cherché à le contacter ensuite, trop écrasé par le poids de la culpabilité. Il a échoué. « Tu sais quoi, j'm'en fous qu'il puisse penser ça de moi, il fait ce qu'il veut ça me regarde plus. » Après tout leur amitié est fanée, morte et enterrée. Pas vrai ? Il sait pas, il sait plus vraiment et y a tout qui se mélange, tout qui fait bien trop mal. « Mais j'comprends pas comment toi tu peux croire un truc pareil. » Il voudrait se fâcher, la secouer, lui hurler que c'est faux jusqu'à ce qu'elle le croie. Mais sa voix est étranglé par la peine et cette colère, toute cette colère froide qu'il continue d'accumuler. Il est tellement furieux, tellement blessé qu'il n'arrive même pas à l'extérioriser. Tout est coincé.

— Tu te fous d'ma gueule là ? Non et c'est bien ça le problème. Elle aimerait, oui, elle aimerait tellement se foutre de sa gueule. Que tout ceci ne soit qu'une vaste blague de mauvais goût. Elle aimerait tellement. Elle ne dit rien, se contente d'essuyer ses joues trempées et de renifler. Elle tente de faire cesser le flot de larmes mais elle a du mal. Y a trop de choses retenues depuis trop longtemps qui profitent que les vannes soient ouvertes pour s'engouffrer, pour se rajouter au reste. Comme le souvenir fané d'un presque baiser avorté. Elle y avait cru la dernière fois, quand il s'était penché vers elle, pour finalement viser le front. Mais ce n'est pas le moment. Et puis de toute façon, elle s'en fout. Elle n'en veut pas de ces baisers, elle n'en a jamais voulu. Elle en est convaincue. — Il m'a vu hein ? Tu veux savoir pourquoi j'y étais ? Elle secoue la tête de gauche à droite. Non, elle ne veut pas savoir. Parce qu'elle ne veut pas entendre ses mensonges, ça ne fera qu'aggraver la douleur déjà fulgurante. Pourtant il se lance et elle le maudit. — J'ai appris qu'il allait s'faire arrêter et j'ai voulu le prévenir. Il me répondait pas ce con, alors j'y suis allé. Je suis arrivé trop tard. Elle ricane à nouveau, un truc tout bas, un truc fatigué. Elle continue d'essuyer les larmes qui refusent de s'arrêter et ça l'énerve. — Bien sûr.. Qu'elle souffle tout bas, refusant catégoriquement de le croire. Si Nash l'accuse d'une chose pareille c'est qu'il en est sûr, pas vrai ? Il n'a pas pu mentir ou se tromper sur un truc pareil. S'il avait eu des doutes, il ne lui aurait rien dit, rien avant d'être sûr. Elle en est persuadée. C'est quelqu'un de bien Nash. — Tu sais quoi, j'm'en fous qu'il puisse penser ça de moi, il fait ce qu'il veut ça me regarde plus. Elle fronce les sourcils, surprise de la froideur de ses propos. Elle relève enfin la tête vers lui, bras croisés sur sa poitrine et elle le dévisage, suspicieuse. Il se rend encore plus suspect à réagir comme ça, il en a conscience ? — Mais j'comprends pas comment toi tu peux croire un truc pareil. Elle y croit parce que tout semble concorder et tendre vers cette terrible réalité. Elle a essayé de ne pas y croire, elle a lutté, elle le promet. Mais elle n'a pas trouvé de failles dans cette théorie. Elle se rapproche un peu de lui, à peine, parce qu'elle ne veut pas lui donner l'occasion de la toucher à nouveau ; surtout pas de l'attraper. — Ça te regarde plus ? Si t'as pas vendu Nash, alors c'est quoi le problème hein ?! Elle reste persuadée qu'il l'a trahi, mais puisqu'il réfute, puisqu'il n'assume pas, elle veut savoir quelle est son excuse pour lui en vouloir comme ça. Elle n'est pas aveugle, ni stupide. Y a un problème entre eux. Et pour elle, c'est évident que c'est juste cette histoire de trahison. Mais elle veut voir jusqu'où il peut aller pour lui mentir. Jusqu'où il va la décevoir et lui faire ouvrir les yeux sur ce qu'il est vraiment. La chute est longue ; interminable.

« Bien sûr.. » Elle le croit pas il le sait il le voit, et c'est tellement douloureux qu'il a un peu de mal à respirer. Pourtant il laisse échapper un rire dans un souffle, un truc dénué de toute chaleur, qui exprime toute sa lassitude et sa déception. Il sait pas ce qu'il a pu faire pour tomber si bas dans son estime – au point qu'elle puisse le penser capable d'un tel acte. Il est lâche il le sait, mais il n'a jamais été un traître. « Wow. T'y crois vraiment. » Lui il a du mal, il est un peu incrédule. Mais de toute évidence elle a choisi où placer sa confiance, et c'est pas en lui.

Et il voit bien qu'il s'enfonce à se montrer si froid en ce qui concerne Nash, à mettre une distance qui peut paraître suspecte. Mais c'est plus fort que lui ; la situation ne fait qu'aggraver toute la rancœur qu'il avait déjà à son égard. Peu importe de quoi ça a l'air, de toute façon Mads l'a déjà condamné. « Ça te regarde plus ? Si t'as pas vendu Nash, alors c'est quoi le problème hein ?! » Elle s'approche mais il ne fait rien pour aller à sa rencontre cette fois. Il a déjà mal rien qu'à la regarder.

Il voudrait ignorer sa question, passer à autre chose, plaider sa cause ou même se tirer. Mais il veut pas abandonner sans se défendre, et il sait qu'elle ne croira rien tant qu'elle comprendra pas ce qui se passe entre lui et Nash. Il hésite pourtant, il veut pas l'dire, il veut pas avouer. Mais au point où il en est, un peu plus ou un peu moins, y a tout qui semble l'accabler. « C'est toi l'problème. » C'est pas vraiment ce qu'il voulait dire, les mots sont sortis sans qu'il puisse les contrôler et maintenant il a plus qu'à faire avec. « On s'est engueulés à propos de toi, ok ? Ça faisait des mois qu'on se parlait plus quand il a été arrêté. » Il est toujours aussi froid et c'est si loin de la personne qu'il est habituellement, le contraste est trop violent. Mais c'est soit ça soit l'explosion, alors il préfère se contenir pour limiter les dérapages. « Alors même si c'est qu'un gros con de croire ça, je comprends pourquoi. Mais toi t'as aucune excuse. » Il fait un pas vers elle sans vraiment s'en rendre compte, son regard plongé dans le sien, tellement sombre qu'on voit plus rien à travers. La douleur et la colère ont rongé toute sa lumière. « Si tu penses vraiment que j'ai fait ça, que j'l'ai trahi, vas-y dis-le. Frappe-moi même, si tu veux. » Et ses yeux la défient autant qu'ils la supplient, parce qu'il donnerait tout pour qu'elle change d'avis, pour qu'elle croie un peu plus en lui.

— C'est toi l'problème. Bam.

Elle accuse mal le coup, l'impression que le sol se dérobe sous ses pieds et qu'elle perd l'équilibre. Ses yeux qui s'arrondissent de surprise et elle le dévisage, stupéfaite. Elle ? Elle devient nerveuse et les parois de son palpitant s'effritent un peu plus, comme du granit. S'il continue sur cette voie, bientôt il n'en restera plus rien. Elle est figée, muette. Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire de si terrible ? — On s'est engueulés à propos de toi, ok ? Ça faisait des mois qu'on se parlait plus quand il a été arrêté. Encore une fois, elle tombe de haut. Elle n'a rien vu. Bien trop auto-centrée pour ouvrir les yeux sur les autres. Comment ont-ils pu s'engueuler à cause d'elle sans qu'elle n'en sache rien ? Comment a-t-elle pu rater un truc aussi énorme ? Mais surtout ... pourquoi à cause d'elle ? Elle n'a pas le souvenir d'avoir fait quoi que ce soit de mal à l'un ou à l'autre. Elle ne voit pas le rapport entre elle et eux à vrai dire. Tellement à mille lieues de la réalité. Ses larmes sèchent enfin, son cerveau qui se fait distraire par ce nouveau problème. Ses yeux qui s'agitent et qui se posent un peu partout dans sa chambre alors qu'elle essaye d'assembler le puzzle dans sa tête. Mais elle n'y arrive pas, il manque trop de pièces. — Alors même si c'est qu'un gros con de croire ça, je comprends pourquoi. Mais toi t'as aucune excuse. Elle relève la tête, encore brusquée par ses mots. Elle le voit s'approcher et même si elle voudrait reculer, elle ne bouge pas. Son regard qui croise le sien et y a tout qui se fendille en elle. Elle ne l'a jamais vu comme ça, dans cet état. Elle ne le reconnait pas et ça la perd encore plus. Elle ne sait pas quoi en penser. Est-ce qu'il est révolté contre elle, contre ses accusations parce que tout ceci n'est qu'un mensonge ? Ou est-ce que c'est juste le masque qui tombe enfin ? Et cette pensée lui troue le bide. C'est trop dur à accepter, elle n'peut pas. Pourtant, Nash en est convaincu. — Si tu penses vraiment que j'ai fait ça, que j'l'ai trahi, vas-y dis-le. Frappe-moi même, si tu veux. L'hésitation est brève, deux secondes tout au plus. Et la gifle part, à en décrocher des mâchoires. Et à nouveau elle s'étrangle sous le coup de l'émotion, les poings serrés et les yeux humides. — Je n'sais pas c'que j'crois ! J't'ai défendu au début, j'te jure que je n'y ai pas cru, j'pouvais pas croire ça. Mais il est sûr, il le sait. Et t'as rien fait pour que je remette sa parole en doute, rien ! Je.. je n'sais plus quoi penser à vrai dire. Elle passe ses mains dans ses cheveux et s'éloigne de lui pour venir s'asseoir sur le bord de son lit, complètement anéantie par le cours des évènements. — Pourquoi ? Pourquoi vous vous êtes disputés à cause de moi ? J'veux savoir. Et pourquoi tu m'as rien dit avant ? Elle ne comprend pas, elle croyait qu'ils n'avaient aucun secret l'un pour l'autre. Elle ne le reconnait plus depuis quelques mois. A moins que ce ne soit elle qu'elle ne reconnaisse plus.

À peine le temps d'une inspiration et déjà la gifle fend l'air, brûle sa joue. Son visage qui se détourne sous l'impact, ses mâchoires qui se contractent.

Elle pense qu'il l'a fait.

La douleur sur sa peau n'est rien comparée à celle qui étreint sa poitrine et le bouffe de l'intérieur, faisant trembler ses fondations. « Je n'sais pas c'que j'crois ! J't'ai défendu au début, j'te jure que je n'y ai pas cru, j'pouvais pas croire ça. Mais il est sûr, il le sait. Et t'as rien fait pour que je remette sa parole en doute, rien ! Je.. je n'sais plus quoi penser à vrai dire. » Il ne répond rien – il peut pas il peut plus, il en a plus la force. Il se contente de passer une main sur sa joue meurtrie, se tournant à nouveau vers elle alors qu'elle se dérobe pour aller s'asseoir sur le lit. Peu importe ce qu'elle croit au final, elle doute et c'est déjà trop. Elle devrait pas. À sa place, il n'aurait pas douté.

« Pourquoi ? Pourquoi vous vous êtes disputés à cause de moi ? J'veux savoir. Et pourquoi tu m'as rien dit avant ? » Il voudrait se défiler, esquiver la question ou trouver une excuse, lui jeter un os sur lequel elle pourrait se jeter pour qu'il ait la paix. S'il était dans son état normal, il le ferait. Sûrement même qu'il s'excuserait, s'adoucirait, ramperait à ses pieds pour qu'elle accepte de l'écouter. Mais pas ce soir, pas cette fois. Elle l'a tiré du sommeil pour le jeter dans un champ d'bataille et les blessures s'accumulent à toutes les autres, toutes celles qu'il n'a pas pansées. La colère de la dernière fois revient au galop et c'est pire que tout, il n'y a rien pour la contrer, rien pour l'apaiser. Il se sent accablé, trahi, condamné – tout ça alors qu'il n'a rien fait. « Parce que tu comprends rien. » Ça sonne trop sèchement mais il ne s'en rend même plus compte, trop perdu dans ses propres tourments. « Tu veux vraiment savoir ? » Son regard est noir. Il n'attend pas de réponse, enchaîne directement. « C'était après que tu m'aies embrassé. J'avais la rage, c'est lui qui a pris. » Et il s'est bien défendu, Sid n'a toujours pas digéré. Il sait que Nash non plus.

Il la regarde, serre les dents, serre les poings. « J'l'ai pas fait. J'l'ai pas trahi putain. » Ça le met hors de lui qu'elle puisse douter à ce point. Il voudrait hurler, scander son innocence encore et encore jusqu'à ce qu'elle finisse par le croire. « C'est quoi ton problème à la fin ? Pourquoi tu m'crois pas ? J'ai fait quoi pour mériter ça ? Allez Mads, dis-moi. » La rancœur au bord des lèvres il étouffe, les non-dits s'amoncèlent contre sa bouche et il voudrait tout cracher, tout avouer pour enfin avoir la paix. « Si c'est vraiment l'opinion que t'as de moi, j'vois même pas ce que j'fous là. Vaut mieux que je m'en aille. » Et déjà il lui tourne le dos, prêt à partir. C'est la sortie des lâches – il veut fuir.

— Parce que tu comprends rien. Elle fronce les sourcils. Comment ça elle ne comprend rien ? Ça veut dire quoi ça ? Elle l'interroge du regard, toujours aussi sévère. — Tu veux vraiment savoir ? Son ton, son regard et la menace qui plane ; elle tremble. Non, elle ne veut plus savoir finalement. Mais elle n'a pas le temps de faire opposition, déjà le couperet tombe. — C'était après que tu m'aies embrassé. J'avais la rage, c'est lui qui a pris. — J't'ai pas embrassé. C'est plus fort qu'elle, comme un réflexe de survie. Elle baisse les yeux, honteuse, paniquée. Elle sait déjà qu'il ne va pas apprécier. Et elle bloque tout dans sa tête, c'est comme une grande muraille qui se dresse pour bloquer ses révélations. Ne pas y penser, ne pas y réfléchir, ne pas analyser, ne pas se poser de questions. Ses morts se heurtent à sa forteresse et partent en morceaux, il n'en reste déjà plus rien, elle a tout balayé avec une indifférence bien simulée. Le déni qui refait surface, qui règne en maitre absolu sur son cœur menteur. — J'l'ai pas fait. J'l'ai pas trahi putain. Elle veut le croire. Elle n'y arrive toujours pas. Y a rien qui l'aide Sidney, rien qui fait pencher la balance de son côté. — C'est quoi ton problème à la fin ? Pourquoi tu m'crois pas ? J'ai fait quoi pour mériter ça ? Allez Mads, dis-moi. Elle panique, il pose trop de questions et elle n'a pas les réponses. Alors ça la remet en colère, contre lui, contre elle, contre ce fichu cerveau qui refuse de fonctionner correctement. Et elle balbutie, hargneuse et désemparée à la fois. — Mais j'sais pas, Nash était si sûr de lui, pourquoi j'l'aurais pas cru ? Il a pas d'raison de me mentir non plus. J'ai juste envie d'vous croire tous les deux. Mais elle ne peut pas, faut qu'elle fasse un choix et elle n'y arrive pas. Et Sidney perd patience, blessé, comme encore jamais auparavant. Elle n'arrive pas à l'assumer. — Si c'est vraiment l'opinion que t'as de moi, j'vois même pas ce que j'fous là. Vaut mieux que je m'en aille. Ah c'est comme ça ? Son regard de fauve qui se pose dans son dos et déjà elle hurle. — C'est ça casse-toi j'm'en fous ! Le hic ? C'est qu'il se tire vraiment. La porte qui s'ouvre et qui claque derrière lui et Mads panique. Il n'a jamais fait ça. Il n'est jamais parti comme ça. Alors, elle prend peur. Parce qu'elle voit que ce n'est pas comme d'habitude, pas une simple dispute superficielle qui se finira comme toutes les autres et qu'ils oublieront. Non, c'est bien plus que ça cette fois. Elle retient un cri aigüe et elle se lève d'un bond, elle se précipite dehors et lui court après ; elle ne l'avait encore jamais fait. — SIDNEY ! Elle le rattrape rapidement, il n'avait pas encore eu le temps d'aller très loin. Son cœur qui cogne dans sa poitrine, si fort que ça fait mal. Elle arrive dans son dos mais n'ose pas le toucher pour l'empêcher de filer. Elle espère que les mots suffiront. — Pars pas... Elle a trop peur qu'il ne revienne pas. Qu'il ne revienne plus. Et ça la frappe de plein fouet. Elle ne peut pas vivre sans lui.

« J't'ai pas embrassé. » Encore une fois elle nie. Il est pas surpris, juste lassé de faire face à toute cette mauvaise foi. Et si d'habitude il laisse faire sans trop broncher, ce soir il n'a pas envie de l'épargner. « Si. Tu m'as embrassé. Assume pour une fois, merde à la fin. » Faut croire qu'elle est trop bloquée pour ça, enfermée dans sa tour d'ivoire, souveraine d'un royaume de pacotille qu'il lui a pourtant offert sur un plateau d'argent. C'est sûrement un peu sa faute – à tout lui laisser passer sans broncher, elle en a peut-être oublié que ses actes avaient des conséquences.

Il est fatigué, éreinté de tout ce qu'il endure psychologiquement, tout ce qu'il ravale à longueur de temps. Bien sûr il sait qu'il est le seul à blâmer, qu'il devrait parler au lieu de se renfermer, mais il n'y arrive jamais. Il a trop peur, comme un putain de gosse tétanisé. Il commence à le regretter. « Mais j'sais pas, Nash était si sûr de lui, pourquoi j'l'aurais pas cru ? Il a pas d'raison de me mentir non plus. J'ai juste envie d'vous croire tous les deux. » Ça ne sert à rien d'argumenter, elle n'a pas envie de trancher il le voit. Y a un choix qu'elle ne veut pas faire, et qu'il ne lui demandera pas de faire. Parce que ça serait égoïste, parce qu'il veut pas en arriver là. Parce qu'il a un peu peur de la réponse, aussi. Alors vaut mieux qu'il parte, qu'il aille noyer sa peine ailleurs, qu'il se débrouille pour tout évacuer autrement que sur elle. « C'est ça casse-toi j'm'en fous ! » Ses dents tellement serrées qu'elles ont l'air prêtes à sauter sous la pression. Il sort sans se retourner, claque la porte derrière lui.

La rage pulse dans ses veines et contracte tous ses muscles, une veine apparente sur son front et le sang qui bat à ses tempes. C'est à s'demander pourquoi il n'a toujours pas explosé.

« SIDNEY ! » Il s'attendait pas à ce qu'elle lui coure après, pourtant il s'arrête pas. Il continue sa route, bien décidé à se tirer, incapable de continuer à affronter la tempête qu'elle a déclenché en lui. Trop effrayé de ce qu'il pourrait dire – terrorisé à l'idée de tout envoyer valser. « Pars pas... » Il se stoppe net. Figé dos à elle, il a le regard dans le vide et les poings serrés, l'impression qu'un étau se referme autour de sa gorge à mesure qu'il sent la colère monter. Jusqu'à ne plus pouvoir la retenir. « ET POURQUOI HEIN ? POURQUOI J'DEVRAIS RESTER ? » Il fait volte-face brusquement, se fichant bien d'être en train de beugler dans le couloir. Il s'en fout si ça réveille toute la clientèle ; si ça pouvait réveiller Mads, ça l'arrangerait. « Pour que tu puisses encore me frapper ? M'accuser ? » Il fait un pas vers elle et il n'a jamais rien eu d'impressionnant Sid, il est grand mais pas franchement baraqué, trop doux pour intimider les gens. Pourtant ce soir il a l'air d'un géant de pierre, colosse en colère. « J'en ai ma claque. Tu m'fais mal putain tu l'comprends ça ? Tu m'fais mal et moi j'suis là, à revenir comme un chien. » Sa voix tremble et il sait même plus si c'est la fureur ou la tristesse, peut-être les deux à la fois. « Tu me crois pas, ok, j'vais pas te forcer. Mais me demande pas de rester et de supporter tout ça, j'ai plus envie. » Il veut plus souffrir chaque fois qu'il la regarde, qu'il la touche, qu'il la sent se rapprocher pour mieux s'éloigner. Il veut plus jouer. Game over, elle a gagné.

— Si. Tu m'as embrassé. Assume pour une fois, merde à la fin. Elle refuse d'entendre. Elle n'écoute pas. Ça se perd dans l'immensité de son royaume fait de vide. Y a pas d'écho, rien, ça sombre dans l'oubli, comme s'il n'avait rien dit. Elle ne peut pas assumer. Elle ne peut pas.

Elle finit par galoper derrière lui, poussée par la force du désespoir, par la peur de voir toute cette histoire s'achever ici. Elle ne peut pas l'accepter, elle tient trop à lui. Mais la suite, elle ne l'a pas vu venir, elle a pas su la prédire. — ET POURQUOI HEIN ? POURQUOI J'DEVRAIS RESTER ? Il hurle comme un sauvage et ça la tétanise. Il se retourne et la domine de toute sa hauteur, elle se tasse, la tête qui rentre un peu entre ses épaules, abasourdie. Le cœur qui vrille, l'estomac qui se noue, elle a l'impression d'avoir été propulsée dans une autre dimension. C'est qui ce mec ? — Pour que tu puisses encore me frapper ? M'accuser ? — Q-quoi ? Je... non. Elle bégaye, tout bas, les yeux rivés sur lui, jusqu'à finalement se taire. Elle le regarde mais ne le reconnait pas et ça la perturbe. Déboussolée, elle perd ses mots et un bout de son myocarde au passage. Comment il a pu en arriver là ? — J'en ai ma claque. Tu m'fais mal putain tu l'comprends ça ? Tu m'fais mal et moi j'suis là, à revenir comme un chien. Et finalement, elle comprend. Il a pas changé. C'est lui, c'est toujours lui. C'est toujours Sid. C'est juste qu'elle a atteint le quota maximum. Elle a poussé sa patience jusqu'à l'usure, elle a atteint le point de non-retour et elle est en train de tout gâcher. Putain, elle pensait pas que Sid - son pilier - pourrait s'écrouler un jour. Elle l'a bousillé et elle craint d'avoir foutu en l'air toute leur amitié. — Tu me crois pas, ok, j'vais pas te forcer. Mais me demande pas de rester et de supporter tout ça, j'ai plus envie. Elle relève enfin les yeux vers lui, mais y a rien d'autre qu'une profonde abnégation dans ses prunelles. — T'as plus envie ce soir, ou t'as plus envie pour toujours ? Elle a peur de la réponse. Tellement qu'elle tremble comme une gamine sur le point de se faire engueuler. Sa main droite qui s'étend vers lui, à la recherche de la sienne, qu'elle frôle timidement, elle a trop peur de se faire rejeter. — Sid.. Sa voix qui supplie, chargée d'émotions abrasives. — J'veux pas t'perdre. Tu.. T'es beaucoup trop important. C'est soufflé à mi-mots, comme un aveux déchirant qui pesait sur sa conscience depuis trop longtemps et qu'elle lui aurait toujours caché. Pourtant, ça lui semble tellement évident à elle.

« Q-quoi ? Je... non. » Même ses bégaiements et la détresse dans son regard ne suffisent plus à l'adoucir. Il voudrait pourtant – y a une part de lui qui a envie de la prendre dans ses bras, la serrer jusqu'à étouffer sa peine, jusqu'à faire disparaître tous leurs problèmes. Mais il sait que ça ne marchera pas. Pas cette fois.

Alors il finit par cracher un peu ce qui le gangrène, juste des miettes, juste assez pour relâcher la pression et éviter l'explosion. Il voit qu'elle est perdue, qu'elle sait plus vraiment sur quel pied danser. Elle laisse tomber son armure et même si ça l'aide à mieux respirer, il est pas encore sauvé de la noyade. Elle l'a plongé dans les abysses y a trop longtemps déjà, et il n'est pas sûr d'en ressortir un jour. « T'as plus envie ce soir, ou t'as plus envie pour toujours ? » On dirait une gosse effrayée, qui a peur d'être abandonnée. Et il voudrait lui répondre que c'est seulement ce soir, un mauvais moment à passer qui sera vite oublié, mais il peut pas. La vérité c'est qu'il sait plus ce qu'il veut ou ne veut plus, lui aussi il s'est perdu. « J'en sais rien Mads. » C'est lâché dans un soupir, ses yeux qui trahissent la lassitude qui l'habite et le ronge, gangrénant petit à petit sa patience, sa résistance. Il tient plus le coup.

Quand elle tend la main vers lui il ne bouge pas. Il ne cherche pas à lui échapper, mais il ne vient pas à sa rencontre non plus – pas comme il le faisait avant. Il reste stoïque, les dents aussi serrées que son cœur. « Sid.. J'veux pas t'perdre. Tu.. T'es beaucoup trop important. » Ça fait trop longtemps qu'il attend des mots comme ça, un signe un geste n'importe quoi, mais maintenant qu'elle lui donne il sait pas quoi en faire. Il est trop en colère pour tout effacer si facilement, trop blessé pour tout ravaler et prétendre que rien n'est jamais arrivé. Ses yeux dans les siens, un soupir qui passe la barrière de ses lèvres. « J'veux pas te perdre non plus, mais j'peux pas.. J'peux pas continuer comme ça. » Il pensait tenir toute une vie à ses côtés sans broncher, à tout accepter, tout encaisser. Faut croire qu'il s'est surestimé. Il est pas assez fort pour ça, terrassé par ses propres émotions. « Y a trop de trucs et j'arrive plus à gérer. » À défaut d'être courageux il est honnête, sa faiblesse affichée sans complexe. « C'est juste.. j'sais pas. J'sais pas. » Il détourne le regard, passe une main sur son crâne rasé dans un soupir. « J'crois que j'ai besoin de respirer. Et quand t'es là, j'y arrive pas. » Quand t'es là, je meurs un peu plus chaque fois.

— J'en sais rien Mads. Il vient d'enfoncer sa main dans sa poitrine pour y arracher son cœur. La situation est bien plus sérieuse qu'elle ne le craignait. Bien plus dramatique. Le point de non-retour qui brille pas très loin et elle ne sait pas comment les en éloigner. Elle doit faire quoi pour les sauver ? Sa main qui trouve la sienne, mais qui se heurte à une statue de pierre. Il ne bouge pas, la laisse seule dans sa tentative de rapprochement et ça glace son cœur. Elle a l'impression de l'avoir déjà perdu, que c'est déjà trop tard. Comment ça a pu tourner si mal, si vite ? — J'veux pas te perdre non plus, mais j'peux pas.. J'peux pas continuer comme ça. Elle le dévisage, perplexe. Elle a dû louper un truc, elle en est persuadée. Il ne peut pas juste parler de ce soir, mais quoi putain, quoi ? — J'comprends pas.. Qu'elle murmure, à l'agonie, gisant à ses pieds. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Elle devait hurler, le frapper, le haïr, lui faire payer. Et au final, c'est elle qui morfle, c'est lui qui hurle, lui qui la hait, lui qui la repousse. Qu'est-ce qu'elle a fait pour mériter ça ? — Y a trop de trucs et j'arrive plus à gérer. C'est juste.. j'sais pas. J'sais pas. Elle se noie, elle a l'impression qu'il n'arrête pas de lui refoutre la tête sous l'eau avec ses phrases sans queue ni tête. C'est quoi le problème ? De quoi il parle ? Faut qu'il lui explique, qu'il lui jette une bouée pour la sauver au lieu de l'enfoncer comme ça. Mais elle n'ose plus demander, ça commence à lui faire étrangement peur. L'appréhension qui prend ses tripes en étau, l'instinct qui panique, qui veut prendre la fuite. — J'crois que j'ai besoin de respirer. Et quand t'es là, j'y arrive pas. Sa main quitte la sienne pour venir retomber mollement le long de ses cuisses ; il vient d'la flinguer. Elle est pas censée lui faire cet effet-là, ça devrait être l'inverse. Elle se détourne une seconde, ses mains qui se posent sur son visage pour cacher la douleur et la fragilité soudaine qui la secoue. Elle inspire, fait glisser lentement ses doigts jusque sur sa bouche, le regard qui se perd vers le plafond. Et maintenant quoi ? Comment elle peut lui dire qu'elle c'est quand il n'est pas là qu'elle s'étouffe, qu'elle manque d'oxygène ? Elle finit par s'assoir sur les marches de l'escalier, elle ne tient plus debout. — J'veux pas t'faire de mal Sid. Je.. Elle soupire, elle ne sait plus quoi dire, c'est le néant dans sa tête. Désert de glace. — Si tu veux partir, j'ai pas l'droit de te retenir. Mais.. Les mots qui écorchent sa gorge, c'est tellement dur à dire, elle n'a pas l'habitude. Elle se sent mise à nue. — Qu'est-ce que j'peux faire ? Qu'est-ce que je dois faire pour que tu restes ? Sid, j'ferais n'importe quoi. Elle le cherche du regard. — T'es tout pour moi. Tout. Elle ne voit pas ce qu'elle peut dire d'autre. S'il la rejette malgré tout, alors, y a plus rien à faire.

« J'comprends pas.. » Évidemment – il mentait pas quand il a dit qu'elle comprenait rien. Ça lui arrache un sourire triste, fatigué. Souvent il se demande s'il cache si bien son jeu que ça, ou si c'est elle qui refuse de voir les évidences.

Y a sa main qui trouve la sienne mais il n'arrive pas à lui rendre ce contact, il n'en a même pas envie. Il voudrait être à des kilomètres d'elle, pourtant il brûle encore de la toucher. Il sait pas il sait plus, tout se mélange et il a du mal à faire le tri entre la colère qui le secoue encore, et les sentiments qui menacent de lui échapper. Il sent que ses mots la heurtent les uns après les autres pourtant il ne veut pas s'arrêter, pas maintenant qu'il est lancé. Il a besoin qu'elle sache. Tant pis s'ils ont mal tous les deux, quand elle le lâche, quand elle s'éloigne et finit par s'asseoir sur les escaliers. Il la regarde faire en silence, campé derrière elle comme une ombre. « J'veux pas t'faire de mal Sid. Je.. Si tu veux partir, j'ai pas l'droit de te retenir. Mais.. » Il n'a pas l'habitude de la voir buter sur les mots comme ça. Elle a l'air vulnérable, il voit qu'elle se met à nu et c'est tellement rare qu'il croit rêver. C'est peut-être pour ça qu'il finit par venir s'installer à ses côtés, la fixant comme pour s'assurer qu'elle est bien là, qu'il n'hallucine pas. « Qu'est-ce que j'peux faire ? Qu'est-ce que je dois faire pour que tu restes ? Sid, j'ferais n'importe quoi. » Son regard dans le sien, sa gorge qui se noue encore une fois. Il veut partir elle veut qu'il reste, et au final il sait plus quoi faire. Auprès d'elle il ne trouve plus assez d'oxygène, mais sans elle il meurt de froid, rongé par le vide dans sa poitrine. Il sait plus quelle alternative choisir – dans les deux cas il en crèvera. « C'est pas si.. » Elle ne lui laisse pas le temps de finir, le coupe en pleine phrase. « T'es tout pour moi. Tout. » Le monde s'arrête de tourner, il en est persuadé. Son cœur ne bat plus, il est paralysé, focalisé sur elle comme si plus rien d'autre n'existait.

Elle dit pas ces choses-là, Mads. Pas comme ça, pas avec des mots.

Il est pris au dépourvu, les lèvres qui s'ouvrent puis se ferment, ses prunelles qui ne la quittent pas une seule seconde. Il sait pas quoi répondre. La réciproque est vraie bien sûr et elle le sait. C'est juste qu'il aurait jamais cru entendre ça de sa bouche à elle. Sa bouche qu'il se met à fixer comme il le fait trop souvent – toujours quand elle ne regarde pas. Cette fois il fait pas attention il s'en fiche, y a plus rien qui compte. Ni ce qu'il s'efforce de cacher depuis des années, ni les barrières qu'ils font tomber. Y a qu'elle. Elle elle elle, à en perdre le contrôle. Il ne réfléchit plus quand il se penche vers elle, quand son visage se rapproche dangereusement du sien. Ses lèvres frôlent les siennes sans les toucher vraiment, c'est aussi léger que le contact d'une plume. Le temps d'une seconde il se dit qu'il devrait tout stopper maintenant, se reculer et se tirer avant d'atteindre le point de non-retour. Mais c'est trop tard pour ça, et il n'a plus assez de volonté pour s'arrêter. Il cède. Leurs bouches scellées dans un baiser, il l'embrasse doucement mais sans retenue, une main venant se poser contre sa joue.

Quand il se recule il n'ose pas la regarder, met fin à tout contact en réalisant ce qu'il vient de faire, ce qu'il a voulu faire trop de fois sans sauter le pas. Ce soir il a franchi la limite et il sait plus comment faire machine arrière. « J'suis désolé. » C'est qu'un murmure et il ne sait pas vraiment pourquoi il s'excuse, il sait juste que c'est de circonstance. Elle peut bien le gifler encore, l'insulter, l'incendier si elle veut – ce soir plus rien n'a d'importance.

Elle voit bien qu'il ne s'attendait pas à ça, à ces mots-là. Ces mots qu'elle ne dit jamais, avare de mots tendres et d'aveux émouvants. Elle ne dit jamais rien Mads. Elle crie, elle frappe, elle lève les yeux, elle part en claquant les portes. Mais ce soit, elle a bien compris qu'elle devait se faire violence si elle ne voulait pas le perdre. Et ça fonctionne. Elle le sentait lui glisser entre les doigts et soudain il a arrêté de vouloir fuir. Peut-être un peu trop même. Son regard figé dans le sien, ça lui fait froid dans le dos, alors qu'à nouveau elle sent la situation échapper à son contrôle. Ils restent quelques secondes à se fixer comme ça, sans dire un mot. Et son cœur agonise, elle a peur, mais elle ne sait pas de quoi. Il se penche vers elle, elle entrouvre les lèvres, le souffle court, haletante, tétanisée. Elle comprend bien ce qui va se passer et elle voudrait fuir, mais elle est paralysée. Parce que y a cette partie d'elle, qu'elle ignore sans cesse, qui prend le dessus cette nuit. Qui en a marre de ne jamais être écoutée et qui se révolte enfin. Les yeux de Sidney qui glissent sur sa bouche et elle ne bronche pas, ses doigts qui s'accrochent aux marches, comme pour se retenir de tomber. Leurs lèvres se frôlent et ça lui semble durer une éternité. Elle n'ose même plus respirer. L'espace temps qui suspend sa course, la terre qui tourne trop vite et une chaleur nouvelle qui se diffuse dans son ventre et qui embrase tout sur son passage. Sid qui prend son courage à deux mains, et c'est l'explosion. Elle écarquille les yeux, comme choquée par la douceur du contact de ses lèvres sur les siennes. Sa main délicate qui se pose sur sa joue et qui lui brûle la peau. Mais Mads reste immobile et ne lui rend pas son baiser, elle ne peut pas, elle est bloquée. A l'intérieur c'est le chaos. Froid et chaleur qui se disputent la couronne, peur et joie qui s'affrontent jusqu'au sang. Le baiser se termine - trop vite, ou pas assez, elle ne sait pas - mais dans sa tête la guerre continu. Tempête qui détruit tout, qu'est-ce que t'as fait Sid ? — J'suis désolé. Elle l'entend à peine, elle ne bouge toujours pas. Elle continue de le fixer, avec ses yeux exorbités. Elle n'arrive pas à faire un choix, à prendre une décision. Elle reste immobile, les muscles crispés. Elle ne peut plus bouger ; son cœur vient de s'arrêter.

Ses lèvres contre les siennes il en a rêvé, il a attendu des années. C'est pas la même chose que la dernière fois, c'est pas comme le baiser que Mads lui a donné. C'était furtif il avait même pas eu le temps de réagir avant de se faire gifler, c'était trop et pourtant si peu. Là il prend son temps, là il l'embrasse vraiment. Lui. Il l'embrasse et putain il aurait jamais cru trouver le courage de le faire – il pensait qu'il n'y aurait plus jamais le moindre contact entre leurs bouches.

Cette fois, c'est elle qui ne répond pas au baiser.
Sauf que c'est pas parce qu'elle a pas le temps, c'est parce qu'elle a pas envie.

Quand il s'écarte et qu'il voit ses yeux écarquillés, il sent déjà les regrets l'assaillir, l'amertume revenir à la charge. Il s'excuse comme il le fait toujours mais elle ne réagit même pas, immobile, comme bloquée, paralysée. Comme s'il l'avait cassée. « Mads ? » Elle ne parle pas, ne bouge pas, et pendant une seconde il se demande même si elle respire. Un rapide coup d'œil sur sa cage thoracique lui indique que oui, et finalement c'est peut-être pire.

Elle ne fait rien, et soudain il donnerait tout pour qu'elle le frappe ou qu'elle l'insulte, il s'en fout – tout pourvu qu'elle arrête de le fixer comme ça. Comme si elle était incapable d'assimiler ce qu'il vient de faire, comme si c'était trop affreux pour qu'elle puisse l'accepter. Comme s'il l'avait tuée d'un simple baiser.

« J'suis désolé. » Il le répète mais cette fois c'est plus ferme, cette fois il a repris ses esprits. Ses mâchoires se contractent et ses poings se serrent contre ses cuisses, la colère revient. Dirigée contre lui-même, parce qu'il n'aurait jamais dû céder, il sait qu'il vient de tout gâcher. « Tu m'écoutes ? » Elle est là à le dévisager et il a l'impression qu'il va en crever. Il supporte pas ce silence, cette immobilité. Mads elle réagit toujours dans de grands éclats, c'est comme ça que ça fonctionne il l'a accepté depuis longtemps, ça finit par avoir quelque chose de rassurant. Alors la voir comme ça c'est pire que tout, c'est une lame qui s'enfonce dans son cœur et promet de ne jamais en ressortir. Sa main qui vient se poser sur son épaule pour la secouer doucement, pour essayer de la sortir de cette torpeur insupportable. « Dis quelque chose putain ! » Engueule-moi, insulte-moi, déteste-moi. Tout ce que tu veux mais j't'en supplie, me laisse pas comme ça.

Il parle, elle voit ses lèvres qui se mouvent, mais elle n'assimile rien. Elle n'entend pas, bloquée dans une bulle qui la coupe du monde extérieur. Y a que son cœur qui raisonne dans sa poitrine qu'elle entend encore, ça fait presque vriller ses tympans, ça remplis tout, ça l'assourdit. Elle commence presque à avoir la migraine même. Et elle reste bêtement plantée là, stoïque. Y a la vérité qui se fait ensevelir sous une avalanche de déni, mais les mensonges qui refusent de sortir, qui s’agrippent aux parois de sa trachée. Et au final, elle ne dit rien du tout, parce que rien ne vient. Et Sid finit par perdre patience, il l'attrape et la remue doucement, pour l'obliger à se réveiller, à relancer le système. Elle est comme une poupée animée dont les piles seraient déchargées. Mais ça marche. Elle réagit enfin. Ses yeux qui se mettent à cligner, son regard qui s'éloigne de Sid pour aller se poser dans le vide, et ce calme angoissant qui la maintient dans un état second. Elle referme enfin la bouche et passe une main molle dans ses cheveux pour rabattre quelques mèches derrière son oreille. Complètement à côté de la plaque, elle murmure. — Je.. J'ai pas fermé ma porte en sortant. Et c'est tout, rien d'autre. Elle se lève, ses mouvements sont lents et elle a l'air de planer à dix mille, clairement son esprit est toujours bloqué sur la façon dont elle doit réagir. Incapable de trouver une solution, de choisir la bonne option. Elle gravit les quelques marches et remonte le couloir en direction de sa chambre, elle oublie même jusqu'à la présence de Sidney. Elle est toute seule, égarée dans le bordel de son esprit. Elle cherche l'issue de secours, mais elle ne la trouve pas. Peut-être que y en a pas. Y aura pas de porte de sortie facile à cette histoire. Sidney vient de la piéger dans sa propre toile, celle qu'elle a tissé autour de lui durant toutes ces années. Elle s'est faite avoir, prédateur attaqué par sa cible. C'est contre-nature, elle n'a pas les outils pour réagir, pour gérer ça.

Le silence est meurtrier. À chaque seconde qui passe il sent son cœur se fissurer un peu plus, le poids sur ses épaules qui le fait ployer, il est prêt à s'effondrer. Il donnerait tout pour avoir une réaction, n'importe laquelle pourvu que ça vienne briser cette tension qui s'est érigée. Alors il la secoue mais Mads est molle entre ses doigts, poupée désarticulée qui a cessé de fonctionner. Elle détourne les yeux et il la relâche, le myocarde qui s'affole dans sa poitrine, la gorge qui se noue. Il est pendu à ses lèvres, prêt à recevoir tout ce qu'elle voudra bien lui donner. « Je.. J'ai pas fermé ma porte en sortant. » C'est tout ce qu'elle lâche avant de se lever et l'abandonner, le laissant seul dans l'escalier.

Il la regarde partir sans bouger et c'est douloureux de la voir comme ça, c'est déchirant de faire face à une telle indifférence. Quand il se lève il est prêt à partir mais il peut pas s'y résoudre, pas quand elle en est réduite à l'état d'automate. Il peut la quitter comme ça, pas avec cette finalité – c'est trop dur à avaler.

Elle n'est même pas arrivée jusqu'à sa chambre quand il la rejoint à grandes enjambées, attrapant son poignet avant qu'elle n'ait pu passer la porte. « Regarde-moi. » Il l'invite à se retourner pour lui faire face, ses yeux qui cherchent frénétiquement les siens, sa main toujours accrochée à son poignet. « Tu peux pas m'laisser comme ça, tu.. Merde, Mads. » Il soupire et la relâche, passe une main sur son visage fatigué. Quand il la regarde à nouveau ses traits ont quelque chose de dur, d'amer. Il sait qu'il a perdu la guerre. « J't'ai embrassée. » Peut-être qu'en disant les choses à voix haute ça la fera réagir, peut-être qu'elle n'arrivera pas à l'encaisser, à l'accepter. Il veut provoquer quelque chose sans savoir quoi – il s'en fout il veut juste qu'elle reprenne vie. « Et tu sais quoi ? C'était pas un accident. J'avais envie. » Ça pourrait ressembler à une déclaration s'il était pas crispé de la tête aux pieds, la voix qui sonne comme le glas. Il essaie de se condamner tout seul, secouer les fondations de Mads pour qu'elle finisse par exploser. « Et j'en ai encore envie. » Il est sincère mais c'est moche parce qu'il est en colère, parce qu'il n'y a rien de doux dans sa façon de s'exprimer. « J'pourrais même recommencer si tu m'en empêches pas. » Et comme pour le prouver il pose ses mains sur les joues de Mads, encadre son visage sans la quitter des yeux. Ça flambe mais c'est pas le désir, c'est juste le désarroi, la rage sourde qu'il sait plus comment contrôler. Il ne compte pas recommencer, il veut juste la forcer à faire quelque chose, penché vers elle, poussant la provocation jusqu'au bout. Il est prêt à encaisser.

Il l'a rattrape, l'arrête et l'oblige à lui faire face, son poignet au creux de sa main. Et il parle. Il parle, il ne s'arrête plus, et ses mots se bousculent dans l'esprit de Mads. Ils passent tous les remparts, ils détruisent sa forteresse, ils viennent gratter son cœur. Il la déstabilise et y a tout un tas d'émotions qui traversent ses prunelles. Elle se réveille lentement, sort de son hibernation. Mais c'est pas bon. Non, parce que ses émotions fondent avec le reste, et la vérité se fait emporter par un flot de colère. Les mensonges qui gagnent du terrain, qui grimpent le long de sa gorge, qui ne cherchent même plus à faire marche arrière. Non, ils courent, ils foncent, ils traversent chacun de ses muscles et les laissent crispés derrière leur passage. Ses sourcils qui se froncent, la tempête qui revient au loin, annonciatrice de mauvaises nouvelles. Son cœur qui se barricade, qui se retranche dans un endroit inaccessible. C'est foutu, tout est foutu, elle le sait déjà. — Et j'en ai encore envie. J'pourrais même recommencer si tu m'en empêches pas. Ses mains qu'ils posent sur ses joues et elle a envie de hurler. Hurler jusqu'à la mort, pour se débarrasser de tout ce qui encrasse sa tête et ses veines. De ce qu'elle ressent mais qu'elle tait désespérément. Elle ne sait même plus pourquoi au fond. En fait, elle ne l'a jamais su. Ça a toujours été instinctif, comme un animal chétif qui prendrait la fuite face au danger. L'affronter est comme synonyme d'échec ; mort certaine. Alors, elle l'en empêche. Sa main qui vient brusquement se poser sur le visage de Sid qu'elle repousse vivement en arrière. — T'es con. Ça claque dans l'air, y aura pas de belle fin à cette histoire. Le courage de Sid qui se heurte aux faiblesses de Mads. — Si t'es en manque, va t'trouver une grognasse. Et elle lui tourne le dos, reprend la direction de sa chambre, d'un pas décidé cette fois-ci. — On va faire comme si rien ne s'était pas passé, perso, j'ai déjà oublié. Elle s'est réveillée ouais, mais elle continue de mentir.

Quand il se penche vers elle il sait très bien ce qu'il fait, et il sait aussi qu'elle ne pourra pas rester sans bouger. C'est le but au final – la réveiller, la forcer à agir. Pourtant jusqu'à la dernière seconde il se demande si elle va bouger, ou si elle va se laisser embrasser. La vérité c'est qu'il veut pas aller au bout de son geste il peut pas, pas une deuxième fois.

La main de Mads qui se colle contre son visage pour le repousser brusquement, il recommence à respirer.
« T'es con. » Il sait.

Il ne dit rien, se contente de reculer d'un pas pour rétablir une distance de sécurité, pour n'plus sentir sa chaleur et son souffle, pour n'plus se laisser empoisonner. « Si t'es en manque, va t'trouver une grognasse. » Comme s'il était question de ça, comme s'il lui suffisait de prendre la première venue pour assouvir une pulsion quelconque. Il a déjà essayé, il s'est senti sale juste après. C'est pas ça qu'il veut. « Ouais, j'vais faire ça. » Son visage qui se tord dans un sourire aux airs de grimace, l'amertume qui revient peindre ses traits. Mads lui tourne le dos, lui file entre les doigts. L'ordre est rétabli. « On va faire comme si rien ne s'était pas passé, perso, j'ai déjà oublié. » C'était si prévisible qu'il soupire, secouant doucement la tête de gauche à droite en baissant les yeux. Il a même plus la force de la regarder. « Tant mieux pour toi. » C'est craché trop sèchement mais il n'en a plus rien à faire, trop éreinté par tout ça pour envelopper les choses et les adoucir. Il sait bien qu'elle enfouira tout, qu'elle fera mine de n'plus y penser comme si ça n'avait jamais existé. Comme elle l'a fait pour leur premier baiser.

Il est silencieux quand il pivote sans rien ajouter, pas même un au revoir ni un bonne nuit alors qu'il s'éloigne. Tout ce qu'il veut c'est se barrer, retourner se coucher, espérer que tout aura disparu demain matin. Mais il sait que lui, il n'oubliera rien.

( RP TERMINÉ )