Je raccroche rapidement et laisse tomber mon téléphone en même temps que la porte d’entrée s’ouvre. Fanny, deux cafés Stabucks et des croissants dans la main, passe une tête pendant que je lance un juron. Sympa. Qu’elle me dit pendant que je trottine vers elle, en regardant si mon dernier iPhone n’a rien de cassé. Je m’approche d’elle, pique un café et l’embrasse rapidement sur la bouche pendant qu’on se dirige en racontant rapidement nos gardes respectives.

La bouche pleine de croissant, je finis par enfreindre ma règle d’or (qui est devenue ma règle d’or depuis quelques semaines) : ne jamais aborder le sujet de Bo en présence de Fanny. Tant pis. Ca fait 10 fois que je check mon portable, et elle commence à me faire les gros yeux. J’ai pas d’nouvelles de Bo depuis hier soir. Il me soule. Le visage de Fanny, perdu dans le vide se tourne vers moi, intriguée. Trop intriguée en fait. Elle penche la tête sur le côté et me regarde manger mon croissant, elle n’a pas touché au sien. Ouais, bah super bizarre aussi, il me répond plus depuis hier soir. QUOI ? Je manque de m’étouffer avec un bout de croissant. Quoi ? Vous parliez par message ? Elle hausse les épaules d’un air égal et acquiesce. Je prends une profonde inspiration. Bo est tellement, tellement, TELLEMENT MORT. A tous les coups il tente de m’éviter pour cacher sa faute. Un silence, je prend une gorgée de café. Ca craint n’empêche, surtout en ce moment quoi. Qu’elle dit en me piquant une cigarette. Elle fait toujours ça pour s’empêcher de manger quand elle me voit faire. Je fronce les sourcils. Quoi en ce moment ? Tu sais, les kidnapping et tout. Quoi les kidnapping ? Elle me cause en chinois celle-là. On dirait mon père qui voulait pas que je rentre seul de l’école jusqu’à mes genre… 15 ans. Sérieux bébé, on parle que d’ça aux infos. Vexé par son petit air condescendant, je pose mon croissant. Excuse hein, mais j’ai pas l’temps de r’garder la télé, j’bosse. Elle arque un sourcil, hésite un peu, et d’une petite voix elle ajoute : Bah, j'sais pas, aux urgences y a une télé sur la chaîne info qui tourne en permanence. J’entrouvre la bouche. Elle est sérieuse ? Euh, ouais, ça c’est pour occuper les patients pendant que NOUS on bosse. J’attrape mon portable et tente d’appeler Bo pour la dixième fois, en plein milieu de la conversation. De toute façon la conversation me plait pas. Fanny fixe sa cigarette qui fume entre nous. Elle a pris son air de chirurgienne, je lui lance un coup d’oeil contrarié. Ouais enfin, suffit que tu lèves la tête pendant que tu prescrits de l’aspirine ou que tu poses une perf de sérum phi et c’était bon quoi. Ma mâchoire se décroche, je raccroche mon téléphone avant même d’être tombé sur la messagerie. QUOI ? T’es en train de dire que j’passe mes journées à prescrire de l’aspirine ? Elle me fait un sourire et hausse les épaules. Encore un silence et puis, elle se met à rire et ajoute : Non, bien sûr que non bébé… Y a aussi… le vomi des mecs bourrés à nettoyer. J’me lève comme une furie et je balance mon gobelet de café à la poubelle dans un mouvement d’humeur. Fanny n’arrête pas de se marrer. J’ai envie de l’étrangler. Alors, j’te signale madame, que les urgences c’est pas que des mecs bourrés et des mal de tête hein. Cette nuit j’ai eu un mec avec un couteau dans l’bras, par exemple. Et c’est juste 10 minutes de mes 82 heures de taf cette semaine. Elle s’arrête de rire, j’me suis retourné vers elle en croisant les bras. Elle hausse les sourcils. Quoi, tu veux comparer le nombre d’heures ? 72 heures de bloc depuis jeudi dernier. Et au bloc on passe pas la moitié de notre temps à draguer les infirmières comme les urgentistes. J’explose d’un rire froid. Oh non, t’as raison, ça doit être crevant de tenir un écarteur pendant que les vrais chirurgiens font tout le boulot. Et voilà, le débat médecine contre chirurgie a repris. On s’est engueulé pendant 23 minutes. J’le sais parce que j’ai passé la moitié du temps à regarder l’horloge. On est passé par tous les stades, le fait que les chirurgiens étaient des débiles mentaux qui ne pensaient qu’à ouvrir pendant que les vrais médecins trouvaient tous les traitements, le fait qu’un médecin panique devant trois gouttes de sang et 2 sutures à faire, le fait que moi au moins ,je suture autre chose que des bananes… Les mêmes sujets d’engueulade, encore et encore, depuis des jours. Certains nous ont dit, quand on a chacun choisi notre spécialité, qu’un médecin et qu’un chirurgien, ça pouvait jamais fonctionner. J’commence à me dire qu’ils avaient raison.

On s’est stoppé d’un coup quand mon portable a sonné. On s’est regardé et j’me suis rué dessus, elle derrière moi. C’est Bo ?! J’ai soupiré, en découvrant qu’il s’agissait de Rhoan dans notre conversation de groupe, lui aussi inquiet de l’absence de nouvelle de Bo. On se rend compte que quand il arrête de dire des conneries à quel point il passe sa vie à causer, Bo. A quel point c’est vide s’il n’est pas là. Soudain, y a mon estomac qui se tord et j’me tourne vers Fanny. C’est quoi du coup, l’histoire des kidnapping ? J’ai dis ça d’une toute petite voix. J’sens bien que Fanny s’inquiète, même si, en me racontant l’histoire, elle a dit que c’était impossible qu’il y ai un lien, que Bo c’était pas fait enlever, ni rien. Pourtant, j’avais presque les larmes aux yeux quand elle a fini son histoire. Et j’me suis levé en tremblant un peu. J’vais prendre une douche. Que j’ai dis. elle m’a proposé de venir avec moi, j’ai fais non de la tête.