C’est son père qui l’a mis sur le coup. Il a un souvenir très net de la scène, dans la cuisine, son père qui feuilletait le journal et le café sur lequel il comatait, la conversation brumeuse qui avait suivi. Il sait plus pourquoi il a dit oui mais il sait qu’il l’a fait et c’est pour ça qu’il se retrouve de mission emballage de cadeau ce jour-là, un bonnet de noël vissé sur la tête – cadeau de sa nièce – et une expression morose sur la gueule qui ferait à coup sûr fuir la totalité d’une école primaire. Il a envie de tuer quelqu’un, oui, et il sait pas si c’est sa nièce, sa sœur, ou son père qui l’a pas prévenu qu’il aurait un binôme – qu’il regarde à cet instant précis en train de monter une table parce qu’il est en avance – ou bien juste l’entièreté de sa famille qu’il a envie de passer dans un hachoir de boucherie. Il est presque sûr que le cannibalisme est catholique mais il se demande si sa viande sera kascher ou hallal. Sans doute pas, il sait pas, faudra qu’il demande à ses potes juifs et musulmans pour savoir s’il peut en faire de la farce de dinde.

La vérité, c’est qu’il rumine et qu’il est parti pour arriver pile à l’heure, pour laisser l’autre type se démerder avec l’installation parce qu’il a pas que ça à foutre et que merde, quoi, quitte à faire un truc chiant il s’attendait pas à avoir le faire à deux. Ou à trois, ça se trouve, c’est pas le seul qui va se pointer et là ça va être franchement tendu vu la taille de la table. Ils vont se rentrer dedans, c’est immanquable et il lève les yeux au ciel en ronchonnant à voix basse. C’est un thump sourd contre sa pompe qui le sort de là, un bruit qui veut rien dire et il baisse les yeux pour regarder le ruban qui court depuis la table jusqu’à lui et le type qui a l’air au bout du bout du fond du trou. Peut-être qu’il devrait se montrer civil, au moins. Genre essayer. Le mec a pas l’air plus ravi que lui d’être là, il le bassinera pas avec Noël, au moins, sans doute, ce qui sera déjà quelque chose de pris, bordel, il en peut plus de décorer des sapins et de raconter des conneries à sa nièce tout ça parce que sa sœur a décidé de se soumettre à l’idée que mentir à ses gosses est une bonne chose pour leur développement. C’est même lui qu’est censé faire le père noël cette année, bordel, il a pas hâte d’y arriver.

Toujours est-il qu’il ramasse la bobine et la renroule sur le chemin en prenant garde à pas se couper. Il a moyen envie de pisser le sang alors qu’ils sont censé être festif, moyen envie de se retrouver à faire un pansement au milieu d’un magasin qui risque de pas tarder à se remplir. Quand il arrive à la table, il pose le ruban dessus et tend la main vers le type – qui doit pas être bien plus vieux que Rowan, il sait pas trop, il est pas très doué pour ça.

« Je m’appelle Eoin, salut. » Il a pas enfilé son costume le plus digne mais au moins il essaye d’être poli, c’est déjà ça. « T’as déjà fait ce genre de trucs ? » Il balaye du regard la table et le papier cadeau. « Histoire que je sache à quoi je dois me préparer. »

Histoire de détendre l’ambiance, aussi, accessoirement, il a pas envie d’avoir à gérer une crise de larmes.

Lorsque Matt lui parle de méthode mathématique pour apprendre à emballer les cadeaux, Eoin se demande dans quel monde parallèle il est tombé. C’est pas qu’il est nul en maths, pas du tout, même, c’est juste qu’entre toute autre situation de la vie de tous les jours, il ne pensait pas que les maths lui serait utile pour ça – ou qu’il y avait du tutoriel d’emballage de cadeaux sur youtube. Il penche la tête sur le côté, pour essayer d’évaluer si le type se fout de sa gueule ou pas, finit par opter pour le non et c’est peut-être plus inquiétant en réalité parce que ça veut dire qu’il est tombé sur un gamin qui prend ça beaucoup trop à cœur alors que les mecs qui fréquentent ce magasin ont sans doute suffisamment de thunes pour acheter suffisamment de papier cadeau pour emballer tout le pâte de maisons. Il exagère, oui. Sans doute un peu.

« Matt. » Il commence et le prénom roule bizarrement sur sa langue. Il a dû mal à lui coller un Matt sur la gueule même s’il sait que c’est sans doute parce qu’il a pas la tête de l’emploi et que c’est franchement pas classe comme réflexion. Matt, il fronce les sourcils et le répète en boucle pour s’habituer. Mattmattmatt. De toute façon, c’est pas lui qui lui trouver un autre prénom. « Genre. Attends. T’as ramené une règle pour faire des formules mathématiques à propos de paquets cadeaux ? » Non mais c’est surréaliste, comme situation, il tient à le dire, il a pas signé pour ça, lui. Il a pas signé pour avoir un coéquipier, déjà, mais alors encore moins pour avoir un coéquipier aussi zélé. C’est pas que ça lui file des complexes mais il espère qu’il attend pas autant d’enthousiasme que lui parce qu’ils sont mal barré si c’est le cas. Il a fait l’effort de mettre un chapeau de Noël, déjà, ça devrait être un bon point, il est très festif, comme ça, youhou.

« Je fête pas Noël. » Il prévient son comparse. Enfin plus, mais c’est un détail sans importance. Il emballe pas de cadeaux, toujours est-il, parce qu’avant c’était maman et que maintenant c’est plus personne. Il achète des trucs pour ses proches, parfois, autour des fêtes, souvent, mais c’est pas des cadeaux de Noël, non, non, non, alors il les emballe pas. Pour ce que ça change, de toute façon, il a pas spécialement envie de faire des efforts. « Et je vais pas à la maison de retraite, c’est mon père qui y va. Niall Taggart, je sais pas si tu situes. Il est cool, généralement, il s’est teint les cheveux en rouge et vert pour Noël, il est ridicule. » Il hausse les épaules, parce que y a rien à rajouter, voit un rouleau bouger du coin de l’oeil, se jette à moitié sur la table pour le rattraper et lui éviter de se dérouler tout le long de l’allée. Manquerait plus qu’ils tombent en rade, en plus. Peut-être qu’il bouscule Matt, dans la foulée, qu’il lui colle un coup de coude, il sait pas trop, ce qu’il sait c’est qu’il finit le cul par terre, franchement déséquilibré. Ronchon, il se passe une main sur le visage.

Son bonnet se met à clignoter.
Bordel de merde de fête à la con.