✧ JUST LIKE ANIMALS Des rangées de crocs, des foules enragées, des gerbes de sang, des cris quasi extraterrestres dans des arènes de sable pourpre. Au milieu de cela un enfant. Il a bien appris que tous ces molosses étaient de la chair à canon, rien de plus que l’argent qu’ils pouvaient rapporter. Et Rocky est mort, mais c’est ce que les chiens font, et les gens aussi. C’est toujours comme ça, et on regarde faire, et que pas une larme ne dépasse. Jamais. Et Flash s’est fait écraser sur la route devant la maison, y a du sang partout sur le bitume. Et Yuri et Fantôme se sont battus, y a des vers partout sur Yuri, des cicatrices sur Fantôme. Et Fantôme dort, on lui a planté une aiguille dans la patte. Et Deathstroke nourrit les vers, il lui a planté une balle dans la tête. Dressé par la voix du père, exécuté par la main du fils. Y a pas de mal à ça c’est juste du business, il a toujours compris ça.

✧ OUR HOLY MOTHER Les autres ne la voient pas mais lui est aveuglé chaque jour par l’auréole qui l’illumine. Elle est trop humaine, totalement hors de ce monde, elle ne peut qu’être un instrument de Dieu. Ses larmes sont des cristaux ses sourires des tranches de soleil ses rires des chœurs célestes. Ses bras sont la promesse du salut éternel. Sa mère, il le croira toujours, a été placée sur cette terre par l’Eternel pour sauver l’Homme. Puis pour le sauver lui. Mais même s’il n’écoute pas il lui vouera toujours un culte plus fervent qu’à tous les dieux de tous les panthéons du monde.

✧ BRAVE TIN SOLDIER La radio essaie de masquer les sons des balles qui fusent au loin. Pire que des combats de chiens. La guerre, berceau de son indifférence. Pas grand-chose de plus effrayant dans la vie que les mortiers qui se rapprochent de la ville. Il se souvient encore de chaque détail, et même s’il avait oublié, pendant des années son père le lui a rappelé. Presque une décennie à maudire leurs putains d’ennemis devant son fils, à se traîner avec une seule jambe. S’il avait été un chien on l’aurait abattu. Mais il s’est abattu de lui-même, cigarette après cigarette, jusqu’à-ce qu’une fleur noire lui pousse dans le poumon et que ses racines ne finissent par l’étrangler. Son père c’était le soldat de plomb qui avait conquis la ballerine, et s’il n’avait pas fini dans la fournaise, il avait tout de même réussi à se consumer.

✧ GOD IS WATCHING Il en a dit des Notre Père, il en a dit des Avé Marie, mère de Dieu et mère de l’homme, mais c’est la seule qu’il a jamais appréciée de tous ceux là. Une mère qui savait ce qui viendrait, qui avait promis, mais qui ne voulait pas donner son fils malgré tout, ne voulait pas le voir partir. Et tant pis qu’il soit promis à un destin qui défiera les siècles. Il en a entendu des sermons, des paraboles, des aimez-vous les uns les autres. Il a suivi les apôtres et c’est beau ces histoires, mais il a aussi suivi les juifs, quarante ans à crever dans le désert, et la terre promise arrachée, et Abraham donner son fils, et Moïse va tuer les égyptiens, et un Dieu d’amour, mais allez vous faire foutre. Il en a bouffé des hosties, il a même piqué du vin de messe au curé, en attendant Godot. Il a attendu faut dire, dans ses petits souliers et ses habits du dimanche, la nuit dans son lit à attendre un signe, une voix. Et il n’a rien trouvé. Rien. Il a laissé crever Jésus empalé sur sa croix, laissé se noyer Moïse et laissé Goliath écraser David, lâche. La foi il l’a mais pas par amour du Seigneur, oh non, la seule chose qui le fait avancer, porter la croix, passer les portes de l’église, c’est la peur de la damnation éternelle. Anton c’est un pécheur et il le sait, Anton sans doute qu’il finira en Enfer mais toujours il va prier pour l’absolution. Ces flammes-là il ne veut pas les connaître.

✧ SALVATION ARMY Presque un culte le gang. Depuis tout gamin il connaît ces adultes avec qui son père buvait, ces hommes d’une aura fascinante, et ils ont toujours fait partie de la famille. Il voulait être comme eux tandis que son père voulait qu’il soit comme lui. Mais son père est mort, alors Anton a laissé crever les chiens et il a rejoint leurs rangs. Son allégeance n’appartient pas à l’Eternel, elle appartient au gang, famille réunie dans le sang et la misère des autres. Sa mère n’approuve pas. Mais elle ne dit rien. Et lui jour après jour il ne vit qu’à leur service, il ne voit aucune autre alternative, n’envisageant jamais qu’ils puissent ne plus avoir besoin de lui. Il a tué pour eux il crèverait pour eux, tant pis pour le reste, on ne reprogramme pas un chien bien dressé.

✧ BARKING DOGS NEVER BITE Y a que les cabots attachés qui aboient, incapables d’attaquer si tu retires la chaîne qui les retient, plus rassurés derrière leur clôture là où ils ne peuvent atteindre l’objet de leur colère. Les chiens dangereux il les connaît, il a grandi avec, il en a dressé et tué, ils ne disent rien jusqu’au moment où ils vous sautent dessus, parce que s’ils ouvrent leur gueule pour faire du bruit on leur brûle la cervelle d’une balle bien placée. Anton il n’a jamais entendu parler d’analogies, parce qu’il passe beaucoup de temps à aboyer, à se vanter, à menacer, à faire du bruit, comme un roquet. Mais Anton si on brise sa chaîne il prend tout le monde de court, il déchiquette tout sur son passage.

✧ AMERIKA A peine plus d’un an qu’il est dans le pays des libertés et il ne comprend toujours pas comment les choses fonctionnent. Quelque part cette étrangeté lui plaît mais il est trop loin de chez lui, il se sent traqué dans cette terre qui n’est pas la sienne. Comme une impression que tout le monde se fout constamment de sa gueule, ça décuple son envie de coller des droites de tous les côtés. Faut dire qu’il parle à peine anglais, même après tout ce temps, il comprend à peu près ce qu’on lui dit mais faut pas attendre une expression correcte. Son accent c’est quasiment une autre langue.

✧ FLESH WORSHIP Il aime le sexe et il ne s’en cache pas, de toute façon même s’il essayait personne ne le croirait. Les plaisirs de la chair sont peut-être péchés mais ils sont aussi le moyen de mesurer la valeur d’un homme, en tout cas c’est ce qu’on lui a appris. Si l’on n’est pas fidèlement marié on se doit de montrer sa virilité en voyant se succéder dans son lit le plus de femmes possibles. Des fois on se demande comment il arrive à les ramener, toujours un peu trop basique dans ses approches, pas subtil pour un sou, mais il y en a que ça dérange pas. Pire. Il y en a à qui ça plaît.

✧ DIRTY HANDS Tout ce qu’il veut c’est aller au paradis et pourtant constamment il s’acharne à commettre des ignominies qui l’enverront droit dans les griffes du Malin. Tout ce qu’il a fait il s’en lave les mains par biais de confessions et prières, croyant naïvement que ça suffira à effacer tout le sang qu’il a sous les ongles. Bien des fois il a tué au nom du gang mais à vrai dire, sans doute que sans le gang il serait arrivé aux mêmes résultats, parce qu’il y a un truc qui cloche dans sa tête, parce que dans aucun univers possible on ne l’aurait vu mener une vie droite. Pourtant il est loin d’être le tueur attitré de la bande, pas qu’il aime pas ça, juste qu’il a d’autres chats à fouetter et surtout qu’il est trop imprévisible, trop bordélique pour être efficace et digne de confiance sur ce terrain-là. Anton c’est une bombe de dernier recours qu’on ne jette sur l’ennemi que s’il n’y a personne d’autre.

✧ ALL THAT GLITTERS IS GOLD Il rêve de l’Eldorado, de la richesse promise par les films, il a un Scarface Fantasy le garçon. Ça suffira pas à acheter sa loyauté au gang parce que ça lui viendrait même pas à l’esprit mais pour le reste il pourrait parjurer n’importe quelle promesse pour une poignée de dollars. Il dépense son argent comme un gosse qui a trouvé une liasse sur le sol, comme tous ces pauvres qui gagnent le loto et font des mauvaises décisions. Anton il aime le paraître, les bagues qui brillent, les costumes qui hurlent qu’ils sont chers même quand il les a trouvés pour vingt balles, les trucs bling qui tombent si facilement dans le mauvais goût parce qu’il n’a pas de demi-mesure, parce qu’il est comme un papillon attiré par le reflet de l’or.

✧ SIMPLE MINDS Au début on se dit que c’est juste parce qu’il parle pas bien anglais, qu’il trébuche sur les mots, qu’il hésite. Au début on lui donne le bénéfice du doute. Puis on se rend compte que tout le problème n’est pas là. Il y peut rien le pauvre garçon mais il n’est pas versé dans les matières intellectuelles. Bien sûr il faut prendre en considération le fait qu’il a arrêté d’aller à l’école bien trop tôt mais de toute façon on n’en aurait pas fait un Einstein. Ce n’est pas le destin de tout homme d’éclairer ce monde, certains sont faits pour suivre.

✧ OBJECTIFICATION Pas besoin d’être un génie pour être en contrôle, suffit de gueuler et cogner plus fort que les faibles. Passé des chiens aux chiennes, il n’a pas de mal à se faire respecter de la ménagerie de femmes-esclaves qui appartient au gang. C’est pour lui un cirque de victimes parfaitement dressées et leur entretien est sa tâche la plus importante. Il faut dire que le costume de Mr Loyal lui va bien, même si le fouet et les cercles de feu font autant partie de son arsenal. Il sait comment ça marche Anton, un jour ses douloureuses supplications et toutes les récompenses qu’il distribue, le lendemain les cris et les poings heurtant la chair. Mais jamais le visage.

✧ SHADOW OF A SHADOW Il a laissé dans le sillage de son père les arènes et les molosses hurlants mais quelque part dans ses os demeure l’inextricable besoin de l’animal. Il n’est pas difficile quand on sait où chercher de trouver un lieu de perdition de ce genre, même chez les ricains. Il y a acheté deux pitbulls, deux gagnants bien sûr, couverts de cicatrices, à moitié fous. Ils le suivent où qu’il le veuille, écoutent chaque ordre comme des hommes de main, ne font jamais de bruit de peur de s’en prendre une. Il ne se fait pas d’illusions, il sait comment marchent les chiens et comment marchent les hommes. Ils sont élevés à la peur pas à la loyauté, le jour où ils crieront famine, il sera leur première cible. Mais bien avant cela il leur aura collé une balle dans le crâne.

✧ BODY’S A PAINTING Maintenant ça veut plus vraiment rien dire tout ce qu’il a sous la peau. Avant c’était que pour les voyous, les criminels, les gens dangereux. Maintenant n’importe quel putain de hipster se fait recouvrir le corps, les filles à papa en ont toutes, plus de signification, à peine de quoi récolter des regards méfiants de la part des mamies. Faut dire que de toute façon il a rien à dire Anton, il en a peut-être quatre ou cinq qui sont réellement reliés au gang, les autres ce ne sont rien de plus que des dessins, y en a la moitié qui sont mauvais, qui sont mal faits, qui feraient pleurer un tatoueur. Mais il en est fier lui, ça fait partie de ce qu’il représente, un peu comme si quelqu’un avait pris tout le fouillis dégueulasse et ridicule qu’il a à l’intérieur pour le coller sur l’épiderme. Et ça fait de lui un homme, un dur.

✧ LOVE Depuis qu’il est arrivé aux USA il a croisé un ou deux mecs un peu péteux et un peu pétés, qui du haut de leur semestre en psychology 101 se sont amusés à le diagnostiquer, à lui dire qu’il était clairement un psychopathe et que de fait il ne pouvait pas aimer. Grossière simplification, magnifique système universitaire. Ils avaient un coup dans le nez, ils se sont pris un coup dans le nez. De toute façon ils ont tort. Lui il a pas oublié parce que c’était rudement sympa, mais quand il avait huit ans il était amoureux. C’était sacrément doux et ça lui donnait envie de rire mais surtout de la faire rire. Puis ça le rendait nerveux aussi. C’était du putain de vrai amour, y a jamais rien de plus authentique qu’à cet âge là. Mais ça lui est passé.

✧ GALAXY LIGHTS Anton il a une drôle de fascination, il en a mis plein dans son appartement, alors il aime pas y ramener des gens si c’est pas pour coucher parce qu’on lui lance des regards bizarres ou on se fout de sa gueule – et ça il aime pas putain. Anton il a sa chambre qui chatoie de tellement de couleurs mouvantes, parce qu’il a mis des lampes halogènes partout. Il aime toutes les allumer la nuit, regarder les couleurs se mêler, les ombres s’étaler sur les murs, il pourrait rester des heures les yeux plongés dans la lave qui monte et descend. De quoi accaparer son esprit. Puis ça lui donne l’impression de triper quand il baise.

✧ VAMPIRE SMILE Il a besoin de briser les autres pour exister, besoin d’être en contrôle ou de le perdre juste pour atteindre un nirvana puis ramasser la laisse. Il a besoin de sang. C’est pour ça qu’ils l’envoient plus. Sa force vitale c’est celle de ceux (toujours celles) qu’il écrase. Il a besoin de sang alors au sortir des bars il cherche le moindre prétexte pour sortir les crocs, sortir les armes, faire goûter aux américains la saveur métallique de leurs poings. Casser des nez comme une goulée d’air frais, assouvir le banc de sangsues qui a colonisé tous ses organes.  

✧ AND ANOTHER WORLD Au fond c’est juste qu’il comprend pas. Comme si tabasser quelqu’un c’était juste un débat. Comme si planter quelqu’un c’était juste un détail. A part le gang pour lui tous les gens sont des chiens, jetables, remplaçables. Au fond c’est qu’il a jamais rien connu d’autre. Depuis tout petit il n’a vu l’autre que comme un ennemi ou un mouton insignifiant. Il parle de choses qui feraient vomir les bonnes gens comme on conseille un resto, explique un démembrement comme on montre la réparation d’un robinet. Ces normes à lui sont biaisées depuis trop longtemps, sorti du chenil sans doute qu’on pourra jamais le reconditionner mais c’est pas tant sa faute que ça. Au fond, l’empathie il connait. Il n’en fait juste pas usage.

✧ ACROSS CONTINENTS Il a le mal du pays, il sait bien qu’il n’est rien de plus qu’un putain d’étranger dans ce pays. Tout ça le dépasse, il n’a pas sa place dans cette terre où tout est trop grand. Pays des libertés mon cul, liberté de crever la gueule ouverte face à tous ces riches et toutes ces opportunités qui miroitent toujours un peu plus loin. Il ne l’avouera jamais qu’il a été vaincu, que c’est un trop gros morceau pour lui, que tout ce qu’il veut c’est son bout de Serbie et pas leurs promesses floues. Alors jamais moins d’une fois par semaine, parfois tous les jours, il appelle sa mère. Ceux du gang qui sont restés en Serbie s’occupent d’elle, elle n’est pas seule. Mais il a toujours peur qu’un jour Dieu décide de cueillir la plus belle fleur de son jardin et qu’il ne soit pas là pour l’empêcher. Il a peur de crever sans qu’elle puisse lui pardonner avant.

✧ VOID Il réfléchit pas beaucoup c’est bien vrai et l’avantage c’est personne n’y a jamais songé à deux fois. Il est con donc il ne réfléchit pas, voilà, c’est tout. Y a un peu de ça. Mais il ne réfléchit pas parce qu’il a peur. Peur de lui-même, peur de ce qu’il va y trouver. Ce sont des craintes mâtinées. Et si en essayant il se rendait compte qu’il était encore plus stupide qu’il le pensait ? Et si au coucher au petit matin il n’arrivait pas à dormir et qu’il se rendait soudainement compte de son insignifiance, de son incapacité à accomplir quoi que ce soit ? Et s’il se rendait compte de sa vraie valeur s’il avait le malheur d’y réfléchir ? De quoi se jeter aux chiens. Alors il court, il court toujours, occupe la moindre minute de ses journées à des tâches qui distraient le corps, il fuit le vide, court pour s’écrouler sans le temps de divaguer. Sa course contre la mort à lui c’est la course contre toute réflexion sur sa condition.