C’est même pas vraiment un choix, en revenant à Savannah tu es obligée d’aller annoncer ta présence. Que ton nom soit porté par la vague de la rumeur, chuchoté dans tous les recoins de la ville, quelque chose dans ce genre. Enfin, si tu étais un personnage de série parce que toi tu dois juste aller saluer ta vieille équipe d’escrime médiévale. Non pas que tu aies toujours été le membre le plus apprécié du club, on ne se refait pas, tu as toujours été aussi haïssable avec eux qu’avec le reste des gens qui peuplent ce monde, mais tout de même c’est un peu spécial. Ce n’est pas comme si tout le monde et n’importe qui se jetaient dans ce sport, vous êtes si peu nombreux que les relations avec la salle d’armes sont forcément un peu spéciales. Pendant trois ans tu as dû exercer en Angleterre, te voilà de retour au bercail et à tes vieilles habitudes. Y aura peut-être de nouvelles têtes. Déjà, le décor a changé. D’une espèce de gymnase pourri, le lieu d’entraînement est passé à une véritable salle de sport. L’association a dû passer un accord avec les propriétaires, une idée salutaire sans doute, encore que tu jugeras bien de l’état des locaux. A cette heure encore jeune de la soirée, la salle est encore bien remplie quand tu pousses la porte. Jetant à peine un regard au côté musculation de l’endroit, tu te diriges vers les sons de choc. Tu es arrivée un peu avant le cours mais quelques-uns doivent s’échauffer. Ton sac de sport en bandoulière dans le dos, les bokens dépassent au-dessus de ta tête, te donnant comme toujours l’air plus petit que tu ne l’es réellement. A ton arrivée tu scrutes le groupe qui te fait face. Trois nouveaux. Bonne moyenne. Tu connais les deux qui sont en train de s’échauffer, ils se sont un peu améliorés mais ce n’est toujours pas la grande joie visiblement. Une voix te tire de ton inspection, un ‘‘bah ça alors’’ empreint de suffisamment d’enthousiasme pour en déduire qu’il n’est pas trop malheureux de te revoir. Le chef de cette équipe de bras-cassés, ce grand gaillard à l’étincelle intelligente dans les yeux. Vous avez commencé en même temps, vous êtes d’ailleurs les deux seuls rescapés de ce temps-là. Il te serre la main et commence à te poser plein de questions auxquelles tu réponds plus ou moins succinctement parce qu’il le faut bien. Y a un peu l’impression que rien n’a changé. Tu reçois une ou deux railleries sur le coup de soleil monumental qui s’étale sur ta nuque mais tu rabats les caquets d’un coup d’épée. Après deux heures de combat acharné, la trêve est enfin déclarée, il est temps d’ouvrir les packs de bière et de fêter ton retour parce qu’après tout c’est de coutume, même si l’idée qu’on célèbre quoi que ce soit en ton honneur semble faire briller une flamme mauvaise dans les prunelles de cette brune que tu hais depuis des années. Comme si c’était ça qui allait t’empêcher de boire. Les discussions vont de bon train, trois ou quatre personnes de la salle se sont jointes au groupe parce qu’on ne refuse jamais une bière en canette. Toi tu te désintéresses très rapidement de leurs histoires, tu n’en as rien à foutre de ces gens, alors tu décides de faire un tour. Autant visiter les lieux si t’es vouée à y passer un peu de temps. Mais bon, ça n’a rien d’impressionnant, c’est une salle de sport, avec plein de machines variées qui ne donnent aucune envie de s’y frotter. Puis dans le fond y a un ring, vide. C’est d’abord le bruit qui te fait tourner le regard vers les punching bags. Y a quelqu’un qui frappe comme un forcené. Curieuse tu t’approches jusqu’à apercevoir le responsable de toute cette violence. Et y a comme un sifflement d’appréciation dans ta tête. Au final c’était une très bonne idée ce partenariat avec une salle de sport. Non pas que les garçons de l’équipe d’escrime soient des laiderons, ils ne sont juste pas… Comme ça. C’est juste qu’en matant éhontément ce spécimen-ci tu te rends compte que quelque part t’es en manque. Alors tu t’adosses à un mur à quelques mètres de lui et tu profites du spectacle, c’est très relaxant.