Le flash crépite quand j'appuie sur le déclencheur. Je porte l'appareil un peu plus loin de mes yeux et fais défiler les prises de vue de la matinée : des déserts de goudron tâché de sang ou parsemés d'herbes folles, des passants à la mine aussi grise que leur ville, des fresques d'art de rues que j'avais l'habitude de photographie lors de ses exercusions... Ha ! Celle-ci, c'est l'une d'Ariel. Je souris vaguement en observant la série, mes pieds me portant encore tout seul dans une direction familière. Je me rappelle de la première fois que je l'avais rencontré, lui et ses tags. Il avait eu l'air plutôt surpris que j'apprécie son travail. Ou inquiet ? C'est vrai que je m'étais montré tellement excité qu'il avait surement du prendre peur. Mais c'était tellement... prenant. J'avais l'impression de pouvoir lire une partie de son histoire dans ses tags. L'émotion qu'il y mettait, en tout cas. Depuis, on se revoyait souvent, lui peignant les surfaces vides et sèches des immeubles tandis que je prenais mes clichés. Parfois des tags, et parfois de lui. Il avait une expression super concentrée quand il travaillait, c'était marrant.
Je relevais la tête à la fin de la série photographie, perdant quelques minutes à me repérer. Ah ! On était déjà venu quelques fois ici, avec lui. Peut-être que je pourrais le trouver aujourd'hui... Le nez en l'air, je déambulais dans les rues fraiches durant de longues minutes, peut-être même près d'une heure - le temps file toujours d'une façon étrange pour moi - avant de tomber sur une petite touffe brune familière. Un sourire se peint sur mes lèvres... Et se fâne directement lorsque je comprends ce qu'il est entrain de faire. Sur le pan de mur derrière lui, un tag que je n'avais jamais vu disparaissait à une vitesse folle.
-Ariel, arrête ! m'exclamais-je, même en sachant que c'était inutile.
Je laissai l'appareil pendre sur mon torse et me précipitai à ses côtés, attrapant son poignet de ma main pour l'empêcher de détruire une autre partie de son tag. Le souffle court, je lui jetai un regard incompréhensif et affolé.
-Qu'est-c e que tu fous ? Il est génial !
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: masterpiece (w. ariel) Dim 30 Juil - 20:43
masterpiece
Sasha & Ariel
Ces petites traces que je laisse partout sur les murs de la ville, ces souvenirs que je voulais chérir, garder précieusement, je ne suis plus vraiment sûr de les aimer à présent. Je pense aux tags que j’ai fait parce que j’étais amoureux, à celui qui représente Lenny. Je ne veux plus le voir, il n’a plus sa place parmi ces marques de mon passage, il n’a plus de raison d’être, il me hante. Savoir qu’il me nargue dans cette ruelle et qu’il expose mes sentiments, ceux qui me blessent à présent, je ne peux pas le supporter… Alors j’ai pris mes bombes de peintures et je suis sorti dans la rue avec un objectif précis : créer un nouveau dessin pour recouvrir l’ancien. C’est devenu une urgence, un besoin vital, comme si ce geste pouvait m’aider à tout effacer. Mais je sais que ce n’est qu’une illusion, que ce n’est qu’un pas de plus vers ce moment où la douleur cessera de se réveiller à chacune de mes pensées. L’esprit embrouillé, je m’empare du pot de peinture blanche qui me servira de base pour recouvrir mon tag et pour en peindre un nouveau par-dessus. Alors que mes doigts se serrent sur le pinceau, j’observe une dernière fois mes sentiments gravés sur le mur et leur beauté quand ils étaient encore teintés d’espoir. J’aurais aimé garder un beau souvenir de ce premier amour, une douce nostalgie. Mais il n’y aura rien à garder,
Sans aucune hésitation, je commence à recouvrir le dessin, essayant d’ignorer la douleur qui me tiraille au creux du ventre. Même lorsque mes espoirs sont brisés, anéantis, j’ai du mal à tourner la page. C’est encore trop frais, trop présent. Je ne parviens pas à lâcher prise, je me raccroche à des rêves d’enfant. Et, en espérant les étouffer une bonne fois pour toutes, je les recouvre d’une peinture blanche épaisse. Mais alors que j’ai presque atteint la moitié du dessin, une main s’empare de mon poignet, comme pour me retenir. Surpris, je dévisage la personne qui me retient, reconnaissant immédiatement Sasha. Pourquoi a-t-il l’air si inquiet, si affolé ? « Qu'est-c e que tu fous ? Il est génial ! » Le cœur lourd, je laisse retomber mon bras, juste le temps de lui expliquer mon geste. Parce qu’il fait partie des rares personnes à avoir remarqué mon travail, à l’avoir apprécié suffisamment pour m’encourager. Alors je lui dois bien ça. « Je ne peux pas le laisser là… Il me rappelle un mauvais souvenir. C’est un rêve qui ne se réalisera pas. Et là, j’ai juste l’impression qu’il me nargue… » Mon regard se perd un instant sur le visage de Lenny immortalisé sur le mur et je ne sais pas comment expliquer à Sasha que je le fais avant tout pour moi, qu’il n’est plus question d’art et d’expression. Pour le moment, j’ai juste besoin d’être égoïste et je me fiche bien du reste. « Tu l’as déjà pris en photo de toute façon, donc il ne va pas totalement disparaître. Du moins, pas pour toi. » J’ignore pourquoi, mais je ressens le besoin d’avoir son accord pour pouvoir continuer. Mais j'aimerais simplement qu’il comprenne mon geste et qu’il ne le juge pas.