Sac de sport qui s’abat lourdement sur le parquet du loft, porte que le jeune homme laisse claquer dans son dos. Il est fatigué, éreinté par les quelques heures d’avion qu’il a dans les pattes, un peu jet-laggé aussi. Il vient de passer trois jours à l’autre bout du pays, à Seattle, où son équipe disputait hier après-midi un match contre l’équipe de football américain locale. Match qu’ils avaient remporté, victoire qu’ils avaient fêtée jusque tard dans la nuit. Il allait lui falloir quelques jours pour se remettre totalement du léger décalage horaire, comme à chaque fois qu’on lui faisait traverser les États-Unis, même si son corps commençait à se faire à cette cruelle habitude. L’armée ne l’a pas habitué à cela ; certes, il partait bien plus loin, mais ce n’étaient pas des déplacements brefs et fréquents comme c’est le cas aujourd’hui.
Il regarde Porthos, son chien, reprendre ses marques dans le loft après avoir passé les trois derniers jours chez les parents James, ses griffes cliquetant sur le plancher. Il est épuisé le bonhomme, et abandonne ses affaires à même le sol de son logement. Un rapide coup d’œil à l’horloge digitale lui apprend qu’il est dix-neuf heures. Déjà ? Il n’aurait pas dû rester discuter si longtemps avec ses parents au moment de récupérer le cabot, d’autant plus que la conversation s’était terminée de manière houleuse, comme trop souvent. Il aurait tout aussi bien pu s’en passer.
Main qu’il passe dans ses cheveux dans un geste las, gratouille qu’il laisse sur la tête du clébard avant d’aller s’enfermer dans la salle de bain. Il a besoin d’une bonne douche, de toute urgence. Espoir qu’il a qu’après un passage sous le jet d’eau chaude et un repas nourrissant, il se sentira un peu mieux, un peu plus reposé peut-être. Il refuse de se mettre au lit immédiatement après dîner ; c’est contre ses principes de se coucher aussi tôt. Probablement somnolera-t-il plutôt devant Netflix, comme il aime le faire à la fin d’une journée longue comme celle-ci. Il se déshabille, se glisse dans la baignoire, ouvre l’arrivée d’eau. Cascade tiède qui s’abat sur son dos, sur son crâne, suffisamment chaude pour détendre ses muscles fatigués par le match de la veille, pas trop non plus, car il fait déjà un temps presque caniculaire. Il s’éternise un peu sous la douche Landon, profitant de la sensation satisfaisante d’être de retour chez lui, de pouvoir enfin prendre le temps de se poser après trois journées entières passées à jongler entre stade et avion.
Il finit par en sortir, se sèche en vitesse, enfile un boxer propre, se rend dans la cuisine. Il a faim le garçon, son ventre gargouille, il le sent carrément vibrer sous sa main lorsqu’il la pose dessus. Il réfléchit un peu, son dernier repas remonte au déjeuner. Ah ben en effet, ça explique beaucoup de choses… Il ouvre son réfrigérateur, en sort des filets de poulet et des légumes qu’il avait achetés peu avant son départ ; il est plus que temps de les manger. Il coupe le tout, les prépare à être cuits, les met dans une poêle pour les y laisser dorer. Il fait trop chaud pour manger pareil plat, mais c’est ça ou se nourrir exclusivement de crème glacée, alors… Sportif endurci, la simple pensée de manger de manière aussi déséquilibrée lui est assez indigeste. Armé d’une spatule en bois, il tourne la nourriture dans la poêle pour éviter qu’elle boue, sentant la vapeur chaude qu’exhalent les aliments en se desséchant former un mince filet de transpiration sur son torse. Putain, il fait vraiment trop chaud, et l’air est encore bien trop moite pour qu’ouvrir la fenêtre fasse la moindre différence. Il passe une main dans ses cheveux humides, décide d’allumer le ventilateur plafonnier dont est équipé la spacieuse pièce à vivre, peu convaincu quant à ses capacités à contrebalancer la chaleur des plaques électriques. Sonnette qui retentit tout à coup dans le loft, sourcils qui se froncent sur le visage de Landon. Oh, il a bien une petite idée de qui il pourrait s’agir…
- Un instant !, crie-t-il à travers la porte.
Il abandonne sa tambouille, se rue vers sa chambre pour dénicher un short de sport et un T-shirt en coton léger dans son placard. Vêtements bien vite enfilés pour accueillir son visiteur dans une tenue décente, il revient dans la pièce à vivre et ouvre la porte. Il n’est même pas surpris de voir Glenn se tenir sur le pas de la porte, son éternel sourire aux lèvres. Glenn, Glenn, Glenn… Il prend de la place le blond, de la place et de l’énergie, énergie qu’il n’a probablement pas ce soir. Mais il a du mal à gérer son habituelle solitude, ces dernières semaines, aussi il n’est pas fâché de se dire que son voisin du dessous va peut-être pouvoir égayer un peu sa soirée. Et puis, on ne va pas se mentir… Il est impossible de se débarrasser de ce type. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, au début. Mais il ne tente même plus de le faire aujourd’hui, puis de toute manière, il a fini par s’y attacher, au bonhomme.
- Glenn, que me vaut l’honneur de ta visite ? Laisse-moi deviner, t’as encore tenté de te faire à manger, t’as tout fait cramer alors tu viens voir si j’peux pas te dépanner, attiré par la délicieuse odeur de mon dîner ?
Sourire en coin qu’il esquisse ; il est venu le voir si souvent à cause de ses soucis culinaires qu’il a bien le droit de se moquer un peu. Il s’efface, ne l’invite même pas à entrer dans le loft, car il sait qu’il n’attendra pas son accord pour le faire. Il referme la porte derrière lui, l’escorte vers la cuisine.
- Sérieusement, tu tombes bien, je crois que j’ai vu un peu trop large au niveau des proportions, tu veux rester manger un morceau ?
Il repart tourner un coup sa préparation histoire de s’assurer qu’elle n’accroche pas à la poêle et se tourne vers Glenn, les bras croisés sur son torse, sourcils haussés. Curieux de connaître la raison de sa visite, savoir s’il a vu juste ou pas.
La chaleur étouffante du Sud avait envahit chaque recoin du loft, abattant le jeune homme sous une chape de plomb. Pourquoi s’était-il exilé ici déjà ? Dans une autre ville des Etats-Unis après avoir pourtant décidé de ne jamais y remettre les pieds après Lima, Ohio ? Ah oui, il s’en souvenait, c’était parce qu’il était un employé loyal et consciencieux qui obéissait, parfois, aux ordres. Et aussi parce qu’il adorait Paris mais changer d’air, ça faisait du bien de temps en temps et Glenn n’était tout simplement pas le genre de personne qui aimait rester longtemps au même endroit. Mais personne ne lui avait dit qu’il faisait aussi chaud à Savannah ! C’était presque aussi horrible que la fois où il avait été à la Nouvelle-Orléans et ça l’empêchait de travailler. Même un workaholic comme lui rendait les armes quand il menaçait de fondre.
Il avait quand même bossé un petit peu avant de laisser tomber pour se laisser tomber dans un bain d’eau glacée qui lui avait fait le plus grand bien. Revigoré, le blond s’était senti d’attaque pour se préparer un petit quelque chose à manger, rien de bien méchant, juste un plat surgelé qu’il fallait réchauffer au micro-onde. Sauf qu’il avait décidé de se préparer un pichet de frozen margarita en même temps et il n’avait pas fait attention à l’opercule en aluminium qu’il fallait retirer du plat avant de le mettre à chauffer.
L’explosion n’avait pas été si impressionnante que ça.
Glenn était donc à présent en train de siroter un verre de margarita en contemplant le désastre qui fumait encore dans sa cuisine en essayant de ne pas succomber à l’ennui qui le tenaillait. C’est alors qu’il la sentit. Une délicieuse odeur qui entrait par la fenêtre ouverte et qui ne voulait dire qu’une chose. Landon était rentré !
Ni une ni deux, le styliste s’assura qu’il était présentable (ce qu’il était, comme toujours, vêtu d’une chemise oversized sans manche Dior et d’un short taille haute de sa création sur ses jambes glabres. Il ne serait pas dit que Glenn McAllistair était autre chose que fashionable), attrapa son pichet et alla sonner à la porte de son voisin – meilleur ami. Un brillant sourire ourla ses lèvres alors que Landon ouvrit sa porte pour l’accueillir en un geste qui lui rappela leur première rencontre. Glenn venait de débarqué à Savannah et de mettre le feu pour la première fois dans son loft. N’ayant pas encore d’extincteur à disposition, le blond était allé sonner à la porte du voisin et the rest was history. Il lui planta deux bises sur les joues et brandit son pichet tout en le suivant à l’intérieur sans attendre d’invitation.
-Tu me connais trop bien Lan, disons que je dois racheter un micro-onde. Encore une fois. Tu penses qu’ils me feront un prix au bout du 10e ?
Il le suivit jusque dans sa cuisine où il s’assit au comptoir sur lequel il posa le pichet avant de tourner de nouveau son attention sur son ami, non sans laisser son regard s’attarder ça et là sur le corps de ce dernier debout près du piano de cuisine. Après tout, il était peut-être hétéro mais il était loin d’être laid et Glenn partait du principe qu’il n’y avait pas de mal à se faire plaisir aux yeux.
-L’odeur m’a surtout prévenu de ton retour mais je ne dis pas non à ta cuisine. Et je ne suis pas venu les mains vides !
Il se leva à la recherche de verres, évoluant dans la pièce comme s’il était chez lui. Il les servit tout les deux et reprit sa place.
-Alors comment s’est passé ton match de rugby en armure là ? Vous avez gagnez j’espère, tu sais que je ne suis pas du genre à trainer avec des losers.
Son air amusé démentait la crudité de ses propos mais la bitch n’était jamais loin chez Glenn. Et malgré tout le temps passé aux Etats-Unis, il refusait d’appeler leur sorte de rugby du « football ». La planète entière s’accordait sur le fait que le foot, c’était ce sport avec le ballon rond là, sauf les USA et quelques coins perdus, oubliés des dieux de la mode. Il était quand même curieux de savoir ce qu’il en était.
C’est sans surprise que Landon apprend que son cher voisin vient, une fois de plus, de foutre en l’air son four à micro-ondes. Probablement était-il l’un des habitants du pays qui faisaient le mieux fonctionner les usines d’électroménager, entre ces incidents répétés et la fois où il avait fait flamber sa gazinière… Il se demandait toujours comment il faisait pour déployer de tels trésors d’ingéniosité pour rater si fréquemment ses plats. Ce n’était tout de même pas si compliqué que cela de cuisiner : on ouvrait un livre de recettes si l’on avait plus de quarante ans, regardait une vidéo YouTube si l’on était plus jeune, et on suivait les instructions. Rien de bien sorcier. Mais Glenn McAllistair était une énigme à lui tout seul, il n’avait pas tardé à le comprendre.
- Tu devrais leur demander une carte de fidélité, sérieux, qu’il rétorque, pince-sans-rire, en regagnant le coin cuisine. Tu mériterais même qu’ils affichent ton portrait en grand dans l’entrée du magasin.
Tête qu’il secoue doucement en retenant un sourire ; le pire, c’est qu’il est sûr que son voisin adorerait voir sa tête blonde placardée sur une affiche géante. Il reprend sa place devant les fourneaux, véritable petite fée du logis qu’il est, lorsqu’il y met un peu du sien. Il est bon à marier, c’est ce que lui répète sans cesse sa mère en tout cas ; c’est sûr qu’elle aimerait bien voir son grand garçon avancer la maman James, inquiète de voir que son fils depuis trop longtemps adulte n’a plus ramené de fille au sein de la maison familiale depuis de nombreuses années, lorsqu’elle aimerait le voir passer l’anneau au doigt d’une charmante demoiselle, la combler d’une tripotée de marmots braillards. Mais très peu pour lui. Il n’est pas dans cette optique-là Landon, il aime mieux profiter de sa jeunesse avant qu’elle ne se fane, et s’il cuisine bien, s’il prend soin de son loft, c’est pour lui et uniquement pour lui, parce qu’il est appliqué, consciencieux, qu’il aime tenir une certaine rigueur dans son foyer. Jeune homme qui se détourne un instant de sa préparation en entendant son ami mentionner quelque chose qu’il aurait amené avec lui, qui regarde dans la direction du blond, remarque enfin le pichet posé sur le comptoir. Regard fatigué qui s’illumine à la vue de la boisson manifestement alcoolisée, garçon jamais fâché de se voir proposer une boisson un poil plus corsée qu’un simple verre d’eau.
- C’est gentil à toi d’être passé, Glenn. Et merci, c’est super de ta part d’avoir amené ça !
Il abandonne sa poêle un instant, s’approche pour mieux observer le contenu du broc, intrigué. Ça lui a tout l’air d’être de l’alcool en effet, de la margarita sans doute, si ses connaissances en la matière ne lui jouent pas des tours. Il laisse son voisin se lever et aller prendre des verres dans les placards, leur relation permettant clairement ce genre de comportements, et le remercie d’un signe de tête lorsqu’il le sert. Coupe qu’il porte à ses lèvres, mince sourire qui se dessine contre le verre fin en entendant la question de son ami, yeux qui se lèvent vers le ciel le temps d’un instant, comme s’il venait de prononcer une énormité. Il avale sa gorgée de cocktail, repose doucement le verre sur le comptoir.
- Bien évidemment qu’on a gagné, tu me prends pour qui ? J’suis pas là pour faire perdre mon équipe. 36-14, on les a carrément écrasés !
Y a le sourire espiègle qui se perd sur les lèvres, presque fier, les doigts qui se saisissent de nouveau du verre, parce qu’il fait bien trop chaud bordel, et qu’il oublie un peu trop souvent que l’alcool n’est pas réputé pour particulièrement étancher la soif.
- Et toi alors, dis-moi un peu ce qui s’est passé pendant mon absence. Les nouvelles à Savannah, les derniers trucs arrivés dans ta vie de folie…
Il n’est parti que trois jours Landon, mais il sait mieux que quiconque qu’il peut se passer beaucoup de choses, en soixante-douze heures. En particulier lorsque l’on s’appelle Glenn McAllistair, et qu’on a toujours une aventure dingue toute fraîche à raconter. Puis y a l’huile qu’il entend grésiller au fond de la poêle, côté légumes ou côté poulet, il sait pas trop, toujours est-il qu’il revient à sa préparation pour s’assurer que rien ne brûle. Au contraire, c’est prêt, joliment doré dans le liquide gras. Parfait. Il esquisse un petit sourire, ravi de pouvoir enfin passer à table, sort deux assiettes de l’un des placards pour y verser le dîner, à parts plus ou moins égales. Assiettes qu’il a en main lorsqu’il s’avance vers Glenn pour lui demander, car après tout, l’invité est roi, paraît-il :
- Tu préfères manger au comptoir, ou devant la télé, une série, n’importe quoi ?