C’était parti d’un pari stupide, de discussions alcoolisées dans le lit dans le lit en rentrant de soirée. C’était parti d’un pari stupide, et Adam qui la met au défi, comme toujours, sourire moqueur aux lèvres quand elle ose évoquer son rituel matinal, les fleurs, l’Ecume des Jours et sa propriétaire. Cap ou pas cap. Cap. Toujours. Et c’est ça qui est terrible, cette manie de sauter les deux pieds en avant sans penser à s‘assurer avant. Cap et ce foutu esprit de compétition, qui vient chambouler les choses ? Cap, cap, et re-cap. Encore, encore, encore. Alors oui c’était parti d’un pari stupide, et ça s’était transformé entre chose. Sans vraiment qu’elle s’en rende compte c’était devenue une sorte d’obsession, légère, pas vraiment néfaste, mais y avait le besoin d’entendre la voix de Minerva, voir ses sourcils se froncer avec ennui quand Moira débarquait sans prévenir dans sa boutique, la commissure de ses lèvres qui s’étirait rarement en un sourire. Mais quel sourire.
Minerva était plus âgée, bien plus. Minerva était une femme, une vraie, de ces adultes qu’on regarde de loin en se demandant si un jour on finirait par leur ressembler. Foutu syndrome de Peter Pan qui bat dans les tempes de Moira, et qui voit en Minerva quelque chose de différent. Loin de son monde, loin de sa bulle, la tranquillité de la femme qui brille au milieux des fleurs, et la senteur de ses doigts : mélange de terreau et de pétales froissés.  Cap. Voià. Et Moira s’était fracassé contre les barrières de la brune, sans aucune arme autre que son sourire éclatant, et son cœur amoureux trop facilement. Minerva, Minerva, Minerva. Et les matinées à lui déclamer des poèmes sans queue ni tête après sa séance de surf quotidienne, le goût du sel sur les lèvres qu’elle crèverait de faire partager. C’est pas de l’amour pour Moira. Ou peut-être une de ces formes qu’elle contracte trop souvent au détour d’un verre, d’une cuisse dévoilée ou d’un torse qu’elle rencontre en soirée.  L’amour, le vrai, il répond aux abonnés absents depuis trop longtemps, peut-être qu’elle a déjà tout donné pour Ismaël et Meora. Peut-être qu’elle donne même un peu trop pour Leonard, que y a plus rien qui reste, plus de place dans le cœur pour ajouter quelqu’un. Alors il reste la frivolité, l’attachement sans faille des baisers volés, ces coups d’un soir sans lendemain, sans avenir, mais qu’elle chéri de tout son être. Il reste la bataille, les remparts à grimper, les armures à faire tomber, et Minerva à séduire. Cap, putain. Cap. Pas plus. Mais pas moins.

Alors elle débarque comme toujours, thé pour Minerva et café pour elle, les cheveux encore trempés après sa longue baignade et la peau qui commence déjà à dorer. Un instant elle s’arrête devant la vitre de l’Ecume des Jours, pose ses gobelets au sol et tapote sur la vitre pour attirer l’attention de la brune qui se trouve à l’intérieur. Puis quand elle est certaine que Minerva la regarde, elle sort son rouge à lèvre, s’en tartine les lèvres avant de déposer un baiser rougeoyant sur la vitre. Satisfaite du résultat, elle entoure enfin la marque d’un grand cœur ? Directe ? Oui. Ennuyante ? Oui. Envahissante ? Surement. Eblouie ? Tout à fait. Parce que Minerva c’est ce qu’elle chose qu’elle voudrait toucher du bout des doigts sans finir par se faire brûler.

Les ennuis commencent ponctuellement par un SMS de Moira. Généralement, ça commence par une visite de Moira – tous les matins, donc – mais il semble que, ce jour-là, elle ait eu envie d’innover ce qui d’un côté a arraché un sourire à Minerva et lui a, aussi, donné fortement envie de fermer boutique plus tôt pour se planquer dans sa chambre et ne plus jamais en ressortir. La vérité, ce n’est pas qu’elle déteste Moira. Moira est amusante, Moira lui déclame des poèmes, Moira est pleine de vie. La vérité, c’est qu’elle pourrait même l’apprécier si elle la comprenait ce qui semble être le point d’orgue de la relation étrange qu’elles entretiennent actuellement : Minnie ne comprend pas. Elle ne comprend pas l’attention, elle ne comprend pas ses passages réguliers, elle ne comprend pas ce qu’elle lit dans ses yeux, elle ne comprend pas ses poèmes, elle ne comprend pas toutes ces tentatives de séductions un peu avortées qui ressemblent à des blagues. Elle pige pas, Minerva, elle se demande qui séduit comme ça, elle se demande si elle tente vraiment de la séduire, si elle est juste un peu stupide, si elle est juste en manque d’amie. Elle comprend pas, Minnie, pas du tout. N’empêche qu’elle a dit okay quand elle a dit qu’elle allait passer, n’empêche qu’elle a dit à Meredith de partir plus tôt, n’empêche qu’elle l’attend, perchée sur le comptoir de sa boutique, les yeux rivés sur la vitrine avec une impatience qui ne lui ressemble pas trop.

C’est pas un rendez-vous, même amical, mais Moira a promis un thé et Minnie a envie d’un thé, mais Moira met un peu de couleurs dans sa vie, mais Moira fait des trucs zarbis et que ça lui donne envie de rire, même si elle lui montre pas parce qu’elle veut pas l’encourager, mais Moira lui arrache des sourires, parfois, à des moments où elle s’y attend pas, parce qu’elle est trop énergique et déterminée, parce qu’elle explose de partout comme un feu d’artifice, parce qu’elle est démente et que Minerva aime ça, les gens déments, qu’elle a toujours beaucoup trop aimé ça, que c’est pas bon pour elle mais qu’elle y retourne à chaque fois. Elle sait que Moira est imprévisible. Elle sait que ses entrées sont toujours des mini moments d’anthologie et qu’il faut qu’elle fasse face à ça. Elle sait.

N’empêche qu’elle avait pas prévu qu’elle colle du rouge à lèvres sur ses vitrines propres. N’empêche qu’elle compte pas laisser passer ça, n’empêche qu’elle se colle son air le plus sévère sur le visage lorsqu’elle se laisse tomber au bas du comptoir pour la rejoindre à grands pas, parce qu’elle est en mode serious business Minnie et que rien peut l’arrêter quand elle est comme ça, pas même les trop jolis yeux de Moira ou son sourire, pas même l’enthousiasme dont elle fait preuve quand elle la voit, pas même l’espèce d’impatience qu’elle ressent qu’elle soit enfin là. Rien de tout ça, donc, n’efface le rouge sur la vitre et l’espèce de coeur qu’elle y a tracé et que Minerva pige pas, parce que les sentiments nettoient pas les carreaux et que si c’était le cas ça fait longtemps qu’elle les épongeraient avec ses déceptions sentimentales.

« J’espère que tu comptes pas laisser ça là. » qu’elle balance en pointant du pouce la vitre. « Parce que c’était propre avant que t’arrives et que j’espère que ça le sera à nouveau dans cinq minutes chrono sinon je bois mon thé toute seule. »

Elle a le nez plissé, Minerva, une espèce de contrariété sur le visage, parce qu’elle aime pas qu’on touche à sa boutique, parce que c’est sa maison, parce que c’est son refuge, parce que ça la saoule d’être aussi chiante mais que merde y a des limites. Elle a zéro scrupule, lorsqu’elle se penche pour attraper la tasse de thé, adresse un petit sourire à Moira, quand même, parce qu’elle est pas en colère, pas vraiment, pas à ce point.

« Comment a été ta journée ? »

Et le pire c’est que ça l’intéresse vraiment.

Minerva la voit. Minerva la voit et Minerva ne sourit pas. Minerva la voit, ne sourit pas et a même plutôt l’air effrayante avec ses yeux qui lancent des éclairs quand Moira encrasse sa vitrine à l’aide de son rouge à lèvre. J’espère que tu comptes pas laisser ça là. De quoi ? Son cœur ? Ses sentiments ? Elle veut qu’elle les nettoie là maintenant ? Elle a cette autorité dans la voix Minerva, de celle qui ne se laisse jamais emmerder, le regard droit et le corps stable. Aucun tremblement, pas même un hurlement. Ouais. Putain d’autorité. Mais Moira n’avait jamais été vraiment doué avec l’autorité, dommage pour toi Minerva, faut recommencer pour que ça rentre dans sa tête un peu cabossée. Parce que c’était propre avant que t’arrives et que j’espère que ça le sera à nouveau dans cinq minutes chrono sinon je bois mon thé toute seule. Moira porte la main à son cœur, l’air faussement outrée des mots de la brune, puis le sourire qui prend bien vite le dessus. Gamine, sale gosse, 26 ans qu’elle fait tourner le monde en bourrique sans aucun scrupule. « Tu blesse mes sentiments Minerva » léger trémolo, putain elle aurait presque pu être actrice si elle ne détestait pas tant être devant la caméra. « Tu trouves que mon affection est salissante ? » les yeux humides, les lèvres tremblantes, et le regard qui brûle de malice. Puis sans attendre elle hausse les épaules et fouille dans son sac pour en sortir des lingettes démaquillantes et commence à astiquer la vitrine, parce qu’elle sait que Minerva la foutra dehors si elle ne nettoie pas. Parce que Minerva ne rigole jamais avec ça. « Tu vois, pas de quoi en faire tout un fromage, un coup de produit et hop ! plus rien. » elle regarde un instant les dernières traces de rouge à lèvre, puis ses lingettes avant de soupirer « soit le démaquillant est vraiment magique, soit ce rouge à lèvre est d’une qualité mer-dique » elle parle pour elle-même ou pour Minerva. Elle parle parce qu’elle ne sait pas intérioriser ses pensées et que trop souvent elle crache ce qui lui passe dans son cerveau troué, les idées qui fuient à travers les lacunes de son crâne passoire.
Alors qu’elle recommence à frotter, Moira tourne la tête pour regarder Minerva se saisir de sa tasse de thé. Cette dernière quitte un instant son masque de businesswoman de fer pour offrir à Moira un sourire. C’est petit, mais c’est déjà ça, c’est un sourire auquel elle répond avec ardeur parce qu’elle aime ça, la joie. Comment a été ta journée ? Moira ne répond pas tout de suite, elle s’écarte pour vérifier qu’elle a bien tout nettoyé sur la vitrine avant d’attraper à son tour sa tasse de café et se planter face à Minerva : pas trop près mais pas trop loin non plus. Une distance de sécurité en somme. Mais sécurité pour qui, là est la question. Surement pas pour Moira et son regard qui se porte sur les lèvres de Minerva pendant que cette dernière boit son thé ; Déformation professionnelle (ou juste déformation) et Moira qui se prend à imaginer toutes sortes de choses. Faut dire qu’entre Leonard et elle c’est compliqué et qu’elle a touché personne depuis ce matin, pas même Matthew qui avait l’air trop occupé. Et elle se retrouve surement un poil frustrée. Juste un poil. Alors elle imagine juste avant de secouer la tête et d’avaler une gorgée de café. « Bof tu sais elle est pas terminée j’ai pris une pause pour surfer, le vent était bon. Mais j’y retourne dans une heure, Léo me couvre » ou Paige. Ou Meora. Enfin quelqu’un quoi. Mais elle avait eu besoin de s’eclipser pendant quelques heures pour se changer les idées, et puis ses idées étaient tombées sur Minerva et de fil en aiguille elle avait débarquée chez elle avec un thé en offrande. « Journée banale on va dire, on boucle l’épisode de cette semaine là ! une sombre histoire d’aiguille retrouvée dans les toilettes par Jonathan, et du coup il a essayé de se piquer avec mais Freddie est arrivé juste à temps… Enfin bref des histoires de drogues quoi » elle parle l’air de rien Moira, parce que ce qui se passe au foyer de Beth ne la touche absolument pas. Parce que Moira n’a aucune empathie pour les habitants, et qu’elle fait juste son boulot parce qu’elle aime ça, parce qu’elle aime VTT. Beaucoup lui reprochent son manque d’humanité, comme Léonard par exemple. Mais le plus souvent elle se contente de sourire et de hausser les épaules, parce qu’elle n’a pas grand-chose à répondre. « Et toi alors Minerva, quoi de neuf dans ton Palais ? Des clients relous ? Du genre à dessiner sur la vitrine ? » clin d’œil Moira rigole doucement, replace une de ses mèches mouillées derrière son oreille et accepte enfin de se taire pour laisser Minerva parler.