Je tournais en rond. Comme un lion en cage, comme s'il me manquait quelque chose de cruciale, quelque chose d'essentiel à mon existence sur terre. Mais chaque fois, chaque fois que j'en revenais à me stopper pour me calmer, je revoyais mon téléphone, je revoyais les chiffres composant les numéros de chacun de mes amis s'incruster dans mon cerveau, sans jamais savoir qui appeler. J'me retrouvais bloquée à Tybee Island, comme une conne. J'me retrouvais là, perdue, incapable de prendre une décision rationnelle. Je n'étais qu'une enfant, encore. J'étais probablement infectée, j'allais sans doute mourir dans quelques heures, et je ne savais pas qui appeler. Qui était la dernière personne à qui je voulais parler ? Mes parents, évidemment. Mais ce n'était pas possible. Et il me fallait donc réfléchir vite. JJ ? J'avais beau l'aimer beaucoup, non. Pas lui. Les filles des kids, ça n'était même pas la peine. Ioan, alors ? Je l'appréciais. Oui, je l'appréciais. Mais pas à ce point... Max était l'option la plus raisonnable. Max était mon meilleur ami, il aurait dû être la personne que j'voulais appeler. Mais mes doigts composèrent eux-même un autre numéro, portant mon téléphone à mon oreille, juste au moment où un "allô" se faisait entendre au bout du fil. Samih... C'est moi. Comme une envie de pleurer, soudainement. Je... Je suis sur Tybee Island.

J'sais pas pourquoi, entendre sa voix moqueuse m'annoncer que mon nom s'est affiché sur son téléphone m'a rassurée. La vie continue, la vie s'est pas arrêté, et Samih est toujours Samih. On mourra peut-être tous, ici, à Tybee Island, mais le monde continuera, et si certains seront touchés par notre décès, parce qu'ils nous connaissent ou juste parce qu'ils ne comprennent pas, le monde continuera. Et c'est rassurant, quoique très déprimant également, de savoir ça. Ça m'remet droite dans mes pompes, et j'pourrais presque me mettre à sourire. Presque, seulement, parce que lorsque je lui annonce ma présence à Tybee Island, il ne semble pas réagir, me faisant comprendre immédiatement qu'il n'est pas au courant. Y'a pas 36 000 solutions, de toute façon. Il est sans doute défoncé, sans doute en train de réfléchir, à c'qu'il peut bien se passer, pourquoi est-ce que Tybee Island aurait une quelconque signification. Q..Quoi ? Ah, ça y est, c'est venu à son cerveau ! Pas que j'meurs, mais bon, vous savez... J'vais sans doute finir comme l'un des zombies de The Walking Dead, quoi. Rien de dramatique, vous imaginez bien. En temps normal, j'aurai probablement levé les yeux au ciel. J'l'aurai engueulé d'pas être capable de réfléchir, d'avoir un cerveau aussi mou qu'sa queue, avant d'le traiter d'tous les noms possibles et imaginables. Et d'un coup il se met à parler, on peut plus l'arrêter, et moi j'ai du mal à l'suivre, j'arrive pas à me concentrer. Quand il m'demande c'que j'fous là, j'comprend pas, j'me souviens pas, j'me souviens plus. Qu'est-ce que j'suis allée foutre à Tybee Island, sérieux ? Moi qui y vais jamais, c'est bien ma veine. J'peux pas sortir, Sam. Et tu pourra pas rentrer. Reste au squa... J'ai pas l'temps d'finir ma phrase, j'l'entend se bouger à l'autre bout du téléphone, j'l'entend qui part du squat. J'sais qu'il y est plus, j'sais qu'il va faire une connerie, j'sais qu'il risque d'mourir si il vient. Et j'veux pas ça. J'veux vraiment pas qu'il meurt. Alors j'me remet à tourner comme un lion en cage, parce que j'viens justement d'le lâcher dans la fosse aux lions. Pas besoin d'paroles inutiles, pas besoin d'faire comme si c'que j'pouvais dire avait un quelconque impact. J'sais bien que j'pourrais pas l'faire changer, qu'il viendra quoique j'en dise. Mais on sait jamais. On sait jamais, alors j'm'approche des barrières, afin d'voir comment j'pourrais sortir, d'voir comment j'pourrais m'faufiler. J'sais bien m'faufiler, autant qu'ça m'serve, non ? Mais aucune issue, rien, nada, et j'perd espoir. Pour la première fois de ma vie, j'ai plus d'espoir.

C'est quoi ton idée ? J'te laisse dans la merde et je rallume ma pipe à crack ? J'avoue qu'en entendant sa phrase, j'me suis soudainement d'mandé pourquoi j'l'avais appelé. Il pouvait faire quoi, au fond ? Débarquer et me sortir de là, trouver un antidote ? Il n'était pas un génie. Il était particulèrement intelligent, avait une faculté inné pour trouver des solutions, était un leader charismatique (enfin, peut-être pas autant que j'voulais l'faire paraître, mais fallait avouer qu'j'l'aurai suivi au bout du monde), mais il n'allait pas réussir à m'sortir d'là. Ou p'têt que si, tiens. J'entendais l'moteur de la voiture s'allumer, et Sam qui s'énervait contre moi, comme si c'était d'ma faute, comme si j'avais fais une connerie. Ils sont en train d'installer les barrières, là... J'vais essayer de trouver une zone sans surveillance. J'sais pas pourquoi, l'idée d'avoir Sam qui v'nait à mon secours m'avait donné un bref élan de motivation, élan de motivation qui disparu bien vite à mesure que j'longeais les fameuses barrières, un peu en retrait. Fallait pas qu'j'me fasse arrêter dans ma tentative de fuite, non plus. Attend, attend... J'crois qu'il y a un endroit, là... Mes yeux s'étaient stoppés sur un coin, une rue qu'avait l'air totalement vide de vie. La plupart des gens présent à Tybee Island, qu'on appellera désormais les infectés sur les chaînes d'informations nationales, était agglutinés comme des bêtes devant les barrières, gueulant pour qu'on les laisse passer. Ils voulaient tous retrouvés leur p'tite famille parfaite, leurs enfants parfait, ils voulaient sortir d'ici, c'qui faisait qu'personne faisait attention à moi, et ça m'laissait l'champs libre. Alors j'm'enfonçais dans la fameuse rue, le téléphone toujours collé à mon oreille, comme si ça pouvait m'servir à quoique ce soit. Daire, faut essayer au moins. Alors fais le tour du barrage et trouve une faille, s'il te plait ! J'me retenais vaguement d'lever les yeux au ciel, simplement parce qu'il avait dit s'il te plaît et que j'sentais dans sa voix qu'il était vraiment dépassé par la situation. Moi aussi j'l'étais. J'avais un peu peur, j'étais pas trop sûr d'm'en sortir, mais fallait qu'j'le fasse, au moins pour Sam, au moins pour Max, au moins pour mes parents. Pis pour Eithne, qui d'vait s'demander où j'étais, c'que j'faisais. Qui d'vait s'assurer qu'j'étais pas sur Tybee Island. Tiens, ça s'trouve, elle aussi, elle y était. Calme toi, Sam ! J'fais d'mon mieux, okay ? Alors m'engueule pas, tu s'rais sympa ! J'pestais dans ma barbe, marchant rapidement en jetant des coups d'œils autour de moi, avant qu'ma respiration s'bloque soudainement, m'faisant cracher, mais aussi m'arrêter sur le coup. J'avais l'impression d'cracher mes poumons, genre, littéralement. Sous l'coup, mon téléphone tomba au sol, sur les quelques goûtes de sang qui s'étaient échappés d'ma gorge. Putain d'merde...