manon.

Comme toutes les connes elle a une histoire Manon. Y a un début et y a une fin. Elle a pas eu de happy end. Sa vie s'est pas soldée comme dans un téléfilm pourri dont on devine l'épilogue aux premiers instants. C'était pas ficelé pour que ça soit beau. Alors ça l'a pas été. Pourtant elle avait d'quoi être heureuse Manon. Une gueule de poupée et des parents aimants. Elle a toujours baigné dans l'amour Manon. C'était pas une abstraction. Y avait toujours d'la place pour les sentiments. Le bonheur avait l'odeur de tabac de papa et le visage rayonnant d'maman. Manon puait la perfection. Sa gueule de poupée et son rire en carillon. Elle était chiante tellement elle était belle. Et puis Manon elle était pas bête. C'était pas Einstein non, c'était plutôt Monet. Gamine elle se promenait jamais sans ses crayons. Elle avait déjà cet aura qu'on trouve aux artistes. À ceux pour qui c'est inné. Manon elle a jamais cessé de dessiner.

La nature morte c'était pas son truc. Elle voulait donner vie à ses créations. Que ses personnages s'animent sous ses mines. Ils avaient tous une histoire. Un truc à raconter. Des love stories sur du papier. Des Mr Jack revisités. Parce qu'elle était fan de Tim Burton Manon. C'était son inspiration. Elle disait toujours qu'ça la faisait marrer, ce paradoxe entre le style sombre de Burton et ses créatures délirantes. Alors Manon elle a commencé à intégrer des écoles spécialisées dans l'art. Ses parents ils auraient pu lui dire de faire du droit, d'faire médecin ou bien prof. Mais Manon elle tenait bien de ses parents. Deux hippies dans l'âme qui se limitaient à la joie de vivre de leur fille. Elle a jamais eu à se plaindre. Elle a pas fait sa crise d'ado. Sa vie elle était bien trop belle, bien trop paisible. Bien trop. Et au fond ça explique tout. Le bonheur on sait pas le garder. On sait pas s'en contenter. L'être humain a toujours besoin d'obscurité quelque part. Une part de connerie. Une part d'inhumanité. Puis la monstruosité.

Alors quand papa s'est fait muter en Amérique, Manon elle avait déjà son destin scellé. Putain qu'est-ce qu'elle était heureuse la poupée frenchie de traverser l'océan. Adieu la France. Adieu Paris. Et cette Tour Eiffel à la con. Elle a toujours voulu voyager Manon, c'était son trip à elle. Ouais c'est vrai qu'elle se faisait jamais de véritables attaches. Elle disait que les amis ça va, ça vient, que c'est comme les vagues qui remuent les grains d'sable. Pourtant Manon elle avait ce charme qui attire. Ce charme qui inspire. Et tout le monde qui gravite autour d'elle. Un soleil Manon, c'est ça qu'elle était. Un putain de soleil.

Puis y a eu Maxim, puis y a eu l'éclipse. Paraît qu'un soleil ça finit toujours par s'éteindre. Ou par imploser. Et fallait s'y attendre quand la lune rencontre le soleil, la lumière s'évanouit. Impact meurtrier. Manon elle s'est perdue. Éperdue. Elle a pas pigé tout d'suite qu'il avait son palpitant au creux des mains. Comme la sorcière qui tient le cœur du chasseur. C'était trop tard quand elle a compris. Elle l'aimait déjà trop fort. Elle l'aimait déjà à en crever. Maxim et son âme à la dérive. Cliché du mec torturé. Mais Manon elle a pas fichu l'camp. Elle a tendu la main, elle s'est jetée dans l'brasier qu'il avait allumé. Pauvre conne.

Maxim s'estompe vers Mad. Manon s'estompe pour Mad. Elle le change. Elle se change. Et elle s'éteint. Elle est comme le mégot à l'abandon qui rougeoie dans le noir. Et Mad il rallume pas la flamme non. Mad il a le pied au-dessus d'sa gueule pour l'écraser. Manon se perd dans ses démons. Elle frôle l'enfer des sentiments. Elle peut plus s'en sortir et elle le sait depuis longtemps. Mad joue au marionnettiste et tire les fils de la souffrance. Gepetto pue l'amertume. Et d'un geste, d'un seul, l'envoie dans l'écume de sa désolation. Pauvre con.

Euthanasie dans la plaquette, pour euthanasier ce trop plein. Trop plein d'amour, trop plein de lui.  Manon elle a l'odeur des chrysanthèmes. Une fin aux allures de poème. C'est pas les veines qu'elle s'ouvre. C'est pas la cervelle qu'elle s'éclate. Manon elle veut juste s'endormir et partir. Partir. Elle a le palpitant qui tape contre sa poitrine comme un oiseau affolé dans sa cage. Mais elle en a rien à foutre. Y a pas d'autre solution. Alors Manon elle avale tout. Manon se dissout. Manon elle crève d'amour.

savage.

C'était un peu comme Roméo et Juliette mais y a qu'Juliette qui est morte. Mad il a pas eu les couilles de la rejoindre. Il a pas eu l'courage qu'on prête au romantisme. Mad il a juste eu vent de sa disparition et puis il s'est cassé. Comme un virus qu'a fait son job. Il s'est insinué pour la détruire jusqu'à la moelle et a bousillé le mécanisme. Manon elle avait les rouages en désordre et le coucou à l'agonie. Mais Manon elle s'est ratée. Deux mois de coma avant de revenir à la déraison. Et la tête qui fait mal. La rétine agressée par le blanc de l'hôpital. Et ce goût de mort sur la langue qui veut pas disparaître. Elle a tout fait comme il fallait Manon. Des mois de rééducation. Réapprendre la vie à son enveloppe meurtrie. Sur les analyses et les radios, Manon a pas de lésions. Y a pas eu d'répercussions. Mais peu à peu Manon s'oublie dans les bras de l'amertume. Et dans un souffle, dans un regard, Manon s'oublie dans Savage.

Quand elle signe sa sortie de l'hosto, elle appose la marque de sa schizophrénie. Manon n'est plus. Manon disparue. Et Savage prend le large. C'est la naissance de l'absurde. L'absurde beauté. L'absurde arrogance. L'absurde insolence. La naissance d'un sourire narquois fiché sur ses lèvres carmin. L'acide sur la langue pour masquer les éternels relents des cachetons. Savage a l'compteur à zéro. Elle s'est jetée dans la vie avec une force tranquille. Comme un saut dans le vide d'une page blanche. Et Savage elle gribouille plus qu'elle ne dessine. Elle rature et noircit les coins. Croquis de son existence encore trop abstraite.

Savage elle se fout du monde, elle se fout de tout. Elle virevolte d'insouciance. Elle vole au-dessus des gens. Alors elle croyait qu'elle passerait au-dessus de ça aussi. Que le passé était effacé à la gomme. Mais y a l'fantôme de Manon qu'est toujours là. Paumé dans son palpitant au rythme plat. La rancune dans les veines. Et l'absence de Mad. L'absence de mal. Comme une junkie qu'a pas eu sa dose, Manon bouscule Savage. Et de ville en ville. De bars en bars. Savage rencontre Mad.