Dans la nuit tous les chats sont gris, y compris ceux qui ont vu de trop près les étoiles et qui en gardent quelques traces sur et sous les yeux. C'est peut-être pour ça qu'elle a choisi d'aller échouer sa sale carcasse sur ce sale trottoir, et elle a presque pas grimacé quand ses os lui ont rappelé qu'ils avaient été réduits en pâté y'a pas si longtemps. Elle a choisi d'avoir un nouvel an à son image Trix. Dégueulasse. Lovée contre la façade d'un bâtiment éteint, y'a pas plus de lueur dans ses yeux qui ne s'éclairent qu'à l'idée de se retourner le crâne avec l'alcool basse qualité auquel elle est cramponnée. C'est peut-être à gerber comme soirée, elle finira sûrement par le faire d'ailleurs, reste que ça lui file moins la nausée que l'idée de passer ce premier jour de la fin de sa vie entre Jimmy, son putain de serpent enroulé autour de lui et Barbra scotchée à ses lèvres, ou l'inverse d'ailleurs. Elle s'envoie une rasade qui lui brûle la gorge, « même pas mal », c'est faux, elle a atteint le seuil de non-retour désormais, elle a mal tout le temps. Elle clôt les paupières et s'adonne à son jeu préféré, celui de se remémorer ce que c'était de ne pas avoir de sutures sur la lèvre, points de croix à l'arcade sourcilière, un peu de bleu pour les yeux, poupée de porcelaine tombée de son étagère face contre terre. C'est douloureux, de ne plus avoir un joli minois, quand t'es rien que ça. Sam fait quoi ce soir ? Ça te fait rien, arrête de penser « putain » qui lui échappe et c'est un « putain » de tout qui se demande comment on fait pour tomber aussi bas là où on est sûr de jamais se relever. Elle relève la tête d'ailleurs, alertée par des pas traînants qui laissent leur écho dans ses oreilles. Réflexe du clebs qui s'est déjà pris trop de coups et qui aboie au moindre passage. En découvrant le propriétaire des pieds elle lève les yeux au ciel. Pitié dieu. « Qu'est-ce que tu fais là. » Les choses sont déjà à leur pire, Nemo. Ça va être difficile d'aggraver les choses, même pour toi. Elle sait plus à quand remonte la dernière fois qu'elle l'a vu, parce qu'elle va plus à leurs réu et qu'elle n'est pas retournée au Walmart non plus. Ce ne sera pourtant pas le soir des retrouvailles. « Trouve-toi un autre trottoir » lui c'est celui qu'elle s'est choisi pour mausolée et elle a pas du tout envie de partager. Qu'on la laisse enterrer toutes les années qui ne viendront pas en paix.

Il déteste les fêtes. C’est pas tellement le scoop de l’année, ni même de la nouvelle année, c’est comme ça depuis qu’il est gamin. Il en a jamais eu grand-chose à foutre des cadeaux sur le sapin, surtout que les trois-quarts du temps il avait pas ce qu’il voulait, le Père Noël refusant obstinément de lui apporter une corde ou une kalach’. Il en a encore moins à foutre de la Saint Sylvestre, des feux d’artifice et du champagne, à se lancer bonne année par réflexe plutôt que par bon sentiment. Bonne année. Chaque année supplémentaire qu’il passe en vie ne peut être qu’une mauvaise année. Les autres sont juste trop cons ou trop bourrés pour le réaliser. Nemo a pas d’amis avec qui fêter le nouvel an, évidemment. Même ceux qui le supportent plus ou moins savent qu’il faut éviter de l’inviter à ce type de soirées. Ça finirait en bain de sang. Peut-être même que son vœu le plus cher serait exaucé : se faire étriper par un abruti mort saoul. Il va nulle part, donc, il erre dans les rues sans but comme les autres poivrots du coin, une bouteille de vodka à moitié vide – il n’a jamais été du genre à la voir à moitié pleine, vraiment. Au final, il passe cette soirée si festive comme toutes ses autres soirées, à se retourner l’estomac avec de l’alcool bon marché, la déprime plein la tête. Le bonheur. Comble du bonheur, au détour d’une rue, il croise son ex-collègue. Il sait pas si elle s’est fait virer, mais ça fait longtemps qu’elle s’est plus pointée au Walmart, Chickenpox, et pareil à la thérapie. Pourtant il se réjouit pas trop de la voir. Et elle a pas l’air non plus très réjouie, en lui demandant ce qu’il fout là. « Je fête le nouvel an. », il fait, en soulevant sa bouteille pour la mettre en évidence, des fois qu’elle l’aurait pas vue. Il plisse les yeux, observe le visage amoché dans la pénombre. Ça lui arrache un sourire. « T’es plus belle que d’habitude. Le bleu c’est définitivement ta couleur. » Il s’en fout de ce qu’elle veut, Trixia, alors il se laisse glisser sur le trottoir à côté d’elle, beaucoup trop proche, bien décidé à l’emmerder. Y’a pas d’activité plus revigorante que ça, selon lui. Il sort son téléphone de sa poche, consulte l’heure, ricane. « Il est passé minuit d’puis vingt minutes. J’te souhaite une année d’merde. » Et il se penche vers elle, rapidement, colle sa bouche sur la sienne pendant une demi-seconde avant de s’écarter, pas trop fort, parce qu’il rêve de se prendre des coups pour fêter la nouvelle année.

Elle se ferait de la peine si elle avait de l'empathie Trix, à défaut elle s'en veut. De se voir si pathétique écroulée sur le trottoir telle une ombre de clochard, de ne pas rester tête droite même si il n'y a plus personne pour s'intéresser à la décrépitude de sa majesté. De ne pas avoir le cran de faire sauter celui d'un flingue ou de se pendre avec les guenilles des robes royales. Pas de robe ce soir, pas de grande veillée, rien qu'un feu d'haine dans le ventre qu'elle arrose d'alcool carburant. Au moins personne n'est là pour contempler princesse baignant dans la fange de la solitude qui consume.
Personne sauf Nemo. Et ça pourrait être pire, Seven et son maudit rire, Sam aux bras d'une autre, JJ revenu des enfers pour l'y brûler définitivement parce que le taf est mal fini, si mal qu'elle sera encore là l'année d'après. Si il avait été plus consciencieux, elle n'aurait pas eu à la commencer aux côtés de Nemo. Il « fête le nouvel an. » aussi Nemo, d'une façon si merdique qu'elle manque de le railler avant de prendre conscience qu'il n'est rien d'autre que son reflet, que sa bouteille tinte tristement écho à la sienne. « T’es plus belle que d’habitude. Le bleu c’est définitivement ta couleur. » Elle est devenue aussi seule et pitoyable que ce mort qui vit. « Ferme là. Et dégage. » alors qu'il s'assoit, et putain qu'elle se dit, putain que je dois être une sacrée pute pour que le karma s'acharne encore, même ce soir. Elle le fusille du regard, mauvaise, il n'a pas de chance Nemo, si les yeux pouvaient tuer Trix l'aurait délivré depuis longtemps de l'existence pesante. « Il est passé minuit d’puis vingt minutes. J’te souhaite une année d’merde. » elle hausse les épaules, « Rien à f.. » et elle lui dirait qu'il peut bien s'étouffer avec ses vœux, que tout est déjà à pleurer, mais elle peut pas parce que ses lèvres sont venues se ventouser aux siennes et elle est en train de suffoquer. C'est même pas une seconde et c'est plus que l'éternité. Sa main part toute seule, s'éclate sur la joue du rouquin. « PUTAIN MAIS » sa sale bouche, sa sale bouche sur la sienne, calcul des germes, elle peut même pas imaginer le nombre de maladies qu'il se traîne à force de tant prier pour y passer. Elle le hait, le hait, le hait, choppe le col de son tee-shirt et se jette sur lui, une colère flamboyante aux effluves de vodka. « JE VAIS TE TUER » et écrasée contre lui elle comprend ce qu'on ressent quand on est JJ quand on est Sam et qu'on martèle ses poings contre la chair tendre. C'est ce qu'elle va faire Trix, elle lui envoie une droite maladroite, ça va pas, ça fait un autre bruit quand on la frappe, lève la main encore. « Je vais.. » et c'est violent, ça la prend aux tripes, un salto de l'estomac, y'a Alcool et Douleur qui font la fête en bas. Elle blêmit.
Et lui vomit dessus.

Y’a la gifle qu’il se prend, le sourire qui fleurit sur ses lèvres alors que la douleur irradie sa joue, la violence d’une meuf bourrée lui fait plaisir, même s’il pense qu’elle y serait allée plus fort si elle avait été plus sobre. Dommage. Il sourit, parce que y’a le dégoût qui s’imprime sur le visage de Trixia, il sourit parce qu’elle hurle, il sourit parce qu’elle est sûrement en train de se remémorer le nombre de bactéries échangées en un baiser, suffit d’un peu de salive étrangère pour se choper plein de saloperies, et ça le fait ricaner salement, sans parler que son haleine d’alcoolo patenté doit pas être des plus agréables. Et il en est fier. Elle pète une case, Trixia, profère des menaces et Nemo se dit oh oui, s’il te plaît, tue-moi, abrège mes souffrances. Il déteste la nouvelle année. Il déteste se dire qu’il va survivre une année de plus grâce à son incroyable malchance quand il en vient au suicide. Il espère qu’elle va réussir, Trixia, agrippée à son col avec toute la véhémence dont on peut faire preuve lorsqu’on est plus très net dans sa tête. Il se demande si elle en voit deux comme lui. Peut-être trois. Il sourit, se marre encore, supplie mentalement Satan d’exaucer son vœu le plus cher, comme une bonne résolution faite un peu avance. Que Trixia aille pourrir en prison pour lui avoir offert ce qu’il souhaite depuis ses neuf ans. L’idée lui plaît. Même s’il y croit pas, évidemment, frêle poupée déjà trop abîmée qui s’en prend à lui, faudrait qu’elle ait mieux que ses poings pour le massacrer. Parce que la droite qu’elle vient de lui balancer est pas très bien placée, fait moins de dégâts que la gifle qui a précédé. « T’es nulle », il fait, comme s’il allait lui montrer comment il faut faire pour faire vraiment mal. Il lui prêterai volontiers sa bouteille de vodka, au fond, pour qu’elle lui scalpe la tronche avec un morceau de verre brisé. Mais ça se passe pas comme prévu, évidemment, et c’est du vomi au lieu du sang qui vient maculer sa tenue de nouvel an (un T-shirt de hippie élimé). Ça prend pas très longtemps avant qu’il lui rende la pareille, l’odeur qui vient réveiller son estomac déjà trop amoché, et c’est à Trixia de se voir offrir un reste de dîner en plein sur les nichons. Il s’essuie la bouche, grimace à l’amertume qui s’installe contre sa langue. « Eh beh on va finir cette soirée à poil, toi et moi. Qui l'eût cru ? » Et y’a son haut dégueulassé qui s’étale contre le trottoir à côté d’eux, le goulot de sa vodka chérie qui se colle à ses lèvres pour faire passer le goût de gerbe. Il bouge pas. Il espère encore que son miracle arrive. Peut-être.