4 décembre 1997.

Je traversai la route qui séparait la supérette du terrain vague où ma mère avait décidé d'installer le van pour quelques jour. Elle m'avait chargé d'aller chercher des cigarettes pour elle. J'avais très envie de dire au vendeur d'appeler la police et de prétendre que ma mère m'avait enlevée, mais j'aurais eu des problèmes quand ils auraient découvert la vérité. Alors, comme à chaque fois, j'ai obéi à ce que ma mère disait. C'était mon anniversaire, j'aurais juste espéré qu'elle me le souhaite et qu'elle m'achète un bon repas. Mais ce jour était comme les autres. Elle ne m'avait jamais souhaité un seul anniversaire. Je suis donc retourné dans le van, j'ai machinalement posé le paquet de cigarettes sur ce qui servait de table et je suis retourné sur mon lit, pour jouer avec mes petites voitures. Elles étaient mes seules amies, mes petites voitures. Elles n'avaient pas trop l'apparence d'un humain, ce n'était pas évident de leur parler et de se confier, mais elle me tenaient compagnie.

Ma mère s'était absentée le temps que j'aille à la supérette. Je savais bien qu'elle trouvait cette excuse pour aller faire ses affaires tranquillement. Pourquoi se serait-elle dérangée à me parler pour me demander d'aller lui acheter quelque chose ? Elle avait juste voulu m'éloigner pour pouvoir elle même partir dans un coin tranquille. Je connaissais cette routine. Je venais tout juste d'avoir cinq ans, mais les films qui passaient à la télé m'avaient appris à quoi servaient les seringues que ma mère cachait dans les placards. Je n'aurais pas dû voir ça à la télé, mais ma mère ne surveillait absolument pas ce que je faisais, alors j'étais tombée par hasard sur ce documentaire.

Cela faisait une heure qu'elle n'était toujours pas revenue. Je commençais à avoir faim. Heureusement, il me restait de l'argent de ce qu'elle m'avait donné pour acheter ses cigarettes. Alors je suis ressorti du van, ne prenant pas le temps d'éteindre les lumières. Je regarde une nouvelle fois à gauche puis à droite avant de m'élancer pour traverser la route. La supérette est ouverte sans interruption jour et nuit, je pouvais donc prendre mon temps. Le vendeur semblait étonné de me revoir et je lui ai annoncé de vive voix : "Aujourd'hui, j'ai cinq ans !" Mais il ne semblait pas s'en soucier, il détourna le regard pour retourner à sa lecture. Je cherchai donc un gâteau. Peu importe s'il s'agissait d'un gâteau d'anniversaire, en fait, même une glace aurait fait l'affaire. J'avais seulement cinq dollars, mais je pouvais m'offrir un festin de friandises avec ça. Une fois mes achats faits, je retournai au van. Mais devant le van se trouvait ma mère, terrifiée. J'accouru vers elle, manquant de lâcher les gâteaux et je m'écriai : "Maman ! Maman, je suis là ! Je suis là, ne t'inquiètes pas !" Et là, je crois que ce fut la baffe la plus monumentale qu'elle ne m'ait jamais donnée. J'ai fini par comprendre que ce qui l'avait terrifiée, ce n'était pas mon absence, mais plutôt de voir que quelqu'un était rentré, lui avait volé les quelques bijoux qu'elle avait et ses doses.

Je me suis donc fait tout petit pour le reste de la soirée et les jours qui ont suivi, me contentant de manger les gâteaux que j'avais achetés.

25 décembre 1997

Ma mère avait appelé la police suite à l'intrusion dans le van trois semaines auparavant, pour signaler le vol de bijoux. J'ai été questionné, tout comme elle. Je n'ai rien dit, j'ai dit que je n'avais rien vu, que j'avais juste oublié d'éteindre la lumière quand j'étais sorti pour aller à la supérette. Alors on m'avait posé des questions pendant plusieurs jours pour comprendre pourquoi, à cinq ans, j'allais à la supérette tout seul et que ma mère n'était pas avec moi au moment des faits. Je n'ai rien dit. J'ai gardé le silence sur ce qu'elle me faisait vivre, parce que ça paraissait normal, je n'avais connu que ça et j'avais peur. J'avais peur de me prendre une baffe encore une fois.

Mais la police a su faire son boulot et a enquêté. Je ne sais plus trop comment ils en sont arrivé à cette conclusion, mais vu les conditions dans lesquelles je vivais, l'absence de père et le fait que je ne sois pas scolarisé. Ils ont sûrement dû trouver des preuves de son addiction à diverses drogues dures. Quoiqu'il en soit, ils ont pris cette décision ce jour-là d'enlever la garde à ma mère et ce, sans préavis. J'ai donc été placé dans cet orphelinat. C'était un jour de Noël, on m'a dit ce jour-là que c'était mon jour de chance. Mais ce jour-là, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. Je détestais ma mère, je crois, mais je détestais aussi qu'on change ma vie, parce que je ne savais pas où j'allais. Je me suis retrouvé seul, alors que tout le monde faisait la fête, je n'avais pas mes petites voitures.

A vrai dire, ce soir-là, j'ai tenté de m'échapper. Mais je n'étais pas un grand coureur et le simple fait de réfléchir à l'endroit où je pouvais aller, j'ai vite été rattrapé et consigné dans ma chambre. Je n'avais pas encore compris qu'on m'avait donné une chance inouïe.

Un après-midi d'avril, 2003

J'avais dix ans et plus de parents. Mais au final, ma vie était chouette. Bien sûr, l'orphelinat était rempli de contrainte et je ne demandais qu'à sortir de ce fichu endroit. J'avais besoin de m'évader, j'avais besoin de sortir et de courir, mais pas seulement pendant les heures de sorties autorisées. Je voulais pouvoir vivre ma vie, être grand tout de suite. Mais cet après-midi là, j'étais simplement à l'orphelinat.

Mais ce n'était pas dramatique, parce que j'avais les gars autour de moi. Enfin, il y avait aussi cette fille. En cinq ans, j'avais su me fonder une petite famille avec Pene, Tom, Tex et l'autre. L'autre dont je ne prononce plus le nom, parce qu'il n'est plus que l'autre. Enfin, à l'époque, on était soudés et on faisait déjà les quatre-cents coups. Ils m'ont un peu tiré et forcé à devenir Billy. Avant j'étais juste un fils indésiré, puis un nouvel orphelin puis j'étais devenu Billy, le cinquième doigt de la main.

Je me rappelle de cet après-midi d'avril où on jouait à cache-cache. En vrai, j'avais proposé à mes amis qu'on s'enfuie et qu'on aille jouer à cache-cache dans la forêt. C'était un peu tordu comme idée, mais ça semblait plaire à tout le monde. Qu'est-ce qu'on avait ri. Je ne me souviens plus du nom de celui qu'on avait recruté pour compter. Il nous fallait un alibi, quelqu'un de persuadé qu'il devait nous chercher. Ce qui fait que dans un premier temps, les responsables nous ont cherché dans tout l'orphelinat, alors qu'on s'amusait juste un peu plus loin, dans la forêt. Ce fut notre premier plan d'action, notre premier exploit. Même si mon postérieur se souvient encore des coups de bâtons qu'il a reçu une fois qu'on a été retrouvés.

2008

Cette liberté dont j'avais tant rêvé. Je n'avais que quinze ans, mais avec un Tom majeur, on a pu se sortir de là, tous ensemble. Nous ne nous sommes jamais quitté un moment, c'est devenu ma famille, même si j'ai commencé à devenir un grincheux par excellence. Je les ai suivis, non pas parce que c'était grâce à eux que j'étais sorti, mais parce que je ne me voyais plus faire ma vie sans eux, sans la famille que j'avais enfin trouvé.

Bon, il est vrai que nous ne sommes pas devenu une famille modèle, bien rangée. On est devenu Les Men in Black. On a fait deux-trois conneries - ou peut-être un peu plus, j'ai arrêté de compter. Mais ça faisait partie du plan. Moi j'ai toujours suivi, en fait, j'ai été le premier à passer mon permis dès que j'ai eu seize ans. Je suis devenu le chauffeur de la bande et ça me convenait, parce que j'ai pris goût à la vitesse et au toucher du cuir du volant. Très peu comprennent cette symbiose avec mes bolides, mais c'est né très rapidement. Je me suis senti utile sans être réellement mêlé à leurs bêtises. Je ne les aurais jamais lâché, c'est sûr, mais j'avais la flemme d'aller braquer des banques, je me contentais de les attendre et de les conduire où ça leur chantait. Parce qu'on fonctionnait comme ça.

Aujourd'hui, Savannah

En huit ans, il s'est passé des choses. L'autre nous a lâché et je n'ai jamais autant haï quelqu'un. Plus que ma mère, c'est dire. Mais j'évite d'y penser maintenant, j'évite même d'en parler. On est venus s'installer à Savannah, de nouveaux objectifs, pas tout à fait une nouvelle vie. En fait, on est surtout là pour quelqu'un. On a toujours besoin d'un pro de l'informatique dans notre métier. Et celui qu'on cherchait se trouvait là, alors on est venu et on s'est posé dans le quartier de Tybee Island. La vie ici est plutôt correcte, ce n'est pas réellement l'endroit que je préfère, sachant que c'est une ville dans laquelle j'ai mis les pieds avant l'orphelinat, j'en ai de vagues souvenirs, mais ça pèse un peu. Alors j'espère que ce Junior en vaut la peine, je ne lui parle pas trop, mais bon, tant qu'il ne me pose pas de problème ni à moi ni à mon squad, ça devrait relativement bien se passer. Mais faut pas s'attendre à ce que je le serre dans mes bras, faut pas rêver.