« D'habitude c'est le contraire, mais là c'est mon chat qui a choisi son nom », assura Vulcain sur un ton très sérieux. La vétérinaire pinça les lèvres, l'air peu convaincue. Vulcain s'agenouilla sur le sol et tapota près de lui. Il ne réalisa pas tout de suite le ridicule de la situation mais une fois fait, se demanda très sérieusement comment il en était arrivé là. Il avait adopté un chat parce qu'il était allergique aux chiens. Mais s'il voulait être parfaitement honnête avec lui-même, il devait reconnaître que ce n'était que la pointe de l'iceberg. Il avait cru que ce chat règlerait tout un tas de problèmes, à commencer par la solitude de sa roulotte. Qu'est-ce qu'il imaginait ? C'était un chat.
« D'accord. Mais maintenant il faudrait me sortir le petit Zeus de sa cachette pour son vaccin, Vulcain. »
Au lieu de ça il était à quatre pattes dans la roulotte de la vétérinaire et sur le point de miauler pour attirer le fauve. Un éclair noir lui répondit de sous un meuble, avant qu'une patte ne sorte furtivement pour le griffer. Vulcain jeta un regard honteux à la vétérinaire.
« Juré, il était plus mignon quand je l'ai vu à la SPA, m'dame Oborine. »
Ce chat était le mal incarné.


1992 | Vulcain faisait des allers et retours en roulant sur le canapé minuscule du salon de la minuscule roulotte qu’il partageait avec son père depuis toujours. Papa Skiera disait souvent que quand ils étaient trois, c’était plus grand en fait. Parce que maman était là. Mais Vulcain ne s’en rappelait pas. Juste les chansons et la voix qui chantait Edith Piaf sans accent, pas comme son père et lui – en plus il chantait très mal, son père. Les yeux dans le vague, Vulcain, huit ans, comptait les minutes. Il perdait toujours le fil après six ou sept alors il devait recommencer depuis le début. Le tic-toc de l’horloge de la cuisine l’accompagnait dans sa morne solitude. La porte de la roulotte s’ouvrit et son père entra, les bras chargés de son matériel d’électricien. Vulcain roula au bas du canapé, s’étalant presque aux pieds de son paternel (la roulotte était vraiment très petite) :
« Papaaaaa, enfin t’es là ! » Il était content que son père rentre. Même s'il donnait l'impression d'être très seul, son père, ils étaient moins seuls à deux.
« Vulcain ! Qu’est-ce que tu fais étalé comme une crêpe ? » s’exclama Oreste Skiera en enjambant son fils (il avait l’habitude).
« Je m’ennuyais à moooort. »
« Tu as fait tes devoirs ? »
« Ouais. Et Agniezska a dit que j’avais bien compris les maths aujourd’hui. »
« C’est très bien ! Tu as regardé un film pour t'occuper ? »
« Trois. J’ai le cerveau en compote de pommes. Et j’ai faiiiim ! »
« Oh, bon, bon. Je te prépare quelque chose à manger, attends. »
« J’ai fait des crêpes. »
Oreste Skiera se retourna avec un air étonné. Vulcain rejoignit à quatre pattes le coin cuisine, se releva et ouvrit le réfrigérateur. Il sortit un énorme bol remplit de pâte à crêpes.
« C’est ton plat préféré, non ? Comme t’as beaucoup travaillé il faut que tu manges aussi. »
« Mais… et toi, qu’est-ce que tu veux manger ? »
« Ben… j’sais pas. J’aime bien les crêpes aussi. »
« Tu es sûr ? »
« Ouais. Si t’aimes ça, moi aussi. » Oreste sourit. Il avait l’air un peu triste. Il tapota la tête de Vulcain et s’assit à ses côtés à table, où les couverts étaient déjà mis pour deux.
« T’es un bon petit, Vulcain. »

1997 | Vulcain marchait avec son bonnet tricoté main – c’était son grand-père qui le lui avait fait, parce que son papa ne savait pas tricoter – et même s’il avait treize ans et des idées d’adolescents, c’était pas la honte de marcher fièrement avec son bonnet tricoté par son dziadek. Il était vieux mais on aurait dit qu’il avait toujours été comme ça, plein de rides et de courbatures, toujours souriant malgré ses dents en moins – il refusait de porter son dentier – assis au fin fond du campement avec un tricot et des souvenirs de quand il était trapéziste (oui, Monsieur !). Vulcain donc traversait le campement avec son bonnet en laine et ses mains dans les poches, à cause du froid, et ses pas crissaient sur la neige. Tout était très calme. C’était comme ça la neige, ça vous calmait tout un cirque malgré, ah, tout ce cirque. Vulcain sourit, très content de lui, avant que quelque chose ne brise le silence apaisant du campement.

« Lâches-moi sale moche ! »

« Qu’est-ce que vous faites ? » Deux garçons et une fille entre six et dix ans embêtaient une autre plus petite qu’eux. Vulcain reconnut Babylone Oborine, la petite-fille d'Agniezska. Elle avait le nez en sang.
« Rien du tout ! »
« Elle veut pas dire la vérité ! »
« C’est pas vrai ! Ma grand-mère n’est pas une menteuse ! » s’exclama Babylone en poussant le gamin le plus proche.
« Wow, calmez-vous ! » Vulcain se précipita pour les repousser. Contre toute attente la fille Oborine se débattu contre lui :
« Laisse-moi ! Ils ont pas le droit de dire ça ! »
« Non, c’est vrai », fit l’aîné en la retenant tout de même. Il se retourna vers les trois autres et profita de son âge pour les regarder de haut, avec un air contrarié : « Demandez-lui pardon. »
« Quoi ? »
« Tu m’as entendu gamin. On insulte pas les gens du cirque. Dis pardon si tu veux pas que je m’énerve. Sinon, tu sais quoi ? Je vous prends chacun par la peau des fesses et on va trouver vos parents. On verra ce qu’ils pensent de tout ça. » Les excuses ne tardèrent pas à venir. Vulcain les regarda s’éloigner, les bras croisés et particulièrement agacé. Babylone renifla à côté de lui.
« Viens, j’ai des pansements chez mes parents. »
« J’ai pas envie de venir avec toi. »
« C’est juste à côté de ta grand-mère. Allez, viens. Si t’es sage je te montrerai un truc cool. »
« Hum. » Babylone le jaugea du regard et, étrangement, il se sentit observé par davantage qu’une enfant de six ans. « D’accord. Qu’est-ce que tu veux me montrer ? »
« T’as déjà fait un téléphone avec des pots de yaourt ? »
« Pff ! De quoi tu parles ? » s’esclaffa la petite.
« C’est un truc d’agents secrets ! Même James Bond il en a un, ça marche super bien ! On essayera entre ma roulotte et celle de ta grand-mère, tu verras ! »
« T'es sûr que ça va marcher ? »
« Mais oui ! On est vraiment très proches. »

2001 | « Noooooon rrrrien de rrrrien ! » Vulcain pivota dans la douche comme pour saluer la foule, mais son public n’était pas réceptif : dehors, quelqu’un jeta quelque chose contre la roulotte. Le chanteur ne se laissa pas démonter : « Nooon... »
« Ta gueule, Skiera ! »
« JE NE RRREGRETTE RRRRIEEEEEEN ! » Il ricana lorsque trois coups résonnèrent à travers toute la roulotte mais presque aussitôt, son père rentra et éteignit la musique, avant de tapoter contre la porte :
« Quand tu auras fini il faudra qu’on parle, Vulcain. »
« Rah... » Il prit tout son temps. Lorsqu’il sortit de sa douche, son père l’attendait sur le canapé toujours aussi minuscule du salon.
« Quesskiya ? » marmonna-t-il en enfilant sa veste.
« Assieds-toi. »
« P’pa… »
« A-ssis. » Il pointa la chaise de la cuisine du doigt et Vulcain obtempéra, avec une nonchalance toute adolescente. On ne dirait pas comme ça mais Oreste n’avait pas vraiment les soucis d’un adolescent avec lui : c’était même tout le contraire.
« J’ai entendu dire que tu n’irais pas au feu de camp ce soir. »
« Ouiii ? »
« Pourquoi ? »
« Euh, j’sais pas ? Ils vont juste se bourrer la gueule. J’ai pas envie de passer ma soirée à ramener vingt gamins inconscients jusque dans leurs lits. »
« Pourquoi tu ferais ça ? »
« Pourquoi je le ferais pas ? » Oreste soupira.
« Tu vois, c’est ça le problème avec toi. Tu ne penses jamais à toi. Tu devrais t’amuser, profiter de faire des choses qui te plaisent, au lieu de ça tu es toujours... derrière les autres et, je ne dis pas que c’est égoïste, mais en un sens… En un sens si, parce que pour les autres c’est... c’est difficile à supporter, et ça tu n’y penses pas. Bon sang, je m’explique très mal. C’est très bien ce que tu fais. T’es un bon gars, Vulcain. Et je sais que j’ai ma responsabilité dans cette affaire mais... »
« Mais de quoi tu causes ? Je comprends rien. Papa, on parle d’une fête sauvage entre ados. Tu devrais pas plutôt m’interdire d’y aller ? Tu veux que j’aille picoler avec les autres, c’est ça ? Alors que j’ai pas le droit de fumer ??? »
« Non, je ne veux pas que tu… »
« Arrêtes de dire de la merde alors. »
« Vulcain, je te préviens… » Vulcain abaissa son bonnet en laine sur ses oreilles pour ne plus entendre son père. À quel moment avait-il été un si mauvais fils, pour que son père le juge comme s’il avait commis un crime ? Est-ce qu’il devait arrêter d’aider les gens qu’il croisait tous les jours ? Fermer les yeux sur leurs conneries ? Parce que putain, qu’est-ce qu’ils étaient cons parfois. C’était peut-être l’adolescence, mais Vulcain avait l’impression d’être entouré d’une bande de demeurés. Son père ne faisait pas exception. Est-ce qu’il ne voyait pas qu’il faisait exactement la même chose pour lui ? Qu’est-ce qu’il aurait dû faire ? Le laisser seul ? L’abandonner comme sa mère l’avait abandonné, en tombant malade du jour au lendemain ? Et est-ce qu’il devait en vouloir au monde entier pour ça et leur dire à tous d’aller se faire foutre ? Parce que ce serait sûrement moins fatiguant que de passer derrière eux et ramasser chaque petite pièce brisée, leur rendre et les aider à les recoller. Vulcain se leva rageusement de sa chaise et poussa son père pour sortir. Oreste le rattrapa par le bras :
« Bon sang, je dis ça pour ton bien. Ecoute-moi, un peu ! »
« Nan ! T’es chiant putain, quoi que je fasse c’est jamais assez bien. Moi, je suis égoïste ? Moi ? Tu t’es regardé, papa ? » il se dégagea de sa poigne.
« Je sais que j’ai eu des torts, après la mort de ta mère et… »
« T’avais pas le droit de te raccrocher à moi comme ça ! C’est de ta faute, tout ça ! »
« Vulcain, reviens ! » L'adolescent sortit de la roulotte en claquant la porte et prit furieusement le chemin du chapiteau pour sortir du campement. Les mains dans les poches, il frôla le briquet de Dziadek. Il releva les yeux et héla un de ses amis : « Hé, Ludwik, t’as pas une clope ? »
« Ton père va me tuer. »
« Fais pas ta fiotte, Wik, file-moi une clope. »
Ils étaient en pleines délibérations quand des cris aigus retentirent de l’autre côté des roulottes derrières lesquelles ils étaient planqués – parce que son pote avait raison, son père allait le tuer. Vulcain alluma sa cigarette et s’approcha du boucan, avec son air de clébard des mauvais jours, genre chien de garde particulièrement hargneux. « Bordel j’ai tellement pas le temps pour ces conneries », grommela-t-il en comprenant la situation. Il écrasa sans autre forme de procès sa clope sur la nuque du type qui lui tournait le dos. Il se retourna en hurlant.
« Mais t’es malade ! »
« Tu fous quoi, là ? »
C’était un jeune, genre la vingtaine, et il avait l’air particulièrement con. À son humble avis. Vulcain était très con aussi, surtout à cet âge, alors ça voulait tout dire. Et y’avait Baby derrière, dix ans. Elle croisa ses petits bras pour jouer les dures, avec ses égratignures sur les coudes et ses bleus sur les genoux.
« J’ai pas besoin de toi, je gère très bien la situation ! »
« Ouais, je sais. Mais t’es p’tite alors t’as pas le droit de l’envoyer à l’hôpital sinon tu iras en prison. »
« Tu dis n’importe quoi ! C’est pour les adultes ! »
Vulcain jugea l’âge qui le séparait de l’autre mec, puis la distance entre eux, lui et Babylone. Il sourit méchamment et tira sur sa clope. Défiant le mec du regard, il décrivit un léger arc de cercle pour se placer à côtés de la petite, mine de rien. Il lui tapota l’épaule :
« C’est vrai Baby, t’as raison. Heureusement qu’on est tous les deux mineurs, hein ? On risque rien. » Il leva le regard vers l'autre : « Casse-toi avant que j’appelle la police. »
« Vas-y, hésite pas ! Tu crois qu’ils vont arrêter qui, avec vos tronches de gitans ? »
« Skurwysyn. »
Ludwik débarqua juste au moment où Babylone commençait à latter les genoux du types à coups de pied.
« Putain mais qu’est-ce que vous foutez, tous les deux ? »
Vulcain passa la tête par-dessus l’épaule du mec, qu’il retenait sous les bras pour l’empêcher de se débattre :
« Oh Wik, tu tombes bien. T’as pas une autre clope ? J’ai perdu la mienne. »
« Vous êtes tarés. Je vais chercher ton père. »
« Reste ici si tu veux pas que j’te pète tes genoux à toi quand j’aurai fini ! » menaça Baby.
Vulcain éclata de rire.

Babylone aussi, elle savait exactement où étaient les pansements dont il avait besoin.

« J'suis désolé, p'pa. Je suis un peu con des fois. » Oreste Skiera sourit d'une oreille à l'autre. De son sourire un peu triste et fatigué.
« Peut-être. Mais tu es mon fils, alors je suis bien obligé de t'aimer ! »
« Pff ! »

2010 | Vulcain remballait le filet de sécurité des trapézistes et des funambules en coulisse lorsque quelque chose l’agrippa au niveau du genou gauche. « Bouuuh ! » fit une petite voix rauque. Il se retourna en rigolant et jaugea le garçon aussi haut que trois pommes :
« Mais qu’est-ce que tu fais, Anton ? »
« Ze t’attaque ! Ze suis pas Anton, ze suis un tiiiigre ! »
« Rawr ! » Anton éclata de rire quand Vulcain se mit à le chatouiller, et ce dernier l’éloigna des rideaux pour ne pas attirer l’attention : la troupe était en pleine représentation.
« Je suis désolée, je lui avais bien dit de ne pas te déranger pendant le travail », fit Abby en les rejoignant dans le petit couloir qui menait aux coulisses. Anton se jeta dans les bras de sa mère :
« Papa c’est aussi un tigre ! Mais c’est un graaand tigre ! »
« Ahahah oui, mais papa ressemble plutôt à un chat. »
« Hé ! »
« Un très gros chat. »
« Pff. »
« Papaaa, aujourd’hui z’ai vu les éléphants ! C’est Ludwik qui m’a amené ! »
« Oooh et tu as aimé ? »
« Voui. »
« C’était comment ? »
« C’était super ! »
« Waaah… Alors tu sais quoi ? Demain on ira les revoir ensemble. »
« Wéééé ! »
« Oui mais maintenant, on va laisser papa travailler tranquillement », intervint sa femme en récupérant Anton, qui s’était à nouveau collé aux jambes de son père. « Tu le verras demain matin. Dis bonne nuit, Anton. »
« Mais ze veux rester ! »
« C’est trop tard pour toi petit bonhomme, allez. Bonne nuit et à demain. » Les numéros s’enchaînaient et Vulcain ne pouvait pas rester les bras croisés. Il embrassa son fils et le chatouilla une dernière fois pour chasser sa mauvaise humeur. Abigail avait l’air un peu ailleurs. Elle avait toujours eu l’air un peu ailleurs, en fait. Lointaine et détachée. Comme si elle ne vivait pas dans la même dimension que lui. Elle était vraiment très différente, il se disait souvent qu'ils n’évoluaient pas au même niveau. C’était pour ça qu’il était tombé amoureux d’elle.
Abigail ne venait pas du cirque, elle était américaine. Vulcain pensait qu’elle aurait du mal à s’intégrer, mais elle était très sociable. S’adapter à la vie du cirque lui avait demandé beaucoup d’efforts, cependant. Elle se plaignait souvent que les haltes étaient trop longues – ou pas assez. Mais il pensait faire son maximum pour l’aider. Les membres du Niebieski ne se mêlaient pas souvent à ceux « de l’extérieur », il le savait. Mais il n’avait jamais cherché à savoir pourquoi. Il ne s’était pas posé la question. Il aimait Abby, Abby l’aimait. Il n’avait pas de raison de s’en faire. Bien sûr, ils avaient leurs différends comme tous les couples. Ils se criaient rarement dessus, mais elle avait parfois des remarques passives-agressives que Vulcain gérait mal. Les conflits de front, ça il savait régler. Il calmait souvent des engueulades entre les gens du cirque. Les explosions de colère, franches et brutales, comme celles de Babylone, il connaissait. Son père lui-même l’avait toujours enguirlandé avec beaucoup d’honnêteté. Mais Abby n’était pas comme ça. « Hé, Wik et moi on va passer à la supérette après le boulot, tu as besoin de quelque chose ? » demanda-t-il alors qu’il la raccompagnait, avec Anton, à la sortie des artistes. Elle avait les yeux dans le vague. « Abby ? »
« Mmh ? Oh, excuse-moi. Tu disais ? » Vulcain sourit. Il était très contagieux, ce sourire. Alors Abigail l’embrassa. Aucun problème, vraiment.

2013 | La roulotte grinça quand il s’appuya contre le chambranle de la porte, les bras croisés. Il le jaugea un moment en silence, et soupira  :
« Tu comptes te lever un jour, mon fils ? »
« Nan. »
« Manger ? »
« ... »
« Je t’ai fait des crêpes. »
« ... peut-être. »
Vulcain roula dans son lit et son père profita de l’opportunité pour tirer sur la couverture, ce qui le fit rouler jusqu’au sol. Il s’écrasa sur le plancher de sa chambre à présent trop grande pour lui avec un bruit étouffé – le cri de la douleur.
« PAPAAA »
« Je vais pas te servir le petit déjeuner au lit quand même, t’as plus huit ans. Et prends une douche avant de venir, tu sens le fauve. »
« Très bien. M’en fous. »
« Pas moi. Pas de savon, pas de crêpes. »
Vulcain grommela en s’enroulant dans sa couverture comme un burrito et se traîna jusqu’au salon pour s’asseoir sur le canapé. Lui aussi, trop grand pour lui. Il faudrait qu’il demande à récupérer une roulotte plus petite. Son père accepterait peut-être d’échanger avec lui ? Il avait besoin de place pour ranger tout son fatras de geek et la roulotte où Vulcain avait grandi, quoi que minuscule, était tout à fait confortable pour lui tout seul.
« J’ai pas si faim que ça », grommela-t-il en se couchant sur le canapé.
« Mouais. Je t’attends dans une demi-heure alors grouilles-toi si tu veux pas que je te traîne par la peau du cul à travers tout le campement. »
« Urgh. J’ai plus huit ans, t’as dit. »
« Ben prouve-le. Au fait... » Oreste Skiera avait ouvert grand la porte de la roulotte et la lumière fit cligner Vulcain des yeux. Il avait passé des jours enfermé, les rideaux tirés, alors c’était un peu comme Batman sortant de la Batcave pour combattre le crime et sauver la ville. Enfin, presque. Il allait manger des crêpes, pas sauver des gens. Si ? Son père s’attarda un peu plus longtemps dans l’encadrement de la porte, avant de dire : « Agniezska aussi est partie. »
Vulcain resta muet. Toutes ses plaintes et ses protestations venaient de mourir au fond de sa gorge, qui se serra. Agniezska ? Mais... Il fouilla sa mémoire à la recherche d'indices, d'annonce, de lien, n'importe quoi qui expliquerait la disparition de la vieille enseignante. Rien. Rien. Alors le départ de sa femme et d'Anton n'était pas le seul secret qu'il avait raté dans ce cirque. Car oui. Si Abby était partie sans rien lui dire, c'est qu'elle lui cachait quelque chose. De cela il était certain. Mais quoi ? Lui qui se targuait de tout entendre et tout voir... Quel imbécile. Il aurait dû le voir et il aurait dû le savoir. À quoi servait-il, dans le fond de ces coulisse, sinon à assurer les arrières de ses amis et collègues du cirque ? Babylone... Vulcain prit une grande inspiration et se dirigea vers la salle de bains. Son père sourit :
« Bon. Et quand tu auras fini, oublie pas les crêpes à la maison. »
« T’es un peu fourbe, p’pa. »
« Ouais. Moi aussi je t’aime. »


« Écoute, tu sais très bien pourquoi tu es là. Je me sens seul, tu as faim. Je suis sûr qu'on peut trouver un accord. » Son colocataire darda sur lui un regard impénétrable. « Tu sais très bien que j'ai pas les moyens de t'acheter des boîtes de thon Fancy Feast. Et oui, je t'ai adopté parce que je ne pouvais pas avoir un chien. Je ne t'aime pas, tu ne m'aimes pas. On est quittes. On peut faire la paix maintenant ? » Zeus lécha son pelage d'un air parfaitement détaché avant de daigner enfin descendre de la bibliothèque pour manger. Vulcain soupira de soulagement et ouvrit la petite armoire à pharmacie de sa salle de bains. Il aurait encore besoin de quelques pansements.