Journée de merde. Je vous raconte même pas. Enfin si, je vais raconter. J'avais une livraison à faire aujourd'hui. Pour un petit magasin avec pas beaucoup de moyens qui cherchait un livreur pour deux semaines, pour remplacer le livreur habituel qui était en congé maladie. Enfin bref, j'ai pris le boulot, ça faisait déjà presque une semaine que j'y étais. Ce jour-là, j'apporte mes paquets comme d'habitude et là le client commence à me regarder trop mal. Le genre de regard qu'on te fait quand on se demande de quelle origine t'es, et si t'es pas là pour foutre la merde. Au début j'ai rien dis, normal tu vois. Je suis censé entrer chez le client pour vérifier avec lui si tous les articles commandés sont bien à l'intérieur de la boîte. Sauf que là, le mec il rechigne trop pour me laisser entrer. Au final il me laisse passer en me suivant de près, je déballe avec lui le tout et il se retourne pour prendre de quoi me payer la livraison ... J'ai pas bougé d'un poil, en plus j'avais les bras croisés. Et lui il m'a fixé comme si j'avais volé un truc ou je sais pas quoi. Putain mais le cliché de merde, j'suis roumain c'est bon je vais voler chez les gens ? J'ai pris l'argent, j'ai fais signer les papiers et je suis reparti. Même pas un au revoir, il le méritait pas.

Je suis retourné à la boutique, j'ai rendu ce qu'il fallait à mon patron et j'ai terminé ma journée de travail, légèrement sur les nerfs je dois l'avouer. Comme j'étais près de la plage, j'ai profité pour m'arrêter dans un bar avec vue sur la mer, le genre d'extra qui va me couter la peau des fesses mais bon, c'est pas courant. J'ai bu deux, trois verres, je pouvais pas me permettre plus. J'observais les gens, sans rien dire, sans me mêler aux autres, en ruminant encore un peu à cause du client de merde de tout à l'heure. Ça arrive tout le temps ce genre de trucs. Et ça me soule.

Après avoir fini mes verres, j'ai regardé l'heure sur ma montre. Montre en sale état que j'ai depuis super longtemps. J'ai cassé le verre pendant une baston dans une rue il y a trois ans. Mais bon elle fonctionne encore alors rien à foutre. Il était déjà assez tard, mais comme d'hab j'étais pas encore prêt à rentrer alors j'ai été marcher sur la plage. J'ai fais une bonne longueur, en regardant la mer. C'était apaisant, et combiné à l'alcool, je me suis calmé assez rapidement. Je me suis assis presque au bord de l'eau, dans un coin pas vraiment fréquenté et je me suis roulé un joint, rien à faire des gens. Les vagues trempaient mes chaussures et le bas de mon froc, mais je m'en foutais, je regardais le ciel qui s'assombrissait et je me suis laissé aller.

Je suis resté un petit moment là, même après avoir terminé de fumer, parce que j'étais encore un peu euphorique. Le genre de moments où je me sens super bien. Dommage qu'il faille souvent que j'en arrive là pour nager dans le bonheur. Euh en parlant de nager.. Je l'avais pas remarqué avant mais la mer a monté maintenant, j'étais trempé jusqu'au caleçon. Génial. Super agréable pour repartir à la maison, quelle idée j'ai eue putain ... Je me suis levé j'étais plein de sable. J'ai essayé de le retirer en passant mes mains sur mon cul et mes cuisses mais ça restait collé. La dégaine je vous explique pas. Bon bah tant pis, je rentre comme ça ... J'ai monté les marches qui séparaient la plage de sable de la rue, espérant que le temps pour rentrer me semblerait pas trop long. Heureusement, j'étais encore un peu ailleurs, j'y penserai peut-être pas trop.

Alors que je franchissais la dernière marche pour rejoindre la rue, j'ai entendu quelqu'un crier mon prénom. J'aurais reconnu cette voix entre milles vu que c'était celle de mon plus jeune frère Mihail. Par contre j'ai mis un moment à le voir arriver, parce que j'étais pas trop concentré. Il s'est approché de moi, j'avais raison, c'était bien lui. En même temps je pouvais pas me tromper avec les frangins, trop l'habitude. Surtout que Mihail, je vis encore avec lui au quotidien. Bref, il s'est approché et il m'a observé, il m'a même dévisagé je devrais dire. Attends, il m'a aussi reniflé me semble, en tout cas on aurait dit un petit chien policier qui était en train de chercher la moindre odeur de drogue. Ce qu'il a trouvé vu que j'étais en tord là, j'allais pas dire le contraire. Je l'ai vu lever les yeux au ciel. Mimi, il dit rien en général mais il en pense pas moins. En tout cas il avait l'air fatigué, il avait du travailler jusque tard, par contre j'ai aucune idée du domaine dans lequel il travaille en ce moment vu qu'on est un peu pareil de ce côté là. A part que lui il fait des études. Ouais, y en a quand même des Popescu courageux et qui s'accroche. Ils se sont pas tous laissés aller. Et y en a d'autres, genre moi, qui attendent que le temps passe et qui cherchent pas plus loin. Moi je me suis résigné depuis longtemps et d'un côté je suis content que mon petit frère soit pas comme moi. J'espère qu'il réussira dans la vie lui.

Je pensais peut-être des trucs gentils de lui là, alors que je planais un peu, mais lui il en a profité pour me tacler. L'espère de petit con. Salopard. C'pas parce que toi t'es monsieur parfait que tu peux me parler comme ça wesh. Ouais, je fume seul et alors... C'est comme ça la plupart du temps, parce que j'ai pas souhaité garder contact avec les amis que j'ai pu avoir. Parce que contrairement à moi, ils avaient une vie à côté. Moi, j'passe ma vie à ça. Ouais, il doit le penser tout haut, parce que c'est presque comme si je l'entendait me dire "T'es pathétique". Je le sais que je le suis. Mais c'est comme ça. J'veux pas qu'on aie pitié de moi de toute façon, c'est moi qui me suit foutu dans ce merdier là. Même si j'ai tendance à rendre tout le monde responsable de mon malheur, c'est surtout pour me donner une bonne réponse de taper sur la gueule de n'importe qui. Hein quoi ? " Ca fait longtemps qu'tu traines seul ? " qu'il me dit le frangin ? Ca a mis quelques secondes à monter au cerveau.

" Ça fait des années ? "

J'étais même pas sûr de s'il me demandait juste pour aujourd'hui en fait mais j'ai sorti le premier truc qui me venait. Je l'ai regardé de haut en bas. Je savais pas trop quoi lui dire à Mihail, je me suis jamais vraiment livré à lui et je suis toujours un peu con quand je lui parle. Enfin comme avec tout le monde. J'espère qu'il le sait au fond que je l'aime bien. Hein ? Je sais pas trop pourquoi, j'ai passé mon bras au dessus des épaules du frangin.

" Ça a été ta journée ? Tu rentres là, on peut faire le chemin ensembles ? "

Je sais pas si ça sonnait faux ou pas venant de moi. Mais j'étais d'humeur ... si on peut appeler ça être d'humeur, c'était un peu malgré ma propre volonté... Mais en tout cas j'étais d'humeur à discuter avec Mihail. Je me rendrais peut-être même pas compte de ce que je dis et je regretterai peut-être même après. Mais parfois j'ai envie de m'intéresser à lui. Parce que même avec Seven, avec qui je me traitais tout le temps, j'ai eu des moments entre frangins où on pouvait s'entendre. Mais je me souviens pas avoir été très proche de Mimi. Après tout, on a quelques années d'écart, j'étais déjà un peu connard quand il était enfant, enfin bref, ça a pas facilité les choses. J'ai fais quelques pas en avant, en l'entrainant avec moi vu que je le tenais toujours par les épaules. Pour une fois que je ressentais aucune envie d'être mauvais ou violent, autant en profiter. Profite, Mimi, c'est pas souvent que tu verra ton frère montrer ses faiblesses sans les nier. Parfois j'aimerais leur dire clairement, aux frangins, que si j'ai mal agis avec eux parfois, c'est parce que c'était le seul moyen pour m'apaiser, parce qu'avoir un bouc émissaire quand on se sent mal, c'est une sorte de délivrance ... Je suis désolé ... J'ai regardé Mihail quelques instants, sans rien dire. La rue était de plus en plus calme, j'étais même pas sûr d'arriver à entendre les vagues. Par contre, je commençais à me les geler, au niveau du pantalon. Haha... Quel con.

« T’es con. »

Ouais ... Exactement Mimi, et je ne te contredirais pas là-dessus. Après tout on sait tous les deux que c'est la vérité. J'suis con et je changerai pas. Parce que c'est plus facile de laisser les choses de faire que de se battre pour que ça aille mieux. Parce que je préfère me prendre une bonne cuite que d'essayer d'arrêter mes mauvaises habitudes. C'est comme ça, je fais partie des faibles, je fais partie de la deuxième catégorie de personnes, celles qui sont nés dans la merde et qui vont sûrement le rester jusqu'à leur mort. Alors oui, je fume seul. Je reste seul la plupart du temps. Mais j'ai peut-être aussi un peu peur de perdre les gens auxquels je tiens. Alors encore une fois c'est plus facile de supporter la solitude.

Mon petit frère a eu l'air de buguer quelques secondes quand j'ai passé mon bras autour de ses épaules, mais au moins je me suis pas fais gueuler dessus. Cool Ioan, t'as réussi ton approche ! Maintenant faut essayer d'être un poil lucide pour pas dire de la merde et la fin de soirée pourrait possiblement être moins merdique que le reste de la journée. Et ça serait cool ça, parce que j'en ai un peu besoin, de continuer à me détendre. On a marché quelques mètres, j'écoutais un peu ce que me répondait Mihail. J'ai légèrement sourit d'ailleurs, parce qu'il avait pas tord pour le coup. Ce gosse-là, il bosse tout le temps, et beaucoup trop même. Mais au moins il est courageux. Faudrait que je pense à le féliciter un jour, même à l'encourager, mais c'est pas des mots que je sors facilement, ça va juste me brûler les lèvres et au final je dirais rien, ou juste une insulte, comme d'habitude hein. Je me suis dis qu'on avait sûrement pas grand chose à se dire au final. Juste la routine, rien de neuf. Et je crois qu'on est tous les deux légèrement gênés au fond, parce qu'on a juste pas l'habitude de se parler. C'est comme ça. Alors on fait la conversation, comme on peut.

« Io ? Pourquoi t’es mouillé ?

Ah, c'est une très bonne question ça Mimi ! Je me suis arrêté de marcher quelques secondes pour regarder en bas et je suis parti dans un fou rire tout seul. Parce que ouais, j'ai l'air trop con putain. Mais finalement je trouve ça drôle et vaut mieux rigoler de mon ridicule qu'en pleurer. Sinon je passerai ma vie à chialer d'ailleurs, parce que le ridicule ça me connait.

" Et bien en fait c'est très simple, il y a une explication logique à cela. J'ai voulu tester si on devenait une sirène quand on restait à tremper les jambes dans la mer. Parce que je veux devenir une princesse Disney tu vois. Mais en fait ça marche pas et je me pèle juste les couilles parce que mon caleçon sèche pas. "

Ca devait juste être hilarant à regarder. Et à entendre parce que bon, j'étais à fond dans mon truc là. Avec le regard qui y croit trop, en plus des pupilles dilatées et de la voix de débile qui plane ... Non faudrait qu'on me filme un jour.

" Plus sérieusement, j'avais oublié que la mer ça monte ... Et j'étais au bord de l'eau ... Et voilà, j'ai pas réagit vu que j'étais plutôt bien ... Par contre j'ai froid. "

J'ai recommencé à marcher en tenant toujours mon frère par les épaules. J'espère qu'il avait pas trop honte de moi. Parce que si c'est le cas je ferais encore pire. Mouhahaha. J'avais hâte d'être à la maison quand même, histoire de me changer. Mais bon, j'avoue que pour le moment je me sentais plutôt bien, alors je continue de faire chier Miha' sur le chemin du retour.

Il a pas tord Miha'. C'est pour ça qu'on voit jamais des sirènes avec des pantalons. Putain c'est à ça que ça sert de faire des études alors ? Si j'étais un peu moins con je l'aurais su et j'aurais pas trempé mon pantalon dans l'eau. J'ai sourit comme un con à mon frère. Il est trop intelligent ce mec. Je rigolais encore un peu, comme si au fond je le savais que j'avais juste l'air con. Mais je m'en foutais, pour une fois que je me sentais bien on allait pas me retirer ma bonne humeur hein. Mimi m'a proposé de me laisser son pantalon de boulot, c'était plutôt sympa de sa part alors j'ai acquiescé.

" Tant pis pour le caleçon ça sera déjà ça hein ! "

J'ai continué de sourire et j'ai ouvert la braguette et le bouton de mon froc avant de commencer à le baisser, comme ça en pleine rue. C'est avec le regard un peu bizarre et les sourcils froncés de mon frère que je me suis rendu compte que c'est pas parce que t'es en train de planer que tu peux te changer devant tout le monde comme ça alors je me suis dirigé vers un coin un peu plus caché, la moitié du caleçon à l'air. Je me suis tourné vers mon frère.

" Bah ... J'ai toujours rêver de vivre dans l'eau. Dans l'eau tu te noie. Et si tu te noie t'es plus vivant. "

Je disais ça avec le même sourire con aux lèvres. C'est marrant comme mes réactions peuvent être différentes si j'ai bu ou si j'ai juste consommé de la drogue. Quand je bois, je finis toujours par chialer et par me mettre à déprimer, à raconter toutes les merdes sur ma vie ... Par contre quand je suis drogué, même les trucs déprimants qui me rongent je vais te les sortir en rigolant et avec le sourire. C'est toujours mieux que d'en pleurer tu me diras. J'ai attendu que mon frangin me laisse son pantalon de rechange pour retirer le mien. J'ai manqué de tomber d'ailleurs en faisant ça, et je me suis adossé au mur du coup, manquerait plus que je m'éclate par terre pour avoir encore plus l'air d'un débile. J'ai passé le pantalon de mon frère. J'ai eu un peu de mal à le fermer aux hanches mais c'est vrai qu'on a relativement le même gabarit. C'est pas flatteur quand même, c'est mon frangin de 18 ans. Faut que je me muscle ou je sais pas, mais ça le fait pas là ~ Mais en tout cas, j'avais un pantalon sec et c'était quand même déjà mieux qu'avant.

" Merci frangin, t'es cool. "

Ouah. Un merci et un compliment dans la même phrase, tu t'améliores Ioan Popescu ! Enfin bref, il était temps de nous remettre en route maintenant que j'étais prêt, je suppose. Je me suis décollé du mur et je me suis approché de Mihail.

" Aller c'est reparti ... J'suis peut-être pas une sirène maintenant mais je veux bien aller dormir et je suppose que toi aussi~ "

Je suis revenu mettre mon bras autour de ses épaules, comme avant.

J'ai beau détester ma vie, j'ai jamais pensé au suicide. Sûrement parce que je suis un résigné. Je sais que je suis pas capable de me bouger le cul pour la faire changer mais je ne veux pas y mettre fin. Je pense qu'avoir découvert ma soeur les poignets couverts de sang et avoir tout fait pour la garder en vie m'a conforté dans cette idée. C'est pas un truc pour moi et je ne veux plus y être exposé, par les autres membres de ma famille... Par contre je sais très bien qu'il y a plus de chances que je meure d'une façon non naturelle que de vieillesse d'une mort douce. Pour le moment, ma santé s'est pas dégradée, mais je les connais, les effets de l'alcool et de la drogue sur l'organisme. Je finirais par me bousiller entièrement, si je meurs pas d'une overdose ou ce genre de trucs... Enfin bref. Je crois que j'ai inquiété Mihail. Je l'ai regardé un peu, il fallait qu'on discute d'autre chose, j'avais pas non plus envie de le faire déprimer hein, on est pas là pour ça et je suis pas d'humeur à déprimer.

Mon frère m'a demandé si je pensais que la maison serait calme quand on rentrerait. C'est vrai que le sommeil chez nous ça peut parfois être une denrée rare. Même si j'ai le sommeil plutôt lourd à force. J'ai été élevé là-dedans après tout. Le daron qui gueule, les enfants qui se tapent dessus, les pleurs de bébés quand les jumeaux sont nés... Je crois qu'on s'y fait jamais vraiment, mais c'est comme ça. Je m'habituerais peut-être jamais non plus au silence vous me direz. Le silence me ferait presque peur.

" Je pense ... Ça devrait aller pour dormir aujourd'hui ... "

J'ai observé le ciel en méditant comme je pouvais sur sa dernière phrase.

" Ça veut dire qu'on est tous des sirènes ...? Wouaouh ... "

Je suis resté le regard planté en l'air pendant quelques secondes avant de baisser la tête. Je savais pas trop pourquoi, mais pleins de trucs me brûlaient les lèvres. Comme si j'avais besoin de vider mon sac, de dire tout ce que j'ai jamais pu dire à mon frère. Comme une envie soudaine d'être proche de lui, de rattraper le temps perdu. Comme une sorte de manque. Mais j'avais du mal à remettre mes idées en place et ça aurait été pareil si j'étais pas totalement shooté en plus. Comment je pouvais lui dire ? Je peux pas arriver comme ça, comme un cheveu sur la soupe. Je veux pas avoir l'air un peu con, ou même que ça paraisse carrément faux... J'en sais rien, je suis vraiment pas doué, c'est plus facile de les insulter, les frangins, que de leur dire que je tiens à eux.

" Tu sais Mimi... "

Aller, lance toi Ioan. Arrête d'hésiter. T'es un grand garçon maintenant. J'ai fermé les yeux le temps de compter jusqu'à trois dans ma tête, essayer de me donner un peu de courage, comme toujours.

" Faudrait qu'on fasse des trucs. Genre sorties entre frères... Et qu'on parle un peu de temps en temps ... ";

Je devais être rouge de honte. Ca ressemble pas à l'image que j'essaye toujours de me donner ça. Mais au moins c'était dit. Demain je regretterai cette conversation, ça c'est sûr. Mais autant que je dise ce que j'essaye toujours de cacher, parce que je sais qu'au fond, c'est ce que je pense réellement.

Ouais ... C'est ça, on est tous des sirènes. Des sirènes qui étouffent dans notre mini aquarium. Mais c'est comme si on ne pouvait vivre que dans l'eau de cet aquarium là. Pour ça qu'on y revient toujours. Pour ça que je ne peux pas vivre en dehors de la maison familiale des Popescu, même à vingt-quatre ans. Parce que c'est mon environnement naturel on peut dire, ma petite routine, la vie que j'ai toujours connue. Tant de philosophie en nous deux ce soir, on aurait pu continuer longtemps comme ça, avec les métaphores marines. On pourrait même songer à écrire un livre tous les deux. Quand je suis perdu là-haut, je peux sortir ce genre de choses à la pelle. Je vois déjà le truc. " Philosophie marine, avec Mimi & Ioio Popopescu ! " ... Ou " Philosophie shooté / crevé avec les Popescu Bros. ! " ... Ouais, ça me semble plutôt cool ! Je tiens un concept là, faudra que je dépose un brevet même ...

« Si tu penses toujours pareil demain matin en étant dans ton état normal. Je te rappelle que t’as voulu te défroquer en plein milieu de la rue. »

C'est vrai. Il a pas tord le frangin après tout. Si je suis assez high pour lui sortir ça maintenant alors que je peux pas en temps normal, y a de quoi douter de mes paroles. Mais c'est presque triste en fait. Je suis pas dans mon "état normal". L'état où je suis désagréable, distant, solitaire ... Alors que je crève d'envie de passer du temps avec eux. On est arrivés loin quand même dans le seuil pathétique. Le seuil où on se parle pas, on communique tellement pas que même quand j'essaye de faire un geste, la première réaction de mon frère c'est d'être surpris, ou de se demander si je penserais toujours ça demain, quand l'effet de la drogue sera dissipé... Faudrait vraiment réussir à arranger ça un jour, si c'est toujours possible de sauver quelque chose dans le peu qu'on a entre nous.

" Nan mais je t'assure je ... "

Alors que je me mettais à parler pour répondre par la négative à son questionnement, il a ajouté que oui, ça lui plairait. J'ai été coupé dans mon élan et du coup je suis resté à le fixer comme un con. J'ai commencé à sourire, ça me faisait vachement plaisir mine de rien de pas me faire rejeter. C'était peut-être le début d'un rapprochement. Bah ouais, on peut être optimiste de temps en temps. Oui, ça m'arrive, même à moi ! C'est peut-être Anca qui déteinds sur moi. Après tout, la dernière fois, elle m'a dit qu'elle était sure que je serais capable de trouver d'autres petits boulots et j'ai réussi à les enchainer assez facilement. Alors elle avait raison, je peux penser positivement par moments, y a pas toujours des merdes... Mihail a enchainé en me demandant ce que faisaient les autres frères. Ceux qui sont pas nés dans notre catégorie, qui sont pas nés chez les Popescu. Et bizarrement, je savais même pas quoi répondre. C'est vrai ça, une famille "normale", ça fait quoi ? Nous, on nous a appris que les filles, ça fait le ménage et la cuisine, qu'un gars, ça doit être viril, fumer et parler avec les poings. On a passé notre temps à se piétiner, à être trop fiers. Et même si on a pu passer de bons moments, et même si on a pu s'entraider parfois, ça finissait souvent mal et on oubliait directement ces instants positifs. Alors non, Mimi, ton frère non plus, il sait pas. Il sait pas ce que c'est, de vivre dans une famille unie. Mais on peut toujours essayer de trouver ensembles, non ?

" Et bien ... Peut-être qu'ils sortent voir un film de temps en temps, ou peut-être qu'ils jouent ... J'avais un ami qui allait tout le temps à la salle d'arcade ou faire des parties de... tu sais, les flingues qui tirent des lasers là ... Genre star wars en moins impressionnant ... enfin il faisait ce genre de sorties avec ses frangins ... Après, peut-être que les frangins, ça se parle plus souvent, tu crois qu'ils se confient entre eux ..? Ou est-ce que tous les hommes sont trop fiers pour parler de ce qu'il va pas à leurs proches ...? J'en sais trop rien ... "

Et ouais, je suis paumé avec ça, parce que j'ai seulement eu mes grands frères comme modèles. Même si j'ai toujours voulu protéger ma famille, pour le reste je sais jamais trop comment agir. Et c'est quand même plus facile avec les filles qu'avec les mecs. Quand c'est mes frères je suis encore plus bloqué. Peut-être parce qu'on m'a appris qu'un homme ça agissait comme ça... Puis là ... Une question un peu bête m'est venue à l'esprit. Et j'ai pas pu me retenir de la sortir tout haut.

" Mimi, est-ce que tu me considère quand même comme ton grand frère même si j'ai jamais vraiment été là pour toi ? Est-ce que tu penses qu'on est quand même une famille ?... "

On est juste cons. On est tellement paumés qu'on sait même pas vraiment ce que c'est qu'une vraie famille. On sait pas ce qu'on devrait faire, comment on devrait agir les uns avec les autres. Mais même si c'est pas ça, une famille, pour les autres, bah ... C'est la notre. Ouais on a fait des conneries, des erreurs, des trucs qu'on regrette. Mais c'est comme ça qu'on a toujours vécu. Après, c'est à nous de voir si on veut que les choses changent. Y'a ceux qui font avancer les choses comme Poppy ou Mimi, y'a ceux qui essayent de plus rien à voir à faire avec nous, comme Seven par exemple. Bon y'a aussi moi, qui fait rien. Mais je pense qu'on a chacun notre petite pierre à apporter à l'édifice des Popescu. Que ce soit nous, la fratrie, ou même ceux qui viendront après, comme Madalina. Et j'espère que ça pourra aller en s'arrangeant, que tous les Popescu seront pas amenés à reproduire les mêmes erreurs, à s'enfermer encore dans une solitude feinte pour cacher leur souffrance. J'aimerais bien qu'il n'y ai jamais eu toute cette violence. Cette peur de se faire frapper au moindre faux pas. Cette haine envers notre père. J'aurais aimé grandir dans un foyer sain, presque "normal". Mais c'est à ça que je suis habitué, alors j'essaye de faire avec.

Mihaël essaye de me rassurer en disant que ouais, j'étais peut-être pas toujours le best frère du monde mais que peu importe ce qui a pu se passer, on restait une famille. Ca m'a tiré un sourire même. On en est arrivés à la même conclusion au final. Peu importe ouais, parce qu'on reste les Popescu. Et c'est ce qu'on a vécu qui nous as autant rassemblés que séparés. Putain ce que c'est philosophique tout ça !

" T'as raison Mihail ... On est une bande de nuls, mais au fond on s'aime bien ... "

Je l'ai regardé quelques instants. J'espère qu'avec l'âge je pourrais devenir un meilleur frère. Je finirais bien par être moins con, plus sympa, plus ouvert même. Et ce jour-là j'aurais peut-être l'impression d'être une famille avec eux. Eux tous là. Cez', Iuiu, Tintin, Elena, Poppy, Sev' le gros nul, Mimi et Rez. Toute la floppée de Popescu. Faudra vraiment que je leur demande pardon pour tout ce que j'ai pu leur dire ou leur faire. Mais pas maintenant, je me sens pas encore prêt.

J'ai continué de méditer là-dessus un moment, alors qu'on marchait toujours avec le frangin. On entendait même plus les vagues là, on s'était déjà éloignés de la plage. Plus ça allait et plus on se rapprochait de chez nous. C'était passé relativement vite en fait, parce que j'avais pensé à beaucoup de choses. Cette petite balade avec Mimi, elle aura été super bénéfique, autant que ma dernière balade nocturne avec Poppy. Peut-être que je suis déjà en train de m'ouvrir plus facilement aux autres qui c'est ? Mais j'aimerais aussi pouvoir en apprendre plus sur Mihail. Donc je tâcherais de pas oublier ce que je lui ai proposé tout à l'heure. Et je lui en reparlerait demain dès que je serais levé d'ailleurs pour lui prouver que je peux tenir mes promesses. D'ailleurs plus on s'approchait de chez nous, plus j'étais lucide, et c'était pas plus mal comme ça ! Je me souviendrais bien de tout...

" On est presque arrivés. Avoue t'as hâte de retrouver ton pieu ! "

Et on se met à penser à ce qu'on va trouver en rentrant. C'est vrai qu'à la base, il y avait une chambre garçon, pour Cézar, Tintin, Seven, Mimi et moi, et une chambre pour les filles avec Iulia, Elena, Anca, Rez, et aussi Lina, quand elle a vécu ici. Mais maintenant qu'on est plus que quatre, et qui plus est, nous en particulier, les organisations de chambre elles veulent plus dire grand chose au final. Parce qu'il ne reste que les jumeaux, qui sont souvent fourrés ensembles, et moi et Anca, qui sommes finalement un peu comme les autres jumeaux de la famille. On a à peine un an d'écart, on est trop proches, et on a toujours été là l'un pour l'autre alors, c'est tout comme. Du coup, parfois on est tous dans la même chambre, parfois séparés, parfois Anca vient scouater mon lit, souvent Rez et Mimi dorment dans la même chambre .. Anca m'a même couché dans le lit qui était censé être celui de Rez quand elle m'a ramené complètement torché la dernière fois. Enfin bref y a plus aucune organisation dans cette famille !~

" Haha, en fait on est un peu pareil quand tu regarde. Rez et toi et Anca et moi. Un des deux fait des études et doit tout le temps aller chercher l'autre partout, et on scouate le lit de l'autre tout le temps~ "

Bon comme ça, ça me fait rire mais en fait c'est un peu pathétique hein, qu'on se le dise. Parce que bon, que ma soeur ou Mimi soient tout le temps en train de venir nous ramasser à la petite cuillère c'est vraiment pas le mieux du monde. Mais vaut mieux en rire qu'en pleurer non ? C'est comme ça chez les Popescu, on est des trous d'cul tout le temps, surtout quand il s'agit de faire chier les autres, mais aussi de les aider, j'vous l'dis, dans l'fond on s'aime.

" Mais bon essaye quand même de te reposer, quand on fait des études et tout, on a besoin de sommeil, t'es le plus méritant Mimi. Et si tu as besoin de moi pour aller chercher Rez, tu peux me le dire hein, pour une fois elle t'en voudra pas non ? Puis j'suis gentil moi, j'peux aussi être un grand frère pour elle ~"

J'ai souris tandis qu'on s'approchait de plus en plus de la maison. Mihail m'a demandé si je travaillais demain. J'arrivais à peine à me souvenir quel jour on était.

" Euh ... Non, je bosse pas demain, enfin je crois ...? Ouais c'est ça, je livre des trucs pour un boutique, aujourd'hui j'suis tombé sur un con de raciste qui me traitait limite comme un voleur juste parce que je suis roumain, tu te rend compte ? "

J'ai soupiré, mais j'étais pas vraiment énervé, ça me fait plutôt rire les clichés débiles des gens. Je me suis planté devant la porte de chez nous, les pieds sur la paillasson tout pourri qui est là depuis Mathusalem, et j'ai regardé Mimi.

" T'oublies pas ma proposition hein, faut qu'on sorte faire un tour entre frangins ... "