A toi, celui qui lira cette lettre, que je te connaisse ou non.

Voilà bien des années que je me démène avec ce qu'on m'a offert. Mais en réalité, ce n'est pas un vrai cadeau, je dirais même qu'il est empoisonné. Je n'en veux pas à ma mère, elle ne l'a pas choisit, mais elle a fait de ma vie un enfer, comme j'ai écourté sa vie il y a de ça vingt six ans. Je ne pense pas que tu ais franchement envie de lire cette lettre, alors je vais essayer de la faire courte.

Je m'appelle Betsan Whedon, j'ai vingt six ans, bientôt vingt sept, mais je n'espère pas les passer, j'espère que je serais au fond du trou, mort et enterré. Ça fait bizarre d'écrire cela, je ne pensais pas pouvoir le dire un jour, mais je me suis exercé, j'ai appris à clamer haut et fort que je voulais mourir. Ça en a fait rire plus d'un, parce que franchement, qui a envie de mourir ? Au contraire, on fuit la mort comme la peste, on attend qu'elle vienne nous prendre et la plupart du temps, on se dit que le plus tard sera le mieux.
Mais ce n'est pas mon cas, je veux mourir, je ne veux plus faire parti de ce monde, et pour le coup, en y réfléchissant, je me dis que je ne manquerais à personne. Parce que soyons honnête, je suis détestable et je déteste les autres, je ne fais rien pour me faire des amis, et de toute façon, je ne désire pas en avoir. Le médecin m'a sans cesse dit qu'il était temps que je fasse un pas en avant, pour ne pas avoir à subir ça tout seul, mais je n'y parviens pas.

Ça ? Qu'est ce que c'est ? Eh bien c'est tout simplement la maladie de Huntington. Mais tu ne dois pas connaitre -sauf si tu es médecin. Pour te la faire courte, c'est une maladie dégénérative et qui survient dès lors que tu as passé la quarantaine. Or, je n'ai pas la quarantaine comme dit précédemment, j'en suis même assez loin. Mais j'en ai une forme précoce qui me fera mourir naturellement aux alentours de trente cinq ans, peut être plus si j'ai de la chance, ou moins, si j'ai la poisse. En fait, cette maladie te fait avoir des troubles au niveau de la motricité, tu ne peux plus marcher, tu peux devenir aveugle parfois, ou même que t'as du mal à avaler. Classe. Et s'ajoute à cela, le fait que tu sois agressif, en dépression, ou même anxieux, et le pire du pire ? C'est que tu perds la boule, tu te souviens de moins en moins de détails ou de choses, tu oublies ce que tu as appris. Finalement, t'es plus qu'une merde, tout simplement. Et c'est ce que je suis devenu.

Donc voilà, j'ai terminé mes explications, je ne demande pas un enterrement magique, pas de pleurs, pas de larmes, je n'en veux pas, je ne les mérite pas, j'ai été assez odieux au cours de ma vie pour ne pas recevoir tout ça.
Je m'appelais Betsan Whedon, et je voulais partir, partir loin de cette vie qui m'a enlevé ma joie, mon travail, ma famille, mes potentiels amis, et surtout mes rêves.

Tendrement.
Betsan Whedon.

Il avait déposé la lettre sur la console dans le couloir parce que ça serait très certainement le meilleur endroit pour qu'elle soit visible, et peut être lue. Il n'avait pas hésité une seule seconde Betsan, la décision était prise depuis un long moment maintenant, et il avait réfléchit pendant des mois à la meilleure solution pour soigner tous ses maux. Le jeune homme avait tant souffert depuis des années, encore plus depuis deux années maintenant, et ça l'épuisait de vivre ainsi, il ne se sentait plus aussi vivant que précédemment. A son sens, il faisait déjà parti des morts parce qu'il agissait comme tel depuis le jour où il avait fait un malaise dans sa salle de cours, le jour où on l'avait gentiment renvoyé chez lui pour qu'il se "repose" soit disant. Mais c'était bien trop difficile pour lui d'être congédié aussi facilement, et il aurait pu prendre ce renvoie comme un cadeau, sauf qu'ils avaient juste signé son arrêt de mort, tout simplement. Son travail faisait parti intégrante de sa vie, c'était peut être la seule chose qui le maintenait vivant -avec les bouteilles d'alcools qu'il descendait chaque jour. Alors il avait choisit sa sentence, choisit son destin, il s'était enfin pris en main et il avait écrit la lettre. Ça lui avait pris deux jours entiers, cherchant les bons mots pour ne pas paraitre trop dépressif, mais pas trop heureux de quitter ce monde non plus. Il n'avait pas envie qu'on le prenne pour un attardé non plus, bien trop mauvaise image à donner pour un mort.

Betsan s'était arrêté à l'épicerie du centre ville, il avait acheté une bouteille de whisky et une bière, puis il avait discuté avec la charmante petite caissière pendant dix bonnes minutes. Le sujet avait été assez joyeux, ils débattaient sur le temps qu'il faisait dehors, elle disant préféré le soleil et la chaleur tandis qu'il préférait le froid et la neige. Différent point de vue, il avait gardé son sourire tout au long de la conversation puis elle lui avait adressé un clin d’œil.
- Bonne soirée qui se prépare, avait-elle dit en regardant ses achats, sans se douter une seconde de l'utilité que les produits avaient réellement.
Et Betsan était parti, il l'avait gentiment salué d'un geste de la main, le sourire toujours plaqué sur ses lèvres, comme s'il voulait lui offrir ses derniers instants de joie. Elle était gentille cette demoiselle, à chaque fois qu'il se rendait là bas, elle lui faisait toujours la discussion, et elle parvenait à lui décrocher un sourire sincère grâce à sa spontanéité et sa joie de vivre. Exactement l'inverse du jeune professeur.

Il avait commencé par boire la bière, qui avait un arrière goût acide, si amer qu'il frissonna à la première gorgée, grimaçant par la même occasion. Mais il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour la vider entièrement, ouvrant la bouteille de whisky la seconde suivante. Il avait sélectionné l'endroit idéal pour mettre fin à ses jours, un petit pont de bois, -pas très solide-, et il s'était installé au bord, assis, les pieds dans le vide. Il songeait au fait que l'eau était si loin de lui, et que le choc allait être fatal. C'est pour cette raison qu'il avait acheté cet alcool, il serait dans tous ses états et n'aurait pas la force de résister. La bouteille fût rapidement vider, peut être une demie heure avait du passer, -le temps s'écoulait si vite-, et pour être dans un état complètement déplorable, il bu le dernier quart du contenant d'une traite, fermant les yeux en sentant la substance lui brûler délicatement la gorge. C'était absolument dégueulasse en fait. Cette pensée le fit, -et avec l'alcool qu'il avait bu, un rien ne le faisait rire-, les gens s'évertuaient à boire de l'alcool alors qu'au final, ça avait un goût immonde. Prenons exemple de la vodka, il fallait être honnête, ça avait clairement le goût de l'alcool à brûler, et pourtant on le buvait, le coupant au jus d'orange et au sirop de fraise pour faire passer le goût, juste dans le but d'être dans un état qui nous rendait plus dangereux que d'ordinaire. L'alcool n'avait rien de bon, on le buvait dans le but de se sentir autrement qu'on ne l'était, d'oublier les maux qu'on avait au fond du cœur, et parfois pour se donner du courage lorsqu'on n'osait pas faire les choses à jeun.

C'était l'unique but de Betsan ce soir, boire pour oublier, boire pour se donner le courage de faire ce qui le trottait depuis bien trop longtemps maintenant. Il n'avait trouvé aucun goût au liquide qu'il venait d'ingurgité, seulement, ça lui avait donné du courage, il n'était plus le même, mais il avait toujours l'envie de faire son geste désespéré néanmoins. Avec de la difficulté -une énorme difficulté-, il s'était levé en titubant, manquant de tomber dans le vide avant même de réfléchir à quoi que ce soit. Debout face au vent, il ferma doucement les yeux, levant les bras, se prenant presque pour le roi du monde. Et il poussa un hurlement, les larmes lui montant rapidement aux yeux, il n'en versa pas une. Elles étaient comme bloquées, pourtant ce n'était pas faute d'avoir envie de les verser. Son palpitant s'agitait dans sa poitrine, faisant des bonds, comme s'il avait envie de sortir de son corps, de ne plus lui appartenir. Il laissa ses bras glisser le long de son corps, ses poings se serrant comme instinctivement, il était prêt désormais, prêt à dire adieu à ce monde qui l'avait tant rejeté. Consciemment, il se laissa aller Betsan, il se laissa tomber dans l'eau qui l'appelait au loin, la meilleure solution pour lui qui ne savait pas nager. L'eau frappa son visage lorsqu'il la percuta ce qui lui fit un mal de chien qui lui provoqua l'écoulement de ses larmes tant retenues. Son corps luttait pour rester hors de l'eau, il ne pensait plus à rien, son esprit était totalement vide, aucune pensée ne vint l'envahir. Il était libre, et à mesure qu'il luttait inconsciemment, il ferma les yeux pour essayer de ne plus rien voir, parce qu'il ne voulait plus avoir une seule image de ce monde, il ne voulait pas de souvenirs de cette vie.

Mais ce court instant -qui dura une éternité pour Betsan- fût rompu par des bras l'agrippant sauvagement, alors qu'il essayait tant bien que mal de se débattre.
- Arrête de bouger, tu vas nous noyer tous les deux, cria-t-elle tandis qu'il ouvrait les yeux pour voir une femme l'air paniqué.
- Lâche-moi, hurla-t-il à son tour.
Elle le tenait fermement, ayant bien plus de force qu'elle n'y paraissait. Elle s'agitait dans l'eau, essayant vainement de le faire se rapprocher du bord. Mais il voulait simplement qu'elle le lâche, qu'elle se détache de lui pour qu'il puisse finir ce qu'il avait commencé. Sa respiration avait commencé à être totalement saccadée, il s'était senti partir jusqu'à ce qu'elle apparaisse devant ses yeux. Elle avait tout gâché. Betsan la poussa violemment pour qu'elle lâche prise, -ce qu'elle fit involontairement-, et il se laissa couler au fond de l'eau. L'eau entrait dans ses poumons à mesure qu'il luttait, il partait, il n'était plus de ce monde... Mais elle était visiblement coriace cette fille, et elle réussit à l'approcher du bord pour enfin le sortir de l'eau à l'aide des quelques personnes -ses amis ?- présentes ici. Elle effectua un massage cardiaque, qui ne fonctionna pas, alors elle colla ses lèvres contre les siennes pour essayer de le sauver. Elle n'avait pas fait tout cela en vain, il fallait qu'elle le sauve. Betsan toussota bruyamment, laissa l'eau sortir de ses poumons tout en se redressant brutalement.
- Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, l'air inquiet.
- Mais t'es complètement malade !! vociféra-t-il, hoquetant à cause de l'alcool, et de l'eau. Tu pouvais pas me laisser tranquille ?
Il se pencha sur le côté pour vomir, le liquide était de couleur jaunâtre et c'était absolument immonde. Les personnes l'entourant émirent un bruit de dégoût à son égard de façon très synchronisée.
- Mais tu allais te noyer pauvre imbécile !
- Et tu t'es pas dit une seconde que c'était peut être ce que je voulais ?
- Mais t'es complètement barré toi ! Elle se tourna vers son groupe. Le type, j'lui sauve la vie et il me hurle dessus.
Betsan se leva avec difficulté, elle avait ruiné son plan alors qu'il avait si bien commencé. Il tituba sur quelques mètres, s'arrêtant un instant pour reprendre ses esprits, ceux qu'il avait eu tant de mal à chasser de sa tête. Elle lui avait sauver la vie, c'était certain, et à son sens, elle avait réellement fait une bonne action, juste qu'il aurait préféré qu'elle le laisse crevé. Mais elle avait agit en bonne citoyenne, elle avait aider son prochain, et sauver la vie de quelqu'un qui ne voulait pas être secouru. Pourquoi avait-il fallu qu'elle se trouve ici à ce moment précis alors qu'il avait tout calculé ? Il songeait au fait que quelqu'un au dessus de lui souhaitait le protéger, alors il remercia silencieusement sa mère, qui ne désirait certainement pas que son fils la rejoigne si tôt alors qu'il avait encore des choses à vivre. Il sentit une main contre son bras et se retourna.
- Tu t'appelles comment ? demanda sa sauveuse.
Il trouvait sa question étrange, elle avait retrouvé un ton calme et à son regard, il remarqua rapidement qu'elle ne lui en voulait plus pour ce qu'il avait pu lui dire plus tôt.
- Betsan. Betsan Whedon, murmura-t-il, baissant doucement la tête, honteux.
- Eh bien, Betsan Whedon, je vais te ramener chez toi, tu ne vas pas rentrer dans cet état là, ça ne serait pas prudent.
Il en avait finit avec ses gestes désespérées, mais par sécurité, elle voulait vérifié qu'il n'allait pas de nouveau faire quelque chose de stupide, alors il la laissait faire, montant dans sa voiture quelques instants plus tard afin qu'elle le dépose chez lui.