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 are you also frightened? (misper)

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Mihail Popescu

Mihail Popescu
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MessageSujet: are you also frightened? (misper)   are you also frightened? (misper) EmptyVen 12 Oct - 1:22

C'est avec un long soupir qu'il laisse tomber son sac de sport dans la petite chambre miteuse, tout juste rentré de sa visite à l'abuelita de Tito. Pas très joyeux comme première excursion à l'autre bout du pays, mais au moins il espérait retrouver Eoin à son retour. Ça le perturbait de partir sans savoir dans quel état était son coloc, même s'il l'a pas dit à Tito, sujet qui fâche. Le voyage lui a causé assez de souci pour que ça lui sorte un peu de la tête, mais l'angoisse est remontée quand l'avion a amorcé sa descente à Savannah. Alors il a prétexté le besoin d'aller chercher des vêtements propres avant de rejoindre Tito chez lui, juste pour voir si Eoin était rentré entre temps. Mais y a eu aucun mouvement dans l'appartement quand il a claqué la porte avec sa délicatesse habituelle. L'air était froid, le cendrier était froid, le lit d'Eoin était froid. Il est pas sûr qu'il ait mis les pieds ici de toute la semaine. Et y a l'inquiétude qui gagne du terrain, il la sent physiquement qui colonise ses intestins et lui serre le cœur. Il est pas sûr qu'il soit encore en vie.

Putain putain putain, c'est à peu près tout ce que forment ses pensées alors qu'il fait les cent pas entre la chambre et le salon, à retourner tout et n'importe quoi comme si Eoin pouvait se cacher sous le dessous de plat. Il aurait pu laisser un indice, y a toujours des indices dans les films quand quelqu'un disparaît. Il finit par essayer de l'appeler, sans le moindre espoir parce que ça doit faire des jours que son téléphone est déchargé, et tombe comme prévu sur le répondeur. Il essaie de se dire qu'il s'inquiète pour rien. Il essaie de se mettre en colère, il sait pas après qui, en se répétant qu'Eoin est sûrement allé se réfugier chez M. Pryce. Casper. Il a du mal à penser à lui comme un mec avec un prénom. Mais il a pas son numéro, à lui, et il a pas le temps d'attendre une réponse qui ne viendra peut-être jamais s'il le contacte autrement.

Il vérifie l'heure et ne réfléchit pas plus longtemps. On est en semaine, y a des chances que Pryce soit encore au bahut. Y a un avantage à être pauvre, il a été obligé de prendre des billets pour le premier avion, alors ils sont rentrés tôt. C'est aussi pour ça qu'il a une gueule de déterré, et il arrivait pas à pioncer dans l'avion — trop fasciné par le paysage et le cerveau en ébullition, agité par trop de pensées douloureuses. Ça sent la mort partout. Suicide. Cancer. Ce sera quoi, le prochain ? Ce sera qui ? Pas Eoin putain.

Il arrive un peu avant la fin des cours. Ça lui fait bizarre de remettre les pieds dans le lycée qu'il a été si soulagé de quitter. Il a aucune envie d'être ici, il a aucune envie de confronter Pryce maintenant qu'il est là mais il voit pas d'alternative. Alors il arpente les couloirs en essayant de se rappeler les salles où il avait le plus souvent ses cours d'anglais, glissant un regard par la fenêtre carrée à chacune des portes. Il avait rien contre Pryce avant d'entendre les rumeurs selon lesquelles il se tapait des élèves. Il faisait même des efforts parce qu'il avait un peu envie de l'impressionner, ce putain de génie avec lequel il savait pas sur quel pied danser, mais ça a jamais vraiment pris. Ça le frustrait, mais il l'avait déjà oublié avant qu'il ne réapparaisse dans sa vie de loin, via Eoin et Tito, le couple le plus improbable pour faire le lien entre Mihail et Pryce, et pourtant... Et pourtant il est là maintenant, planté derrière la porte où le prof termine son cours, à ruminer la question qu'il doit lui poser.

Il ne bouge pas quand la sonnerie retentit, laisse les lycéens le contourner comme s'il faisait partie de la maçonnerie, et dès que Pryce se retrouve seul il se permet d'entrer. La première chose qui le frappe c'est que Pryce a rajeuni. Même s'il était clairement le plus jeune de ses profs — donc forcément le plus cool pour beaucoup —, ça restait un daron à ses yeux. Là, il lui paraît pas beaucoup plus vieux qu'Eoin et Tito, donc pas beaucoup plus que lui. C'est un petit choc en soi.

« M'sieur Pryce... » Un rictus. Il peut pas l'appeler Casper, en même temps, ils sont pas potes. L'amitié, ça se transmet pas par contagion, c'est même tout autre chose qui passe entre eux quand ils échangent un regard. Si Mihail ne rêve pas. Il veut pas s'éterniser de toute façon. « J'cherche Eoin, j'arrive pas à le joindre. Vous savez où... Il crècherait pas chez vous ? » La question lui écorche la langue à cause de tout ce que ça implique et qu'il n'a pas du tout envie d'imaginer. Et qu'il ne peut pas s'empêcher d'imaginer, forcément. C'est pas le moment. « J'l'ai pas vu depuis un moment. » J'm'inquiète, qu'il dit pas, mais il suppose que ça s'entend dans sa voix, et c'est sûrement pas non plus le moment de faire le fier. À l'aide.
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Casper Pryce

Casper Pryce
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MessageSujet: Re: are you also frightened? (misper)   are you also frightened? (misper) EmptyDim 14 Oct - 12:12

Seul. Les yeux dans le vague et le cœur au radar, à avancer à travers les nappes de brouillard. C’est mieux sûrement, seul, ça ne laisse pas de porte d’entrée, d’expectative, personne à décevoir et inversement, pas d’attente pour moins de douleur, seul face aux démêlées judiciaires pour éviter aux autres de trop s’impliquer, de trop ressentir. Pour éviter à Nova de laisser son cœur guimauve fondre, à Juno de se mettre en colère pour un oui pour un non, à Orion d’essayer de prendre les choses en main, à Atlas de se réfugier dans sa forêt de livres pour ne pas affronter le concret. Seul. Avant de partir, y a eu cet appel, Eoin à l’autre bout du fil, pas tout à fait lui-même, comme si la vie voulait lui foutre devant les yeux un miroir de sa propre déchéance. On récolte ce qu’on sème. On sème un peu trop loin, un peu trop fort, on contamine la flore environnante sans aucun état d’âme. Eoin est devenu l’ombre putride de tous les tabous qu’il avait longtemps essayé de cacher. Fallait s’y attendre, il pense, remet en perspective. La pomme blette finit toujours par pourrir tout le panier, même si on la pose délicatement contre les autres, mêmes si on prend toutes les précautions.
Casper ne saurait plus dire lequel des deux a mis fin à la mascarade, trop embrumé par la redescente, le bad trip qui avait duré plusieurs jours, plusieurs semaines, les douleurs à s’en tordre en quatre et les moments de doute à se demander s’il avait pas gardé une dose quelque part, au cas où. Il a oublié, peut-être volontairement, oublié ce qu’ils ont bien pu se dire, l’a résumé à quelques mots malheureux et une inévitable conclusion. Se fréquenter devenait dangereux, le procès n’apporterait rien de bon, Eoin devait reprendre son traitement, arrêter de faire comme si la mort de Veronica n’avait été qu’un épisode, trouver des moyens pour s’en sortir, définitivement pas Casper, un toxico en manque avec un besoin désespéré d’attention, définitivement pas quelqu’un d’aussi viscéralement toxique, Eoin devait s’éloigner, oui, oui, ok, terminé.

C’est fini. Vraiment fini. Fini les colocs, finie la drogue, la tranquillité, fini le job planqué, les élèves qu’on baise quand les parents ont le dos tourné, fini Eoin. Fini. Il n’a pas pris le temps de penser, depuis l’appel, depuis l’explosion, l’attentat, la mort, pas eu le temps de rassembler les petits bouts de lui semés aux quatre vents. Il aurait dû se douter qu’il tiendrait sa promesse, Eoin, même si ce n’est que métaphoriquement. S’attacher une ceinture d’explosif  à l’abdomen et tirer sur le cordon, avec lui à côté. La même douleur, identique, sauf qu’après la mort n’arrive pas, il n’y a que la vie et quelle putain de vie. Le réveil, la morphine pour tenir le coup, l’école, les copies à corriger, le plumard. Et la même merde qui recommence en boucle, sans lui laisser le temps de donner son avis. Y a rien qui change, au fil des jours. Une nouvelle connerie de Ruby, l’absence d’Ariel, les yeux ronds d’Isaac, rien de neuf, rien d’inédit, personne à retrouver le soir ni à voir le matin, les messages à Nur qui restent sans réponse alors qu’il aurait désespérément besoin d’elle, Tito et ses problèmes dont il ne parle pas vraiment, Tito, Tito, Tito, il devrait prendre des nouvelles, au moins lui dire qu’il a besoin de lui même si la réciproque n’est pas vraie. L’obliger. M’sieur Pryce, il lève les yeux. Son stylo reste en l’air quelques secondes, le temps qu’il comprenne, qu’il remette un nom sur le visage, essaie de savoir pourquoi il est là. Il ne lui faut pas beaucoup de temps, à vrai dire, pour rétablir les connexions, se rappeler de la dernière fois qu’il a entendu ce prénom dans la bouche de quelqu’un. Les doutes sont confirmés lorsque Mihail parle de nouveau. Lorsqu’il pose une question qui paraît tellement stupide quand on connaît toute l’histoire.
Bien sûr, fallait que l’ombre revienne le hanter. Fallait qu’ils finissent de s’assassiner.

« Bonjour Monsieur Popescu. » Les yeux baissés sur sa copie, il tente de rassembler ses pensées. D’éviter de s’effondrer. Y a que l’évocation d’Eoin qui provoque ça, faut croire. Même déposer plainte auprès d’un flic sceptique était moins humiliant que de se voir rappeler son histoire avortée. « Monsieur Taggart ne dort pas chez moi. » Ferme, concis. Le cœur qui se balance entre un vide et l’autre, prend le temps de choisir le chemin le moins douloureux. Le bout du stylo tapote doucement contre la feuille, y laisse des petits points rouges à intervalles réguliers. Et puis il finit par le lâcher. Poser les mains sur ses genoux. Appuyer doucement du bout des doigts, pour se faire du mal, comme s’il le blessait aussi par procuration. Il n’a pourtant pas de raisons de lui en vouloir pour l’avoir laissé achever une histoire perdue d’avance. « Mihail », il souffle lentement comme s’il était fatigué, sans pour autant oser le regarder. Les aveux sont difficiles à lâcher. « Il est chez ses parents. Je crois. Je crains ne pas pouvoir vous aider davantage. » C’est ce qu’il voulait, non ? Que ça se termine ? Qu’il laisse son ami tranquille ? Il avait suffisamment dû tenter, essayer de souffler l’idée en laissant Eoin croire que c’était mieux pour lui.
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MessageSujet: Re: are you also frightened? (misper)   are you also frightened? (misper) EmptyVen 2 Nov - 14:46

Il sait pas ce qui est le plus bizarre, que Pryce s'adresse à lui comme s'il était encore un élève ici ou qu'il se souvienne de son nom aussi facilement. Mais ça devrait pas être surprenant puisqu'il a fait la même chose, M'sieur Pryce, et puisque Pryce est un génie. C'est sûrement pour ça qu'ils s'entendent si bien avec Eoin. Aux yeux de Mihail, Eoin est un génie, mais ce qui le rend vraiment supérieur à tous les autres c'est qu'il sait se mettre à son niveau sans la moindre condescendance et surtout c'est qu'il le comprend. Il peut pas en dire autant de grand monde, même pas Tito. Pryce est un génie du genre qui l'intimide. Il s'est toujours senti affreusement vulnérable face à lui et ça le tuerait de le montrer. Mais le plus bizarre, finalement, c'est ce qui vient après. Monsieur Taggart, comme s'il n'était rien de plus qu'un ex-élève lui aussi, comme s'il l'avait pas foutu dans son lit. Mihail pense qu'il se fout de sa gueule et son visage se ferme un peu plus. Il passe en mode survie, comme à la maison surtout quand son père était là, comme avec Seven quand il veut pas lui montrer qu'il l'atteint. Il a beaucoup mûri dans le courant de l'année mais il retombe vite en adolescence. L'air détaché, un peu blasé, un brin d'insolence dans le fond des yeux, l'expression que ses profs lui connaissaient le mieux au lycée. C'est comme une armure, ou plutôt comme un charme, un glamour de sorcière qui dit vas-y, essaie d'attaquer si tu veux, de toute façon je suis intouchable. Mais c'est que du vent. En réalité il est sur le qui-vive, il attend la pique. Il serait incapable de la parer avec assez d'esprit pour impressionner Pryce et ça l'emmerde, ça l'emmerde que ça ait de l'importance.

Il est pris de court quand le ton change. « Mihail. » Il est pas sûr d'avoir déjà entendu son prénom dans la bouche de Pryce, sauf de façon complètement impersonnelle, un énième nom sur la liste d'appel et toujours suivi de Popescu. Impossible d'y échapper à ce maudit nom entre les murs du lycée. Ça lui avait pas manqué. Mais ce Mihail, il sonne différemment. Ça lui fait pas baisser la garde mais il remballe l'hostilité qui affleurait déjà aux bordures de son regard, au coin de ses lèvres. Il avait jamais vu Pryce comme un homme avec des failles. Vulnérable lui aussi, maintenant. Et il est pas plus au courant que lui sur ce que fabrique Eoin. Ça le fait glisser encore un peu du piédestal menaçant sur lequel il a toujours trôné dans l'esprit de Mihail. C'est dingue, on dirait qu'il était encore un gosse y a deux trois ans, quand Pryce était son prof, il le voyait comme un monstre et c'est ce qu'il était resté jusque-là. Monstre de savoir mais pas seulement. Une sorte d'ogre aussi. L'ogre qui lui a pris Eoin et contre lequel il a encore peur de devoir lutter pour Tito, parfois, alors que Tito ne fait rien pour lui laisser croire ça. Mihail a toujours eu l'imagination fertile, en particulier quand la jalousie s'en mêle. Mais le revoir en chair et en os, ça change tout. Surtout quand l'impuissance s'immisce dans sa voix.

Pryce les mains sur les genoux, le corps un peu replié sur lui-même, il est pas si impressionnant. Mais baisse pas ta garde Mihail. Il est peut-être fourbe, ce monstre-là. Baisse pas ta garde, qu'il se dit en s'approchant encore un peu, prudemment. « Nan, j'ai appelé, il y est pas. » Et il réalise qu'il comptait sur Pryce malgré tout. Il espérait qu'il lui dise ouais, il vit quasiment chez moi maintenant, tu savais pas ? Au moins il aurait été fixé. Et Pryce qui ne le regarde même pas. Mihail ne le lâche pas des yeux, lui, les sourcils un peu froncés. « J'pensais vraiment que vous sauriez, » il dit avec un soupçon de reproche et d'hésitation. Il se demande quelles conclusions tirer du fait qu'il sache pas. Il se demande si c'est normal d'être à la fois soulagé et désolé d'apprendre qu'ils sont pas si proches qu'il le croyait, ou plus si proches. Mais si ça veut dire qu'Eoin est seul, plus seul qu'il le croyait, alors ça peut pas être une bonne chose. « J'sais qu'il allait chez... chez Ronnie. Mais j'pense qu'ils ont dû rendre l'appart, nan ? » Il réfléchit à voix haute plus qu'il ne parle au prof. Il sait pas qui sont ces ils dont il parle. Ronnie avait pas trop de famille, de ce qu'il avait compris, mais y avait les Taggart, peut-être. Par contre il est sûr que Pryce sait de qui il parle parce qu'Eoin l'a rejoint tout de suite après l'hôpital, ce jour-là. Mihail n'était pas assez. Il n'est jamais assez. Et ça lui faisait mal mais il croyait que Pryce l'était, lui.
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MessageSujet: Re: are you also frightened? (misper)   are you also frightened? (misper) EmptyLun 26 Nov - 0:02

L’impression qu’il a, c’est que plusieurs interminables années se sont écoulées depuis Eoin et lui. Il y a quelque chose d’onirique dans le souvenir qui se rappelle à sa mémoire, quelque chose d’impalpable, de gigantesque et de minuscule à la fois, un éclat au milieu d’une brume un peu trop dense, un peu trop sombre, une main pour enfin attraper la sienne même si la peau est froide et glissante. Il aurait dû se douter que comme tout rêve qui se respecte, tout cela ne durerait pas. Les rendez-vous tardifs, les appels nocturnes, les conversations à cœurs ouverts comme si leur monde ne tournait qu’autour d’eux, les confessions abruptes jetées à la gueule du loup. Ils n’avaient pas peur que la bête tapie dans le noir ne les dévore. Et même si, très souvent, ils dissimulaient leurs émotions sous une bonne couche de cynisme, ils n’avaient certainement pas envie que tout cela disparaisse.
Ce serait sûrement trop compliqué à expliquer à Mihail parce que Casper a toujours pensé de lui qu’il était quelqu’un de binaire, incapable de voir d’autres nuances que le noir ou le blanc, l’enfance trop orchestrée par une dichotomie standardisée pour vraiment faire la part des choses et teinter sa palette d’entre-deux. La vérité, c’est que ce n’est ni de la faute d’Eoin, ni de celle de Casper. C’est un enchaînement de coïncidences malheureuses, c’est deux pièces de puzzle qui auraient dû s’assembler mais en forçant quand même un peu, c’est un toujours et un jamais qui permutent à l’horizon, c’est un champ d’infinis qui prend naissance dans le rapport hiérarchique douloureux d’une salle de classe, c’est une vérité et un mensonge. Il n’y a pas de réponse toute mâchée pour les expliquer, pour les appréhender, pour commencer à apprécier leur complexité, pour effleurer leur idée d’éternel. Rien que Mihail ne puisse comprendre rapidement, rien qu’il ne puisse comprendre tout court. C’est là tout le malheur d’Eoin et Casper, être bien trop incongrus pour vraiment faire sens, deux éléments du décor qui n’ont rien à foutre ensemble mais sont peints dans la même teinte qui fait qu’on les associerait facilement, naturellement.

Jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’y a plus rien.
Pour eux, sauf pour le monde entier.

« Non, je ne sais pas. » Il ne sait pas où il est, il ne sait pas ce qu’il fait ni avec qui, il ne sait pas s’il va bien ou s’il va mal, suppose qu’il va mal, il ne sait pas pourquoi ça le tue, pourquoi il fait semblant que ça ne lui fait rien, il ne sait pas pourquoi ça l’obsède et pourquoi il tente désespérément d’accrocher ses pensées à autre chose qu’Eoin Taggart. Quand il repose les yeux sur Mihail, c’est pour les planter froidement, sauvagement dans les siens, rattraper son stylo et griffonner sur le coin d’une feuille. Tout, n’importe quoi, des dessins, des spirales, ce qui peut empêcher son esprit de s’étouffer sur les bouts d’espoir qui lui restent. Il aimerait que ce soit suffisant pour inciter son ancien élève à faire demi-tour, à essayer de retrouver son ami d’une autre manière et certainement pas par le biais d’un ancien rien, un ancien quelque chose d’impossible à qualifier alors il ne vaut mieux pas le faire, pas le dire, pas le suggérer. Mais une fois de plus, Mihail parle, et c’est pour lâcher un prénom que Casper pensait ne plus jamais entendre, deux syllabes qui lui font suspendre son stylo au-dessus de la feuille, déglutir lourdement. Il aimerait cracher tous ses sentiments sur le papier, si seulement il le pouvait. N’importe quoi pour oublier, pour digérer, n’importe quoi pour ne pas se rappeler que Veronica, au fond, avait été le début de leur fin.
Les mots lui manquent encore quand il s’agit de verbaliser la mort de Veronica, d’en parler vraiment, de mettre des mots sur l’innommable, trouver des synonymes à l’horreur. Pas parce qu’il la connaissait. Elle n’était qu’un visage parmi d’autres, qu’une silhouette dans la foule, une copie au milieu de la masse, un élément de décor. Elle l’était, pour lui. Belle mais sans plus, discrète, à se souvenir à peine de sa voix, souriante et bienveillante, attentive, comme la fois où elle lui avait demandé s’il allait bien alors qu’il était en pleine redescente et que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Elle l’était pour lui, mais pas pour Eoin. Pas transparente, pas accessoire, pas ordinaire. Pour Eoin, elle était essentielle. « Ça fait un moment qu’il ne va plus chez Veronica. » Il le sait, Casper, pour y être allé, pour avoir essayé de rattraper les choses, inquiet comme pas possible, le cœur à deux doigts de se décrocher et tomber au fond de sa cage thoracique. Il le sait et en même temps, il n’en a aucune idée, vu qu’il s’est contenté de faire le pied de gru en bas de l’immeuble, d’attendre comme un con qu’il descende si seulement il était là-bas. Mais rien, pas l’ombre d’une âme. Il ne sait pas où est Eoin, mais il est certain qu’il n’est pas là-bas. « Je demanderai à sa mère, si vous voulez. » Parce qu’elle l’aime bien. Elle a peut-être même montré plus d’affection pour lui que sa véritable mère, ces derniers mois. Pas bien dur quand on connaît sa génitrice, mais quand même. « Mais avant, dites-moi. Pourquoi moi, Mihail ? » Et les yeux se relèvent, las, fatigués, le soupir au bord des lèvres. Il a l’impression d’avoir dix piges de plus dernièrement, à force de faire des nuits de deux heures et de quasiment rien bouffer. « Je ne sais même pas si nous étions vraiment ensemble. Je suis sûr qu’il y a d’autres personnes qui le connaissent mieux que moi. Et à qui vous auriez sûrement plus envie de parler. » D’autres personnes meilleures que lui. Bien meilleures.
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