« Je prends ma pause » qu’elle lance dans les loges avant d’enfiler son manteau par-dessus sa tenue, plus pour se protéger du froid de la nuit que pour cacher ce qu’il y a en dessous, l’habitude qui prend doucement la place, le corset qui lui serre la taille et les os ressemble presque à une seconde peau. Elle aime bien au final, le jeu des costumes, elle ne pensait pas, et pourtant la voilà, paillettes sur le visage, le rouge trop foncé, bas résilles et talons vertigineux. Surement que chaque membre de sa famille ferait un infarctus à la voir comme ça, dans cette tenue là. Surement ouais. Sauf Iulia. C’est la seule qui sait, la seule a qui elle a tout avoué. La danse, le bar, la chance offerte. L’adrénaline que ça lui provoque pour une soirée, le feux des projecteurs même juste derrière les autres, dans le fond de la scène.
Opale lui fait signe de la main, pouce levé pour lui montrer qu’elle a entendu et qu’elle transmettra, de toute façon son prochain passage n’est pas avant 30 minutes, le temps de prendre l’air un instant, respirer.
Porte de service qui lui est ouverte par un des vigiles, elle le remercie d’un hochement de tête avant de franchir le pas, frissonne légèrement quand le froid vient lui mordre les mollets, le manteau pas assez long pour la protéger jusque-là. Machinalement elle sort une cigarette de son paquet, l’allume, s’adosse contre le mur en brique pour prendre la première bouffée. C’est de plus en plus qu’elle craque, une par soir, à la pause, elle se dit qu’elle voudrait arrêter aussi vite qu’elle a commencé, mais y a quelque chose de rassurant là-dedans, puis c’est la première fois qu’elle s’autorise autant de débordement. Se laisser aller, sur scène ou en dehors, les bières à l’appart, la cigarette avec les collègues, avec la répétition, seule aussi, nicotine qui imprègne le bout de ses doigts. Une femme ça ne fume pas lui a toujours dit son père. Et pourtant la voilà. Lucian absent, derrière les barreaux, incapable de voir ce que fait sa fille, alors qu’elle revêt un joli masque quand elle le visite. Tout va bien papa. Et pour une fois c’est presque vrai, à par quelques dérapages incontrôlés elle a l’impression que les choses commencent petit à petit à changer.

La cigarette qui se termine, elle écrase le mégot sous sa semelle, s’apprête à rentrer quand son regard croise celui d’un passant, en face. « merde ». ça lui échappe comme ça. Elle tourne la tête, espérant qu’il ne l’a pas vu, qu’il ne l’a pas reconnu. Allen. Sale gosse qui traine dans les pattes de Seven depuis trop longtemps, sale gosse qu’elle a vu grandir comme trop de gamins du quartier, instinct maternel pour les cas désespérés comme lui.
Elle se dit qu’il n’a surement pas vu. Qu’il ne l’a surement pas reconnue. Fait noir et c’est pas le genre d’endroit où elle traine. Il fait noir oui, voilà.  Elle se rassure comme elle peut alors qu’elle se dirige vers la porte, le cœur qui bat. Faite qu’il ne me voit pas. Car ça serait le début de la fin, possibilité qu’il raconte tout à Seven, elle n’imagine même pas le poison qui se déverserait entre eux à ce moment là. Ca serait trop douloureux. Encore plus que la dernière fois.

Déambuler dans les rues de Savannah sans but ni fin, tu ne l’avais jamais autant fait que depuis qu’un couvre-feu avait été instauré. Peut-être était-ce de la provocation ou alors simplement un besoin irrationnel de marquer ton opposition. Il se prenait pour qui ce maire, à essayer de te dicter ta conduite là où ta propre mère échouait ? Tu l’avais encore en travers de la gorge, l’agression que tu avais subie, à cause de ce flic énervé. Aujourd’hui encore, t’en portais les marques sur la peau et t’avais pour seule consolation l’idée qu’il avait bien reçu la monnaie de sa pièce. S’il s’était imaginé pouvoir s’en prendre à toi juste comme ça, sans retour de flamme, il s’était fourré la matraque dans l’œil. Bon, tu fanfaronnais mais sans l’aide de Jax, t’y serais peut-être encore mais justement, toute la population de Savannah semblait se serrer les coudes pour faire front face à leurs conneries, aux politiques. Enfin, toute la ville, toute la racaille du moins. Ceux qui étaient visés, ceux qui faisaient peur, ceux qui dérangeaient. Toi y compris. C’est vrai que tu faisais vraiment peur avec tes grands yeux bleu et ton sourire un peu moqueur flanqué au bord des lèvres. Une vraie terreur ouais.
Tranquillement, sans te presser, t’étais allé manger une yufka avec des potes croisés au hasard. A vrai dire, tu ne les connaissais pas vraiment, tu les avais croisés une ou l’autre fois sur un circuit mais sinon, tu n’en savais pas plus sur eux. Mais ça fonctionnait toujours. Tu croisais des gens que tu connaissais vaguement voir pas du tout et il suffisait de quelques mots échangés pour que tu t’incrustes et sois acceptés. Alors voilà, t’avais mangé ton bordel, vu ton coca puis t’étais parti d’un « à la prochaine » prononcé avec un vague haussement d’épaule. Peut-être que tu les reverrais, peut-être que non, ils te ressortaient aussi vite de la tête alors que tu marchais dans les ruelles, mains fourrées dans tes poches. Ta mob était sagement garée derrière une poubelle à l’arrière d’un club, pour pas attirer l’attention, pas qu’on te la tire quoi.
Approchant le coin où elle était garée, ton regard fut tout naturellement attiré par l’enseigne lumineuse du cabaret, ou du bordel, tu ne savais pas trop ce que c’était comme truc mais y’avait toujours des gonzesses et des tas de mecs qui s’y pressaient. Officiellement, ce n’était pas de ton âge, t’avais jamais cherché à y aller, youporn faisait suffisamment bien son job pour ça. T’allait te détourner quand tu regardais un peu mieux la gonzesse qui fumait à l’écart, sans doute devant la porte de service. « Mais nooon ! » soufflais-tu pour toi-même en laissant un rire t’échapper. Tu n’étais pas sur mais quasiment, c’était bien Anca là-bas, nan ? Obligé c’était elle !
Du coup, c’était évidemment mort pour que tu tournes juste les talons, hein ! Elle devait bien s’en douter, que tu ferais pas ça. Bien au contraire, tu traversais la rue pour la rejoindre, un air hilare sur le visage. « Fais pas genre tu m’as pas vu !» ricanais-tu en te doutant très bien qu’elle n’était pas venue fumer là par hasard. Sa gêne ? ça te passait bien large par-dessus la tête. Tout ce que tu voyais, c’était Anca dans le dernier endroit où tu l’aurais imaginée. C’était complètement dingue !