casse-tête de détente sur les tempes.

01 ; et putain ça fait mal. et putain ça fait mal. ET PUTAIN CA FAIT MAL. y'a dans ses oreilles un signal qui se termine pas, c'est comme un électrocardiogramme qui sonne à la mort. y'a dans ses oreilles un signal. y'a dans son bide un reste de métal - y'a dans ses yeux des visions d'horreur.
y'a lawrence qu'a les boyaux à l'air,
y'a devon qu'a perdu la tête,
ça pisse du sang par tous les trous, c'est autour de lui, ça avance vers lui, c'est un tsunami rouge qui s'abat sur sa gueule fermée. il est pas prêt à boire la tasse.
y'a chris qu'agonise, qui chiale comme un môme, qu'implore sa mère, qui regrette ses choix, regrette d'être là. puis y'a lui, y'a lui au milieu dont l'air se fait rare, y'a lui au milieu et ça s'enfonce un peu plus dans sa chair - ça cherche dans les viscères. y'a de la terre sur sa gueule, du sable dans sa bouche - y'a sa langue qui vrille, sa gorge qui avale les vapeurs. il entend plus rien, fran.
et putain ça fait mal.
et putain ça fait mal.

ET PUTAIN CA FAIT MAL.

il a sans doute hurlé, à un moment donné. il a sans doute pété ses cordes vocales à un moment donné.
il est tombé dans les vapes,
il s'est réveillé - à son plus grand regret.

02 ; il inspire profondément.
- on pourrait s'marier. on pourrait s'aimer encore plus fort, plus longtemps aussi. on pourrait se la jouer belle famille américaine, sans chien parce que c'est trop banal ça. on pourrait faire le tour du monde, on pourrait faire des grandes et des petites choses. on pourrait tourner en rond comme des cons. on pourrait s'marier.
- t'as bu fran ?
- un peu.
elle éclate de rire, ophelia. elle éclate dans un rire, semblable à un verre qui s'éclate contre le carrelage en plein hiver. elle sourit. elle sourit naïvement, elle sourit bêtement, elle lie sa main à la sienne - elle hoche la tête, promesse silencieuse. elle est jeune, il est jeune - ils sont naïfs. ça a du bon pour le coeur gonflé, ça a du bon pour dilater les veines, pour éviter la peine.

03 ; puis y'a jane, jane rayon de soleil, jane dont la robe tourne toujours sous les rayons en été. puis y'a jane, jane qui sourit avec ses chicots perdues - qui braille parce que la petite souris est pas passée. y'a jane, qui lui serre le bide, qui défait les noeuds dans ses nerfs - y'a jane, sa gamine qui se pointe en miracle un beau jour, qui demande du temps, des hurlements, une main broyée. jane qui en résultat des courses a été pardonnée une fois vue - ophelia en a chialé, lui il a seulement regardé, la bouche cousue. puis y'a jane - y'a plus que jane. elle a huit balais aujourd'hui, haute comme trois pommes - et il a loupé pas loin de quatre ans de sa vie.

04 ; elle s'est cassée un quatre juillet. elle avait jane qui lui tenait la main, elle avait les larmes rageusement ravalées - elle était sûre, ophelia, de ce qu'elle faisait. elle était convaincue, et elle avait bien fait. parce que y'a pas idée de se coltiner un pauvre taré qui la nuit se lève, au moindre craquement de parquet, qui dégaine le flingue, prêt à foutre des trous dans les murs - dans les miroirs et les ombres éteintes. parce que la peur de sortir, parce que la sensation que des yeux traînent dans la penderie, parce la violence mêlée à l'illusion - parce que même les je t'aime suffisaient pas, parce que les médocs prenaient trop de temps à agir. parce que y'a pas idée de se coltiner un malade qui se réveille en hurlant, qui balance des phrases qui font pas sens - parce que ophelia, elle avait assez donné, parce que ophelia, elle avait peur à s'en étrangler. alors elle est partie, elle est partie sans laisser un mot, elle est partie comme un mirage - une chimère, le quatre juillet, y'a cinq ans, à quatorze heures. stress post-traumatique, elle aura combattu le dragon que huit mois.

05 ; tous les premiers du mois, fran il pose son cul sur le bord de son lit, il attend. il attend - un moment, des heures peut-être. y'a l'arme à côté de lui, vide, y'a l'arme qu'attend d'être entre ses doigts - elle est douée pour ça aussi. puis il l'empoigne, puis il se la colle sur la tempe. il ferme les yeux, toujours très fortement, semblable à un voeux qui se transmet par la pensée - il voit plus rien, que du noir. il appuie sur la détente. y'a que du vide - et le frisson d'en avoir terminé. mais le fait est que fran il a pas les couilles d'en terminer, le fait est qu'il feint les adieux pour se dire qu'il est encore vivant.

06 ; il a commencé à fréquenter les alcoolos anonymes y'a deux ans à tout péter. au départ il y croyait pas, il tirait profondément la gueule et roulait des yeux à chaque histoire - puis faut croire qu'un jour ses tympans ont été débouchés. il a tenu bon fran, il a même eu son petit jeton en plastique à la con, qui traîne encore dans le fond de la poche de son manteau gris. dessus y'a marqué : 30 jours. c'était son record, c'était un désir de raccord - il est retombé sans préavis, sous un coup de flippe, sous une crise de panique. mais ce jeton il reste, il joue avec - le fait rouler entre ses doigts, ça fait office de boule anti-stress, dont les inscriptions et les couleurs s'effacent peu à peu.

07 ; fran il fait des efforts, fran il essaie de mettre de la glu là où ça s'est fissuré. fran il essaie de tout son coeur. entre la thérapie et le traitement de fond, y'a de l'amélioration. alors depuis peu, il laisse plus son échine se courber, il a les yeux bien ouverts, tenté de revenir sur la garde de sa fille - qu'il voyait pas au départ, qu'il a vu sous surveillance par la suite, puis qui maintenant peut qu'en profiter qu'une aprem dans le mois. parce que jane, il veut qu'elle soit fière, il veut qu'elle se lève le matin pour se dire que son père c'est un chouette type, parce qu'il veut pas tout foirer - qu'elle entre dans l'adolescence, lui crache à la gueule qu'il est qu'un pauvre con qu'en a jamais rien eu à foutre de sa gueule d'angelot. quitte à être un mari à chier, autant essayer d'avoir un jour la tasse avec en lettres d'or best dad.

08 ; ça fait deux ans qu'il traîne dans les pattes de la police et qu'elle le réclame. faut dire qu'il est pas mauvais fran, surtout en ce qui concerne l'armement, et que s'il a pas une âme d'inspecteur, il peut au moins servir de bâtard qui aboie au moindre pépin qu'il trouve sur une scène. n'empêche que ça lui rapporte aussi de quoi vivre un peu mieux - son rang de capitaine lui aura pas apporté plus, faut croire que le prix de la vie ça vaut que 22 000$ par an, en sachant que le loyer est parfois bonbon c'est pas toujours la joie.

09 ; cicatrice en punition divine, elle est visible que quand il enlève le tee-shirt ou la chemise. elle est grosse. elle part de son bide et s'éteint pas loin de sa colonne vertébrale - il se qu'y'avait du froid à cet endroit, qu'il aurait pu choper le tétanos, que c'était coupant, que ça l'avait déchiré. il a eu plus de cul que pas mal d'autres - et c'est un constant rappel à des années de service mises à néant.

10 ; dos toujours droit, mains dans les poches, joujou avec le jeton, yeux qui roulent jusqu'au ciel, regard médisant - fatigué, alliance jamais enlevée, elle traîne maintenant sur l'autre main, à un autre doigt pour passer inaperçue, pour faire simple anneau d'argent lambda, boire trop, fumer peu, se défoncer peu, filer un peu de pièces aux clodos du coin, emmerder un chat errant pour un peu d'attention, mettre les photos dans un meuble, courir vite, tomber de la même manière.