Fruit d’une soirée un peu trop arrosée, Alex vint au monde la veille du réveillon de Noël de l’an 95, au grand damne de sa mère occupée à préparer la farce au moment de son accouchement.
Plus petit que la moyenne du fait du peu de considération que Mélanie avait eu pour son fils durant sa grossesse (continuant de picoler et de fumer toutes sortes de substances sans jamais se limiter), l’enfant manqua de peu de succomber à sa première semaine, faisant un arrêt cardio-respiratoire à son troisième jour d’existence. Heureusement pour lui, il était alors encore hospitalisé et fut mis en couveuse dans l’espoir de lui faire prendre quelques grammes bienvenus. Permettant ainsi aux médecins d’intervenir aussi rapidement qu’efficacement et de pouvoir le sevrer avant que ne surviennent d’autres complications.
Car comme nombre de nouveaux-nés issus de mère alcoolique et/ou Toxicomane, Alex souffrait du syndrome de sevrage néonatal.
Lorsqu’enfin il pus quitter l’hôpital deux mois plus tard, ce fut une grippe qui faillit l’emporter, mais une fois encore les secours furent prévenu à temps et, aussi irresponsable que furent Mélanie et Benjamin Bengtsson comme parents, ils avaient su gérer la crise.
Là était sans doute la seule et unique preuve d’amour concrète qu’Alex reçu de leur part avant qu’ils ne voient en lui que cette chose portant leur ADN, inutile et ne faisant que les gêner.
Aucun être humain n’était parfait, donc aucun parent ne pouvait l’être. Cela dit, il y a du pire dans le moins bien.
Dire qu’Alex était maltraité serait mentir. Du moins, d’un point de vu strictement physique, ni sa mère ni son père n’avaient jamais levé la main sur lui de manière volontairement violente. Oh bien sûr, il s’était mangé quelques claques, mais ce n’étaient pas là les souvenirs les plus marquants de son enfance. Non, la véritable maltraitance que le garçon avait subie était plus discrète, plus insidieuse. Elle consistait en de l’ignorance pure et dure. Une carence affective qui se concrétisait par un minimum d’interaction sociale et en strictement aucun soutient de la part de ses géniteurs.
Ils l’avaient changé, nourrit, douché et habillé convenablement, mais tout cela ne valait rien si le coeur n’y était pas.
Jamais Mélanie n’avait embrassé son fils une fois sa couche propre nouée autour de son ventre grassouillet. Jamais non plus Benjamin ne s’était proposé pour jouer avec lui aux legos, aux puzzles ou au loup ; à n’importe quel jeu qui aurait pu distraire l’enfant et l’ouvrir sur le monde.
Non. Au lieu de ça, ses parents passaient leurs temps à fumer, à regarder la tv et à se crier dessus avant de se réconcilier sur l’oreiller. Ou le canapé… Mais Alex préférait chasser cette image de son esprit.
Et vu que ses parents ne venaient jamais vers lui, Alex avait rapidement appris à venir vers eux.
Souvent, il s’installait sans un bruit sur le tapis face à la télé. Silencieux, il observait les émissions toutes plus lobotomisantes les unes que les autres que sa mère et son père regardaient jusqu’à temps que ces derniers ne le convient enfin sur le canapé.
Il écoutait son père étaler sa science de comptoir, ses avis sur le monde et sur la direction que ce dernier se devait de prendre. Il observait sa mère tartiner son visage de maquillage bon marché comme si tous ces produits étaient suffisant pour changer la personne qu’elle était intérieurement, normalisant insidieusement le dictât du corps chez l’enfant qu’il était. Il les observaient fumer, souvent. Grinder ces masses vertes informe dont il ne découvrit les tenants que bien plus tard, arrivé au collège.
Il ne comprenait rien à ce que son père racontait, pas plus qu’aux gestes de sa mère ou aux raisons de leurs sautes d’humeurs fréquentes, mais ce qu’il avait très bien compris par contre, c’était que hocher la tête aux mots de son paternel et les répéter avec aplomb avait tôt fait de faire sourire ce dernier. De même que de complimenter sa mère sur son physique pourtant somme toute banale et diablement vulgaire.
Mais dans ces moments là, l’enfant était content. Il était content d’être enfin le centre d’attention de ses parents, ne serait-ce que pour quelques secondes grappillées ici et là avant de retomber dans l’oublie.

Et plus il grandissait, moins il semblait exister à leurs yeux. Il devait alors redoubler d’efforts.
Maintenant qu’il avait dix ans, Mélanie avait jugée qu’il était en âge de se démerder tout seul et avait donc arrêté de lui faire à manger.
Elle s’occupait des courses, mais seulement parce qu’il était trop jeune pour avoir une carte de crédit et qu’elle ne lui faisait pas suffisamment confiance pour lui confier la sienne.
De toute façon, sans voiture il aurait bien du mal à transporter ces dernières jusqu’à la maison.
Une nouvelle fois, les interactions sociales du garçon avec ses parents s’amoindrirent. Les rares moments durant lesquels ils pouvaient discuter tout trois, c’était lors de leurs soirées tv.
Alors qu’il entrait lentement, mais sûrement dans l’adolescence, Alex sentait l’étau enserrant son coeur se resserrer encore d’un cran.
Doucement, il comprenait.
Il comprenait que peu importe les efforts qu’il fournissait, peu importe combien il essayait d’exister à leurs yeux, il ne serait jamais rien de plus qu’un enfant indésiré.
Un enfant dont la mère n’avait appris l’existence qu’au cinquième mois de grossesse et qui n’avait eu d’autre choix que de venir au monde.
Mélanie aurait bien sûr pu l’abandonner à la naissance, tout comme Benjamin aurait pu ne jamais reconnaître son fils, mais ils avaient tout deux choisi d’assumer le rôle leur incombant sans jamais l’avoir véritablement tenu.
Sur papier, ils étaient tout deux des parents responsable, scolarisant leur fils qui, en vue de son corps rondelet jusqu’à sa poussée de croissance à l’âge de 15-16 ans, ne manquait de rien d’un point de vue alimentation.
Dans la pratique, ils délaissaient totalement cet enfant ayant fini par se réfugier dans la nourriture à l’âge de 8 ans et ayant fait sa première TS à seulement 12 ans, ouvrant son poignet déjà maculé de coupure d’une ligne nette, plus profonde que les autres, mais pas assez pour l’emporter.
Tout ce qu’il avait récolté de cette expérience était une anémie conséquente couplé à un mal de tête persistant et à un dégoût de lui-même encore plus conséquent.
Il n’était même pas fichu de se donner la mort.
Il ne sut jamais si ses parents avaient ignoré de manière volontaire son mal-être marqué au rasoir sur sa peau ou si le désintérêt qu’il leur inspirait était tel qu’ils ne l’avaient jamais remarqué.
L’une comme l’autre de ses explications ne faisait que faire s’enfermer un peu plus le garçon dans sa bulle.
Aucun de ses appels à l’aide n’était entendu.
Ni par ses parents, ni ses soi-disant amis, ni même par le corps enseignant.

Mal dans sa peau, d’un IMC de presque 29 à seulement 13 ans, Alex finit le collège sous les chambrages de ses camarades de classe, tête baissée et sourire conscrit aux lèvres.
A quoi bon se révolter quand on avait appris toute sa vie que courber l’échine et se laisser faire était le chemin le plus rapide pour arriver à un accord tacite de paix de surface ?
S’il tentait de s’insurger, les insultes risquaient de se muer en coups et Alex se retrouverait encore plus seul qu’il ne l’était déjà. En se laissant faire et en riant des brimades pleuvant sur lui, il avait l’impression de faire partie d’un groupe, d’être accepté.
Certes, le groupe auquel il appartenait était celui de ses harceleurs, mais au moins ces derniers se montraient-ils plutôt généreux avec lui en lui laissant la possibilité de traîner avec eux en échange de sa simple soumission.
De toute manière, il avait toujours vécu de la sorte, dos voûté et regard au sol, alors cela ne le dérangeait pas plus que ça…
Il se trouvait mieux lotit que les autres comme lui courant pleurer dans les jupes de leur mère et se retrouvant tout seuls à la récré.
Parfois, ses « amis » lui demandaient de faire quelques courses pour eux, ce qu’il faisait sans broncher, heureux d’exister d’une quelconque manière aux yeux de ces enfants ne comprenant pas encore tous les tenants et aboutissants de tels actes.
Un jour sûrement qu’ils réaliseront ce qu’ils avaient fait, repensant au passé avec une boule au ventre. Sûrement que certains regretteront leurs actes, peut-être même s’excuseront-ils parfois, mais pour l’heure seuls des rires dédaigneux s’échappaient d’entre leurs lèvres entourées d’acné.

Puis arriva le lycée. Période bénite durant laquelle le corps d’Alex se transforma drastiquement.
De petit gros, il était passé à jeune homme de taille et de corpulence standard.
Quelques heures de sport improvisées aux retours des cours et le voilà taillé comme à peu près n’importe quel adolescent de son âge prenant un tant soi peu soin de lui et de son apparence.
Malgré ça, il ne s’en sentait pas plus attirant pour autant.
Les stigmates de son enfance brimée restaient encrés en lui, apparaissant sur ses poignets sempiternellement couvert par des manches longues ou des bracelets divers.
Physiquement, il donnait parfaitement le change. Il souriait, riait, s’énervait comme n’importe quel adolescent de son âge.
Il avait appris à copier les autres, leurs codes qu’il maîtrisait avec plus ou moins de facilité.
Malgré ça, il ne se sentait pas du tout en phase avec les autres êtres humains.
Il se sentait intrus parmi les siens, comme un alien tombé de son vaisseau dans un monde lui étant étranger.
Son mal être était toujours bien présent, peut-être même encore plus qu’avant.
Seulement voilà, Alex avait appris que pour vivre tranquille, baisser la tête ne suffisait pas.
Il fallait se battre, sans cesse. Au sens propre comme au figuré.
Et vu qu’il ne possédait pas la force mentale pour le faire, alors il usait de celle physique.
Belliqueux, c’est ainsi que le décrivaient ses professeurs.
Il frappait, souvent. Frappait pour montrer qu’il n’était plus cet être faible qu’il avait été plus jeune. Qu’il était toujours au fond.
Il frappait, explosait des gueules pour le simple fait de le faire. Parce que c’était la seule manière qu’il avait trouvé de ne plus être ignoré. D’être craint.
Il fumait aussi, beaucoup.
Des joints, principalement.
Et il riait à chaque fois qu’il portait ce cône euphorisant entre ses lèvres. Non pas du fait des substances le composant, mais parce qu’il ne pouvait s’empêcher de penser que, finalement, ses parents étaient dans le bon.
Ils avaient toujours tout compris mieux que lui. Ils lui avaient ouvert la voie.
Ils avaient appris à Alex à fuir ses responsabilités comme eux l’avaient toujours fait.

Et lorsqu’il rencontra Jess, sa petite amie actuelle, il comprit qu’il ne serait jamais heureux.
Elle était belle, Jess.
Elle fut sa première et unique copine.
Une femme se nourrissant de son manque de confiance pour alimenter la sienne.
Elle aimait se sentir indispensable, n’hésitant jamais à le rabaisser afin de s’assurer de rester la seule pour lui. D’être certaine que jamais il ne pourrait avancer dans sa vie et voler de ses propres ailes.
Une perverse manipulatrice, mais Alex l’aimait de tout son coeur.
Elle était la seule à l’avoir accepté tel qu’il était. La seule capable de l’aimer, lui que tous avaient toujours pris le soin d’ignorer.
Elle était son ange, sa muse, sa sauveuse.
Elle était le diable.
Et il vivait avec elle depuis leur 19 ans.