prie pour moi ; la mémoire d'eshel a une durée de vie de 24H. elle se fane dès l'aube, quand la môme écrase ses poings contre ses paupières, ouvrant les yeux sur le monde comme si elle venait d'y naître. elle n'a aucun souvenir de la veille, ni bien sûr des dix-neuf ans qu'elle vient de traverser.

   apocalypse 894 ; et sur son corps elle incruste ce qu’il lui reste. pense bête épidermique. memo ad vitam æternam. de ses chevilles à la cambrure de ses seins en passant par ses doigts. toute sa vie figure là. dans sa chair on lit son passé, puisqu’elle n’a que le présent pour tracer son avenir. à l’encre noire elle a gravé des règles, des alliés, des ennemis, des promesses et des loyautés. la gamine est un livre ouvert, une bible personnelle, une fresque à la vulnérabilité morcelée entre ses veines.

   vieux frère ; vio. cette vieille peluche de frère, qui somnole avec elle, veillant d'un œil morne sur elle. une vieux squelette, une vieille loque, presque un cadavre qui flaire le moindre danger. il se tient là, à chacun de ses éveils, ayant appris les mots qui ne l'effraie pas — ou plus. il a le rituel, l'habileté, il la calme la môme dès qu'elle est tirée de son rêve éveillé. sur ses phalanges sont gravées les 3 lettres qui servent de clé : vio. quand sur celle du garçon sont imbriquées les 5 d'eshel. et souvent, à son réveil, leurs doigts sont entremêlés.

   dirty laundry ; on a lâché maman pour courir après papa. askip il était plus stable, plus sérieux, plus responsable. on refait l'monde avec des askip. c'est sûrement le monde qu'ils ont tenté de refaire vio et eshel. une course contre l'univers. y'avait des lendemains dès qu'ils se levaient, on ne vivait plus dans le jour présent. on quittait savannah pour une ville fantôme, une planète inexplorée. au bout y'avait le visage souriant du paternel qui s'effaçait dans le crépuscule. eshel, elle se lève le matin pour repartir à la course au daron — vio lui, il a abandonné depuis longtemps. il y voit qu'un mensonge, une utopie inatteignable.

   caravane palace ; le bungalow ingalls, c'est une terre sacré, un mobile home entretenu par leurs doigts de fée, leurs consécrations, leurs voyages et leurs idéaux. personne n'y entre, ce sont eux qui sortent. règle inviolable et sacrée. le palais de ces deux rois déchus, de ces deux enfants précieux, il n'y a finalement que là qu'ils sont toujours revenus.

   j'entends le gang ; vieux crew de fêtards, vieille amitié qu'ils ne cessent d'invoquer à chaque fin de soirée. une bande de sorcier capable de faire vibrer une foule avec leurs doigts, leurs danses, leurs muses. ils n'ont de lendemain que les improbables races qu'ils ont pu se mettre, genoux à terre et gueule ouverte vers l'alcool qui pleut du ciel.

   gold leaf across your lips ; des lèvres d'or, des cheveux de vieillarde, des yeux d'acier. on peine à lui donner un âge, et c'est ce qu'elle veut l'artificière. enveloppée dans les vieilles fringues de son frère, elle sillonne savannah sapée comme une banlieusarde.

   dans tes bras de soie ; dans un passé enfoui et irrévocablement fermé à clé y'a nell et santorin. nell et ses îles grecques, les toits bleus, et le crépis blanc. les promesses dans la langue des dieux et les coups de langues lassifs. les pierres de lave et la corde sectionnée d'un bateau. on ne parle pas de ça chez les ingalls. on ne parle pas devant vio. on ne parle plus de nell, mais lui aussi il est palpable sur l'épiderme d'eshel, dans le coeur brisé et longtemps rapiécé.

   you've been uninvited ; la nuit elle ne voit rien. il fait noir. aussi noir que dans un four. elle tâtonne, trouve une porte. y'a ce phare vert dans la nuit qui clignote dans son dos. mais elle ne sait pas ce que c'est, ne sait pas où elle est, ne sait pas ce qu'elle fait. elle sait simplement que la porte est close et que ce qui se cache derrière, elle ne saura jamais ce que c'est — ou alors elle préfère l'oublier.

   1000°C ; v i o sur les phalanges de la main gauche. e s h e l sur celles de la main droite. 31.12 au creux du poignet. avant tout : ne croire que vio. sous la poitrine. oh lord do you see us down here, de vieilles prières latines sur les bras. des lunes, des soleils, des promesses en grec pour combler les trous. des règles inviolables sur les langueurs du corps. des portraits sur les rondeurs. des plans géométriques, des villes, des noms maculent ses cuisses et imprègnent ses hanches. des poissons nagent sur ses avants-bras.