Tu viens à peine de recevoir ton salaire du mois, et tu en as dépensé le tier dans un nouveau maillot de bain, pour la compétition qui va venir. Jax sera là, et avec ce maillot, tu sais qu’il n’arrivera pas à détourner les yeux de toi. Il te fait un cul d’enfer. T’es sexy, là-dedans, et mettre deux cents dollar valait vraiment le coup. Enfin, ça l’aurait valu s’il était venu. Il devait passer te prendre à neuf heure pour la compétition, parce que Jack travaille, et parce que maman…enfin, lui demander un dimanche matin de se lever aussi tôt, c’est impossible. Toi, tu n’as pas fait la fête, hier, même si t’en crevait d’envie. Parce que la natation, c’est le seul truc que tu prends vraiment au sérieux. Alors voir les minutes défiler, assise sur le trottoir devant ton immeuble, ça te fait enrager. Si tu avais su, t’y serait aller à pied. Un petit message pour prévenir, ça ne tue personne. Tu pensais pouvoir lui faire confiance. Mais visiblement, y’a pas une seule personne fiable dans cette ville pourrie. Tu te redresses en faisant les cent pas. T’as froid. Tu voulais faire la maligne, lui montrer le maillot, et t’as juste enfilé un short en jean par-dessus, sans tee-shirt. Alors tu finis par remonter chercher un sweet. Maman ronfle sur le canapé. Elle est défigurée par l’âge et l’alcool. Elle pense encore avoir trente ans dans sa tête, et là, tu la trouves juste triste. Triste et pathétique. Ce que tu seras un jour, toi aussi, Vivi. Parce qu’on ne peut pas déjouer le destin. C’est comme ça. Peut être que tu étais destiné à louper cette compétition, à ne rien faire de ta vie. Destin ou pas, t’es sacrément en colère, et tu comptes bien le lui dire, à Jax, qu’il a merdé grave. Tu pourrais envoyer Jack lui casser la gueule. Non, il ne le ferait pas. Faut tout fait par soi-même, c’est bien connu. Alors tu laisses ton sac de sport, tu prends ton sac à main, et tu descends dans la rue. Tu n’as pas le permis, alors tu fais tout à pied, les grandes distances, ça ne te fait pas peur, et aller chez Jax, c’est un jeu d’enfant. Tu t’allumes une clope en soupirant. Y’a personne dans les rues, un dimanche matin, sauf les clodos. Tu les ignores royalement en mettant ton casque, musique à fond, et en moins d’une heure, t’es chez lui. Devant chez lui, tout du moins. Tu frappes. Tu sonnes. Tu refrappes. Personne ne répond, aucun bruit dans la maison. Alors t’essaies d’entrer ; tu pousses la porte et cette dernière n’est pas verrouiller. Pour quelqu’un qui se cache, il peut faire mieux…Tu pénètres donc dans la minuscule maison, qu’il partage avec trois meufs que tu ne peux pas voir en peinture, et tu le cherches des yeux. Il fait sombre, les volets sont fermés, et pourtant, t’arrives à le voir, dans la pénombre. Un cadavre parmi les cadavres de bouteille. Tellement pathétique. T’as l’impression de voir ta mère. Tu secoues la tête. La colère monte d’un cran, encore. S’il était entrain de sauver un chaton dans un arbre, ou s’il s’était coupé une main, tu aurais pu lui pardonner. Mais là. Là il doit payer. Alors t’ouvres les volets, brutalement et tu attrapes un pichet d’eau que tu lui jettes au visage, sans une once de remord. « Putain Jax, tu fais chier sérieux ! »

Y a plus rien. Rien d'autre qu'un grand vide douloureux qu'il tente de combler n'importe comment. En avalant les images stupides de la télé. En ingurgitant l'alcool disséminé dans la petite maison. Il fait rien d'autre depuis deux jours. Complètement amorphe, déphasé. Déconnecté. Mais pas autant qu'il aimerait. Il voudrait pouvoir se couper totalement de la réalité. Oublier. Ne plus y penser. Ne plus voir son visage à chaque fois qu'il ferme les yeux. Ne plus sentir son odeur dans leurs draps. Ses draps, désormais. Dans ce lit qu'était trop petit pour deux, mais définitivement trop grand pour lui seul. Trop froid. Comme son corps qu'il n'arrive plus à réchauffer, malgré la douche brûlante qu'il a pris le soir de son départ. Il n'en a pas repris depuis, il n'y a pas pensé. Il n'a pas vu le temps passer. Ça ne fait que deux jours qu'elle est partie mais il a la sensation que ça fait une éternité. La sensation d'être dans cet état second depuis trop longtemps déjà. D'être sur le déclin. Condamné qui attend son heure en s'ennuyant à mourir. Il n'est plus allé bosser, il n'a plus répondu à Ellis. A personne en fait, il a éteint son portable, ou peut-être qu'il l'a laissé se décharger, il ne s'en souvient plus. Il a ignoré Ninel qui est venue frapper à la porte plusieurs fois, complètement désorientée. Y a plus Halina et Jax joue au mort. En temps normal il s'en serait voulu de lui imposer ça. Mais pas aujourd'hui. Maintenant il s'en fout, maintenant rien ne compte. Il veut juste rester là, à comater, jusqu'à ce que la douleur s'en aille, le libère de cet étau infernal.

   Il a terminé la dernière bouteille de vodka cette nuit et il a fini assommé par l'alcool et la fatigue, il s'est étalé sur son lit sans même prendre la peine de se mettre sous les draps. Il est étalé, face contre le matelas, une jambe qui traine dans le vide, les bras étendus le long de son corps, à ronfler bruyamment. Il n'a pas rangé la chambre depuis le départ d'Halina. Elle avait retourné complètement la pièce avant de faire ses bagages et de se tirer. Il n'a touché à rien, comme s'il avait peur de perdre la dernière chose qui lui restait d'elle. Sa dernière crise, sa dernière folie. La dernière chose qui le relie encore à elle.

   Mais l'instant de répit se fait violemment écourter par une douche froide. Il ouvre grand les yeux et se redresse subitement, choqué, inspirant un grand coup et avalant au passage de travers un peu d'eau. Il se met à tousser, l'eau qui remonte dans son nez et le gêne, il ferme les yeux et vient frotter son visage, mal en point. — Putain Jax, tu fais chier sérieux ! Il ne comprend pas tout de suite ce qu'il vient de se passer. Il se redresse péniblement sur le lit, l'estomac en vrac et la boîte crânienne en train de se faire défoncer par un marteau piqueur. Il plisse les yeux, la lumière l'aveugle. Il finit par capter la présence de Vivi et ça l'épuise d'avance. Il n'a pas la force de l'affronter, pas aujourd'hui. Ni demain. P't'être plus jamais en fait. Peut-être qu'il restera coincé dans cette transe douloureuse indéfiniment. L'agacement le réveille un peu mieux et il se met en mouvement, clairement de mauvaise humeur. Il attrape le bas de son t-shirt et le relève pour venir s'essuyer le visage encore ruisselant. Puis il se lève et se traine jusqu'à la petite commode où il attrape une clope et un briquet. Il allume sa cigarette et d'une voix cassée, rocailleuse, il la vire. — J't'ai pas dit d'passer chez moi. Si j'te fais chier, barre-toi. Il passe sa main dans ses cheveux trempés pour les rabattre en arrière et quitte la petite chambre pour retourner dans la pièce de vie. Ninel n'est pas là, tant mieux. Peut-être qu'elle s'est tirée aussi, qu'elle a rejoint Halina. Qu'est-ce qu'il en a à foutre de toute façon. Une main posée sur son estomac nauséeux, il se met à ouvrir tous les placards à la recherche d'une bouteille. Rien. — P'tain. Il referme le dernier placard, mais la porte coince et se rouvre légèrement. Il pousse à nouveau. Elle se rouvre. Il claque plus fort. Elle se rouvre. Il se fige. Fixe la petite porte en bois pendant trois secondes avant de vriller. Il l'attrape violemment et tire dessus comme un forcené. La porte craque et la poignée lui reste entre les mains. Il la balance à travers la pièce dans un geste rageur, frustré. Au final, il attrape une bouteille de soda dans le frigo et va se vautrer dans le canapé. Il croise le regard de Vivi au passage et se vexe. — Quoi ? Il attrape la télécommande et allume la télévision avant de dévisser la bouteille de coca et de se mettre à boire au goulot, la gueule en vrac et des cernes jusqu'aux pieds. — Barre toi j't'ai dit, j'suis occupé. Occupé à décider de comment il allait foutre toute sa vie en l'air.

Tu lui en veux, Vivi. Vraiment. Du plus profond de ton cœur. T’as envie de lui arracher les yeux et lui exploser les deux genoux. T’as dû mal à maitriser ta colère, depuis gamine. Sans doute parce que ta mère se plie en quatre pour exhausser le moindre de tes petits plaisirs. Tu lui en veux parce qu’il ne s’occupe pas de toi, parce qu’il t’a oublié. Et tu détestes ça, être oublié. On ne laisse pas Vivi dans un coin. Ce n’est pas envisageable. Toi, t’es faites pour être sous le feu des projecteurs. Tu aurais dû briller, à cette compétition. Tu aurais dû briller pour lui, surtout, dans son regard, dans son esprit. Tu ne comprends pas pourquoi ça ne marche pas. D’habitude, tu bats des cils, tu te dénudes un peu, tu minaudes, et on tombe dans tes bras. C’est simple et efficace. Mais avec Jax, ça ne marche pas, et ça t’énerve. Jax, il n’hésite pas à te planter le jour le plus important de ta vie. Parce que tu le lui as dit, que cette compétition comptait, vraiment. C’était ta chance de partir. De quitter l’état pour la Floride, pour une compétition plus grande, plus importante. Mais maintenant, c’est trop tard, évidement. A cause de lui. Alors tu lui en veux. Tu as toujours su que ta vie allait être merdique. Tu ne te faisais aucun espoir. Ta mère est une ratée, comment ne pas en être une aussi. Pourtant, au fond, y’avait une petite partie de toi qui espérait encore un peu. Qui espérait que la natation serait la porte de sortie, la lumière au fond du tunnel. Pas pour cette saison. Surement jamais, même. Jax finit par émerger, violement en grognant. Tu le regardes, les bras croisés, la moue dédaigneuse. Pathétique, qu’il est. « Tu rêves. » que tu dis en levant les yeux au ciel. Tu n’es pas prête de partir. Tu veux des excuses, et des explications. Il ne va pas s’en tirer comme ça. Il finit par se lever, le pas lourd, l’âme en peine. Dans le préfabriqué, on a vite fait le tour, et il passe de son lit au canapé d’un coup, comme ça. « Occupé à quoi » tu lui demandes, après un instant. Tu secoues la tête en soupirant. « À te comporter comme un putain de connard en gâchant ta vie et celle des autres ? Bravo. » tu tournes en rond, te mord la joue. « C’était censé être MA journée, Jax, je savais que je pouvais pas compter sur maman, mais j’pensais que je pourrais compter sur toi. Tu vas devoir te faire pardonner. »

— Occupé à quoi ? Il ne répond rien, il fait celui qui ne la voit pas, qui ne l'entend pas. Il serre la télécommande dans sa main, les yeux rivés sur l'écran de télévision. Il zappe les chaines sans y prêter attention, pas foutu d'en choisir une. La présence de Vivi le met mal, il veut qu'elle s'en aille. Il veut juste qu'on lui foute la paix, qu'on l'oublie un peu. Que lui aussi puisse oublier. Qu'il puisse remplir son esprit de choses futiles, à tel point qu'il n'y aura plus la place pour rien d'autre. Et surtout pas pour Halina. — À te comporter comme un putain de connard en gâchant ta vie et celle des autres ? Bravo. Il se fige, le visage qui se crispe subitement face aux mots de Vivi. Gâcher la vie des autres. Il baisse lentement les yeux pour venir fixer un point imaginaire sur le sol. Ses mots tournent en rond dans sa tête et écorchent les parois de son crâne dans une sensation douloureuse qui raisonne jusque dans sa poitrine. C'est peut-être pour ça que tout le monde disparait autour de lui. Salem, Hagar, Halina, Zyki. Il gâche leur vie. Et il est en train de gâcher celle de Ninel aussi. Peut-être que c'est lui qui devrait partir finalement. Aller s'enfermer quelque part, jouer les ermites, ne jamais revenir. Un truc se déchire en lui. Il a toujours voulu jouer les hommes forts, ceux qui prennent tout en main, ceux qui protègent tout le monde, ceux qui gèrent tout. Et le résultat est catastrophique. Il serre les dents et inspire bruyamment par le nez pour s'empêcher de se laisser submerger par l'émotion. — Ben casse toi avant qu'je gâche la tienne aussi. Qu'il grommèle finalement en recommençant à zapper les chaines. Il ne la regarde toujours pas, il n'y arrive pas. Il ne veut pas voir la colère sur son visage, encore moins la déception. Il sait qu'il est en train de faire de la merde, mais il s'en fout désormais. Il ne veut plus se soucier des autres ni des répercussions de ses actes. Il n'a fait que ça toute sa vie et voilà où ça l'a conduit. Mais Vivi n'est pas décidée à lâcher le morceau. Elle a des choses à dire, des comptes à régler. Et il la connait, elle est terriblement entêtée. — C’était censé être MA journée, Jax, je savais que je pouvais pas compter sur maman, mais j’pensais que je pourrais compter sur toi. Tu vas devoir te faire pardonner. Un long silence les enveloppe. Il n'y a plus que le son faiblard de la télé dans le fond. Jax relève alors lentement les yeux vers elle, complètement verrouillé. Ses prunelles claires semblent plus sombres à cet instant, ravagées par une tempête de colère. Sa respiration qui s'accélère brusquement, il est clairement brusqué par les mots de la petite blonde. Il se relève, la télécommande toujours entre ses doigts. Il la serre très fort pour s'aider à se contrôler un peu. — TA journée ? Qu'il reprend, la voix rauque et chargée de reproches. Il vient se dresser devant elle, hargneux. Et il reprend en gueulant. — Arrête de faire tourner le monde autour de toi putain ! T'es pas l'centre de mon univers, t'es l'centre de l'univers de personne Vivi, tu comprends ? Les mots durs s'échappent de ses lèvres rapidement, sans la moindre retenue. Et il continue. — Y a pas qu'toi et ta p'tite vie merdique. Il attrape son bras de sa main libre et la tire d'un coup sec sur le côté en direction de la porte avant de la relâcher. — J'ai rien à m'faire pardonner, j'en ai rien à foutre. Dégage avant que j'te foute moi-même à la porte. Il n'a pas envie d'en arriver là, mais il a encore moins envie de l'affronter. Il n'est pas en état, il n'est pas lui-même. Ou peut-être que si, justement. Mais dans ce cas là, il préfère que personne ne soit témoin de ça.

Ça sent mauvais. Et tu ne sais pas si ça vient du frigo, du pucier qui lui sert de lit ou de lui, tout simplement. T’essaies de pas trop y penser, parce que l’attirance que tu éprouves pour lui, depuis huit mois maintenant est entrain de doucement baissée et menace de disparaitre à chaque instant. On ira le fils illégitime d’un chacal et d’un ivrogne, là, tout de suite. Et ce n’est absolument pas glamour. Toi, t’aimes le champagne et les paillettes. Pas l’odeur rance de la bière bon marché et les auréoles sous les bras. Tu ne sais pas ce qui lui arrives, mais ça ne te plait pas du tout. C’est égoïste, parce que tu ne penses pas vraiment au pourquoi du comment. T’aimerais juste qu’il redevienne comme avant, et qu’il s’intéresse à toi. Ouais, t’es une putain d’égoïste, Vivi, c’est pour ça que tu lui balances tout ça à la gueule, comme s’il avait fauté -bon, il l’a fait, mais il n’a pas non plus tué ton frère ou oublié ton anniversaire-. Tu lui balances des vacheries, de celle que tu gardes pour les grands-mères pénibles, au super marchés, ou les lycéens boutonneux. Tu d’viens Vivi la salope devant lui, alors que tu essaies de te contrôler -juste un peu- en sa présence. Mais t’y peux rien, c’est ton putain de caractère. Et t’y peux rien non plus si tu n’as pas encore trouvé quelqu’un qui te comprenait et t’acceptait. Quelqu’un qui voyait qu’Vivi, elle garde Anna en otage depuis dix-neuf putains d’années. Ce quelqu’un, c’est pas lui, c’est sûr. Son regard de le dit. T’as l’impression qu’il va te frapper, quand il te demande de te casser, quand il te menace de gâcher ta vie. Et t’as un rictus, Vivi, parce que tu veux lui dire que c’est déjà fait. Mais ce serait un mensonge, au fond, tu l’sais, c’st toi qui gâche ta vie, parce que t’es une putain de flippée. Ta peur de vivre, ma vieille, c’est tout. Tu te mords la langue, t’es peut-être un peu moins fâchée, maintenant, juste déçue, surement. T’es presque prête à t’intéresser à lui, à lui demander ce qu’il ne va pas, ce qui lui arrive, pour qu’il se mette dans un état comme ça. Mais il te devance, il se lève, menaçant, de nouveau, et il te crache tout à la gueule. Finalement, y’a peut être quelqu’un qui t’a perché à jour. Jax, il a compris qu’au fond, t’es une putain de pourriture, vide et abjecte, comme ta mère. « J’ai pas besoin de toi pour me dire que ma vie est merdique, j’le sais déjà, c’est pas la révélation de l’année, Jax. T’es pas madame Irma, c’est pas mon avenir que t’es entrain de lire là, ok ? Sauf que moi, j’avais p’tetre une chance de m’en tirer, si j’avais réussi cette putain de compétition aujourd’hui. Sauf que tu m’as planté pour jouer la loque humaine. » Tu grimaces quand il l’attrape et te défends comme une lionne. T’es pas du genre à abandonner, Vivi c’est surement l’une de tes seules qualités, si seulement s’en est une. « J’vais pas dégager ok, parce que tu me dois une journée, et parce que j’ai pas envie, c’est tout. » ‘Parce que tu risques de t’effondrer, si je te laisse tout seule’ tu devrais lui dire. Mais t’es trop fière pour ça. « Alors maintenant file pour ta putain de télécommande, on va regarder les Kardashian, comme ça, on oubliera nos vies de merde. » t’as l’ton qu’on ne contredit pas, Vivi.

— J’ai pas besoin de toi pour me dire que ma vie est merdique, j’le sais déjà, c’est pas la révélation de l’année, Jax. T’es pas madame Irma, c’est pas mon avenir que t’es entrain de lire là, ok ? Sauf que moi, j’avais p’tetre une chance de m’en tirer, si j’avais réussi cette putain de compétition aujourd’hui. Sauf que tu m’as planté pour jouer la loque humaine. Et il ricane, pour s'empêcher de s'effondrer sous le poids de la culpabilité. Il refuse de porter ce fardeau comme il l'aurait fait avant. Comme il l'a toujours fait, depuis trop longtemps. Mais ce matin il ne plie pas. Il reste droit et distant, comme si ça ne le touchait pas. Colosse insensible, à force de s'être solidifié pour soutenir les autres, son cœur aussi a fini par devenir cailloux. Les mots de Vivi s'y heurtent sans parvenir à l'entailler. Il s'en fout et ça ne lui ressemble pas. — Dommage pour toi. Qu'il grogne, l'air indifférent. Il se remet rapidement en mouvement, l'attrape pour la faire sortir mais elle refuse d'obtempérer. Elle se débat et freine des quatre fers, opposant une résistance ferme. Il perd patience et la relâche, ayant encore un minimum de conscience. Du moins, suffisamment pour s'éviter de lui faire véritablement mal. Elle n'est qu'un poids plume entre ses mains, il pourrait aisément la soulever et la sortir de la maison s'il le voulait. Mais une part de lui craint de la briser au passage, parce qu'il ne maitrise plus ses gestes. — J’vais pas dégager ok, parce que tu me dois une journée, et parce que j’ai pas envie, c’est tout. Il ne comprend pas. Pourquoi elle n'aurait pas envie de s'en aller ? Il vient de pourrir sa journée - sa vie même selon elle - et il l'accueille terriblement mal. Qu'est-ce qui lui donne envie de rester. Il reste un peu perplexe, les sourcils froncés à la dévisager. Pataugeant dans une profonde confusion. Il a tenté de sauver son entourage pendant des années et au final, ils sont tous partis. Aujourd'hui, il repousse quelqu'un pour la première fois et on s'accroche à lui encore plus fermement. Y a pas de logique dans tout ça, un truc lui échappe. Il voudrait demander pourquoi, mais elle le devance et prend les choses en main. — Alors maintenant file ta putain de télécommande, on va regarder les Kardashian, comme ça, on oubliera nos vies de merde. Il cligne un peu des yeux et se redresse. — Les quoi ? Qu'il demande bêtement, le visage froissé. Il n'a pas la moindre idée de ce dont elle lui parle. Vivi prend les devants, lui arrache la télécommande des mains et va s'installer sur le canapé. Et Jax ne sait plus ce qu'il ressent. Il pivote lentement et la regarde. Il devrait être fou de rage qu'elle n'écoute rien, mais il est tellement surpris de la tournure des choses qu'il peine à se fâcher. Il soupire, passe une main sur sa tête douloureuse et finit par se résigner, à court d'arguments. Il vient se laisser tomber à côté d'elle, conservant malgré tout une certaine distance. D'abord il fixe l'écran, le temps de réaligner ses pensées et finalement, il se tourne vers Vivi. — J'comprends pas pourquoi tu restes. Il a l'habitude que la blonde fasse tout à l'envers, mais là quand même. N'importe qui d'un minimum censé aurait pris la fuite sans demander son reste. — On va pas passer la journée à regarder la télé et à rire ensemble, tu comprends ? Et j'ai clairement pas la patience d'te supporter. En fait, j'ai même pas envie d'te voir. Les mots qui claquent, intransigeants. C'est pas vraiment contre elle, en fait, il n'a envie de voir personne. Il voudrait juste se racheter une bouteille et boire devant la télé jusqu'à s'endormir à nouveau. Il veut juste qu'on lui foute la paix, avant qu'il ne pète vraiment un plomb et fasse une connerie. Et Vivi n'est pas franchement un élément stable. Elle le rend nerveux et ce n'est pas une bonne chose, il le sait.

Y’a un truc qui ne va pas. Même toi, tu t’en rends compte. Jax, il est pas comme ça, d’habitude. C’est quelqu’un de bien. C’est pour ça que Jack l’a emmené dans vos vies, c’est pour ça que tu t’accroches à lui. C’est vraiment un bon gars, un peu maladroit, mais un type bien. Pourtant, quand tu le regardes, là, écorché par la vie, tu le vois à peine. C’est pas lui, pas vraiment. Parce que même s’il disait à longueur de journée que tu étais la fille la plus chiante qu’il n’ait jamais rencontré, il n’était pas méchant, pas vraiment. C’était plus un jeu. Or, là, son regard a changé, il a changé. Et ça te plait pas, Vivi, tu le reconnais pas, Vivi. Avant, il se serait plié en quatre pour te faire plaisir, en se rendant compte qu’il avait oublié la seule chose qu’il sait importante pour toi, lui qui allait à tout tes matches ou presque. Il t’aurait même offert un truc, surement, même s’il n’a pas plus de fric que toi. Et tu aurais minaudé et paradé, comme toujours. Mais là, Jax est froid et distant, même quand tu lui dis, pour la compétition. C’est pas normal, y’a un truc qui cloche, et tu veux savoir ce qu’il se passe. Alors tu refuses de partir, même si ses mots te font mal, même si ta peau se trouve meurtrie sous sa poigne d’homme. Tu laisses rien paraitre, Vivi, toi aussi, tu peux faire les insensibles. Il finit par laisser tomber, ça se voit dans son regard, comme une vache résigné à l’abattoir, c’est presque flippant. Tu lèves les yeux au ciel en changeant de chaines. « Les Kardashian, mon dieu, mais sort de ton trou un peu, c’est la famille la plus célèbre d’Amérique. Et ils ont leur propre télé-réalité. C’est terrible, tu vas voir. Y’a une baston à chaque épisode ou presque. Et tu sais quoi, t’as devant toi la prochaine Kylie Jenner ! Jeff m’a pris dans son Bachelor, et après, à moi la gloire et le succès ! Je lancerais peut-être une marque de maquillage, ou mon propre show, à la Jimmy Fallon. On verra. » tu le regardes en souriant avant de te laisser absorber par la garde-robe de Kim. Mais la voix de Jax te ramène à la réalité. « T’as jamais eu la patience de me supporter, j’te rappelle. Et t’es pas la première personne à me dire ça. Sauf que si j’écoutais tout ce qu’on me disait, je ferrais jamais rien de drôle. Et puis, j’ai un minimum de conscience, Roses. D’habitude, c’est toi qui t’occupes de moi, mais là t’es au fond du trou. Alors c’est mon tour. » Tu hausses les épaules en sortant ton téléphone pour prendre une photo de toi, histoire de la poster dans ta story. Tu rajoutes « Babysitting time » avant d’envoyer. Tu te trouverais presque drôle, si tu n’étais pas inquiète, pour Jax.

Il fixe l'écran, la laisse changer de chaine à sa guise, résigné. Il s'en fout, du moment qu'un truc tourne à la télé, il s'en contente. Vivi finit par arrêter de passer les chaines et Jax scrute d'un oeil un peu distrait les images qui défilent. Il plisse légèrement le front en découvrant toute une ribambelle de filles qui défilent à l'écran, toutes plus vulgaires les unes que les autres. Il ne dit rien, un peu perplexe face à ce qu'il est en train de découvrir. Vivi en profite pour le noyer dans un flot de paroles. — Les Kardashian, mon dieu, mais sort de ton trou un peu, c’est la famille la plus célèbre d’Amérique. Et ils ont leur propre télé-réalité. C’est terrible, tu vas voir. Y’a une baston à chaque épisode ou presque. Et tu sais quoi, t’as devant toi la prochaine Kylie Jenner ! Jeff m’a pris dans son Bachelor, et après, à moi la gloire et le succès ! Je lancerais peut-être une marque de maquillage, ou mon propre show, à la Jimmy Fallon. On verra. Il bug un peu. Lentement, il finit par tourner la tête vers la petite blonde et la dévisage longuement, baignant dans la confusion la plus totale. Après quelques secondes passées les yeux dans les yeux dans le silence le plus total, il finit par avouer. — J'ai pas capté un mot de c'que tu viens d'me dire. Tout ça lui semble particulièrement abstrait. Kylie Jenner, Jeff, Bachelor, Jimmy Fallon. Ça fait un peu trop d'incompréhensions pour lui. Le monologue de Vivi tombe dans l'oublie et Jax ne cherche même pas à comprendre, persuadé que ce ne doit pas l'intéresser de toute façon. Il hausse les sourcils et recommence à fixer l'écran, sans prendre le moindre plaisir à visionner les Karda-quelque chose. Il tente encore une fois de décourager Vivi pour l'inciter à partir, histoire de retrouver sa tranquillité. Mais y a rien à faire, la gamine s'accroche, entêtée. Ou courageuse, tout simplement. — T’as jamais eu la patience de me supporter, j’te rappelle. Et t’es pas la première personne à me dire ça. Sauf que si j’écoutais tout ce qu’on me disait, je ferrais jamais rien de drôle. Et puis, j’ai un minimum de conscience, Roses. D’habitude, c’est toi qui t’occupes de toi, mais là t’es au fond du trou. Alors c’est mon tour. Il baisse les yeux, un peu gêné par cette révélation inattendue. — J'suis pas au fond du trou. Qu'il grogne tout bas. Pourtant, tout semble le contredire autour de lui. L'état de la maison, son état à lui, son odeur d'alcool, sans parler du reste. Il soupire bruyamment, agacé. Il finit par reporter son attention sur elle lorsqu'il la voit sortir son téléphone et se prendre en photo. Il la dévisage, perplexe. Il ne peut réprimer une petite grimace froissée. — Ah ouais putain, t'as l'air vachement soucieuse là. Il vient faire claquer sa langue contre son palais, contrarié avant de s'enfoncer un peu plus profondément dans le canapé ; boudeur. Il laisse de longues secondes de silence s'écouler, avant d'enfin cracher le morceau. — Hali est partie. Et elle ne reviendra pas. Cette pensée fait dégringoler toutes ses émotions et il se sent fébrile à nouveau. Douleur violente dans sa poitrine alors que le manque de sa présence recommence à le ronger de l'intérieur. Il pince les lèvres et se lève brusquement, masquant cette douleur insupportable sous une colère injustifiée. Il recommence à fouiller dans les placards, par réflexe, tout en beuglant. — Putain et pourquoi y a plus rien à boire ici ?! Les nerfs qui lâchent, il prend appui contre l'évier de la cuisine, la tête penchée vers l'avant et ferme les yeux un instant. Ses doigts qui s'agrippent contre la pierre, il voudrait tout briser. Faire partir cette putain de maison en fumée. Et lui avec.

Vivi, T’es quasiment un bébé des années 2000, T’as grandi avec la télé. Plus présente que ta mère, assurément. Tu la regardais à tout heure, pas forcément des programmes adéquats, quand on y pense. Vivi, tu bouffes de la télé-réalité depuis trop longtemps. T’as sauté la case bob l’éponge, as été élevé par Kim, avec Kendall. Ces filles, c’est ta famille, pas étonnant qu’tu veuilles tant leur ressembler. Pas étonnant que tu n’es ni morale, ni limite, que tu rêves de paillettes, que tu ne crois pas au prince charmant. T’as été formaté, Vivi, t’es bousillée. Alors, quand tu tombes sur cette émission à la télé, tu souris, t’es contente de lui montrer un peu de ta vie. Parce que c’est surement ce qu’il y a de plus intéressant chez toi, la télé. Et maintenant, le bachelor. T’essaies de lui en parler, de partager, avec lui, un peu. Mais il n’est pas très réceptif, Jax. Ça ne lui ressemble pas. Il n’a jamais été très intéressé par tes petits tracas et ne manquait pas de te le dire, mais, il faisait semblant d’écouter, quand il savait que ça te tenait à cœur. Là, tu ne reconnais plus ton ami. Et ça t’inquiète, même si tu ne le montres pas. Au contraire, tu gonfles les joues, tu joues à la gamine, tu lèves les yeux au ciel. « T’as rien écouté surtout ! Peu importe, regarde la 114, samedi soir, tu comprendras. » t’as un petit sourire malicieux, ça ne lui plaira pas, tu le sais, et c’est mieux comme ça. Parce que tu préfères qu’il soit en colère contre toi qu’indifférent. Et t’essaies de le lui expliquer, que tu es inquiète pour lui, que tu tiens à lui, que tu ne peux pas le laisser dans cet état, mais il se met à bouder pour une pauvre petite photo et toi, ça te fait rire. On dirait que les rôles sont inversés, là, tout de suite. Il se terre dans son silence, et toi, tu l’observes, silencieux également, pour une fois. Et finalement, il lâche la bombe et égoïstement, t’es heureuse, Vivi. Parce que tu ne l’aimais pas, parce que Jax était à elle, parce qu’il l’aimait elle. Et tu penses que maintenant, la voie est libre. Mais en voyant son regard, son appartement, les poches sous ses yeux et le nuage au-dessus de sa tête, tu comprends que ce ne sera pas si simple. Il est dévasté, et ça te fait mal au cœur. T’as de la peine pour lui. T’as un cœur, finalement, Vivi. Mais t’es trop maladroite, t’as pas l’habitude d’être un réconfort, alors tu ne sais pas quoi dire, tu le regardes, tu te mords la joue et tu sursautes quand il se redresse. Tu finis par te lever, toi aussi par le suivre. Appuyée contre l’évier, tu entends presque son esprit crier, son âme pleurer. Ses doigts se resserre, ses phalanges craquent, et toi, toi t’es là comme une conne, tu sais pas quoi dire. Tu finis par t’approcher de lui. Tu penses à Palm qui a toujours été là quand tu pêtais les plombs. Il ne parlait pas, il était juste là. Alors tu t’approches de Jax, tu poses une main sur la sienne, et tu appuies son buste contre son dos. « T’as droit d’être en colère, Jax. Mais…T’as droit de pleurer aussi. » t’aurais peut-être mieux fait de rien dire, Vivi. T’en sais rien.

— T’as rien écouté surtout ! Peu importe, regarde la 114, samedi soir, tu comprendras. Il lui lance un petit regard en biais, ne l'écoutant déjà plus qu'à moitié. Il n'a pas la moindre putain d'idée de quoi elle lui parle et ça le gonfle, il n'arrive pas à s'y intéresser. Pas aujourd'hui, pas dans cet état. Obnubilé par la douleur qui transperce sa poitrine, il se replie un peu plus sur lui-même et tente même d'oublier sa présence. Le regard rivé sur l'écran, il laisse ses pensées filer et ce n'est pas une bonne idée. Il sent Vivi tout près de lui et ça le dérange. Parce qu'il voudrait que ce soit Halina et il réalise que ce ne sera plus jamais elle. Pincement au cœur, la colère qui revient. Brute, violente. Comme façonnée à la source même de son propre chaos. Jusqu'à ce que la vérité finisse par fuser. Il lâche le morceau, là comme ça. Comme pour s'aider à rendre tout ça plus réel, plus concret. Halina est partie. Elle ne reviendra pas. Il ferme les yeux une seconde, ça le flingue. Les mots ont brûlé son palais et sa langue en s'échappant, lui laissant un arrière goût de cendres. La respiration qui s'accélère, le rythme cardiaque qui s'envole tandis que son cerveau dégringole. Chute vertigineuse, elle semble sans fin. L'impact terrible qui se fait désirer. Jax voudrait pourtant qu'il arrive, parce qu'une fois au fond, une fois éclaté en morceaux dans le gouffre de leur histoire, il ne pourra plus que se relever et avancer. Mais ça lui semble encore si loin, si abstrait. Et une partie de lui craint de ne plus jamais se relever. Peut-être qu'il restera éparpillé dans l'obscurité, les morceaux de lui qui se feront balayer par les années jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Mais pour l'instant il survit, animé par une colère sourde qui le fait trembler. Il se lève, bondit presque et s'agite et gueule, sous le regard impuissant de Vivi qui ne sait plus quoi faire pour l'aider. Il finit par s'immobiliser contre l'évier, épaules voûtées. Il voudrait pouvoir plonger ses mains dans sa cage thoracique pour s'arracher lui-même le palpitant et faire enfin cesser cette torture. Il se sait à l'agonie et il ne supporte pas cet état. Pourtant, il ne se sent plus assez fort pour changer ça. Il ne se sent plus assez fort pour quoi que ce soit. Épave abandonnée. Il rouille et s'oxyde sous l'effet des vagues et du sel. Son capitaine l'a déserté alors il s'est échoué sur les récifs. Il tourne la tête vers sa main lorsque Vivi pose la sienne dessus et vient se coller à lui dans son dos. Il fronce les sourcils, son contact est comme une brûlure. Comme si elle venait effacer les traces d'Halina, faire le ménage après son dernier passage. Et ça le contrarie, parce qu'il a peur d'oublier le contact de sa peau contre la sienne. Il se tend, ruminant ses pensées désordonnées alors que Vive tente juste de bien faire. — T’as droit d’être en colère, Jax. Mais…T’as droit de pleurer aussi. Sa réaction est immédiate. Il se retourne brusquement, sa main se dégageant alors de la sienne. Il vient néanmoins attraper son poignet fermement - peut-être un peu trop - et il se dresse devant elle, la mine sombre, le front plissé. — Mêle toi d'tes affaires Vivi. La voix qui claque, chargée d'agressivité. Au fond, peut-être qu'elle a raison et c'est peut-être ça qui le dérange tant. Jax n'a jamais supporté la moindre faiblesse et il n'a pas versé une larme depuis le départ d'Halina. Tristesse brutale qu'il garde enfermée à double tour et qu'il noie sous l'alcool et la colère. Il inspire bruyamment par le nez, tente de garder le contrôle pour ne pas lui faire encore plus mal, alors qu'il pourrait broyer son poignet entre ses doigts. Il la relâche tout en la repoussant un peu en arrière, avant de se remettre en mouvement et de la dépasser en la heurtant au  passage dans un mouvement d'humeur. Il attrape ses chaussures et commence à les enfiler. — J'dois faire une course, toi tu rentres chez toi. Il attrape son portefeuille et l'enfonce dans la poche de son jean avant de se diriger vers la porte. Il fait signe à Vivi de sortir aussi et claque la porte derrière eux. L'épicerie du coin n'est pas très loin et il décide d'y aller à pieds. Il s'arrête en remarquant que Vivi le suit malgré qu'il lui ait dit de rentrer chez elle. Il ferme les yeux et soupire, dépité. Elle ne lâchera pas l'affaire. — Putain, t'es insupportable comme gamine. Mais il abandonne la partie et se remet en marche, la laissant le suivre puisque de toute façon il ne peut pas lui échapper. Tout ce qu'il veut, c'est refaire son stock d'alcool et rentrer chez lui, garder les volets fermés et comater toute la journée devant la télé. En espérant ne pas croiser Ninel. Encore moins si Vivi ne se décide pas à décamper.

Tu ne le lui dis pas, évidement, mais dans le fond, t’aimerais vraiment qu’il t’écoute, qu’il regarde cette émission où tu es sensée briller. Qu’il voit ton potentiel. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu veux son approbation. Après tout, tu as toujours fait tout ce que tu voulais, Vivi. Mais depuis que tu connais Jax, t’es attirée vers lui, comme un aimant. Mais aujourd’hui, à cet instant, tu as beau être près de lui, il semble être à des millions de kilomètres. Tu n’as jamais été amoureuse, Vivi. Tu ne sais pas ce que s’est, d’aimer à en crever, de sentir son cœur exploser d’amour. Maman t’a appris beaucoup de chose. Tu savais mettre du mascara et te lisser les cheveux avant tes huit ans. Tu marches parfaitement avec des talons de douze centimètres et tu sais comment obtenir exactement ce que tu veux. Mais les sentiments, les vrais, tu ne sais pas ce que s’est. Parce que maman t’a toujours dit que l’amour n’existait pas, qu’on finissait toujours seul, ou malheureux. Et toi, toi tu l’as cru, et aujourd’hui t’es incapable de penser sentiments. Le sexe n’a aucune valeur à tes yeux, tu joues avec les hommes comme une menthe religieuse, et si tu le pouvais, tu leurs arracherais tous la tête. C’est pas de l’amour, que tu ressens pour Jax, t’en es persuadée. C’est physique, tu ne cesses de te le répéter. Alors sa situation, tu ne peux pas le comprendre, tu ne sais pas ce qu’il vit, actuellement, tu es impuissante. Halina est partie. Halina, son amour, la femme de sa vie. Finalement, elle a raison, maman, l’amour, c’est mauvais, c’est nocif, c’est trop douloureux. Jax en fait les frais, et ça te fait mal, de le regarder, de le voir comme ça. Toi, l’insensible salope, la gamine sans empathie, qui détruirait n’importe qui juste pour un peu d’attention, te voilà qui souffre avec quelqu’un d’autre. C’est une grande première. Tu te sens vivante, étrangement. Il finit par se lever, et ton regard suit Jax, désespéré. T’as l’impression d’être invisible, impuissante, et tu détestes ça. Si tu te montres si insensible, c’est justement pour être puissante. T’as besoin de ça, pour survivre, et aujourd’hui, t’es décontenancée, tu te fais timide, presque, tu es autre. T’essaies de le consoler, maladroitement, trop peut-être. Tu te rapproches de lui, ta main sur la sienne, tu vomis quelques paroles qui se veulent réconfortantes sans y croire réellement. Et ton contact semble presque le brûler, ça te vexe. Tu grimaces quand il t’attrape le poignet, c’est la seconde fois, aujourd’hui. Il te fait mal. Ta peau est claire, elle marque rapidement et tu es pratiquement certainement que tu auras bientôt un joli bleu. Peut importe, c’est pas la première fois que ton corps est abimé. Un peu de fond de teint et tu seras comme neuve. « C’est bon, j’ai capté, t’en veux à la terre entière, pas la peine d’être un gros con non plus, Jax. » de toute façon, tu ne serais pas Vivi Bing si tu ne te mêlais pas des affaires des autres. D’habitude, c’est pour les enfoncés, il devrait être content, t’essaies de l’aider. Il te pousse dehors et tu as beau essayé de résister, c’est peine perdue. « Je m’ennuie, chez moi, j’ai rien à faire. » tu lui dis, en faisant la moue. C’est vrai, en soi. Mais tu pourrais rendre visite à Jeff, par exemple, or tu veux simplement rester avec lui, le surveiller. Tu le suis donc, bras croisés parce qu’il commence à faire froid, mine de rien, et pour faire ta maligne, t’as pris ni t-shirt, ni veste, juste ton maillot de bain en guise de body improvisé. « Arrête de dire que je suis une gamine. J’ai peut-être pas beaucoup de seins mais je suis une femme, il serait temps que tu t’en rendes compte, espèce de crétin. » tu souffles avant de prendre, dans ton sac, ton paquet de cloque. Tu t’en fourres une dans le bec avant de lui tendre le paquet. Tu finis par le rangé, t’allumes ta clope et tu inspires longuement, les yeux clos avant de souffler. Vous arrivez bien vite à la superette. Tu meurs de faim. T’as pas mangé ce midi -à cause de lui- et t’es pratiquement sûr que Jax non plus. S’il s’enfile vraiment tout l’alcool qu’il a mis dans son panier sans rien manger, il va crever. Tu lèves les yeux au ciel. « Je vais te faire à manger. » tu lui dis. « Et après je partirais. » tu ne lui laisses pas vraiment le choix, te voilà perdu ans les rayons à la recherche d’un truc cool mais simple. T’es une piètre cuisinière. Tu finis par attraper un paquet de macaronis, du lait, des œufs et du fromage. Le seul plat que Palm ne t’a jamais appris, c’est les mac’n’chesse, alors ce sera ça, et Jax n’a pas intérêt à se plaindre, ou c’est toi qui va devenir violente. Tu poses le tout sur le comptoir et t’y ajoutes de barre de reece. Avec un petit sourire au vendeur, tu dis « c’est lui qui paie. »

— C’est bon, j’ai capté, t’en veux à la terre entière, pas la peine d’être un gros con non plus, Jax. Et ses mots raisonnent douloureusement dans sa poitrine. Un gros con. Tout ce qu'il a toujours exécrer au plus haut point. Son regard qui vrille sur le poignet qu'il serre trop fort et les souvenirs de cette nuit-là dans la Mercer House avec Ninel remontent brusquement. Comme une gifle. Il déglutit, la culpabilité qui revient au galop alors qu'il l'avait oublié ces derniers jours. Trop abattu, trop égocentré sur son propre malheur. En oubliant qu'il semait derrière lui un certain goût de cendre depuis quelques temps déjà. Attitude déviante, déjà bien avant que Halina ne s'en aille. Sa mâchoire qui se contracte sous l'effet de ses pensées désagréables. C'est peut-être pour ça qu'elle est partie finalement. Parce qu'elle n'a pas supporté de voir ce qu'il devenait. Connard violent et impatient, qui a préféré s'oublier dans l'éclat de ses poings en prétextant faire ça pour une bonne cause, plutôt que de s'occuper correctement des siens. Gamin irresponsable qui s'est pris pour un adulte, comme s'il était capable de tout gérer. Sa situation actuelle lui prouve le contraire, sur tous les plans. Les gens autour de lui qui meurent ou qui disparaissent. Il ne contrôle rien. Pas même ses propres actions. Pauvre pantin manipulé par des démons qu'il a laissé proliférer dans sa tête. Et l'envie de s'isoler devient encore plus forte. Se couper du monde, ne plus voir personne pour ne plus faire de mal. C'est plus facile que d'essayer de changer, de se reprendre en main. De redevenir quelqu'un de bien. Si seulement il l'a été un jour ; il n'en est plus sûr à présent. Alors il la pousse vers la sortie, égoïstement. Tente encore d'être désagréable pour qu'elle abandonne la bataille. Mais elle s'accroche, n'a pas peur de partir au combat. Sûrement a-t-elle compris que l'ennemi n'en était pas vraiment un finalement. — Je m’ennuie, chez moi, j’ai rien à faire. Il grimace, contrarié. Sifflement agacé avant qu'il ne rétorque sèchement. — J'suis pas un divertissement Vivi. Si tu t'emmerdes tu fais comme tout le monde, tu regardes la télé. Il s'est lui-même fait happer par le pouvoir hypnotisant de cet écran maudit. Pour tenter de tromper l'ennui aussi. Bien que rien de ce qu'il regarde ne l'intéresse vraiment. Mais cette possibilité de léthargie que ce divertissement offre n'a pas de prix. Peut-être encore mieux que l'alcool. Alors le combo est parfait. Mais même dehors Vivi n'abandonne pas. Elle le suit à la trace et il ne comprend pas. A sa place, il serait parti depuis longtemps, écœuré de se faire accueillir de cette façon. — Arrête de dire que je suis une gamine. J’ai peut-être pas beaucoup de seins mais je suis une femme, il serait temps que tu t’en rendes compte, espèce de crétin. Il ricane, moqueur, mauvais. Il secoue brièvement la tête, hautain. Et finalement il souffle en haussant les sourcils, pas convaincu. — Si tu veux qu'on te considère comme une femme, comporte toi comme une femme. Moi tout c'que j'vois, c'est une ado. Une gosse capricieuse, une princesse exigeante. Elle n'a rien d'une adulte. Mais il ne lui en veut pas pour ça, au fond il n'en est pas vraiment un non plus malgré les airs qu'il se donne. Il ne vaut pas mieux qu'elle. Tous deux gamins égarés qui cherchent leur voie et qui se perdent dans leurs travers. Elle dans la recherche d'attention et lui dans la violence. Coincé dans leurs schémas néfastes, sans trouver de sortie. Et pour oublier tout ça, il remplit son panier d'alcool, sous le regard exaspéré de Vivi qui finit par intervenir. — Je vais te faire à manger. Et après je partirais. Il s'arrête un instant, étonné de cette tendre attention. Il aurait bien voulu lui dire d'oublier ça, mais le creux dans son estomac l'oblige à se taire. Manger un vrai repas ne lui ferait pas de mal de toute évidence. Alors il laisse faire, abdique et suit le mouvement, la laissant choisir ce qu'elle veut. Ils terminent rapidement à la caisse et il lui lance un regard désapprobateur alors qu'elle ajoute des reeces à leur butin. — C’est lui qui paie. Il grogne tout bas, muscles tendus mais il cède. Peut-être qu'il lui doit bien ça en effet. Il sort les billets de sa poche et les tends au caissier. Il compte, vérifie et s'interrompt, avant de relever les yeux vers Jax, l'air gêné. Ce dernier hausse un sourcil sans comprendre le malaise avant de baisser le regard sur les billets. Deux d'entre eux tâchés de sang. Un long silence s'installe et Jax reste inébranlable, fixant le caissier sans bouger. Jusqu'à ce que celui-ci termine par lui offrir un sourire timide et encaisse les billets sans rien ajouter. Une fois tout mis dans un sac, il l'attrape et repart sans un mot de plus, Vivi toujours sur ses talons. De retour à la maison, il se contente d'attraper une bouteille sans prendre la peine de vider le reste des courses et retourne se vautrer sur le canapé avant de rapidement l'entamer. Il allume la télé mais son attention dévie régulièrement vers Vivi. Sa présence qui s'avère finalement plutôt agréable lorsqu'elle ne minaude pas. Solitude écrasante qu'il voudrait faire disparaitre, juste encore un peu. Et après une maigre hésitation, il demande. — Tu restes manger ? Peut-être qu'elle avait déjà prévu de rester, ça lui ressemblerait bien. Mais dans le doute, il réclame. Le silence de la maison pèse trop lourd et Vivi, aussi dérangeante soit-elle, lui permet de penser un peu à autre chose. Soulagement éphémère certes, mais il ne crache pas sur le fait qu'il se prolonge un peu plus.