C'est comme un instant de répit dans la tempête. Y a même un sourire qui se dessine légèrement sur ses lèvres, les traits du visage plus détendus que d'habitude. Il descend de sa voiture, le cœur gonflé de confiance, enhardi par ce qu'il s'apprête à faire. C'est le moment, c'est le bon moment. Ils ont tous besoin d'une note positive dans tout ce chaos. Il en a conscience, il est déjà allé trop loin ces derniers temps et il ne se reconnait plus. Il s'avance vers la porte de leur petite maison, faisant tourner le bijou entre ses doigts et il rentre. Très vite, il comprend qu'il n'est pas seul. Elle est déjà là, dans la chambre. Il ne s'y attendait pas et s'empresse de ranger la bague dans la poche de son jean. Il n'y a personne d'autre à part elle, les filles sont absentes. Tant mieux. Il avait prévu un autre plan mais il s'en fout finalement, il n'a plus le temps d'attendre. Alors il s'élance jusqu'à la chambre, sans un bruit, la bouche qui s'ouvre, prêt à l'interpeller. Mais son souffle se coupe et les mots restent coincés dans sa gorge. Douche froide. La chambre est complètement retournée, à croire que quelqu'un s'est fait attaquer. Mais surtout. Surtout, y a Halina, dos à lui, en train de fourrer ses affaires rescapées dans un sac. Il ne comprend plus. Il reste là, stoïque dans son dos. Il ne sourit plus et les muscles de son visage sont de nouveau crispés. Il finit par s'appuyer contre le chambranle de la porte et croise ses bras sur son torse avant d'annoncer sa présence par une simple phrase, le ton posé mais froid. — Tu vas quelque part ? Il est perdu.

Elle se retourne enfin. Et avant même qu'elle ne dise quoi que ce soit, il sait. A cette façon qu'elle a de le regarder. Il manque un truc dans son regard. Et il réalise subitement que cette flamme avait toujours été là, même quand il ne comprenait pas encore ce qu'elle signifiait. Mais aujourd'hui, elle s'est éteinte et ne reste plus qu'un grand vide. Comme dans sa poitrine. — C’est terminé Jax. Les mots qui ne font que confirmer ce qu'il a déjà compris. Mais qui n'expliquent rien. Il ne bronche pas, incapable d'encaisser le choc. Comme si tout ça était irréel. Comme s'il allait se réveiller là, d'une seconde à l'autre. Encore un cauchemar, rien de plus. Il ne dit rien, il attend. Il la regarde finir de faire son sac et il réalise alors que son corps semble peser une tonne subitement. Les muscles lourds et le poids d'une douleur lointaine qu'il tente d'ignorer pour l'instant, parce qu'il se sait incapable de l'affronter. Pourtant, pour Hali il pourrait tout vaincre. Mais sans elle, il n'est plus lui-même. Il n'est plus rien. Elle termine son sac et fonce vers lui, sans la moindre hésitation. Elle veut passer mais sa carrure fait barrage et il ne se pousse pas. Il ne veut pas. Et il ne peut pas. Son corps refuse de bouger. Tas de pierres impossible à pousser. Elle recule d'un pas et lui ordonne de la laisser passer, mais il n'en fait rien. Il la dévisage, il la scrute, à la recherche d'une dernière petite étincelle à laquelle se raccrocher. Mais il n'y trouve qu'un désert de glace et il ne comprend pas.

Qu'est-ce qui a changé ?

Le silence s'éternise sur quelques secondes avant qu'il finisse par reprendre la parole, bloquant toujours la sortie. — Pourquoi ? Il a le droit de savoir. Il a besoin de savoir. Il ne voit pas ce qu'il a pu faire pour la pousser à s'en aller. Et s'il n'était pas arrivé à temps, elle serait partie sans un mot ? Rien n'a de sens, il a l'impression d'avoir raté plusieurs mois de sa vie, d'ignorer quelque chose de capital. Comme s'il avait fait quelque chose dont il ne se souvenait pas. Mais il ne voit pas.

Il pourrait la retenir. L'attraper, la plaquer contre le mur, la contraindre à tout lui dire. Jusqu'à ce qu'elle hurle, jusqu'à ce qu'elle soit à nouveau animée de cette passion brûlante qui la caractérise tellement. Et leurs cris s'entremêleraient dans un capharnaüm assourdissant, avant d'être finalement brisé par le silence de leurs lèvres scellées. Comme ils ont si souvent procédé. Mais il ne la retient pas. Parce qu'elle ne veut pas être retenue. Il le sait, ça crève les yeux. Il la connait trop. Mais peut-être pas assez finalement, parce qu'il n'arrive pas à deviner la raison de ce changement brutal. Hier encore, ils s'aimaient. Hier encore, ils étaient fiancés, prêts à encaisser la vie. Main dans la main. Et aujourd'hui, plus rien. Halina qui piétine tout ça sans remord, avec une assurance blessante. Il pourrait la retenir, mais il ne le fera pas. Parce qu'elle ne veut pas. Et il l'aime si fort qu'il préfère s'oublier, étouffer son cœur qui panique complètement et la laisser choisir ce qui lui semble être le mieux pour elle. Conscient d'être parti à la dérive depuis un moment, il capitule. Accepte l'idée qu'il ne soit plus assez bien pour elle. Plus assez fort pour l'aider à avancer. Au fond, il n'a peut-être tout simplement jamais été celui qui lui fallait. Idée redoutable qui termine de l'achever. Son égo qui dégringole en même temps que ses sentiments. — Pourquoi pas ? Voix hargneuse qui le laisse démuni, incapable de comprendre d'où provient cette colère contre lui ; si violente qu'elle la pousse à le quitter. Halina se remet en mouvement, son sac qu'elle écrase sur le torse de Jax et il ne résiste pas. Il se pousse légèrement, suffisamment pour qu'elle puisse passer. Il lui faut bien deux secondes avant de réussir à pivoter pour la suivre des yeux. Et il n'a plus que son dos qui s'éloigne. Il se redresse subitement et la suit d'un pas calme, sa voix forte qui l'interpelle alors qu'elle s'enfuit lâchement. — Halina. Il l'appelle rarement comme ça. Faut croire que la peur qui le secoue perturbe ses habitudes. — Si tu t'en vas sans m'expliquer... Tu n'pourras plus revenir. Parce qu'il ne lui pardonnera jamais de l'abandonner de cette façon. Sans un mot, rien. Le laisser seul avec des milliards de questions qui vont lui pourrir l'existence. Et il ne trouvera jamais le repos, elle le sait bien. Peut-être que c'est ce qu'elle veut finalement. Le punir. Un sentiment d'injustice terrible lui noue la gorge. Il sait déjà qu'elle n'expliquera pas. Qu'elle va s'en aller, comme ça. Et elle ne lui laissera qu'une lente agonie.

Elle ne se retourne pas, il s'y attendait. Et ça lui fait mal de la connaître si bien. Parce qu'il réalise à quel point ça va lui manquer. A quel point tout va lui manquer. A quel point le lit sera vide sans elle. A quel point sa peau sera froide sans la sienne pour le réchauffer. A quel point ses lèvres seront seules sans les siennes pour leur tenir compagnie. Il réalise qu'il n'aura plus personne pour qui brûler. Plus personne qui lui donnera envie d'avancer et de s'en sortir autant qu'elle. Ils ne riront plus. Ne parleront plus. Il n'y aura plus ces siestes silencieuses à se regarder dans le blanc des yeux, à s'aimer sans un mot. Les caresses légères et les plus passionnées. Il n'y aura plus d'écho au son de son palpitant. Il n'y aura plus rien. Et il ne comprend pas.

— Je reviendrai pas. Il ne bouge pas. Ses yeux ne la quitte pas. Comme pour capturer cette dernière image d'elle. Il chérit cet instant, malgré la boule dans son ventre et malgré la rancœur déjà naissante. Elle se remet en mouvement et s'en va. La porte qui se referme derrière elle et tout à coup, le silence est terrifiant. Frissons glacés qui lui hérissent les poils. Il reste planté là. Il ne sait plus bouger. Il ne sait plus quoi faire. Comme si l'univers venait de lui retirer sa boussole. Et il réalise subitement à quel point toute sa vie tournait autour d'elle. A quel point tout ce qu'il faisait, il le faisait en fonction d'elle. Et maintenant qu'elle n'est plus là, c'est comme devoir repartir à zéro. Devoir réapprendre à vivre. Et il n'est pas certain d'y parvenir. Les minutes passent et il reste démuni. La réalité qui fait doucement son chemin jusqu'à sa tête, la prise de conscience est brutale. Comme une injection létale. Il ne savait pas ce matin en se levant qu'il allait vivre son dernier jour, ses derniers instants avant sa condamnation.

Lentement, il enfonce sa main dans sa poche pour en ressortir la bague. Et le métal doré lui brûle les doigts. Il voudrait le jeter, le faire brûler, le piétiner. Rattraper Halina et lui balancer dessus en hurlant. Mais il se contente de faire demi-tour et d'aller soigneusement le ranger dans la chambre, au milieu du chaos. Puis, il retourne dans le salon, s'assoit sur le canapé miteux et allume la télé. Ses yeux vides d'expression, il fixe l'écran sans le voir, sans l'entendre. Le teint blême. Et il barricade tout dans un coin de sa tête pour ne pas sombrer, ne pas se noyer.

Dans son esprit les lumières s'éteignent les unes après les autres.
Halina est partie et elle a tout emporté.
Il ne reste plus rien.
Halina est partie.
Il n'est plus rien.
Noir.