01 ; il a de la boue sur ses vêtements, le reste de la pluie d’hier sur ses vieilles baskets. tristan il s’élance entre les averses, serpente parmi les corps distraits pour quelques dollars et enfin déverser son venin dans les sacs grand ouverts. la supérette à deux coins de rues et les pièces récupérées pour un troc fait sans un regard. le gérant ne pose jamais de questions, ne soupçonne qu’en silence dans quel coin de savannah le gamin décide de passer la nuit. tristan c’est un quatorze que les bougies auraient dû dessiner ce soir-là. il n’y a pas de bougies pourtant, pas de gâteau non plus. plus depuis qu’il l’a décidé. tristan il a pris l’bus, le ticket vieux de quelques jours trempé et planqué dans la poche de son jean délavé.

   02 ; tristan il déconne trop, détonne dans la belle maison. tristan il est turbulent, personne n’en veut vraiment, personne ne veut être responsable. l’aîné fait une tâche sur la photo de famille, dérape, version bêta de l’enfant souhaité. la fierté du premier enfant est vite passée, s’en est allée dans la larme de sa mère, là-bas, dans la salle d’accouchement quand sa sœur s’est pointée, la version mise à jour. il ne lui en veut pas tristan, ça f’sait longtemps que le regard du père ne montrait plus rien. il l’aime bien sa sœur tristan, elle a remis un peu de bonheur dans les yeux de leur mère. tristan s’est barré parce qu’ils n’avaient plus besoin de lui, plus besoin du gamin inachevé.

   03 ;  il se cache, relève sa capuche pour échapper aux gyrophares qui grondent à la recherche des gamins disparus. pourtant quelques fois il y pense, souvent, quand le soleil disparait, voile bleu nuit du satellite en orbite. quelques fois il y pense à revenir chez lui, la mine tirée, fatigué d’enjamber les cadavres des rues. tristan il a perdu le compte des jours depuis que la nuit est devenue blanche, ne dort plus et disparait sous un abribus pour échapper à l’averse, l’prochain bus arrivera bientôt. « t'es tout seul toi aussi ? » gamins des rues. il n’a plus jamais été seul après ça tristan. il n’a pas pris le bus ce soir-là, ni les autres soirs.

   04 ; il se vide les poumons dans les artères de la ville, laisse les vieux sermons sur le bitume quand il escalade la ferraille des escaliers de secours. tristan c’est l’plus rapide des deux, sa main tendue pour faire remonter l’ombre à ses côtés et disparaitre à deux dans celle du bâtiment. il lui a promis tristan, les mots balancés au bord de la nationale après le passage du bus, la solitude délaissée et l’amitié scellée. ils étaient deux, arpentant savannah, à faire les poches sous les lumières criardes. ils étaient deux pendant un temps, il n’sait plus bien tristan, quelques semaines ou quelques mois.

   05 ; puis il y a eu ce gars, à peine plus vieux que lui, droit dans l’impasse, il sait plus trop quand. tristan il n’était qu’un gamin quand il les a rencontrés, les autres enfants disparus, les fugueurs et les incompris. ça fait six ans aujourd’hui, la tête sur un lit de fortune dans un squat improvisé, vieux bâtiment abandonné aux tags et aux âmes esseulées. ils se ressemblent tous là-dedans, gamins perdus à voler pour suivre les règles, à ramener le fric au chef du groupe pour pouvoir dormir à l’abris. tristan il ne s’échappe pas, voit ses potes se faire coffrer quand d’autres s’enfuient. il n’a pas suivi le mouvement, il aurait sûrement dû.

   06 ; le jaune sur ses vêtements, les pigments au bout des doigts, il secoue la bombe et propulse la peinture sur le mur. messages codés pour le squat, marques de son passage avec les autres membres du groupe dans les rues de savannah. y’a cette rivalité quand tombe la nuit, les territoires qui s’entrechoquent et tristan il se débat, s’échappe des regards assassins (pas toujours), se fracture le poing contre une gueule d’ange (souvent). ça lui laisse des contusions sur le visage, ça plait même aux filles du coin, leur donne l’impression de jouer les infirmières au chevet du gamin qui cogne.

   07 ; la lèvre coupée, l’ecchymose naissant sur son visage, il joue parfois les brutes, un poing vengeur pour l’honneur, le prix d’une adolescence vite balayée. il a grandi trop vite tristan, loin des turbulences de son enfance, loin des petits ennuis qu’il a causé par le passé et qui ont hanté les nuits de ses parents. il a appris à cogner (fort), à faire mal (vraiment), y’a toujours eu que ça pour l’aider à s’en sortir. y’a toujours eu que l’alcool pour panser les blessures le lendemain, lui qui boit trop, poison mortel dans ses veines, laisse des traces sous son regard de gamin. il n'est même pas majeur ici tristan.

    08 ; valse de minuit, pause à l’heure zéro, il danse avec les ombres, alchimie corps à cœur. il ne comprend pas bien les filles tristan, se lasse quand les mèches brunes filent entre ses doigts, soupire chaque fois que les mèches blondes deviennent fades, les rousseurs rougeurs sur les pommettes. tristan il va et vient sans repères, les visages brouillés et vite oubliés. y’a le tourbillon des poussières autour de lui, vite envolées, vite dissipées dans l’air, tristan il est maladroit, s’refuse d’emporter une autre âme dans la tempête.

    09 ; tristan il traine trop sur internet, les raccourcis enregistrés pour la retrouver. épie les photos. elle a grandi. elle ressemble à leur mère. y’a sa sœur dans un coin de sa tête, sa sœur dans un coin de son cœur. y’a sa sœur qui lui manque quelques fois, l’hésitation au fond des tripes quand vient son anniversaire. peut-être qu’elle est mieux sans lui (elle a l’air), peut-être qu’elle l’a oublié (elle a l’air heureuse sur les photos). y’a sa sœur qui lui manque souvent.

    10 ; tristan il a un virus dans l’cerveau (ils appellent ça les souvenirs).
tristan il a les fesses cloués sur le macadam, là où résonnent les rires des autres disparus.
tristan il est peut-être perdu au fond, là entre les autres menteurs.
y’a sûrement des lésions dans son cœur à lui aussi.